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Date : 20040608

Dossier : IMM-8108-03

Référence : 2004 CF 816

Vancouver (Colombie-Britannique), le mardi 8 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                               PAN WEI XIONG

                                                                                                                                        demandeur

                                                                             et

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 29 septembre 2003 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un « réfugié au sens de la Convention » ou une « personne à protéger » conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).


[2]                 La principale question que soulève la présente demande est une question de crédibilité. Le demandeur en l'espèce prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de son appartenance au mouvement Falun Gong.

[3]                 Le demandeur était marié. En décembre 1999, son épouse a dû se faire avorter parce qu'ils avaient déjà un enfant. Cette expérience a été très difficile tant pour son épouse que pour lui, qui l'a vue souffrir. Selon les allégations, cela aurait amené le demandeur à approfondir sa pratique du Falun Gong. Même s'ils vivaient à la même adresse, son épouse et lui vivaient séparés, parce qu'ils voulaient divorcer. Le demandeur a dit que ce n'était pas que son épouse et lui ne s'aimaient pas, mais qu'ils ne pouvaient pas inscrire leur enfant à l'école à moins d'être en mesure d'établir que l'épouse du demandeur avait un DIU (que son corps a rejeté) ou qu'ils étaient divorcés; il s'agissait là d'un des moyens de mise en oeuvre de la politique de l'enfant unique en Chine. Le divorce a été accordé en novembre 2002, un mois avant que le demandeur ne parte pour le Canada.


[4]                 Au milieu de l'année 2000, le demandeur a acheté un deuxième appartement à des fins de placement. Selon les allégations, le demandeur aurait accepté de permettre à des personnes de s'y rencontrer et d'y pratiquer les exercices du Falun Gong. Au milieu du mois de novembre 2000, plusieurs agents de surveillance du Comité de quartier auraient inspecté le domicile du demandeur et y auraient trouvé des documents du Falun Gong. Le demandeur aurait alors été envoyé en rééducation pendant environ un mois. Après sa rééducation, où on l'aurait forcé à [traduction] « renier le Falun Gong » , le demandeur aurait essayé de se racheter pour ce qu'il considérait comme sa faiblesse (c.-à-d. dénoncer publiquement le Falun Gong) en permettant à des membres du mouvement de se rencontrer dans son autre appartement.

[5]                 Dans la soirée du 3 juin 2002, une rencontre du Falun Gong a eu lieu dans l'autre appartement du demandeur. La police y a fait une descente et les personnes qui y étaient réunies auraient été arrêtées. Le demandeur était de garde de l'autre côté de la rue lors de la descente. Le demandeur aurait informé les occupants par téléphone puis il aurait pris la fuite. Selon une entente conclue entre les personnes qui se rencontraient, si l'appartement faisait l'objet d'une descente, ceux qui étaient arrêtés révélaient à la police le nom de ceux qui avaient réussi à s'échapper.

[6]                 Après cet incident, le demandeur se serait caché; il a quitté la Chine à la fin du mois de décembre 2002 et il a présenté une demande d'asile au Canada en février 2003. Le demandeur a prétendu que, vu le traitement que réservaient les autorités chinoises aux membres du Falun Gong (comme le confirmaient les Country Reports), il serait arrêté et ferait l'objet de mauvais traitements s'il était renvoyé en Chine, parce qu'il était connu des autorités. Le demandeur aurait appris que la police avait interdit tout accès à l'appartement où la descente avait été faite et qu'elle avait interrogé son beau-père et son voisin pour savoir où il se trouvait.


[7]                 La Commission a conclu que le demandeur n'était pas suffisamment crédible et que son récit avait été inventé de toutes pièces. La Commission n'a tout simplement pas cru que les incidents allégués par le demandeur s'étaient produits, que le demandeur savait comment pratiquer le Falun Gong ou qu'il le pratiquait réellement lorsqu'il vivait encore en Chine. Dans sa décision, la Commission a relevé plusieurs lacunes sur le plan de la crédibilité. Les réserves de la Commission ont été exprimées en termes clairs et explicites.

[8]                 Premièrement, le certificat de divorce a été délivré en novembre 2002 et le poste de police a apposé un tampon portant la mention « divorcé » sur son certificat de résidence, soit au moment même où le demandeur prétend s'être caché des autorités. D'une part, affirme la Commission, les autorités recherchent le demandeur, et, d'autre part, celles-ci tamponnent son formulaire de résidence sans problème et sans essayer de l'arrêter. La Commission a conclu qu'en réalité, le demandeur ne se cachait pas, qu'il vivait une vie normale, qu'il avait fait tamponner son certificat comme on le faisait habituellement après un divorce et qu'il n'était pas recherché par les autorités.

[9]                 Deuxièmement, le demandeur a prétendu être un adepte du Falun Gong, mais il a ajouté qu'il ne pratiquait pas les cinq exercices particuliers imposés par le maître, Li Hongzhi; il se contentait simplement de méditer et d'améliorer le xinxing (qui signifie littéralement « esprit de coeur » ), ce qui constitue l'attitude fondamentale du Falun Gong, laquelle mène à la vérité, à la compassion et à la tolérance. La Commission a jugé que cela n'était pas compatible avec une pratique normale du Falun Gong et elle n'a pas cru que le demandeur pratiquait réellement le Falun Gong lorsqu'il était en Chine.


