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                                                                                                                               Date :    20031107

                                                                                                                    Dossier :    IMM-794-02

                                                                                                              Référence :    2003 CF 1305

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                               YUKIO HAYAMA

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision défavorable concernant une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, décision rendue le 26 septembre 2001 par Dougall Aucoin, responsable de programme à l'ambassade du Canada à Manille (Philippines), section de l'immigration.


Contexte

[2]                Le demandeur est un citoyen du Japon qui est né au Vietnam et qui, en décembre 1999, a présenté à l'ambassade du Canada à Manille, une demande d'immigration au Canada en tant qu'immigrant indépendant. Le demandeur a également présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi).   

[3]                Le 11 septembre 2001, l'agent des visas Rick Schramm (l'agent des visas) a reçu le demandeur et son épouse en entrevue.                                              

[4]                Le 25 septembre 2001, la partie de la demande qui portait sur des considérations humanitaires a été envoyée pour examen au responsable du programme d'immigration, Dougall Aucoin (le responsable de programme).

[5]                Par une lettre en date du 26 septembre 2002, le demandeur a été informé qu'il ne remplissait pas les conditions voulues pour l'immigration au Canada et que sa demande avait été refusée. La lettre de refus a également confirmé que la demande de considérations humanitaires présentée par le demandeur avait été examinée par le responsable de programme et que celui-ci n'avait pas conclu que la situation du demandeur était suffisamment contraignante pour justifier une mesure spéciale.


[6]                Le demandeur soulève deux questions dans la présente demande :

A.         Le responsable de programme était-il tenu de motiver sa décision et si oui, ses motifs étaient-ils suffisants?

B.          Le responsable de programme a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en omettant de recevoir le demandeur en entrevue relativement à sa demande?

Norme de contrôle

[7]                La norme de contrôle appropriée pour une décision prise en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi est celle de la décision raisonnable simpliciter. (Voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphe 62.)

Analyse

A.        Le responsable de programme était-il tenu de motiver sa décision et si oui, ses motifs étaient-ils suffisants?                  

[8]                Le demandeur prétend qu'en refusant sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire sans donner de motifs suffisants, le responsable de programme l'a privé de son droit à l'équité et à la justice naturelle. Le demandeur prétend que, dans la lettre de refus, l'agent des visas a simplement affirmé qu'un responsable du programme d'immigration, qui n'était pas nommément désigné, avait examiné les facteurs liés à la situation du demandeur et avait conclu que ces facteurs n'étaient pas suffisamment contraignants pour justifier une mesure spéciale.                                                                                                                


[9]                L'arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, examine l'obligation de motiver les décisions dans le contexte administratif. L'arrêt Baker établit que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite d'une décision, notamment lorsque la décision revêt une grande importance pour l'individu.

[10]            En l'espèce, les intérêts opposés qui doivent être appréciés par la Cour pour décider si l'obligation d'équité procédurale a été violée ou non sont d'une part, l'efficacité administrative et d'autre part, le droit du demandeur de s'assurer que les questions pertinentes ont été attentivement examinées et que la décision a été rendue d'une manière appropriée.

[11]            Un examen de l'information accessible au demandeur, c'est-à-dire la lettre de refus et les notes versées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI), ne révèle aucune analyse des documents dont le responsable de programme a tenu compte. La lettre de refus affirme que le responsable de programme [TRADUCTION] _ a tenu compte des facteurs d'ordre humanitaire susceptibles d'être pris en considération _ et qu'il a révélé dans sa conclusion que les facteurs pris en considération ne justifiaient pas une _ mesure spéciale _. Je remarque que les notes versées dans le STIDI ont été rendues accessibles au demandeur après réception du dossier du tribunal relatif à la demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agent des visas. Le demandeur n'a présenté aucune autre demande de motifs.


[12]            Le responsable de programme a cependant déposé un affidavit dans la présente demande. Dans son affidavit, il atteste :             

[TRADUCTION]

9.             L'avocat du demandeur a demandé un examen pour des raisons d'ordre humanitaire. Le responsable de programme adjoint qui a agi en tant que préposé à l'entrevue a porté le cas devant moi. Le cas a été porté devant moi le 25 septembre 2001.

10.           Ce jour-là, j'ai examiné tous les faits dont j'avais connaissance y compris les notes du STIDI et le dossier papier du demandeur. Quand j'ai examiné le cas, j'ai estimé que le demandeur était un citoyen du Japon et qu'il avait les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres citoyens japonais.

