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Date : 20030625

Dossiers : T-239-02

T-240-02

Référence : 2003 CFPI 780

ENTRE :

                                                                NTD APPAREL INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                                                                 RAVINSKY RYAN

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LAYDEN-STEVENSON


[1]                 La radiation pour défaut d'emploi est prévue à l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi). La présente affaire intéresse deux appels interjetés par NTD Apparel Inc. (NTD) contre des décisions datées du 14 décembre 2001 par lesquelles le registraire des marques de commerce (le registraire) a radié les enregistrements de marque de commerce no 314,512 (no de greffe T-239-02) et no 316,149 (no de greffe T-240-02). Les deux enregistrements visent la marque de commerce KOALA BLUE. Les appels concernent les mêmes parties, la même marque de commerce, le même fondement factuel et les mêmes observations sur les points de droit.

FAITS

[2]                 La marque de commerce no 314,512 a été déposée le 19 janvier 1984 en liaison avec les marchandises suivantes :

[traduction]

Vêtements pour hommes, femmes et enfants, à savoir des pantalons, culottes courtes, blue-jeans, chemises, chandails, chemisiers, ceintures, chapeaux, vestes en denim; vêtements de dessus, à savoir des vestes, manteaux, anoraks, pantalons et habits de neige.

[3]                 La marque de commerce no 316,149 a été déposée le 3 octobre 1984 en liaison avec une liste sensiblement plus longue de vêtements à titre de marchandises, de même qu'en liaison avec des services définis comme [traduction] « l'exploitation et la gestion de magasins de vente au détail de vêtements » .

[4]                 Koala Blue Inc. (Koala Blue) est enregistrée au Bureau des marques de commerce du Canada en qualité de propriétaire des deux marques de commerce en litige. Koala Blue a été déclarée en faillite en 1992 et l'appelante, NTD, est maintenant propriétaire des enregistrements susmentionnés en vertu d'une série de cessions non enregistrées qui sont intervenues après la faillite. Les appels visant les décisions du registraire ont initialement été interjetés par Koala Blue. Par une ordonnance de Madame le juge McGillis datée du 20 mai 2002, NTD a été ajoutée comme partie à l'instance, Koala Blue a cessé d'être partie à l'instance et l'intitulé de la cause a été modifié en conséquence.


[5]                 NTD est une société constituée sous le régime des lois du Canada et a un établissement principal à Montréal (Québec). Son vice-président directeur, qui est responsable des questions liées aux marques de commerce, réside dans le sud de la Californie. Les droits afférents aux marques de commerce KOALA BLUE ont été transférés à NTD par voie d'une cession avec effet rétroactif signée le 21 janvier 2000, qui a pris effet le 27 janvier 1998. En juin 2001, l'avocat américain de NTD a communiqué avec un cabinet d'avocats canadien pour faire procéder à un examen de l'état des enregistrements visant la marque KOALA BLUE au Canada. Cet examen a révélé qu'il y avait eu renonciation aux enregistrements nos 416,824 et 587,243 relatifs aux marques KOALA BLUE et DESSIN et KOALA BLUE les 27 octobre 1992 et 13 avril 1995 respectivement et que l'enregistrement no 301,687 relatif à la marque KOALA BLUE et DESSIN avait été radié le 28 novembre 2000 pour défaut de renouvellement. Plus pertinemment, on a découvert que la date à laquelle l'enregistrement no 314,512 devait être renouvelé était le 23 mai 2001 (un délai de grâce de six mois s'appliquait) tandis que l'enregistrement no 316,149 devait être renouvelé le 11 juin 2001.

[6]                 Par une lettre datée du 12 juillet 2001, le cabinet d'avocats canadien (Riches, McKenzie & Herbert s.r.l.) a demandé le renouvellement des enregistrements nos 314,512 et 316,149 relativement à la marque KOALA BLUE et, au même moment, a demandé que le cabinet soit inscrit, pour les besoins de la signification, comme représentant du déposant des deux enregistrements.

