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                                                                                                                                 Date : 20040804

                                                                                                                    Dossier : IMM-6500-03

                                                                                                                Référence : 2004 CF 1058

Ottawa (Ontario), le 14 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                         JEAN-MARC NYEMBO

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision négative rendue le 5 août 2003 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.


LES FAITS

[2]                Le demandeur, Jean-Marc Nyembo, est un citoyen de la République démocratique du Congo âgé de 26 ans. Il prétend avoir été arrêté le 14 décembre 2001 à l'Université de Kinshasa où il était étudiant. Le demandeur avait participé à une manifestation contre les augmentations des frais de scolarité organisée par l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (l'UDPS). Le demandeur, un sympathisant de ce groupe, prétend qu'il avait été reconnu comme étant l'un des organisateurs de la manifestation et, par conséquent, avait été arrêté et torturé par la police.

[3]                La demande de protection du demandeur est également fondée sur sa relation avec son père, un ancien collaborateur du régime Mobutu, qui a déjà été déclaré fugitif et a été arrêté à deux reprises, soit en 1998 et en 1999. Le père du demandeur a éventuellement été libéré et vit maintenant à Kinshasa.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[4]                La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. Bien que la Commission ait accepté l'identité du demandeur ainsi qu'il était étudiant à l'Université de Kinshasa, elle n'a pas accepté qu'il était recherché par les autorités congolaises ou qu'il correspondait au profil d'un militant de l'UDPS qui serait ciblé par les autorités. Elle n'a pas non plus accepté qu'il puisse fonder une revendication fondée sur l'implication politique passée de son père.


[5]                La Commission n'a pas accepté que le demandeur ait été arrêté après la manifestation de 2001. La Commission a fondé sa conclusion sur un rapport belge daté d'octobre 2002, préparé par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, intitulé « Rapport de Mission à Kinshasa » (le Rapport). Ce document indiquait que neuf leaders étudiants avaient été arrêtés le 14 décembre 2001 et que cinq autres étudiants étaient recherchés par les autorités. Il n'est pas contesté que le nom du demandeur ne figurait pas sur la liste des étudiants arrêtés cette journée-là et qu'il ne figurait pas non plus sur une liste séparée des leaders étudiants de l'UDPS. La Commission a conclu que si le père du demandeur était à ce point connu, il n'était pas raisonnable de croire que son nom ne figurerait pas sur les listes et elle a conclu que la réaction et les explications du demandeur quant à ces omissions étaient peu convaincantes.

[6]                De plus, la Commission a conclu que la relation du demandeur avec son père ne pouvait pas servir de fondement à sa revendication. La Commission a souligné qu'il se peut que le demandeur ait été harcelé par les autorités lorsqu'elles pourchassaient son père, mais cela ne constituait pas de la persécution. La Commission a conclu que le père du demandeur a éventuellement été libéré et qu'il vit actuellement sans ennui à Kinshasa.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[7]                Le demandeur soulève deux questions dans sa demande de contrôle judiciaire :

A.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne serait pas en danger en raison du fait qu'il est un militant de l'UDPS?


B.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas crédible quant à l'arrestation du 14 décembre 2001.

LA NORME DE CONTRÔLE

[8]                La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux conclusions relatives à la crédibilité est celle du caractère manifestement déraisonnable. La Cour d'appel fédérale a établi que la Commission, en tant que tribunal spécialisé, a pleine compétence pour apprécier la crédibilité d'un témoignage ainsi que le risque de persécution. Dans la mesure où les inférences que la Commission tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire : Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, pages 316 à 317.

L'ANALYSE

A.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne serait pas en danger en raison du fait qu'il est un militant de l'UDPS?