11.           Le demandeur était marié à une femme dont les parents et tous les frères et soeurs résidaient au Japon, et qui était également admissible à être citoyenne à part entière du Japon.

12.           J'étais informé des circonstances qui ont amené le demandeur et sa famille à quitter le Vietnam, mais j'ai conclu que son admissibilité à participer pleinement en tant que citoyen du Japon et la protection qui leur était offerte au Japon, lui et sa famille, ne justifiaient pas une mesure spéciale.

13.           Après un examen attentif de l'ensemble des circonstances du cas, je n'ai trouvé aucune raison d'ordre humanitaire pour exercer le pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur.

14.           En conséquence, j'ai noté dans le STIDI [TRADUCTION] _ que le cas ne justifie aucun examen spécial _.


[13]            Le demandeur affirme que l'affidavit du responsable de programme ne devrait pas être considéré comme faisant partie de ses motifs et que, sans l'affidavit, les motifs sont manifestement insuffisants en ce que la lettre de refus et les notes du STIDI ne permettent pas au demandeur de savoir pourquoi sa demande a été rejetée. Le demandeur affirme en outre qu'il n'a pas demandé de motifs parce qu'il avait déjà les motifs du responsable de programme. Il prétend que la Cour a décidé qu'une lettre de refus et les notes du STIDI pouvaient constituer des motifs et qu'il avait déjà ces documents. Le demandeur affirme que, étant donné que ces documents n'exposent aucune analyse ou _ motifs _ pour la décision, le responsable de programme ne peut pas subséquemment déposer un affidavit comme motifs additionnels dans une demande de contrôle judiciaire.    

[14]            Dans l'arrêt Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada (2000), 258 N.R. 112 (C.A.F.), un arrêt postérieur à l'arrêt Baker, le juge Rothstein a dit :

Suivant le raisonnement suivi dans l'arrêt Baker, bien qu'ils n'y soient pas obligés dans tous les cas, les tribunaux administratifs devraient en règle générale adopter l'habitude salutaire de motiver leurs décisions. Il n'est cependant pas nécessaire en l'espèce de décider s'il s'agit d'un cas dans lequel le Conseil devait motiver sa décision. La demanderesse admet qu'elle n'a pas demandé au Conseil de motiver sa décision. De fait, bien qu'elle ait demandé au Conseil de réexaminer sa décision, l'absence de motifs ne faisait pas partie des moyens invoqués par la demanderesse pour réclamer ce réexamen.

Dans le jugement Liang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (1999) F.C.J. 1301, le juge Evans a déclaré, au paragraphe 31 :

Toutefois, à mon avis, l'obligation d'équité exige simplement que des motifs soient fournis à la demande de la personne à laquelle cette obligation est due et, en l'absence d'une telle demande, il n'y a aucun manquement à l'obligation d'équité.

Nous sommes d'accord avec le juge Evans. Avant de demander le contrôle judiciaire d'une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n'a pas motivé sa décision, l'intéressé doit d'abord demander au tribunal en question de motiver sa décision. Si le tribunal administratif refuse de motiver sa décision ou fournit des motifs insuffisants, la personne visée peut recourir à notre Cour. On compliquerait toutefois inutilement l'administration de la justice si l'on permettait à l'intéressé de s'adresser à la Cour pour obtenir l'annulation d'une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n'a pas motivé sa décision, sans avoir d'abord demandé à celui-ci de motiver sa décision.

Le Conseil peut répondre à cette demande en motivant sa décision ou en exposant les raisons pour lesquelles il estime qu'il n'est pas nécessaire de le faire, compte tenu des circonstances de l'espèce. À notre avis, le fait d'obliger une partie à demander au tribunal administratif de motiver sa décision avant d'introduire une instance en contrôle judiciaire devant notre Cour ne la lèse aucunement.


Nous tenons à préciser que, bien qu'habituellement, la partie visée doive d'abord demander au tribunal administratif de motiver sa décision, il peut exister des situations dans lesquelles l'obligation du tribunal administratif de motiver sa décision est tellement évidente que l'intéressé peut recourir à la Cour sans devoir d'abord demander au tribunal administratif de motiver sa décision. Il existe peut-être aussi des circonstances dans lesquelles une partie se trouve dans l'impossibilité de demander au Conseil de motiver sa décision. Ces circonstances seraient, à notre avis, extrêmement rares.

