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Date : 20030516

Dossier : IMM-3466-02

Référence : 2003 CFPI 616

OTTAWA (ONTARIO), le 16 mai 2003

En présence de MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                        SUNDARALINGAM NAGENDIRAN

                                                                demandeur

                                    et

            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                défendeur

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi), de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue en cabinet le 12 avril 2002 et par écrit le 27 mai 2002. La Commission a statué que le demandeur, Sundaralingam Nagendiran, n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


FAITS

[2]                 Le demandeur affirme qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race et de ses opinions politiques et parce qu'il est un Tamoul en bonne santé de la région de Kilinochchi au Sri Lanka. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur dit être Tamoul, avoir une cinquantaine d'années et être originaire du Nord du Sri Lanka. Il a deux filles et un fils. Sa femme est morte du cancer en 1994. Le demandeur a passé la plus grande partie de sa vie dans le village rural de Skandapuram, situé dans la région de Kilinochchi, où il était agriculteur et possédait un magasin.. Lorsque les Tigres de libération de l'Eelam Tamoul (les LTTE) ont pris le contrôle de la région, il a été obligé de leur céder une partie des produits de sa ferme ainsi que 2 p. 100 des revenus qu'il tirait de son magasin. Jusqu'en 1995, le demandeur et ses enfants n'ont eu aucun problème sérieux avec les LTTE.

[3]                 En octobre 1995, l'armée srilankaise s'est emparée de Jaffna et les LTTE ont établi leurs quartiers généraux à Kilinochchi. Les LTTE ont exigé que l'un des enfants du demandeur se joignent à eux parce qu'ils avaient perdu de nombreux combattants pendant la bataille de Jaffna. Les LTTE ont emmené les filles du demandeur pour qu'elles fassent la cuisine et s'occupent des blessés et des malades. Le demandeur a été forcé de creuser des tranchées. Pendant qu'il creusait des tranchées le 8 septembre 1996, il a été grièvement blessé par des tirs d'obus. Les LTTE lui ont accordé six mois pour lui permettre de se rétablir.

[4]                 En 1999, le demandeur, qui craignait d'être enrôlé de force, a commencé à faire des plans pour quitter le Sri Lanka avec sa famille. En mars 2000, l'une de ses filles partie travailler pour les LTTE n'est pas rentrée à la maison. Le demandeur est allé au camp voisin pour s'informer et on lui a dit que sa fille était retenue parce que personne dans sa famille n'avait joint les rangs des LTTE et qu'elle avait refusé de le faire de son plein gré. Le demandeur a tenté en vain d'obtenir que sa fille soit relâchée.

[5]                 Le demandeur a décidé qu'il devait faire partir son fils du Sri Lanka avant qu'il ne soit emmené par les LTTE et forcé de travailler pour eux. Le demandeur et son fils ont réussi à obtenir un laissez-passer leur permettant de quitter la zone occupée par les LTTE. Ils sont arrivés à un poste de contrôle de l'armée le 20 octobre 2000 et ont été emmenés à un camp pour y être interrogés. On a pris leurs empreintes digitales, on les a photographiés et on leur a fait remplir des formulaires. Le demandeur et son fils ont ensuite été emmenés à un centre de détention. Le 2 novembre 2000, ils ont été transportés à un autre camp de l'armée pour y être interrogés. Le demandeur a été interrogé sur ses liens avec les LTTE. Il a été roué de coups et on lui a mis un sac de plastique sur la tête. Son fils a lui aussi été interrogé et battu.


[6]                 Après le paiement d'un pot-de-vin, le demandeur et son fils ont été autorisés à partir à Colombo le 6 janvier 2001. La police faisait des vérifications des documents et ils ont tous les deux été arrêtés, interrogés et battus. Le père et le fils ont finalement été relâchés le 13 janvier 2001 après avoir versé un pot-de-vin. Ils ont quitté le Sri Lanka avec un agent dont les services avaient été retenus par des membres de leur famille vivant à l'étranger. Le demandeur a reçu un faux passeport canadien, mais non son fils. Le père est parti au Canada et le fils en Indonésie pour y attendre des titres de voyage.

LA DÉCISION

[7]                 La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas démontré, comme il le lui incombait, à l'aide de preuves crédibles ou dignes de foi, qu'il existait une possibilité raisonnable qu'il soit persécuté pour l'un des motifs énoncés dans la Convention s'il devait être renvoyé au Sri Lanka.

