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Date : 20031002

Dossier : IMM-5652-02

Référence : 2003 CF 1126

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                               

ENTRE :

                                          LETWLED KASAHUN TESSMA (AYELE)

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision, rendue le 8 novembre 2002, par laquelle la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au motif prévu à l'alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).


LES FAITS

[2]                Le demandeur est né en Éthiopie en 1980 et il est arrivé au Canada en 1992, avec sa famille, en tant que résident permanent. Il était âgé de douze ans. Cinq ans plus tard, en 1997, à l'âge de 16 ans, le demandeur a été accusé de plusieurs infractions criminelles prévues au Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, infractions relatives à du proxénétisme et à des voies de fait. Étant donné que le demandeur n'avait pas dix-huit ans, il était soumis à la Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. 1985, ch. Y-1 (LJC), abrogée par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, article 199.

[3]                Sur demande présentée par la Couronne suivant le paragraphe 16(1) de la LJC, le tribunal pour adolescents (correctement décrit comme la Section de la jeunesse de la Cour provinciale de l'Alberta) a renvoyé l'instance contre le demandeur à la juridiction normalement compétente, soit le tribunal où serait jugé un adulte accusé des mêmes infractions.

[4]                Le demandeur a été déclaré coupable de sept infractions au Code criminel et il a été condamné à cinq ans et neuf mois d'emprisonnement, mais on a tenu compte du temps qu'il avait déjà passé en détention de sorte que sa peine totale d'emprisonnement a été réduite à quatre ans.


[5]                À la suite de ces condamnations, le demandeur a fait l'objet d'un rapport suivant l'alinéa 27(1)d) de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, en tant que résident permanent ayant été déclaré coupable d'une infraction pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois lui avait été infligée. Ce rapport a été transmis à un arbitre de la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'une enquête soit menée afin de déterminer si le demandeur était interdit de territoire au Canada et, par conséquent, s'il devait faire l'objet d'un renvoi vers son pays d'origine selon ce que le rapport alléguait.

[6]                Les dispositions pertinentes du droit en matière d'immigration entraînent qu'un résident permanent du Canada, un résident de longue date, qui a commis une infraction criminelle grave peut faire l'objet d'une expulsion alors qu'il aurait depuis longtemps pu devenir citoyen canadien et ainsi éviter de faire l'objet d'une expulsion après avoir commis une infraction criminelle. Ces dispositions prévoient le renvoi vers d'autres pays de ceux qui sont devenus des criminels au Canada et qui ont pu, plusieurs années auparavant, couper tous les liens avec leur pays d'origine. Il n'appartient pas à la Cour de faire des commentaires sur la politique à cet égard.


[7]                Depuis la tenue de l'audience devant l'arbitre le 8 novembre 2002, après l'adoption et l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection et des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, l'arbitre a examiné le rapport préparé suivant la LIPR et il a conclu que le demandeur était interdit de territoire suivant l'alinéa 36(1)a) de la LIPR, à savoir que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité parce qu'il avait été déclaré coupable au Canada d'une infraction au Code criminel pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois lui avait été infligée. L'arbitre a en outre tranché que l'exception prévue au paragraphe 36(3)e) à l'égard des infractions à la Loi sur les jeunes contrevenants ne s'appliquait pas au demandeur parce que l'instance du demandeur avait été renvoyée du tribunal pour adolescents à la juridiction normalement compétente suivant la LJC, et que le demandeur avait été mis en accusation, jugé, déclaré coupable suivant le Code criminel et condamné devant la juridiction normalement compétente.

QUESTION EN LITIGE

[8]                La question en litige est celle de savoir si le renvoi de l'instance du tribunal pour adolescents à la juridiction normalement compétente suivant l'article 16 de la LJC et les condamnations criminelles par la juridiction normalement compétente suivant le Code criminel sont visés par l'exception prévue à l'alinéa 36(3)e) de la LIPR pour « une infraction à la Loi sur les jeunes contrevenants » .