En l'espèce, le défaut de la demanderesse de demander au Conseil de motiver sa décision entraîne nécessairement le rejet de cet aspect de sa demande de contrôle judiciaire. Bien que la question revête peut-être beaucoup d'importance pour elle, la demanderesse n'a invoqué aucune raison satisfaisante pour expliquer pourquoi elle n'avait pas demandé au Conseil de motiver sa décision. Ce moyen de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est mal fondé.

[Non souligné dans l'original.]

[15]            Les commentaires du juge Rothstein sont décisifs en ce qui a trait à l'omission par le défendeur de motiver sa décision. Le demandeur n'a pas demandé des motifs. Son argument selon lequel il avait les motifs et qu'en conséquence rien d'autre ne restait à demander est sans fondement. Si le demandeur n'était pas convaincu par la lettre de décision et estimait qu'elle n'expliquait pas suffisamment la décision, il aurait dû faire une demande pour d'autres éclaircissements. Il n'existe aucun élément de preuve qu'une telle demande aurait été refusée. En conséquence, je conclus que, dans les circonstances de la présente affaire, il n'y a aucun manquement à l'obligation d'équité, manquement qui serait dû à une absence de motifs ou à l'insuffisance des motifs.            

B.         Le responsable de programme a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en omettant de recevoir le demandeur en entrevue relativement à sa demande?


[16]            Le demandeur prétend que le responsable de programme aurait dû lui accorder une entrevue relativement à sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire afin qu'il désabuse le responsable de programme de toute réserve qu'il aurait pu avoir. En conséquence, le refus de lui offrir cette occasion était une violation du principe d'équité et constituait un déni de justice naturelle. Le demandeur affirme également dans son affidavit que l'agent des visas qui l'avait effectivement reçu en entrevue ne l'avait pas interrogé en particulier sur les raisons d'ordre humanitaire. Ainsi, le demandeur se demande quels renseignements le responsable de programme a utilisés pour prendre sa décision.

[17]            Je suis d'avis que l'absence pour le demandeur d'une occasion d'entrevue avec le responsable de programme n'a pas violé son droit à l'équité procédurale. Il est généralement admis qu'il n'existe aucune obligation de tenir des audiences sur les demandes présentées en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi, et que l'agent dispose du pouvoir discrétionnaire de recevoir en entrevue. Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême dit clairement que les entrevues ne constituent pas un élément indispensable du processus d'équité procédurale.                     


[18]            En l'espèce, le responsable de programme a fondé sa décision sur les facteurs pertinents tels que la citoyenneté japonaise du demandeur et le lieu de résidence des proches parents de son épouse et a fait remarquer qu'il a examiné tous les facteurs dont il disposait. De même, il est évident à partir des notes tirées du STIDI qui étaient accessibles au responsable de programme, que l'agent des visas a effectivement pris note de la déclaration du demandeur qu'il était le fils aîné et qu'il devait s'occuper de ses parents. L'agent des visas a également noté que le demandeur n'a pas fourni de motifs additionnels ou d'autres éléments à l'appui de cette affirmation. Je suis d'avis que le responsable de programme disposait de suffisamment d'information pour prendre une décision éclairée. Je remarque également que le responsable de programme n'a pas exprimé de doutes quant à la crédibilité et qu'il ne s'est pas fondé sur une preuve extrinsèque pour rendre sa décision.

                                                                             

[19]            En conséquence, je suis convaincu qu'il n'était pas déraisonnable pour le responsable de programme, dans les circonstances de la présente affaire, d'omettre une entrevue personnelle dans son processus de décision. À mon avis, il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière appropriée. Je conclus que le droit du demandeur à l'équité procédurale n'a pas été violé par l'absence d'audience.

Conclusion

[20]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[21]            Aucune des parties n'a proposé une question pour certification. La Cour estime qu'il n'y a pas lieu de certifier une question.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         Est rejetée la demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 26 septembre 2001 de Dougall Aucoin, responsable de programme à l'ambassade du Canada à Manille, section de l'immigration.          

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

_ Edmond P. Blanchard _

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-794-02

INTITULÉ :                                                    YUKIO HAYAMA

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 25 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                   LE 7 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS :                            

Irvin H. Sherman, c.r                                           POUR LE DEMANDEUR

Marcel Larouche                                                POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :        

Martinello & Associates                                      POUR LE DEMANDEUR

Don Mills (Ontario)

Morris Rosenberg                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE

                                           Dossier : IMM-794-02

ENTRE :

                            YUKIO HAYAMA

demandeur

                                         et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                   


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