[7]                 Dans l'intervalle, à l'insu de NTD et de ses avocats, le cabinet d'avocats montréalais Ravinsky Ryan a demandé au registraire, en application de l'article 45 de la Loi, de donner au propriétaire inscrit des enregistrements de marque de commerce KOALA BLUE un avis lui enjoignant de fournir des éléments de preuve établissant que la marque de commerce déposée était employée au Canada au cours des trois ans précédant la date de l'avis du registraire ou qu'il existe des circonstances spéciales justifiant le défaut d'emploi de la marque de commerce. Le 5 juillet 2001, le registraire a donné au propriétaire inscrit de la marque, Koala Blue, les avis prévus à l'article 45, accompagnés de copies des enregistrements de marques de commerce et des avis de pratique. Comme elle n'était pas la propriétaire inscrite de la marque, NTD n'a pas reçu les avis ni fourni d'éléments de preuve. Le 14 décembre 2001, le registraire a décidé de radier les enregistrements pour défaut d'avoir produit des éléments de preuve contrairement aux dispositions de l'article 45 de la Loi. À cette date, le cabinet d'avocats canadien était enregistré comme représentant pour signification de NTD en ce qui touchait les enregistrements. Par conséquent, NTD a reçu, par l'intermédiaire de ses avocats canadiens, des exemplaires des décisions du registraire. Lorsqu'ils ont reçu ces documents, NTD et ses avocats (aux États-Unis et au Canada) étaient [traduction] « [...] en train d'examiner les marques et les enregistrements KOALA BLUE en vue d'enregistrer NTD comme propriétaire des marques KOALA BLUE au Canada » .


[8]                 NTD a fait procéder à une recherche au Bureau des marques de commerce pour déterminer s'il existait des demandes pendantes d'enregistrement de la marque KOALA BLUE. La recherche a montré que, le 18 décembre 2001, In-Work International Ltd. (In-Work), de Westmount (Québec), avait déposé une demande d'enregistrement visant cette marque. Ravinsky Ryan (la défenderesse en l'espèce) est la mandataire et la représentante pour signification de In-Work. NTD a donné instructions aux avocats de donner suite aux appels conformément à l'article 56 de la Loi. Il ressort sans équivoque du dossier que les documents appropriés ont été signifiés au registraire. La défenderesse a fait parvenir à la Cour, par télécopieur, une lettre en date du 29 mai 2003 adressée à Riches, McKenzie & Herbert s.r.l. informant ces derniers que la défenderesse [traduction] « ne participerait d'aucune façon à l'audition [de la présente affaire] » . Le 13 juin 2003, les avocats de l'appelante ont envoyé à la Cour, par télécopieur, une lettre précisant notamment ce qui suit :

[traduction]

Une audience concernant les deux affaires susmentionnées doit être tenue à Toronto, le lundi 23 juin 2003.

Les deux affaires consistent en des appels visant les deux décisions connexes du registraire des marques de commerce rendues en application de l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce.

Bien que la demanderesse souhaite toujours obtenir de la Cour qu'elle rende des décisions favorables annulant les décisions du registraire des marques de commerce et portant que les deux enregistrements de marques de commerce de la demanderesse demeurent valablement inscrits au Registre des marques de commerce, les avocats de la demanderesse ont reçu instructions de ne pas assister à l'audition des affaires.

En conséquence, nous avons le regret d'informer la Cour que nous ne présenterons pas d'observations de vive voix à l'audience fixée au 23 juin 2003 et que nous nous en remettons uniquement au mémoire des faits et du droit produit par la demanderesse et qui se trouve à l'onglet 7 du dossier de cette dernière dans chacune des deux instances.

La défenderesse n'a pas signifié d'avis de comparution (contrairement à ce qu'exigeait l'ordonnance du 30 mai 2002 rendue par Madame le juge McGillis). De plus, l'avocat de la défenderesse a confirmé au soussigné que cette dernière ne contestera aucune des deux demandes et qu'elle ne sera pas présente à l'audience du 23 juin 2003.