LA LÉGISLATION PERTINENTE

[9]                Les articles pertinents de la Loi sur les jeunes contrevenants sont rédigés comme suit :



Renvoi

16. (1) Sous réserve du paragraphe (1.01), dans les cas où un adolescent, à la suite d'une dénonciation, se voit imputer un acte criminel autre que celui visé à l'article 553 du Code criminel, qu'il aurait commis après avoir atteint l'âge de quatorze ans, le tribunal pour adolescents doit, en tout état de cause avant de rendre son jugement, sur demande de l'adolescent ou de son avocat, du procureur général ou de son représentant, décider, conformément au paragraphe (1.1), si l'adolescent doit être jugé par la juridiction normalement compétente.

[...]

Transfer

16. (1) Subject to subsection (1.01), at any time after an information is laid against a young person alleged to have, after attaining the age of fourteen years, committed an indictable offence other than an offence referred to in section 553 of the Criminal Code but prior to adjudication, a youth court shall, on application of the young person or the young person's counsel or the Attorney General or an agent of the Attorney General, determine, in accordance with subsection (1.1), whether the young person should be proceeded against in ordinary court.

[...]

Ordonnance

(1.1) Pour prendre la décision visée aux paragraphes (1) ou (1.03), le tribunal pour adolescents, après avoir donné aux deux parties et aux père et mère de l'adolescent l'occasion de se faire entendre, doit tenir compte de l'intérêt de la société, notamment la protection du public et la réinsertion sociale de l'adolescent, et déterminer s'il est possible de concilier ces deux objectifs en plaçant celui-ci sous sa compétence; ainsi il doit :

[...]

Order

(1.1) In making the determination referred to in subsection (1) or (1.03), the youth court, after affording both parties and the parents of the young person an opportunity to be heard, shall consider the interest of society, which includes the objectives of affording protection to the public and rehabilitation of the young person, and determine whether those objectives can be reconciled by the youth being under the jurisdiction of the youth court, and

[...]

b) s'il estime que cela n'est pas possible, la protection du public ayant priorité, ordonner le renvoi de l'adolescent visé par une demande présentée en vertu du paragraphe (1) devant la juridiction normalement compétente pour qu'il y soit jugé en conformité avec les règles normalement applicables en la matière,

[...]

(b) if the court is of the opinion that those objectives cannot be so reconciled, protection of the public shall be paramount and the court shall

(i) in the case of an application under subsection (1), order that the young person be proceeded against in ordinary court in accordance with the law ordinarily applicable to an adult charged with the offence, and,

[...]

Effet de l'ordonnance

(7) Le prononcé d'une ordonnance sur le fondement du paragraphe (1) entraîne l'abandon de l'instance engagée en vertu de la présente loi et le renvoi de l'adolescent visé devant la juridiction normalement compétente.

Effect of order

(7) Where an order is made under this section pursuant to an application under subsection (1), proceedings under this Act shall be discontinued and the young person against whom the proceedings are taken shall be taken before the ordinary court.


[10]            Les articles pertinents de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés sont rédigés comme suit :


36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for


a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

[...]

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

[...]

Application

(3) Les dispositions suivantes régissent l'application des paragraphes (1) et (2) :

[...]

Application

     (3) The following provisions govern subsections (1) and (2):

[...]

e) L'interdiction de territoire ne peut être fondée sur une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions ni sur une infraction à la Loi sur les jeunes contrevenants.

(e) inadmissibility under subsections (1) and (2) may not be based on an offence designated as a contravention under the Contraventions Act or an offence under the Young Offenders Act.


ANALYSE

[11]            C'est la première fois que l'exception prévue à l'alinéa 36(3)e) de la LIPR est examinée par un tribunal. Le demandeur prétend que l'exception est ambiguë parce qu'elle mentionne « une infraction à la Loi sur les jeunes contrevenants » et qu'elle ne prévoit pas le cas où l'instance à l'égard de l'infraction à la LJC a été renvoyée à la juridiction normalement compétente. On prétend que le demandeur, qui avait 16 ans au moment des accusations, était soumis à la LJC. Le fait que les accusations aient été renvoyées à la juridiction normalement compétente dans l'intérêt de la société, c'est-à-dire afin de protéger le public, ne signifie pas nécessairement que l'exception prévue suivant la LIPR ne s'applique plus. Cette interprétation est fondée sur le fait que les articles 16.1 et 16.2 de la LJC offrent certaines protections et certains avantages aux adolescents dont les accusations ont été renvoyées du tribunal pour adolescents à la juridiction normalement compétente.

