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                                                                                                                              Date : 20000720

                                                                                                        No du greffe : IMM-3090-00

OTTAWA (ONTARIO), le 20 juillet 2000.

DEVANT : Monsieur le juge Pelletier

ENTRE :

                                                    TRISTAN JOSE OLASO,

                                                                                                                                       demandeur,

                                                                            et

             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                        défendeur.

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Il s'agit d'un autre cas où une personne qui réside depuis longtemps au Canada risque d'être expulsée vers un pays avec lequel elle n'a aucun lien. Le motif de l'expulsion est les antécédents judiciaires de cette personne. Ce problème vient du fait que le demandeur n'a pas demandé la citoyenneté canadienne au moment où il aurait pu le faire.


[2]         Une mesure d'expulsion a été prise à l'égard du demandeur, un jeune homme qui habite au Canada depuis qu'il a neuf ans, et il va être renvoyé aux Philippines, un pays avec lequel son seul lien est le fait d'y être né, il y a 22 ans. Il est expulsé à cause de ses antécédents judiciaires. Il possède un dossier de jeune contrevenant. Il a été inculpé de tentative de meurtre à la suite d'une transaction de stupéfiant qui a mal tourné et au cours de laquelle deux personnes ont été blessées. Selon le rapport de police, le demandeur a tiré sur une des victimes. Il nie ce fait, mais reconnaît qu'il portait un revolver et qu'il en a asséné un coup à une des victimes. Il a plaidé coupable à l'accusation de voie de fait grave et à deux chefs de vol qualifié. Il a passé six mois en détention avant le procès. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour et à deux ans de probation. Il a été déclaré coupable de possession de marijuana pendant qu'il purgeait sa peine.

[3]         À la suite de la condamnation du demandeur, une enquête a été tenue aux termes de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la « Loi » ) le 2 juin 1999. À la fin de l'enquête, il a été ordonné que le demandeur soit expulsé. Un appel de cette mesure a été interjeté en vertu de l'alinéa 70(1)b) de la Loi. L'appel a été entendu le 21 mars 2000 et la décision prononcée le 26 mai 2000. La section d'appel de la Commission de l'Immigration et du statut de réfugié a rejeté l'appel. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire contre la décision de la SAI mais, entre-temps, il a reçu une convocation pour être expulsé aux Philippines le 22 juillet 2000. La présente demande vise à obtenir la suspension de la mesure d'expulsion en attendant l'audition de la demande de contrôle judiciaire.

[4]         La SAI énumère les divers éléments dont elle a tenu compte pour prendre sa décision. Elle fait référence aux éléments mentionnés dans l'arrêt Chieu c. MCI [1999] 1 C.F. 605 (C.A.F.), qui énonce ceci :

Les circonstances que la Commission doit examiner afin de déterminer si la mesure d'expulsion a été prononcée correctement et équitablement [...] peuvent comprendre les sujets suivants : la gravité de l'infraction à l'origine de l'expulsion, la possibilité de réhabilitation, les répercussions du crime pour la victime, les remords du demandeur, la durée de la période passée au Canada et le degré d'établissement de l'appelant ici; la présence de la famille qu'il a au pays et les bouleversements que l'expulsion de l'appelant occasionneraient pour cette famille, les efforts faits par le demandeur pour s'établir au Canada, notamment en ce qui concerne l'emploi et l'instruction, le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de la famille mais également de la collectivité.


[5]         La SAI a jugé que les infractions pour lesquelles l'appelant avait été condamné étaient graves, violentes et reliées à l'usage d'armes à feu. Le demandeur a manifesté quelques remords mais la SAI a estimé que ce sentiment reflétait davantage le risque d'être inculpé de meurtre que la compassion pour la victime. La SAI a examiné les antécédents judiciaires du demandeur et noté qu'ils comprenaient plusieurs incidents impliquant des armes à feu. Elle a également noté que le demandeur avait fui les lieux du crime et réussi à se cacher pendant trois semaines avant d'être arrêté.

[6]         La SAI a pris note du fait que toute la famille du demandeur se trouve au Canada et que celui-ci n'a plus de parents aux Philippines. Sa famille lui a accordé un soutien exceptionnel. La SAI a jugé que les membres de sa famille trouveraient très difficile d'être séparés de lui s'il était expulsé et que sa famille lui manquerait beaucoup. Il ne parle pas la langue que l'on parle aux Philippines.