Nous avons le regret de ne pouvoir aider davantage le juge qui procédera à l'audition de ces affaires.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES



Loi sur les marques de commerce,

L.R.C. (1985), ch. T-13

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l'enregistrement d'une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.

(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l'avis a été donné ou pour celle-ci.

(3) Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit à l'égard de l'une de ces marchandises ou de l'un de ces services, n'a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l'avis et que le défaut d'emploi n'a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l'enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

(4) Lorsque le registraire décide ou non de radier ou de modifier l'enregistrement de la marque de commerce, il notifie sa décision, avec les motifs pertinents, au propriétaire inscrit de la marque de commerce et à la personne à la demande de qui l'avis visé au paragraphe (1) a été donné.

(5) Le registraire agit en conformité avec sa décision si aucun appel n'en est interjeté dans le délai prévu par la présente loi ou, si un appel est interjeté, il agit en conformité avec le jugement définitif rendu dans cet appel.

Trade-marks Act,

R.S.C. 1985, c. T-13

45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade-mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade-mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade-mark is liable to be expunged or amended accordingly.

(4) When the Registrar reaches a decision whether or not the registration of a trade-mark ought to be expunged or amended, he shall give notice of his decision with the reasons therefor to the registered owner of the trade-mark and to the person at whose request the notice referred to in subsection (1) was given.

(5) The Registrar shall act in accordance with his decision if no appeal therefrom is taken within the time limited by this Act or, if an appeal is taken, shall act in accordance with the final judgment given in the appeal.

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

(2) L'appel est interjeté au moyen d'un avis d'appel produit au bureau du registraire et à la Cour fédérale.

(3) L'appelant envoie, dans le délai établi ou accordé par le paragraphe (1), par courrier recommandé, une copie de l'avis au propriétaire inscrit de toute marque de commerce que le registraire a mentionnée dans la décision sur laquelle porte la plainte et à toute autre personne qui avait droit à un avis de cette décision.

(4) Le tribunal peut ordonner qu'un avis public de l'audition de l'appel et des matières en litige dans cet appel soit donné de la manière qu'il juge opportune.

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

(2) An appeal under subsection (1) shall be made by way of notice of appeal filed with the Registrar and in the Federal Court.

(3) The appellant shall, within the time limited or allowed by subsection (1), send a copy of the notice by registered mail to the registered owner of any trade-mark that has been referred to by the Registrar in the decision complained of and to every other person who was entitled to notice of the decision.

(4) The Federal Court may direct that public notice of the hearing of an appeal under subsection (1) and of the matters at issue therein be given in such manner as it deems proper.

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.


THÈSE DE L'APPELANTE

[9]                 NTD ne prétend pas avoir employé la marque au cours des trois ans précédant la date des avis prévus à l'article 45 (5 juillet 1998 au 5 juillet 2001). Elle invoque plutôt le paragraphe 56(5) de la Loi pour affirmer que la preuve contenue dans l'affidavit de son vice-président directeur montre qu'il existait des circonstances spéciales justifiant le défaut d'emploi au sens où l'entend le paragraphe 45(3).

[10]            Comme elle n'exploite pas d'entreprise de vente au détail, d'importation, de vente en gros ou de distribution de vêtements, NTD avait besoin d'un licencié pouvant vendre, fabriquer ou importer et vendre en gros ou distribuer les produits KOALA BLUE au Canada. L'appelante soutient que, jusqu'au 21 janvier 2000, elle n'était pas certaine d'avoir un droit de propriété valable sur les enregistrements de la marque KOALA BLUE et qu'il lui était donc extrêmement difficile de concéder à des tiers une licence les autorisant à employer la marque au Canada. De plus, compte tenu de l'apparente incertitude quant à la propriété, des licenciés potentiels étaient réticents à conclure un contrat de licence. Après le 21 janvier 2000, elle a pris des mesures afin de consolider et faire reconnaître en bonne et due forme ses droits dans la marque au Canada. L'appelante renvoie explicitement au renouvellement des enregistrements en juillet 2001.