[12]            Je ne peux pas accepter cette prétention du demandeur, malgré les observations pertinentes faites à l'égard de l'interprétation des lois ayant des conséquences rattachées aux condamnations criminelles et qui par conséquent devraient recevoir une interprétation stricte afin de mieux protéger les droits.

[13]            Il n'existe pas d'ambiguïté ou de lacune dans la LIPR à l'égard d'un jeune contrevenant qui était au départ soumis au tribunal pour adolescents suivant la LJC, mais qu'un juge d'un tel tribunal a renvoyé à la juridiction normalement compétente et qui, par la suite, a été déclaré coupable d'infractions au Code criminel devant la juridiction normalement compétente comme s'il était un adulte.

[14]            Suivant le paragraphe 16(7) de la LJC, après que le juge du tribunal pour adolescents a rendu une ordonnance visant le renvoi à la juridiction normalement compétente, l'instance suivant la LJC est abandonnée et l'instance relative aux accusations criminelles a lieu devant la juridiction normalement compétente.

[15]            L'un des motifs justifiant le renvoi d'un jeune contrevenant du tribunal pour adolescents à la juridiction normalement compétente pour adultes est la protection du public. Le tribunal pour adolescents doit tenir compte de la gravité des infractions alléguées et des circonstances dans lesquelles ces infractions ont été commises.

[16]            Je suis d'avis que l'interprétation correcte du paragraphe 16(7) de la LJC est l'interprétation selon laquelle le demandeur n'est pas jugé pour des infractions à la LJC, au même sens que l'expression est utilisée pour l'exception prévue à l'alinéa 36(3)e) de la LIPR, lorsqu'une ordonnance est rendue relativement au renvoi des accusations du tribunal pour adolescents devant la juridiction normalement compétente. Les déclarations de culpabilité du demandeur dans la présente affaire sont des déclarations de culpabilité par la juridiction normalement compétente à l'égard d'actes criminels prévus au Code criminel et n'ont pas de liens avec des infractions à la LJC. Pour ce motif, l'exception prévue dans la LIPR n'est pas applicable. Je remarque que cette interprétation est conforme à l'analyse raisonnée de M. le juge Muldoon dans la décision De Freitas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1611, au paragraphe 2, dans laquelle il a mentionné une situation applicable suivant l'ancienne Loi sur l'immigration. Il a déclaré ce qui suit :

« [...] En revanche, la condamnation prononcée contre un jeune contrevenant qui comparaît devant un tribunal pour adultes est une condamnation au sens de la Loi sur l'immigration. »

Même si l'ancienne Loi sur l'immigration ne prévoyait pas une exception similaire à celle contenue à l'alinéa 36(3)e) de la nouvelle Loi, cette loi était appliquée de façon à ce qu'une infraction aux lois régissant les jeunes contrevenants ne soit pas considérée comme une déclaration de culpabilité aux fins de la Loi sur l'immigration.


QUESTION AUX FINS DE LA CERTIFICATION

[17]            À la fin de l'audience, j'ai demandé aux parties si la présente affaire soulevait des questions graves de portée générale devant être certifiées pour un appel. Les deux avocats ont répondu par la négative parce que la LJC a été abrogée en avril 2003 et remplacée par la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents. La LIPR n'a pas été modifiée en conséquence. J'ai invité les parties à examiner la question et à me soumettre pour examen leurs observations écrites sur le sujet afin de savoir si une question devrait être certifiée. Après avoir examiné ces observations, je suis convaincu que la présente affaire ne soulève pas une question grave de portée générale qui pourrait à l'avenir s'appliquer aux jeunes contrevenants parce que la LJC a été abrogée de sorte que l'exception prévue à l'alinéa 36(3)e) de la LIPR n'a pas d'incidences pour l'avenir.

                                                                ORDONNANCE

PAR LA PRÉSENTE, LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                           _ Michael A. Kelen _            

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5652-02

INTITULÉ :                                        LETWLED KASAHUN TESSMA (AYELE) c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                  EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 18 SEPTEMBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       LE 2 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Charles Davison                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Tracy King                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Charles Davison, avocat                                                            POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                           Date : 20031002

                                            Dossier : IMM-5652-02

ENTRE :

LETWLED KASAHUN TESSMA (AYELE)

                                                                  demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                   défendeur

                                                                  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                   


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