[8]                 La Commission a dit que la crédibilité était une question importante. Sa décision contient ce qui suit au sujet de la crédibilité :

Le tribunal a relevé de nombreux problèmes de crédibilité dans le témoignage du revendicateur, qui n'ont pas été résolus en sa faveur. Ajoutés à d'importantes omissions dans le FRP du revendicateur, et à des invraisemblances et des incohérences, ceux-ci ont étélargement suffisants pour réfuter la présomption de véracité en faveur du requérant et pour convaincre le tribunal que, selon la prépondérance des probabilités, le revendicateur n'est pas un témoin crédible ni fiable.

[9]                 La Commission a soulevé les problèmes suivants :


1)     Le demandeur a déclaré à l'audience que les LTTE pensaient qu'il avait fourni des renseignements à l'armée. La Commission a toutefois souligné que, malgré le long exposé narratif du FRP où le demandeur a fourni de multiples détails au sujet de sa vie, ce fait n'est mentionné nulle part. Comme aucun rapport médical n'avait été produit, la Commission a rejetéson explication, savoir qu'il souffrait de troubles de mémoire en raison des tirs d'obus au cours desquels il avait été blessé.

2)     La Commission n'a pas cru le demandeur lorsqu'il a affirméque son fils était en France. Elle a souligné que cette information ne figurait pas dans le FRP même si le demandeur avait eu la possibilité au début de l'audience de modifier ce document.

3)     La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas témoigné de manière claire et crédible. À titre d'exemple, elle a rappelé les déclarations qu'il avait faites au sujet de la conversation qu'il aurait eue avec un officier des LTTE lorsqu'il s'est informé de l'endroit où se trouvait sa fille. La Commission a dit que le demandeur avait déclaré que l'officier lui avait appris que sa fille avait demandé à joindre leurs rangs. Elle a conclu que cela ne concordait pas avec l'exposé narratif du FRP qui précisait que l'officier avait déclaré qu'elle avait refusé de joindre leurs rangs.

4)     La Commission a conclu qu'il était peu vraisemblable que les LTTE exigent que le demandeur travaille pour eux s'il retournait au Sri Lanka, notamment parce qu'il est âgé de 52 ans. Elle a aussi considéré qu'il pourrait vivre dans une région contrôlée par l'armée et que le fait que l'un des membres de sa famille avait déjà été contraint de joindre les rangs des LTTE jouerait en sa faveur.


5)     Pour ce qui est du recrutement, la Commission a jugéinvraisemblable qu'un homme âgé de 52 ans puisse être recruté contre son gré dans les forces auxiliaires des LTTE. De plus, elle a estimé que le demandeur, en raison de son âge, ne correspondait pas au profil des personnes qui risquent le plus d'être persécutées par l'armée au Sri Lanka parce qu'elles sont soupçonnées d'être des militants ou des sympathisants des LTTE.

6)     La Commission a conclu que la preuve documentaire contenue dans le dossier d'information fourni par l'agent chargé de la revendication (ACR) ne corroborait pas son allégation qu'il risquerait d'être recruté par les LTTE s'il était renvoyé dans son pays. Elle a souligné que le demandeur avait produit un article de journal indiquant que les LTTE recrutent les personnes âgées de plus de 45 ans. La Commission a jugé que cet article n'était pas utile puisqu'il datait de plus de deux ans au moment où la décision a été rendue et qu'il n'y était question que des régions sous le contrôle des LTTE. Le demandeur n'aurait rien à craindre s'il allait dans une région contrôlée par l'armée.

7)     La Commission a aussi examiné une lettre datée du 22 septembre 2001 du beau-frère du demandeur et elle lui a accordépeu de poids parce qu'elle n'était pas assez précise pour constituer un élément de preuve corroborant la crainte du demandeur d'être persécuté au Sri Lanka.


QUESTIONS EN LITIGE

1.                    La confusion de la Commission quant à savoir si un officier des LTTE avait dit au demandeur que sa fille avait demandé de joindre les rangs des LTTE constituait-elle une erreur susceptible de contrôle?

2.                    La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la preuve documentaire indiquait qu'en raison de l'âge du demandeur, il n'y avait pas plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté au Sri Lanka pour l'un des motifs énoncés dans la Convention?

ARGUMENTS

POSITION DU DEMANDEUR :

Contradiction - Invitation à joindre les forces ou refus de les joindre?

