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Date : 20051130

Dossier : IMM-821-05

Référence : 2005 CF 1627

ENTRE :

BAYRAM BULUT

SERANAY BULUT

BATUHAN BULUT

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HUGHES

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés, dans laquelle il a été décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]                Les demandeurs sont un père et ses deux enfants, citoyens de la Turquie. Ils sont Kurdes de religion alevi. Ils prétendent être des personnes à protéger et affirment craindre avec raison d'être persécutés du fait de leurs race, religion, nationalité et opinions politiques. Le père allègue qu'il a participé à des manifestations antigouvernementales en Turquie, qui ont entraîné son arrestation et sa détention pendant deux jours, au cours de laquelle il a été torturé. Le père prétend qu'il a divorcé de sa femme, la mère des enfants, en Turquie pour la protéger, et qu'il s'est enfui avec ses enfants vers le Canada en juin 2001, date à laquelle il a demandé asile pour ses deux enfants et pour lui-même.

[3]                La Commission n'a pas cru le demandeur. Les conclusions de la Commission, résumées aux pages 35 et 36 de ses motifs, sont les suivantes :

Par conséquent, pour tous les motifs susmentionnés, le tribunal tire, selon la prépondérance des probabilités, les conclusions suivantes à l'égard des demandeurs d'asile. Le demandeur d'asile principal est un Kurde alévi. Cependant, les actes de persécution dont il prétend avoir été victime ne se sont pas produits. Plus particulièrement, il n'a jamais été détenu par la police en mars 1997 ; les événements de février 1999 ne se sont jamais produits et les événements de mars 2001 n'ont pas eu lieu. Le demandeur d'asile principal et peut-être même les demandeurs d'asile mineurs ont passé du temps au Royaume-Uni. De plus, le demandeur d'asile principal s'est rendu aux États-Unis. Il est arrivé à New York le 2 septembre 2000 et est retourné au Royaume-Uni le 15 septembre 2000. Les demandeurs d'asile ont utilisé un passeport turc valable à leur nom et le demandeur d'asile principal a obtenu ce document directement au bureau des passeports. Les demandeurs d'asile n'ont pas fait appel aux services d'un passeur pour quitter la Turquie et venir au Canada. Le tribunal a des raisons valables de croire que le demandeur d'asile principal se trouve au Canada pour des raisons économiques. Le tribunal estime que son mariage a éclaté, qu'il a divorcé et qu'il a décidé d'amener ses enfants au Canada pour tourner la page. Plus particulièrement, les autorités ne le recherchent pas et elles ne s'intéresseraient pas à lui s'il retournait en Turquie. En outre, bien que le demandeur d'asile se soit converti au christianisme, ni le gouvernement ni le Hezbollah ne le persécuteraient pour cette raison. Réciproquement, les autorités ne s'intéressent aucunement aux demandeurs d'asile mineurs. Donc, si ces demandeurs d'asile étaient renvoyés en Turquie, il n'y a pas de possibilité sérieuse qu'ils soient persécutés ou qu'ils aient besoin de la protection du Canada.

[4]                Les demandeurs ont soulevé deux questions :

1.                   Le commissaire a-t-il fait preuve de partialité;

2.                   Le commissaire a-t-il fait preuve de zèle intempestif, qui l'aurait entraîné à tirer des conclusions inappropriées qui n'étaient pas fondées sur des preuves, ou qui étaient fondées sur des preuves erronées, et à imposer aux demandeurs un fardeau de la preuve trop lourd.

QUESTION No1 - La partialité

[5]                Les demandeurs allèguent que le commissaire, M. Leonoff, a fait preuve de partialité, ou plutôt d'une forme de partialité, à savoir le préjugé, lorsqu'il a entendu la cause et qu'il a tiré ses conclusions. Cette allégation est fondée sur des documents annexés à un affidavit qu'une assistante juridique a présenté à la Commission, dans lesquels se trouvaient certaines réponses obtenues du Commissaire à l'information par l'avocat pour lequel l'assistante travaillait. En résumé, les demandeurs allèguent que M. Leonoff accueille beaucoup moins de demandes « turques » que la moyenne « nationale » d'acceptation. Cette allégation est présentée essentiellement dans les paragraphes 10, 11 et 12 du mémoire des demandeurs :

[TRADUCTION]

10.                  À l'échelle nationale, les demandes déposées par des Turcs ont été accueillies à un taux de 60 p. cent en 2003 et de 64 p. cent en 2004. À Toronto, les demandes déposées par des Turcs ont été accueillies à un taux de 70 p. cent en 2003 et de 75 p. cent dans les premiers trois mois en 2004. Ces taux, comme on peut s'y attendre, varient entre eux de 10 à 15 p. cent.