[9]                Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur ne correspondait pas au profil d'un militant et que, par conséquent, il ne serait pas ciblé par les autorités. Le demandeur souligne les points suivants quant à cette question. Premièrement, la Commission ne cite aucun élément de preuve à l'appui de l'affirmation que les sympathisants de l'UDPS ne courent pas plus de danger que tout autre associé ou membre de l'UDPS, et deuxièmement, la Commission a conclu que le demandeur était de toute façon membre de l'UDPS. À l'appui de cet argument, le demandeur attire l'attention sur les motifs de la Commission dans lesquelles on retrouve l'extrait suivant : « Quant à son appartenance à l'UDPS [...] » . Il souligne également le récit mentionné dans son FRP dans lequel il a écrit ce qui suit : « [...] car ils savaient que j'étais membre de l'UDPS » . Le demandeur prétend de plus que la Commission n'a fourni aucun motif quant à sa conclusion sur le « profil » . Le demandeur fait également état de la preuve documentaire ou du rapport sur lequel la Commission s'est fondée pour attaquer sa preuve du demandeur quant aux arrestations et prétend que toute cette documentation donne à penser à une chasse aux sorcières dirigées contre les militants de l'UDPS, ce qui étaye sa prétention selon laquelle il serait en danger.

[10]            Le demandeur prétend également que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a omis d'examiner la revendication du demandeur en se plaçant dans la perspective de l'agent de la persécution. Le demandeur soutient qu'il n'est pas nécessaire qu'un demandeur ait réellement une opinion politique tant que cette opinion lui est imputée par l'agent de persécution : Ward c. Canada (MEI), [1993] 2 R.C.S. 689.

[11]            Le défendeur prétend que la Commission était en droit de conclure que le demandeur, un sympathisant avoué et non un membre de l'UDPS, ne serait pas ciblé par les autorités en raison d'une opinion politique présumée et une telle conclusion est du ressort de la Commission et celle-ci pouvait raisonnablement être tirée par la Commission.


[12]            En ce qui concerne la participation du demandeur à l'UDPS, la Commission a à juste titre affirmé qu'il était un sympathisant. Dans ses motifs, elle a reconnu que le demandeur s'est décrit de la manière suivante : « Quant à son appartenance à l'UDPS, le demandeur a lui-même déclaré qu'il n'était qu'un sympathisant » . La Commission n'a pas mal compris la preuve quant à la participation du demandeur à l'UDPS et n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a reconnu le demandeur comme étant un sympathisant et non pas comme étant un membre. La preuve documentaire mentionne que ce sont « [...] surtout les militant de l'UDPS » qui doivent se préoccuper du régime hostile. Je crois donc que, selon le dossier, la Commission pouvait raisonnablement conclure comme elle l'a fait quant au profil du demandeur et quant à sa participation à l'UDPS.

[13]            La Commission a conclu que le seul fait d'être étudiant à l'université ne suffisait pas à établir que l'on pouvait être persécuté en raison de ses opinions politiques. Le demandeur était un sympathisant et non un membre de l'UDPS. Il ne figurait pas sur la liste des leaders étudiants qui avaient été arrêtés ou qui étaient recherchés malgré qu'il fût le fils d'un membre bien connu de l'ancien régime. Dans les circonstances, on ne peut pas dire que la conclusion de la Commission était manifestement déraisonnable. La Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur ne serait pas en danger parce qu'il était un partisan de l'UDPS.

B.         La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que le demandeur n'était pas crédible quant à son arrestation du 14 décembre 2001?            


[14]            Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que, en se fiant essentiellement à la documentation sur le pays émanant de la Belgique dans laquelle l'incident était relaté, il n'avait pas été arrêté le 14 décembre 2001, à sa résidence de l'Université de Kinshasa. Le rapport faisait état d'une liste de 9 étudiants arrêtés le 14 décembre 2001 et de 5 autres leaders étudiants qui étaient recherchés. Le nom du demandeur ne figurait sur aucune de ces listes. Le demandeur soutient que la Commission a mal interprété le rapport belge car ce même document soulignait plus loin que des centaines d'autres étudiants avaient été arrêtés le même jour. Le demandeur a également mis en doute la fiabilité du rapport et a soutenu que la Commission aurait dû examiner soigneusement les notes en bas de page dans le rapport, lesquelles, selon lui, n'étaient pas fiables.