[10]      Le demandeur soutient que la Commission a mal compris et mal interprété son témoignage parce qu'il n'a jamais dit qu'un officier des LTTE lui avait appris que sa fille avait demandé de joindre les rangs des LTTE. Il n'a pas admis cette contradiction parce qu'il n'y avait aucune contradiction à admettre. Le défendeur a reconnu cette erreur à l'audience, mais a soutenu qu'elle n'était pas grave.

Preuve documentaire relative au recrutement de personnes âgées


[11]      Le demandeur conteste la conclusion de la Commission qui a estimé que rien dans le dossier d'information fourni par l'ACR n'indiquait que le demandeur, un homme âgé de 52 ans originaire du Nord, risquerait d'être recruté de force par les LTTE. Le demandeur souligne deux articles de journal que l'on trouve aux points 3.2 et 3.3 du dossier d'information. Dans un cas, il s'agit d'un article de la BBC daté du 18 juillet 2000 et intitulé « Tigers accused of using elderly fighters » (Les Tigres accusés d'avoir recours à des combattants âgés). L'autre article est tiré du Daily News, daté du 19 juillet 2000 et intitulé « LTTE now conscripting elders » (Les LTTE recrutent maintenant des personnes âgées). Le demandeur indique qu'il est clair que la Commission n'a même pas lu l'index du dossier d'information, encore moins les articles, et il affirme qu'elle n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle avait été saisie.

[12]      Le demandeur affirme aussi que la Commission s'est montrée manifestement déraisonnable en rejetant l'article qu'il lui avait fourni et qui était intitulé « LTTE enlisting all civilians above 45 years » (Les LTTE recrutent tous les civils âgés de plus de 45 ans). Tous les éléments de preuve documentaire contenus dans le dossier d'information fourni par l'ACR ont été rassemblés avant ou pendant 2000, de sorte que cet article n'aurait pas dû être rejeté pour le motif qu'il datait déjà. Il n'aurait dû être écarté que si des éléments de preuve plus récents démontraient que les informations de l'année 2000 n'étaient plus pertinentes. Il est normal que de tels éléments de preuve datent de deux ans ou plus.

           POSITION DU DÉFENDEUR :

Contradiction - Invitation à joindre les forces ou refus de les joindre?


[13]      Le défendeur reconnaît que la Commission a commis une erreur sur ce point, mais il soutient que cette erreur n'était pas importante dans le contexte de toute la décision. Il est bien établi que les conclusions tirées quant à la crédibilité ou à l'invraisemblance justifient une grande retenue et qu'il faut leur appliquer la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable : Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (1re inst.). En l'espèce, la Commission a clairement conclu que le demandeur n'était pas digne de foi et a fourni divers exemples au sujet des éléments de son témoignage qui prêtaient à confusion ou étaient invraisemblables ou contradictoires. Il est allégué que la conclusion défavorable tirée quant à la crédibilité a été exprimée dans des termes clairs et sans équivoque, Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.), et qu'elle reposait sur un ensemble de conclusions, de sorte que l'erreur concernant la fille n'était pas cruciale.

[14]      Invoquant les décisions qui suivent, le défendeur soutient que la Cour d'appel fédérale a établi que la Commission a le droit de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité d'un demandeur en se fondant sur les contradictions, les incohérences et les invraisemblances de ce dernier : Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.); Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313 (C.A.F.); Alizadeh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (C.A.).


[15]      La décision ne porte pas sur l'erreur concernant la fille. Ce n'était là qu'un exemple des problèmes de crédibilité qu'a constatés la Commission. Le défendeur invoque d'autres problèmes soulignés par la Commission, comme l'omission de faits importants dans le FRP. Notre Cour a statué à de nombreuses reprises que le FRP d'un demandeur doit contenir tous les faits importants et pertinents et qu'il est raisonnable pour la Commission de ne pas croire que les faits omis se sont produits : Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F no 536 (1re inst.), par. 9; Uppal c. Canada (Solliciteur général) (1995), 27 Imm. L.R. (2d) 232, p. 233.

Preuve documentaire concernant le recrutement de personnes âgées

[16]      En ce qui concerne l'allégation du demandeur qui prétend que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire et qu'elle a conclu à tort qu'un article datant de deux ans n'était pas utile, le défendeur soutient que la Commission est présumée avoir examiné tous les éléments de preuve dont elle a été saisie et que l'appréciation du poids qui doit être donné à un document particulier relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Randhawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 606 (1re inst.); Huang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 66 F.T.R. 178.


