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Date : 20030620

Dossier : T-1827-01

Référence : 2003 CFPI 757

ENTRE :

                                                               PIOTR PIOTROWSKI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                          (Agence canadienne d'inspection des aliments)

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                 Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision, datée du 14 septembre 2001, d'un membre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'arbitre) rendue en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique[1]. Voici les dispositions pertinentes de cet article :



92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

[...]

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

[...]

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.

(2) Pour pouvoir renvoyer à l'arbitrage un grief du type visé à l'alinéa (1)a), le fonctionnaire doit obtenir, dans les formes réglementaires, l'approbation de son agent négociateur et son acceptation de le représenter dans la procédure d'arbitrage.

[...]

(2) Where a grievance that may be presented by an employee to adjudication is a grievance described in paragraph (1)(a), the employee is not entitled to refer the grievance to adjudication unless the bargaining agent for the bargaining unit, to which the collective agreement or arbitral award referred to in that paragraph applies, signifies in the prescribed manner its approval of the reference of the grievance to adjudication and its willingness to represent the employee in the adjudication proceedings.

[...]


[2]                 L'arbitre a accueilli, en partie seulement, la demande par le demandeur de paiement des heures supplémentaires exécutées par lui au-delà de ses heures normales de travail. Plus spécifiquement, alors que le demandeur avait demandé à être payé au taux de supplément pour le travail effectué entre 4 h 15 et 6 h 00 à chaque jour ouvrable à compter du 1er mai 2000, l'arbitre a ordonné le paiement du taux de supplément uniquement pour le travail effectué entre 4 h 15 et 4 h 30.


CONTEXTE

[3]                 L'arbitre s'est fondé sur un exposé conjoint des faits pour instruire l'affaire, d'où se dégage comme suit son contexte.

[4]                 À tout moment en cause, le demandeur travaillait comme vétérinaire auprès de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, et il était vétérinaire responsable par intérim dans un établissement à Brampton (Ontario) où on procédait à l'abattage et au traitement de poulets en vue de la consommation au Canada et de l'exportation vers les États-Unis.

[5]                 Le demandeur était visé par les modalités d'une convention collective conclue entre l'Agence canadienne d'inspection des aliments et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et applicable à l'unité de négociation du groupe Médecine vétérinaire (la convention collective).


[6]                 Depuis le milieu des années 1990, la journée de travail du demandeur débutait à 5 h 30 et se terminait à 14 h 00, avec une pause-repas de 30 minutes non rémunérée. On versait alors au demandeur le taux « de base » pour sept heures et demie et le taux de supplément, correspondant à une fois et demie le taux de base, pour une demi-heure. Au printemps ou au début de l'été 2000, la journée de travail du demandeur a été modifiée, son heure d'arrivée étant 4 h 15 et son heure de sortie étant 12 h 30; la journée de travail comportait une fois encore une pause-repas de 30 minutes non rémunérée. Ce dont l'arbitre a été saisi, c'était la question de la rémunération du demandeur pour ses heures de travail à compter du printemps ou du début de l'été 2000.

DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA CONVENTION COLLECTIVE

[7]                 On définit, notamment, à l'article 7.01 de la convention collective l'expression « heures supplémentaires » comme s'entendant de « tout travail demandé par l'Employeur et exécuté par un employé en excédent de son horaire de travail quotidien » .

[8]                 L'article B1, qui traite des heures de travail, prévoit ne pas s'appliquer aux employés du groupe VM faisant du travail par postes. À tout moment en cause, le demandeur était membre du groupe VM.

[9]                 La clause B1.02, intitulée « Régime de travail normal » , prévoit ce qui suit :

Sous réserve de l'article B2, la semaine régulière de travail est de trente-sept heures et demie (37 ½) et la journée régulière de travail est de sept heures et demie (7 ½) consécutives, excluant la pause-repas, entre six (6) heures et dix-huit (18) heures. La semaine de travail normale s'étend du lundi jusqu'au vendredi.

[10]            L'article B2 traite du travail par postes, l'alinéa B2.01a) prévoyant ce qui suit :

a)              Lorsque les nécessités du service exigent que les employés travaillent par postes ou à des heures irrégulières, les heures de travail seront en moyenne sept heures et demie (7 ½) par jour et trente-sept heures et demie (37 ½) par semaine, à l'exclusion des pauses-repas.                                                                                                                                                         [Non souligné dans l'original.]

[11]            La convention collective ne renferme aucune disposition relativement aux heures de travail dans le cadre d'autre chose que le régime de travail normal ou le travail par postes.

[12]            L'article B3 portant sur le surtemps prévoit que les employés auxquels l'employeur demande de faire du surtemps doivent être rémunérés au taux majoré de moitié pour chaque heure de travail supplémentaire effectuée, le calcul étant fonction de chaque période de 15 minutes achevée.