[11]            NTD fait valoir qu'à partir du 5 juillet 2001, et aussi du 27 janvier 1998 jusqu'au 5 juillet 2001, elle a activement tenté de trouver des licenciés pour sa marque au Canada et dans d'autres pays. En outre, pendant toute cette période, elle a réalisé diverses études de marché concernant les marques et effectué du travail artistique relativement à des ébauches d'étiquettes et à des affiches portant la marque. Des échantillons, sous forme d'un guide de style, sont joints comme pièces à l'affidavit du vice-président directeur de NTD et sont apparemment fournis à des licenciés éventuels pour veiller à ce qu'ils sachent comment la marque doit être utilisée.


[12]            Selon l'appelante, In-Work ne subira aucun préjudice si les enregistrements continuent de figurer au registre puisqu'elle ne fait pas usage de la marque KOALA BLUE depuis la date de sa demande fondée sur l'emploi proposé de la marque. Depuis 1996, la marque KOALA BLUE jouit d'une bonne réputation au Canada en liaison avec des vêtements et la radiation des enregistrements priverait NTD des avantages découlant de son acquisition du fonds commercial. À l'inverse, In-Work sera en mesure de tirer profit de ce fonds commercial.

[13]            NTD allègue que, compte tenu de ces éléments de preuve, la Cour doit statuer sur le bien-fondé de la décision du registraire : Christian Dior, S.A. c. Dion Neckware Ltd. (2002), 286 N.R. 336, 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.). Même si la simple expression d'une intention de recommencer à employer la marque de commerce ne peut suffire à faire jouer le paragraphe 45(3) de la Loi, le fait de concrétiser cette intention par des mesures prises avant la date des avis donnés en application de l'article 45 peut être suffisant pour justifier le maintien des enregistrements : Oyen Wiggs Green & Mutala c. Pauma Pacific Inc. (1999), 84 C.P.R. (3d) 287 (C.A.F.). S'appuyant sur la décision Baker & McKenzie c. Garfield's Fashions Ltd. (1993), 52 C.P.R. (3d) 274, NTD avance qu'il est raisonnable de supposer qu'un nouveau propriétaire aurait besoin de temps pour prendre des mesures concernant l'emploi des marques de commerce. Selon NTD, les critères servant à établir l'existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d'usage sont les suivants :

1.         Pendant combien de temps a-t-on cessé d'employer la marque de commerce?

2.         Les raisons invoquées par le propriétaire de la marque de commerce pour justifier son défaut d'emploi tenaient-elles à des circonstances indépendantes de sa volonté?

3.         Existe-t-il une intention sérieuse de reprendre dans un bref délai l'emploi de la marque de commerce?

[14]            L'appelante divise la période de défaut d'usage en deux parties. La première s'étend du 27 janvier 1998 au 21 janvier 2000 (soit de la date de prise d'effet de la cession jusqu'à la date de l'exécution de la cession avec effet rétroactif). La seconde va du 21 janvier 2000 au 5 juillet 2001, cette dernière date étant celle des avis prévus à l'article 45. NTD soutient que la seconde partie est la plus importante et qu'elle n'a duré qu'un an et demi.

[15]            En résumé, l'appelante fait valoir qu'elle avait en tout temps l'intention d'employer la marque de commerce KOALA BLUE, qu'une décision de ne pas faire usage de la marque n'a jamais été prise, qu'elle tentait en tout temps de trouver un licencié convenable et qu'elle a pris des mesures, avant les avis fondés sur l'article 45, afin de concrétiser son intention d'employer la marque.