[10]            Troisièmement, la Commission n'a pas trouvé convaincante l'explication donnée par le demandeur quant à la façon dont il avait obtenu son passeport de Hong Kong. Le demandeur a expliqué que, pour fuir la torture, les adeptes du Falun Gong qui avaient été arrêtés à la rencontre tenue à son appartement avaient dit à la police qu'il était leur chef. Ayant pu se servir de son nom pour se tirer d'affaire, ils l'auraient en retour aidé à obtenir le passeport de Hong Kong.

[11]            Quatrièmement, il y avait une contradiction entre ce qui était dit dans la déclaration manuscrite du demandeur, soit que des agents de police s'étaient présentés chez lui, mais qu'il s'était enfui, et ce qui était dit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage oral, soit qu'il était à environ 100 mètres de l'appartement dans lequel avait lieu une rencontre du Falun Gong lorsqu'il avait vu les autorités se diriger vers celui-ci. Le demandeur a également affirmé dans son témoignage oral que les autorités s'étaient rendues à son lieu de travail le lendemain parce qu'elles étaient à sa recherche; il n'a toutefois pas fait mention de ce fait dans son FRP. La Commission a dit qu'il s'agissait là d'une autre contradiction « qui [la] fortifi[ait] [...] dans [s]a conclusion concernant sa crédibilité » .


[12]            Cinquièmement, le demandeur n'avait appris que récemment, après avoir appelé ses anciens voisins en Chine, que les autorités avaient interdit tout accès à l'appartement ayant fait l'objet de la descente. La Commission n'a pas pu expliquer pourquoi, si, comme le prétend le demandeur, l'interdiction d'accès était liée à la descente, cette interdiction n'avait pas été imposée peu après la descente, de sorte que le demandeur en aurait été informé avant de quitter la Chine quelque six mois après la descente. Cela aussi a incité la Commission à conclure que le récit avait été inventé de toutes pièces.

[13]            Enfin, la Commission a jugé tout à fait invraisemblable que l'épouse du demandeur n'ait pas su, alors qu'ils vivaient toujours à la même adresse, quoique dans des pièces séparées, qu'il était un membre du Falun Gong ni qu'il avait été envoyé dans un camp de rééducation.

[14]            En résumé, la Commission a jugé, compte tenu d'un manque de crédibilité, que le demandeur n'avait pas établi qu'il craignait avec raison d'être persécuté parce que le gouvernement le soupçonnait d'être un dirigeant ou même un membre ordinaire du mouvement Falun Gong


[15]            Le demandeur soutient que la Commission n'a pas traité de la question principale soulevée dans sa demande, savoir que le fait d'avoir prêté son appartement pour qu'on puisse y tenir des rencontres du Falun Gong l'avait exposé à une menace sérieuse de la part des autorités une fois que la descente eut été faite et que les membres qui avaient été arrêté l'eurent dénoncé comme leur chef. Deuxièmement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu'un adepte du Falun Gong devait en pratiquer les exercices, et il ajoute sur ce point que le texte fondamental du mouvement, qui a été écrit par son fondateur lui-même, appuie son point de vue suivant lequel une personne peut pratiquer le Falun Gong en cultivant le xinxing sans faire les exercices. Troisièmement, le demandeur soutient aussi que la Commission ne lui a pas donné une possibilité raisonnable d'expliquer toute contradiction qu'elle aurait pu relever dans son témoignage.

[16]            Malgré les efforts louables déployés par son avocate à l'audience, le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. À cet égard, j'accepte les arguments soumis par le défendeur dans son mémoire et dans son mémoire supplémentaire, arguments que je n'ai pas besoin de répéter ici.

[17]            Dans l'ensemble, la preuve appuie la conclusion de la Commission que le demandeur n'est pas crédible. La Commission a examiné la preuve documentaire ainsi que les explications données par le demandeur, et a conclu qu'elles étaient non plausibles. Ces conclusions de fait doivent faire l'objet d'une retenue judiciaire considérable, à moins que le demandeur ne puisse démontrer qu'elles ne s'appuient pas sur la preuve ou qu'elles sont manifestement déraisonnables. Dans l'ensemble, la décision de la Commission n'est pas manifestement déraisonnable. Je ne crois pas non plus qu'il y ait eu un manquement important aux règles de l'équité procédurale. Vu les circonstances particulières de l'espèce, je suis prêt à accepter que la Commission n'était pas tenue d'informer le demandeur de toutes ses réserves (Tekin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 506, au paragraphe 14 (1re inst.) (QL), 2003 CFPI 357.


[18]            Cela étant dit, je suis également convaincu qu'un examen des motifs démontre que la Commission n'a pas cru que le demandeur avait permis à des adeptes du Falun Gong d'utiliser son appartement. La question de savoir s'il est suffisant de pratiquer uniquement le xinxing ou si les exercices sont une composante essentielle de la pratique du Falun Gong est une question de fait qu'il appartient davantage à la Commission de trancher. La Commission s'est fondée sur la preuve documentaire pour tirer ses conclusions. Ce n'est pas à la Cour de réévaluer la preuve. Je conclus également que toute erreur commise par la Commission sur ce point est sans conséquence et n'a aucune incidence sur la conclusion générale de la Commission suivant laquelle le récit du demandeur a été inventé.

[19]            Pour tous ces motifs, la présente demande doit être rejetée. La présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Luc J. Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-8108-03

INTITULÉ :                                                    PAN WEI XIONG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 2 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Nora Ng                                                           POUR LE DEMANDEUR

Peter Bell                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates                                     POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)


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