DÉCISION SOUS EXAMEN

[13]            Voici le paragraphe central de la décision sous examen, pour les fins de la présente demande :

J'en viens à la conclusion que le nouvel horaire de travail du docteur Piotrowski, à partir de mai 2000, doit être considéré comme un travail par postes aux termes de l'article B2 de la convention collective. D'après le libellé de cet article (B1.02) visant le « régime de travail normal » , la journée de travail normale s'effectue entre 6 h et 18 h et ne peut comprendre un horaire de travail qui déborde de ces paramètres. Le nouvel horaire de travail du docteur Piotrowski comporte une heure d'arrivée fixée à 4 h 30 du matin et une heure de départ établie à 12 h 30, et il sort du cadre horaire de 6 h à 18 h du régime de travail normal défini à la clause B1.02. Un horaire de travail qui ne correspond pas à la définition du « régime de travail normal » prévue à la Clause B1.02 est, à mon sens, un travail par postes, aux termes de l'article B2 de la convention collective.

L'arbitre a ensuite abordé la question de la période de 15 minutes de travail effectué par le demandeur, à chaque journée de travail, de 4 h 15 à 4 h 30. La Cour n'a pas été saisie, dans le cadre de la présente demande, de la décision de l'arbitre relativement à cette période de 15 minutes.

[14]            Au soutien de sa conclusion précitée, l'arbitre s'est fondé sur le passage suivant de Zirpdji c. Canada (Conseil du Trésor)[2], une décision datée du 13 mai 1976 de la Commission des relations de travail dans la fonction publique du Canada :

[...] Tout travail n'entrant pas dans la définition du travail de jour aux termes de la clause 25.02 est à mon avis du travail par poste aux termes de la clause 25.06 et se trouve englobé par la définition des mots « par roulement ou de façon irrégulière » selon ce que je considère avoir été l'intention des parties au moment de la signature de la convention, eu égard à toutes les dispositions qui y sont contenues [...]

[15]            L'arbitre a commenté comme suit le passage précité :

La Commission des relations de travail dans la fonction publique a confirmé cette décision dans une demande que les fonctionnaires s'estimant lésés lui ont présentée en vertu de l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, selon son libellé d'alors, lequel permettait le renvoi de la décision d'un arbitre à la Commission sur une question de droit ou de compétence [...] Dans Freitag [...], l'arbitre Kenneth E. Norman a déclaré que la proposition radicale sur laquelle repose la décision rendue dans Savard et Zirpdji [...] n'admet aucune exception. Je partage son opinion et, comme on l'a dit dans les paragraphes 22 et 23, le fonctionnaire s'estimant lésé accomplissait un travail par postes, après mai 2000.                                                     [Citations omises.]

QUESTIONS EN LITIGE

[16]            Devant la Cour, les avocats ont convenu que les questions en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire concernaient, premièrement, la norme de contrôle judiciaire applicable; deuxièmement, la question de savoir si, en regard de cette norme de contrôle, la décision de l'arbitre était ou non entachée d'une erreur révisable.


ANALYSE

            a)         Norme de contrôle judiciaire

[17]            Dans Barry c. Canada (Conseil du Trésor)[3], le juge Robertson a écrit ce qui suit, au nom de la Cour, au paragraphe 3 :

En toute déférence, nous sommes d'avis que la norme de contrôle adoptée par le juge des requêtes est contraire aux enseignements de la Cour suprême. Il est vrai qu'avant l'abrogation de la clause privative, la Cour suprême avait statué dans Canada (Procureur général ) c. AFPC [...] que la norme de contrôle appropriée au regard des décisions d'un arbitre agissant en vertu de la Loi était de déterminer si la décision était « manifestement déraisonnable » . À notre avis, rien n'a changé du fait de l'abrogation de la clause privative. Dans Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd. [...], le juge Sopinka s'exprimant au nom de la Cour, a statué que, même en l'absence d'une clause privative, la norme de contrôle pour les décisions arbitrales portant sur l'interprétation des conventions collectives est circonscrite par la notion du caractère manifestement déraisonnable.

[...]

                                                                                                                           [Citations omises.]

On n'a pas contesté devant moi que la décision sous examen est une décision arbitrale qui met en cause l'interprétation d'une convention collective.

[18]            Dans Green c. Canada (Conseil du Trésor)[4], le juge Sharlow, s'exprimant au nom de la Cour, a écrit ce qui suit, aux paragraphes 7 et 8 :


En cas de recours contre la décision rendue par un arbitre sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable [...]. Ainsi donc, la décision de l'arbitre est valide à moins qu'elle ne soit « clairement irrationnelle, c'est-à-dire de toute évidence non conforme à la raison » [...].

Une décision peut être manifestement déraisonnable si, par exemple, elle n'est pas justifiée par les preuves produites ou si elle est fondée sur un raisonnement défectueux.                                                                                                                                  [Citations omises, non souligné dans l'original.]