[17]      Le défendeur fait valoir qu'en l'espèce, la Commission a examiné la preuve indiquant que les LTTE recrutaient les personnes plus âgées et elle a conclu que le demandeur n'avait pas fourni de preuves crédibles ou fiables permettant d'établir le recrutement forcé. Le défendeur affirme que, de plus, les articles fournis par le demandeur concernaient le recrutement dans les régions sous le contrôle des LTTE. Le demandeur habite dans une région contrôlée par l'armée. Le défendeur affirme en outre que la Commission a le droit d'accorder moins de poids à un document qui traite de la situation qui existait au Sri Lanka il y a deux ans étant donné l'évolution constante de la situation dans ce pays.

[18]      L'avocate du demandeur n'a insisté que sur un seul article devant la Commission, qui l'a analysé dans ses motifs. Rien dans la preuve n'indique que la Commission a écarté des articles; elle ne leur a tout simplement pas accordé beaucoup de poids. Elle voulait des preuves plus récentes sur ce point parce qu'un cessez-le-feu conclu en février 2002 avait changé la situation. (Le défendeur reconnaît que la Commission n'a pas mentionné expressément le cessez-le-feu dans ses motifs.)

ANALYSE

           Témoignage incohérent

[19]      À l'audience, l'avocate du défendeur a admis que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a affirmé que le témoignage du demandeur sur les déclarations de l'officier des LTTE concernant la fille du demandeur et sa demande de joindre les rangs des LTTE était incohérent et confus. La Commission a dit :


[Le demandeur] n'a pas admis qu'il contredisait ainsi ses allégations au début de son témoignage. Le tribunal a trouvé que tout cela était confus et certainement incohérent, et il n'a pas été convaincu par les raisons données par le revendicateur pour expliquer cette incohérence, lorsque le tribunal le lui a demandé.

[20]       Malgré l'admission de cette erreur, l'avocate du défendeur a soutenu que cela n'était pas crucial pour la décision qui, examinée dans son ensemble, remettait en question la crédibilité du demandeur en raison de nombreux problèmes.

[21]       Si on examine l'ensemble de la décision de la Commission, on constate que cet élément a été utilisé par la Commission pour démontrer que le demandeur n'était pas digne de foi et pour repousser les suggestions de l'avocate du demandeur qui affirmait que celui-ci avait témoigné de manière crédible à l'audience :

Le tribunal ne peut souscrire à cette opinion du conseil car il n'a pas trouvé que le revendicateur avait témoigné de manière claire et crédible. L'un des passages du témoignage du revendicateur qui n'était pas cohérent et prêtait à confusion, et qui a porté le tribunal à remettre en cause sa crédibilité, portait sur l'agent des LTTE que le revendicateur a rencontré pour la première fois, lorsqu'il a essayé de faire libérer sa fille. Il a été difficile de savoir si cet agent avait dit que la fille du revendicateur avait demandé à joindre les rangs des LTTE ou si l'agent avait dit au revendicateur que la fille de ce dernier avait refusé de se porter volontaire.

[22]       Il ressort d'un examen du dossier qu'il n'y avait en fait aucune incohérence ni confusion à cet égard; le demandeur a été tout à fait cohérent et a déclaré que sa fille avait refusé de joindre les rangs des LTTE.


[23]       En utilisant cet exemple comme elle l'a fait, la Commission a en fait laissé fortement entendre que c'était elle qui était confuse. Si cet exemple, qu'elle a choisi pour illustrer ses propos, est l'idée que la Commission se fait d'un témoignage incohérent et confus, il est alors très difficile d'accepter les autres conclusions qu'elle a tirées sur la crédibilité. Il est bien établi en droit que c'est la Commission qui est la mieux placée pour déterminer et apprécier les questions de crédibilité. Si nous devons admettre le sérieux de ce principe (et nous devons le faire), une commission qui se montre incapable de bien choisir ses propres exemples est une commission qui laisse clairement entendre qu'elle ignore comment se servir de sa position privilégiée. C'est la Commission qui n'a aucune crédibilité dans un tel cas et elle peut difficilement s'attendre en conséquence à ce que les tribunaux fassent montre de retenue à son égard.