11.                  Laurence Leonoff n'a accueilli que 15 p. cent des demandes turques en 2003, et absolument aucune au cours des quatre premiers mois de 2004. La justice fondamentale requiert qu'un demandeur d'asile ait accès à un décideur impartial. Sing c. Canada, [1985] 1 R.C.S. 177.

12.                  En tout respect, nous soutenons qu'il n'existe absolument aucun doute que cette différence est clairement et statistiquement significative et qu'elle démontre une partialité réelle, en comparaison avec les autres commissaires.

[6]                Les demandeurs n'ont pas relevé d'occurrence précise de partialité ou de préjugé réels de la part du commissaire, mais ils allèguent que les statistiques susmentionnées donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité.

[7]                Une allégation de partialité est une affaire grave et une personne se voyant reprocher une telle partialité dans l'exercice de sa profession a le droit d'exiger que cette allégation s'appuie sur des preuves crédibles et des raisons valables. Le critère concernant la partialité n'est pas contesté : le juge de Grandpré l'a énoncé en dissidence dans l'affaire Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, aux pages 394 et 395 :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

***

Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je [...] refuse d'admettre que le critère doit être celui « d'une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne » .

[8]                En bref, la crainte de partialité doit être sérieuse selon le point de vue d'une personne sensée et raisonnable.

[9]                Le commissaire lui-même a eu à examiner cette allégation de partialité et a conclu, dans une décision distincte rendue le 21 octobre 2004, que la validité de l'allégation de crainte raisonnable de partialité n'avait pas été établie contre lui. Le commissaire a conclu à bon droit à la page 5 de ses motifs :

Chaque revendication est un cas d'espèce et les membres de la Section du statut doivent apprécier chaque dossier à la lumière de la preuve et du droit applicable. Une telle assertion affecte directement l'intégrité des membres en cause et ne peut être retenue sans aucune preuve sérieuse. Un simple soupçon basé sur « des moyennes » ne rencontre pas le critère applicable de la personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique. Je rejette donc cette objection.

[10]            Les statistiques seules, telles que présentées par les demandeurs, sont vides de tout sens sans une analyse éclairée de leur signification et, par conséquent, de la possibilité d'en tirer une conclusion raisonnable. En l'espèce, il n'y a eu aucune tentative de fournir une analyse de la signification des statistiques et des inférences et des conclusions qui peuvent en être tirées. Il serait raisonnable d'escompter la présence d'un témoignage d'expert à ce sujet, surtout dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Il n'y a pas eu de tel témoignage.

[11]            L'allégation de partialité n'était pas fondée.

QUESTION NO 2 - Le zèle intempestif

[12]            La décision du commissaire compte 35 pages. Le commissaire a exposé en détail ses motifs et s'est exprimé sur d'autres sujets qu'il jugeait pertinents. Les motifs de la Commission sont généralement critiqués parce qu'ils sont trop brefs ou qu'ils ne mentionnent pas tous les sujets examinés lors de la prise de décision. En l'espèce, il semble que le contraire soit allégué.

[13]            Le commissaire a été méticuleux et exhaustif dans ses motifs, sachant sans doute qu'une allégation de partialité avait été soulevée. À mon avis, il n'y a rien de manifestement déraisonnable dans les conclusions du commissaire, et il n'a fait aucune erreur importante ou erreur d'interprétation par rapport à la preuve.

EN CONCLUSION

[14]            La demande sera rejetée. Aucune partie n'a énoncé de question aux fins de certification et aucune ne sera certifiée.

[15]            Quant aux dépens, l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés prévoit qu'aucuns dépens ne seront accordés à moins d'ordonnance contraire rendue par la Cour pour des raisons spéciales. En l'espèce, une allégation de partialité a été soulevée à la Commission et a été réglée par celle-ci. L'allégation a été soulevée de nouveau au cours du présent contrôle judiciaire, sans qu'aucune justification raisonnable n'ait été présentée pour appuyer cette allégation. Elle était pratiquement insouciante et irréfléchie. Pour ces motifs, des dépens seront adjugés à l'encontre des demandeurs et seront fixés à la somme de cinq cent dollars (500 $).

                                                                                                            « Roger T. Hughes »

JUGE

Toronto (Ontario)

Le 30 novembre 2005

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-821-05

INTITULÉ :                                       BAYRAM BULUT

                                                            SERANAY BULUT

                                                            BATUHAN BULUT

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 29 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HUGHES

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS:

Alex Billingsley                                                  POUR LES DEMANDEURS

                                                                                               

Kristina Dragaitis                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alex Billingsley

Avocat

Toronto (Ontario)                                             POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                     POUR LE DÉFENDEUR


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