ANALYSE

[16]         Voici comment Monsieur le juge McNair définit l'objet visé par la disposition relative au défaut d'emploi dans la décision Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 8 F.T.R. 310, 13 C.P.R. (3d) 298 (C.F. 1re inst.) :

Il est bien établi que le but et l'objet de l'article 44 sont d'assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Cette procédure a été décrite avec justesse comme visant à éliminer du registre le « bois mort » . L'article 44 ne prévoit pas de décision sur la question de l'abandon, mais attribue simplement au propriétaire inscrit la charge de prouver l'emploi de la marque au Canada ou les circonstances spéciales pouvant justifier son défaut d'emploi. La décision du registraire ne se prononce pas définitivement sur les droits substantifs, mais uniquement sur la question de savoir si l'enregistrement de la marque de commerce est susceptible de radiation.

[17]            Comme l'appelante ne conteste pas que la marque KOALA BLUE n'était pas employée au Canada au cours des trois ans précédant les avis donnés en application de l'article 45, la question soulevée dans les présents appels consiste à déterminer si des éléments de preuve établissant l'existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d'usage ont été produits. Le registraire n'a pas tenu compte de « circonstances spéciales » parce qu'aucun élément de preuve n'a été présenté en réponse aux avis. Cela n'empêche pas la production de tels éléments de preuve dans la présente instance. Les termes « en plus de » , au paragraphe 56(5) de la Loi, n'impliquent pas que des éléments de preuve doivent avoir été préalablement déposés. L'appel offre à l'appelant une seconde chance de protéger la marque de la radiation : Austin Nichols & Co. c. Cinnabon, Inc., [1998] 4 C.F. 569, 82 C.P.R. (3d) 513 (C.A.).

[18]            En ce qui concerne la norme de contrôle judiciaire applicable, il faut faire preuve de retenue à l'égard des décisions du registraire qui relèvent du domaine d'expertise de ce dernier, à moins que des éléments de preuve produits en appel influent sensiblement sur cette décision : Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.); Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB (2002), 295 N.R. 188, 21 C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.). Lorsque des éléments de preuve supplémentaires qui auraient pu influer sensiblement sur la décision du registraire sont soumis à la Section de première instance, le juge doit tirer ses propres conclusions quant au bien-fondé de cette décision : Christian Dior, précité.


[19]            Il faut examiner trois critères pour décider s'il existe des circonstances spéciales justifiant le défaut d'usage. Le premier touche à la période pendant laquelle la marque n'est pas employée. Le deuxième consiste à se demander si les raisons du défaut d'emploi étaient indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit et le troisième à décider s'il existe une intention sérieuse de reprendre dans un bref délai l'emploi de la marque : Registraire des marques de commerce c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 60 N.R. 380, 4 C.P.R. (3d) 488 (C.A.F.).

[20]            Dans la décision Ridout & Maybee c. Sealy Canada Ltd. (1999), 171 F.T.R. 79, 87 C.P.R. (3d) 307 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Lemieux fait les observations suivantes après avoir examiné l'arrêt Harris Knitting Mills, précité :

Il est utile de rappeler les faits saillants des motifs du jugement du juge d'appel Pratte dans Harris Knitting Mills, (précitée). À mon avis, le juge d'appel Pratte a établi les éléments suivants :

a) il est impossible de définir précisément les circonstances qui peuvent, selon le paragraphe 44(3) [actuellement 45(3)], justifier le défaut d'emploi;

b) les circonstances justifiant le défaut d'emploi doivent être spéciales; c'est-à-dire des circonstances qui ne se retrouvent pas dans la majorité des affaires relatives au défaut d'emploi;

c) la raison du défaut d'emploi ne peut être volontaire de la part du propriétaire inscrit; le défaut d'emploi doit être indépendant de la volonté du propriétaire; le propriétaire inscrit doit manifester qu'au moins un inconvénient sérieux justifie l'interruption d'emploi de la marque;

d) la durée de l'emploi et la probabilité d'un défaut d'emploi continu constituent un facteur à considérer;

e) les circonstances spéciales forment une exception à la règle générale en vertu de laquelle une marque de commerce qui n'est pas employée doit être radiée.