Preuve documentaire concernant le recrutement de personnes âgées

[24]       La Commission a conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur, en raison de son âge, puisse être recruté de force par les LTTE s'il devait retourner au Sri Lanka ou qu'il risque d'être persécuté par l'armée parce qu'elle le soupçonne d'être un militant ou un sympathisant des LTTE. La Commission a dit :

La preuve documentaire qui figure dans le dossier d'information fourni par l'agent chargé de la revendication (ACR) ne permet pas d'affirmer que le revendicateur, du fait de son profil particulier, s'exposerait au risque d'être recruté par les LTTE aujourd'hui s'il devait retourner à Sri Lanka.


[25] En faisant cette affirmation, la Commission n'a pas examiné attentivement deux articles qui se trouvent dans le dossier d'information fourni par l'ACR et qui traitent du recrutement de personnes plus âgées par les LTTE. L'examen de la table des matières du dossier d'information fourni par l'ACR permet de constater la présence de ces documents intitulés « Tigers accused of using elderly fighters » (Les Tigres accusés d'avoir recours à des combattants âgés) et « LTTE now conscripting elders » ( « Les LTTE recrutent maintenant des personnes âgées » ). À mon avis, la déclaration suivante du juge Evans dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.), aux paragraphes 16 et 17, est utile en l'espèce :

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traitéces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examinél'ensemble de la preuve dont il était saisi, suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés [...].


[26] Ces documents corroboraient un élément central de la déclaration du demandeur qui prétendait craindre avec raison d'être persécuté. La Commission a rejeté l'idée que le demandeur serait contraint de travailler ou de combattre pour LTTE et ce, à cause de son âge, et la preuve indique le contraire. L'avocate du défendeur a invoqué deux arguments solides pour que l'omission par la Commission d'analyser ces deux documents ne soit pas considérée comme une erreur susceptible de contrôle. Tout d'abord, il incombe au demandeur de présenter sa preuve à la Commission et son avocate n'a pas mentionné ces articles, ni insisté sur ceux-ci, lorsqu'elle s'est adressée à la Commission. Le problème est que la Commission s'est effectivement reportée, dans sa décision, au dossier d'information fourni par l'ACR et qu'elle affirme que la preuve documentaire contenue dans ce dossier ne permet pas de conclure que le demandeur, étant donné son profil particulier, risquerait d'être recruté aujourd'hui par les LTTE s'il devait retourner au Sri Lanka. Comme ces articles traitent du recrutement de personnes âgées et viennent étayer la preuve du demandeur, l'omission par la Commission d'en tenir compte est une question préoccupante. Nous ne pouvons que nous demander si la Commission n'a tout simplement pas vu les articles ou si, après les avoir examinés, a estimé qu'ils n'étayaient pas la position du demandeur. S'étant expressément reportée au contenu du dossier d'information fourni par l'ACR, la Commission aurait dûtraiter de ces articles et, au présent stade, il est inutile de conjecturer sur ce qu'aurait été sa décision si elle l'avait fait. Le juge Gibson, dans Nadarajan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1707 (1re inst.), et le juge Layden-Stevenson, dans Nadarajah c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 780 (1re inst.), se sont prononcés sur des faits similaires à ceux de la présente espèce. Les propos du juge Gibson dans Nadarajan, précitée, au paragraphe 12, s'appliquent également à l'espèce :

[...] [La Commission] n'a néanmoins pas tenu compte de la preuve documentaire dont elle disposait et qui confirmait manifestement un élément central de l'allégation du demandeur selon laquelle il avait une crainte fondée de persécution, élément qui, selon lui, fut l'événement déclencheur à la suite duquel il avait finalement résolu de fuir le Sri Lanka après les épreuves qu'il avait connues depuis autant d'années. Pour reprendre les propos du juge McKeown, et la SSR eût-elle tenu compte de la preuve corroborante, je ne suis pas disposé à dire si sa décision aurait été autre et si elle aurait été favorable au demandeur.


[27] La Commission a aussi écarté un article produit par le demandeur qui était semblable à ceux dont elle n'avait pas tenu compte dans le dossier d'information fourni par l'ACR. Elle a dit qu'il n'était pas utile puisqu'il datait de presque deux ans déjà et que le demandeur n'avait pas fourni d'autres documents sur la situation actuelle dans le Nord du Sri Lanka. La Cour ne peut pas faire des hypothèses quant à savoir si la Commission aurait rejeté cet article si elle avait aussi examiné les deux autres articles corroborants contenus dans le dossier d'information fourni par l'ACR, et la Commission n'a fourni aucune véritable explication quant à savoir pourquoi cet élément de preuve est dépassé ou est par ailleurs non convaincant. En présence de trois articles et non d'un seul, la Commission n'aurait peut-être pas été aussi encline à les rejeter parce qu'ils dataient de simplement deux ans, en particulier parce qu'il n'y avait aucune preuve contraire.