[15]            Le demandeur prétend également que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en ne justifiant pas pourquoi elle avait préféré la preuve documentaire au témoignage présumé exact du demandeur. À l'appui de sa prétention, le demandeur renvoie à la décision Olschewski c. Canada (MEI), [1993] ACF no 1065 (QL), dans laquelle la Cour a conclu que la Commission doit énoncer en termes clairs et explicites pourquoi elle préfère la preuve documentaire au témoignage présumé exact du demandeur du statut de réfugié. Le demandeur prétend que même si la conclusion de la Commission est juste, l'omission de fournir des motifs pour lesquels elle préférait la preuve documentaire au témoignage présumé exact du demandeur est une erreur de droit.


[16]            Le défendeur prétend que le tribunal n'a pas mal interprété la preuve qui lui a été soumise, il a plutôt raisonnablement conclu que le demandeur n'était pas recherché par les autorités. Le défendeur soutient qu'il était loisible à la Commission de conclure que le nom du demandeur, en tant que fils d'un membre bien connu de l'ancien régime, aurait figuré sur les listes mentionnées, s'il avait été effectivement recherché ou avait été détenu.

[17]            Le défendeur a de plus prétendu que le tribunal n'a pas préféré la preuve documentaire au témoignage du demandeur. Il a plutôt soupesé tous les éléments de preuve et a conclu que le demandeur n'était pas recherché par les autorités et que la preuve documentaire n'avait contribué qu'en partie de cette conclusion.


[18]            D'après la preuve, je conclus que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n'a pas été arrêté à l'Université de Kinshasa, le 14 décembre 2001, n'était pas manifestement déraisonnable. Le demandeur affirme dans son FRP qu'il a été détenu pendant plusieurs jours par les autorités après son arrestation. Il affirme que cela découlait du fait qu'il avait été pointé du doigt par trois étudiants comme étant l'un des organisateurs de la manifestation et comme étant le fils d'un proche collaborateur de l'ancien président Mobutu, maintenant décédé. Il reconnaît de plus dans son FRP qu'il est membre d'une famille bien connu. Selon moi, cette preuve étaye la conclusion de la Commission que son nom, dans les circonstances, aurait dû figurer sur les listes. La Commission a questionné le demandeur quant à savoir pourquoi son nom ne figurait sur aucune liste et a estimé que ses réponses n'étaient pas convaincantes. À l'exception de sa preuve directe, le demandeur n'a présenté aucune autre preuve pour corroborer son statut de membre visé de l'UDPS. Selon moi, il était loisible à la Commission de conclure que ses réponses et ses explications manquaient de crédibilité. Je conclus que la Commission n'a pas mal interprété la preuve et qu'elle n'a pas omis de tenir compte de certains éléments de preuve. Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité ont été tirées à la suite d'une audience à laquelle le demandeur a eu l'occasion de répondre aux préoccupations de la Commission. À moins que l'on démontre que ces conclusions sont manifestement déraisonnables ou non étayées par la preuve, une cour siégeant en contrôle judiciaire ne devrait pas intervenir. Selon moi, les conclusions de la Commission n'étaient pas manifestement déraisonnables et il était loisible à la Commission de conclure comme elle l'a fait. Aucune erreur susceptible de révision n'a été commise.

CONCLUSION

[19]            Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[20]            Les parties ont eu l'occasion de soulever une question grave de portée générale conformément à l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, Chapitre 27, et elles ne l'ont pas fait. Je ne propose pas la certification d'une question grave de portée générale.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.         la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

2.          aucune question de portée générale ne soit certifiée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                                        Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-6500-03

INTITULÉ :                                                                JEAN-MARC NYEMBO

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 19 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                               LE 4 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :                            

Michael Crane                                                               POUR LE DEMANDEUR

Lorne McClenaghan                                                      POUR LE DÉFENDEUR        

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                  

Michael Crane                                                               POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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