[21]            Quant au premier critère, soit la durée du défaut d'emploi, NTD a acquis la marque le 27 janvier 1998. Dans son affidavit, le vice-président directeur de NTD mentionne être au courant du fait que des vêtements KOALA BLUE étaient vendus au Canada à tout le moins jusqu'en 1996. L'appelante n'a pas employé la marque au Canada après l'avoir acquise le 27 janvier 1998. Par conséquent, au 5 juillet 2001 (date des avis fondés sur l'article 45), la période de défaut d'emploi était d'environ trois ans et cinq mois. Il s'agit d'un laps de temps considérable. NTD laisse entendre que la période plus appropriée dont il faut tenir compte est celle débutant le 21 janvier 2000 parce que c'est à cette date qu'elle a reçu confirmation de son contrôle et de son droit de propriété à l'égard de la marque. À mon avis, les questions de la confirmation du droit de propriété et de la présumée incapacité qui en découle de trouver un licencié sont pertinentes en ce qui touche le deuxième critère, bien qu'il puisse y avoir chevauchement des deux. Quoi qu'il en soit, même si la durée du défaut d'usage est calculée à partir du 21 janvier 2000, il n'en demeure pas moins que la marque n'a pas été employée pendant une période de plus d'un an et cinq mois. Cette période est également considérable, particulièrement à la lumière du fait que, selon la preuve, NTD et ses avocats procédaient encore, aussi tard qu'en décembre 2001, à l'examen des enregistrements et des marques KOALA BLUE.


[22]            Quant à la question de savoir si les raisons justifiant le défaut d'emploi étaient indépendantes de la volonté de l'appelante, l'existence d'éléments de preuve établissant ce fait est essentielle. Ces éléments doivent être précis et détaillés : Ridout & Maybee, précitée; Aerosol Fillers Inc. c. Plough (Canada) Ltd., [1980] 2 C.F. 338, 45 C.P.R. (2d) 194 (C.F. 1re inst.). En l'espèce, il ressort de la preuve que NTD n'exploite pas d'entreprise de vente au détail, d'importation, de vente en gros ou de distribution de vêtements et qu'il lui était donc nécessaire de trouver un licencié au Canada pour pouvoir faire usage de la marque KOALA BLUE. Or, la preuve relative aux efforts déployés pour trouver des licenciés est malheureusement négligeable et consiste en de simples assertions dénuées de tout fondement factuel explicite. Aucun élément de preuve se rapportant aux efforts précis faits pour trouver des licenciés au Canada n'a été présenté. De même, la Cour est saisie d'une assertion générale concernant des études de marché mais, ici encore, aucune précision ni aucun détail n'est donné sur ce point. L'assertion la plus précise offerte par l'appelante se trouve dans l'affidavit de son vice-président directeur :

[traduction]

Toutefois, malheureusement et malgré des discussions sérieuses avec divers licenciés potentiels, y compris Toys 'R Us Corporation, NTD n'a pas encore réussi à conclure un contrat de licence avec un licencié, ce qui lui permettrait d'employer les marques KOALA BLUE au Canada.

[23]            Il manque ostensiblement de détails et de précisions au sujet des efforts déployés, du moment où ils ont été entrepris, de ce qui s'est passé et de ce qui se passe. À mon sens, je ne suis saisie d'aucune preuve digne de foi susceptible de me permettre de conclure que le défaut d'emploi découle d'obstacles indépendants de la volonté de l'appelante.

[24]            L'absence d'une preuve digne de foi soulève également des difficultés en ce qui touche le troisième critère, à savoir s'il existe une intention sérieuse de reprendre dans un proche avenir l'emploi de la marque. Deux décisions rendues par Monsieur le juge Rouleau offrent des directives sur l'application du troisième critère. Voici ce qu'il mentionne dans la décision Lander Co. c. Alex E. MacRae & Co. (1993), 62 F.T.R. 71, 46 C.P.R. (3d) 417 (C.F. 1re inst.) :

Pour ce qui est du troisième volet du critère, l'intention de reprendre l'emploi de la marque de commerce ne suffit pas à elle seule, mais doit être établie par des éléments factuels comme des bons de commande ou, à tout le moins, une date certaine de reprise. En l'espèce, l'appelante n'a produit absolument aucun élément de preuve confirmant son intention de recommencer à employer la marque en cause.