[28] Le défendeur soutient toutefois que les articles ne sont d'aucune utilitépour le demandeur étant donné qu'ils ne concernent pas la région du Sri Lanka dans laquelle il retournera. La Commission a soulevé ce point relativement au troisième article qu'elle a examiné et qui était intitulé « LTTE Enlisting All Civilians Above 45 years » (Les LTTE recrutent tous les civils de plus de 45 ans). Cet article était daté du 29 mai 2002. La Commission a dit :

Le tribunal conclut que le revendicateur n'a pas fourni de preuve crédible ou fiable permettant d'établir qu'il risquerait d'être recruté de force par les forces auxiliaires des LTTE ou qu'il serait forcé de travailler pour eux s'il retournait dans la partie nord de Sri Lanka. En outre, le tribunal fait remarquer que cet article, qui fait partie de la pièce C-4, parle des régions sous le contrôle des LTTE. Donc, si le revendicateur devait retourner dans une région au nord de Jaffna, contrôlée par l'armée, il semble qu'il n'aurait pas à craindre de se faire recruter de force par les LTTE.


[29] Le problème que pose cette conclusion tant relativement à cet article (cité pour la Commission par l'avocate du demandeur) qu'aux deux articles écartés qui étaient contenus dans le dossier d'information fourni par l'ACR est qu'elle ne tient pas compte des liens passés entre les LTTE et les enfants du demandeur et entre les LTTE et le demandeur lui-même. Même après 1995, après la prise de Jaffna par l'armée srilankaise, les LTTE ont été en mesure d'obliger les filles du demandeur et le demandeur à travailler pour eux. Ainsi, encore une fois, il est difficile de prédire ce que la Commission aurait pu décider si elle avait spécifiquement examiné les deux articles contenus dans le dossier d'information fourni par l'ACR avec les autres éléments de preuve soumis par le demandeur.

CONCLUSION

[30] Même si la Commission s'est appuyée sur d'autres constatations, comme les omissions dans le FRP du demandeur, pour conclure que celui-ci n'était pas un témoin digne de foi, les deux erreurs mentionnées ci-dessus concernant la conclusion relative à l'incohérence et la conclusion relative aux invraisemblances étaient essentielles et cruciales pour la décision de la Commission au sujet de la sincérité du témoignage du demandeur. De plus, il a été jugé que la conclusion relative aux invraisemblances (que le demandeur était trop âgé pour travailler ou combattre pour les LTTE ou pour être soupçonné par l'armée d'être un sympathisant des LTTE) concernait la question de savoir s'il y avait plus qu'une simple possibilité de persécution. À mon avis, ce problème de vraisemblance était lui aussi essentiel à la conclusion qu'il n'y avait pas plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté pour l'un des motifs énoncés dans la Convention.


[31] Ces erreurs constituent des élément essentiels de la décision et il est justifiéd'intervenir pour annuler la décision et renvoyer l'affaire pour qu'elle soit entendue et jugée de nouveau par un tribunal différemment constitué.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.     La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 12 avril 2002 est annulée et l'affaire est renvoyée pour qu'elle soit entendue et jugée de nouveau par un tribunal différemment constitué.

2.     Aucune question ne sera certifiée.

             « James Russell »                 

      J.C.F.C.                    

Traduction certifiée conforme :

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                      IMM-3466-02

INTITULÉ :                     SUNDARALINGAM NAGENDIRAN c. MCI

DATE DE L'AUDIENCE :           24 avril 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :           Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :       Le juge James Russell

DATE DES MOTIFS :        16 mai 2003

COMPARUTIONS:                 Vania Compana

pour le demandeur

Angela Marinos

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Vania Compana

LEWIS & ASSOCIATES

290, Gerrard Street East

Toronto (Ontario)

M5A 2G4

POUR LE DEMANDEUR

Angela Marinos

Ministère de la Justice

Bureau régional de l'Ontario

The Exchange Tower

130, King Street West

Pièce 3400, boîte postale 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

Date : 20030516

Dossier : IMM-3466-02

ENTRE :

SUNDARALINGAM NAGENDIRAN

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                           

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