[19]            Finalement, pas plus tard que le 3 avril de cette année, le juge Iacobucci a émis des commentaires, dans Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan[5], sur le concept de « décision manifestement déraisonnable » . Il a écrit ce qui suit au nom de la Cour, au paragraphe 52 de ses motifs :

[...] La décision manifestement déraisonnable a été décrite comme étant « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » [...] Une décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir.                                                                                                                                                      [Citations omises.]

            b)         Erreur révisable


[20]            L'avocat du demandeur a soutenu que la décision sous examen était, selon les termes du juge Sharlow dans Green, précitée, « [...] fondée sur un raisonnement défectueux » et était, en regard du principe précité récemment énoncé par la Cour suprême du Canada, une décision « [...] à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir » . L'avocat a soutenu que, bien que les heures de travail du demandeur pendant la période en cause n'étaient assurément pas comprises entre 6 h 00 et 18 h 00, de manière à tomber sous le coup du régime de travail normal aux termes de la convention collective, elles ne constituaient pas non plus du travail « [...] par postes ou à des heures irrégulières » , de manière à correspondre au concept de travail par postes. Ainsi, a-t-il soutenu, il s'agissait d'heures de travail consécutives, d'horaire normal, cinq jours par semaine, dans le cadre de la semaine normale de travail. L'avocat soutient qu'à ce titre, il s'agissait de fait du régime de travail normal, et le demandeur devrait être rémunéré au taux de supplément prévu à la convention collective pour les heures de travail normales exécutées avant 6 h 00 à chaque journée de travail.

[21]            Par contraste, l'avocat du défendeur a soutenu qu'une telle interprétation entraînerait un résultat irrégulier. En suivant cette interprétation, l'avocat soutient-il, si les heures normales de travail, cinq jours par semaine dans le cadre de la semaine normale de travail, du demandeur, ou de tout autre employé visé par la convention collective, étaient comprises entre 18 h 30 et 4 h 30, y compris une pause-repas non rémunérée d'une demi-heure, l'ensemble des sept heures et demie prévues à l'horaire normal de la journée de travail seraient rémunérées au taux de surtemps. Selon l'avocat, bien qu'en de telles circonstances une prime de poste puisse fort bien se justifier, il n'en est pas ainsi pour une prime d'heures supplémentaires.


[22]            J'estime, en regard d'une norme de la décision manifestement déraisonnable, qu'il y avait matière pour l'arbitre à rendre la décision sous examen. Les mots de la convention collective qui traitent du travail par postes - « [...] travaillent par postes ou à des heures irrégulières [...] » doivent être interprétés d'une manière conférant au mot « irrégulières » un sens différent du concept « par postes » . J'estime que le mot « irrégulières » , en son sens courant, peut s'entendre des heures hors des heures « normales » dans le cadre du régime de travail normal, soit de 6 h 00 à 18 h 00. De manière significative, assurément, les heures de travail prévues à l'horaire normal du demandeur étaient irrégulières, dans le sens qu'elles étaient sensiblement hors des heures de travail normales. J'estime que cette interprétation est parfaitement conforme à ce que prévoit la décision Zirpdji, précitée, que l'arbitre a citée et sur laquelle il s'est fondé.

[23]            L'avocat du demandeur a soutenu, fort à-propos, que les faits sous-tendant la décision Zirpdji étaient très différents des faits d'espèce. J'en conviens. Cela étant dit, toutefois, les mots à portée générale de cette décision sur lesquels l'arbitre s'est fondé sont appropriés pour les fins qui nous occupent.

CONCLUSION

[24]            Compte tenu de la brève analyse qui précède et en regard de la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, j'estime que l'arbitre n'a pas commis d'erreur révisable en en arrivant à la décision qui a été la sienne. Je conclus que sa décision n'était pas fondée sur un « raisonnement défectueux » . Ce n'était pas une décision « [...] à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir » .


[25]            Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Ni l'une ni l'autre partie n'a demandé de dépens. Aucuns dépens ne seront adjugés.

            « Frederick E. Gibson »            

Juge                             

Ottawa (Ontario)

Le 20 juin 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                        T-1827-01

INTITULÉ :                       PIOTR PIOTROWSKI c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 10 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

DATE DE L'ORDONNANCE :                     Le 20 juin 2003

COMPARUTIONS :

DOUGALD BROWN                                        POUR LE DEMANDEUR

JOHN JAWORSKI                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NELLIGAN O'BRIEN PAYNE LLP                              POUR LE DEMANDEUR

OTTAWA

MORRIS ROSENBERG                                    POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA



[1]         L.R.C. (1985), ch. P-35.

[2]         [1976] C.P.S.S.R.B., n ° 10.

[3]         (1997), 221 N.R. 237 (C.A.F.).

[4]         [2000] A.C.F. n ° 379 (Q.L.) (C.A.F.).

[5]         [2003] S.C.J. n ° 17. (QL).


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