[25]            Dans l'affaire Arrowhead Water Corp. c. Arrowhead Spring Water Ltd. (1993), 61 F.T.R. 132, 47 C.P.R. (3d) 217 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau était saisi d'une décision du registraire, et des éléments de preuve avaient été produits en réponse à l'avis donné conformément à l'article 45. Même si la situation est différente en l'espèce, le raisonnement suivi quant au respect des critères applicables est pertinent et particulièrement utile puisque le contexte factuel dans cette affaire intéressait l'acquisition d'une entreprise et l'usage d'une marque de commerce par un nouveau propriétaire. Dans son examen de la décision du registraire, le juge Rouleau s'est exprimé en ces termes :

Il importe donc, lorsque le défaut d'emploi a été reconnu et que le titulaire de l'enregistrement invoque des « circonstances spéciales » , que la preuve présentée pour obtenir une protection supplémentaire ne soit pas limitée à une simple affirmation; la preuve doit contenir des détails qui corroborent l'assertion. La registraire a conclu que l'intention de reprendre l'emploi constituait une simple affirmation et que l'appelante n'avait pas démontré qu'elle avait sérieusement l'intention de reprendre l'emploi de la marque au Canada dans un proche avenir. La preuve ne comprenait pas de détails supplémentaires, comme une date projetée de reprise ou une explication des mesures à prendre pour reprendre effectivement l'emploi de la marque. L'appelante n'a pas fait connaître avec quelque certitude que ce soit son intention de reprendre l'emploi; elle n'a donné à notre Cour aucun renseignement au sujet de la durée du défaut d'emploi. Pour reprendre les propos de la registraire : [traduction] « l'affirmation que le propriétaire de la marque de commerce a l'intention d'employer la marque de commerce au Canada ne suffit pas en soi pour lui permettre de conserver l'enregistrement » .

L'appelante n'a pas convaincu la registraire que les raisons qu'elle a données pour justifier le défaut d'emploi de la marque étaient des circonstances spéciales. Elle a convenu que les nouveaux propriétaires pouvaient avoir besoin de temps pour se familiariser avec une nouvelle entreprise, mais que des détails supplémentaires étaient nécessaires avant qu'un défaut d'emploi de presque deux ans puisse être justifié.


Je conviens aussi que l'appelante n'a pas fourni suffisamment de détails. On ne nous a soumis aucun élément au sujet des difficultés rencontrées par l'appelante qui justifieraient le défaut d'emploi pendant une période aussi longue. La registraire a jugé que de tels détails étaient nécessaires pour corroborer l'existence de circonstances spéciales. L'appelante prétend que la registraire a eu tort de ne pas être convaincue de son intention de reprendre l'emploi. Je suis persuadé que, compte tenu du peu de faits dont elle disposait, la registraire avait raison dans son analyse. L'appelante n'a pas réussi à convaincre la Cour que la registraire n'a pas bien interprété ou examiné l'affaire qui lui était soumise.

[26]            Selon moi, l'appelante a à cet égard aussi omis de présenter un fondement factuel suffisant pour étayer son intention alléguée d'employer la marque. NTD soutient que le fait d'avoir renouvelé les enregistrements, tenté de trouver des licenciés et préparé du travail artistique relativement à des étiquettes et des affiches montre une intention d'employer la marque. Même si elles constituent un point de départ, ces assertions, sans autres détails et précisions, demeurent des allégations vagues et non étayées.

[27]            NTD s'appuie sur l'arrêt Oyen Wiggs Green, précité, pour affirmer que des mesures prises avant l'avis prévu à l'article 45 peuvent suffire à concrétiser l'intention de recommencer à faire usage de la marque. Je ne suis pas en désaccord avec cette assertion. Toutefois, dans l'arrêt Oyen Wiggs Green, la Cour fait explicitement mention de mesures « concrètes » . Je signale que, dans cette affaire, des mesures avaient été prises en vue de revoir la conception de l'emballage des produits visés par la marque de commerce et une commande d'étiquettes portant la marque avait été placée. De plus, peu après la délivrance de l'avis prévu à l'article 45, le produit portant la marque de commerce avait été emballé et expédié dans le cours normal des affaires. Or, en l'espèce, aucune mesure concrète de ce genre ne vient étayer les assertions de l'appelante.


[28]            NTD invoque en outre la décision Baker & MacKenzie, précitée, au soutien de son allégation voulant qu'il soit raisonnable de supposer qu'un nouveau propriétaire a besoin d'un certain temps pour prendre des dispositions en vue d'employer la marque. À nouveau, je ne puis contester cette affirmation. Cependant, la durée du défaut d'emploi en l'espèce est longue et les éléments de preuve relatifs aux efforts déployés par l'appelante pour prendre des mesures afin d'employer les marques sont insuffisants et donc pas dignes de foi. Je me trouve dans la même situation que le juge Rouleau lorsqu'il mentionnait que l'appelante « n'a donné à notre Cour aucun renseignement au sujet de la durée du défaut d'emploi » . Dans la décision Baker & MacKenzie, il existait des éléments de preuve convaincants permettant de conclure à l'existence d'une intention de faire usage de la marque.

[29]            En dernier lieu, l'appelante avance que, si les enregistrements sont radiés, la défenderesse pourra alors tirer profit du fonds commercial engendré par la marque Koala Blue et acquis par NTD. Cet argument peut être sommairement tranché par un renvoi aux observations suivantes faites par Monsieur le juge McGuigan dans l'arrêt Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. et al. (no 2) (1987), 91 N.R. 76, 17 C.P.R. (3d) 237 (C.A.F.) :

Comme cette Cour l'a souvent dit, l'article 44 [devenu l'art. 45] est conçu avant tout pour retirer le bois mort du registre, et ne vise pas à résoudre les litiges entre parties détenant des intérêts commerciaux concurrents, qui seraient réglés par la procédure en radiation prévue à l'article 57 : Moosehead Breweries Ltd. c. Molson Cos. Ltd. et al. (1985), 11 C.P.R. (3d) 208 à la page 210, 63 N.R. 140, à la page 141.


[30]        L'omission de la défenderesse de contester la présente demande ne libère nullement l'appelante de son obligation de prouver que les critères susmentionnés ont été satisfaits. Pour les motifs qui précèdent, j'arrive à la conclusion que l'appelante ne s'est pas acquittée de cette charge. Je suis également persuadée que la preuve produite dans le cadre des présents appels, si elle avait été présentée au registraire, aurait eu une incidence appréciable sur les décisions de ce dernier. La preuve est insuffisante pour justifier le maintien des enregistrements de la marque. Bien que pour des raisons différentes, les décisions du registraire portant radiation des enregistrements sont donc fondées.

[31]            Par conséquent, les appels sont rejetés et une ordonnance à cet effet sera rendue. Les parties conviennent que les « dépens ne doivent être adjugés contre ou en faveur d'aucune des parties » . Je ne vois aucune raison de déroger à cette entente et il n'y aura donc pas d'ordonnance relative aux dépens.

          C. Layden-Stevenson          

Juge                       

Ottawa (Ontario)

Le 25 juin 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :              T-239-02

T-240-02

INTITULÉ :              NTD APPAREL INC. c. RAVINSKY RYAN

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 23 juin 2003

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                                       Madame le juge Layden-Stevenson

DATE DES MOTIFS :                                     Le 25 juin 2003

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan Hitchcock                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Riches, McKenzie & Herbert s.r.l.

Toronto (Ontario)

Francis P. Donovan                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Ravinsky Ryan

Montréal (Québec)


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