[7]         À sa sortie de prison, le demandeur a trouvé un emploi qu'il a conservé pendant trois mois jusqu'à ce qu'il le quitte pour faire soigner son genou. Il a subi deux interventions chirurgicales au genou et il fait encore de la physiothérapie, ce qu'il ne pourra peut-être pas faire aux Philippines.


[8]         Pendant son incarcération, le demandeur a participé à un programme de gestion de la colère et il s'est inscrit sur la liste d'attente d'autres programmes. Il a manifesté le souhait de poursuivre ses études et a pris des mesures en ce sens. La SAI a toutefois souligné le fait que le demandeur a été accusé de possession de marijuana alors qu'il était incarcéré, et après qu'il ait été informé que sa situation en tant qu'immigrant allait être examinée. Dans l'ensemble, la SAI a jugé que les efforts qu'il a déployés pour sa réadaptation sociale ne correspondaient pas à ce que l'on pourrait s'attendre d'une personne dans une situation aussi précaire que la sienne.

[9]         La SAI a évalué divers facteurs et est arrivée à la conclusion, qu'étant donné le risque que le demandeur récidive, il y avait lieu de rejeter l'appel. La SAI a formulé sa conclusion de la façon suivante :

Le tribunal a soupesé les facteurs jouant aussi bien en faveur de l'appelant que contre lui. Le fait qu'une expulsion serait extrêmement bouleversante pour lui-même et sa famille et la bonne volonté démontrée récemment en matière d'emploi et d'éducation jouent en sa faveur.

De nombreux facteurs lui sont toutefois défavorables, notamment le risque élevé de récidive qu'il représente et la possibilité que les futures infractions soient accompagnées d'actes de violence, l'usage d'armes lors d'infractions antérieures et le fait qu'il a reconnu avoir frappé l'une de ses victimes au visage avec une arme à feu, avoir fui la scène du crime et avoir continué à commettre des actes criminels durant son incarcération. Après avoir examiné tous les éléments de preuve favorables et défavorables à l'égard du présent appel, et ce tout en accordant une importance toute particulière au fait qu'il y aura probablement récidive de la part de l'appelant, le tribunal juge que l'appel doit être rejeté.

[10]             Le demandeur conteste cette conclusion et soutient que certains éléments de cette conclusion ne sont pas fondés sur les éléments de preuve. En l'absence d'indication contraire contenue dans la transcription des débats ou un affidavit, la Cour tient pour acquis que les motifs de la SAI s'appuient sur les preuves qui lui ont été présentées. Le principal argument sur lequel est fondée la contestation de la décision est que la SAI n'a pas examiné les éléments de preuve positifs qui lui ont été présentés et a accordé une importance exagérée à sa conclusion selon laquelle le demandeur risquait de récidiver. La question grave qui devrait être débattue dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la SAI a mal appliqué et mal interprété le critère applicable aux appels interjetés aux termes de l'article 70 de la Loi dans la mesure où elle s'est appuyée sur un seul facteur pour rejeter l'appel.


[11]       Le critère applicable à la suspension de l'exécution d'une mesure d'expulsion est bien établi. Le demandeur doit démontrer que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente soulève une question grave, qu'il va subir un préjudice irréparable si le sursis à exécution n'est pas accordé et que, selon la prépondérance des inconvénients, il y a lieu d'accorder le sursis. La question grave qui se pose en l'espèce est celle de savoir si la SAI a tranché l'appel en se fondant sur un facteur à l'exclusion de tous les autres, ou si elle a examiné divers facteurs pour décider de rejeter l'appel. Il ne s'agit pas ici de la force probante des éléments de preuve puisque les faits ne sont pas contestés. Il s'agit de savoir si la SAI a tenu compte de tous les facteurs pertinents pour décider de rendre une mesure d'expulsion contre le demandeur ou si elle s'est uniquement appuyée sur la probabilité que le demandeur récidive.

[12]       L'arrêt qui fait autorité en matière de déportation de résidents dans les cas d'antécédents judiciaires est l'arrêt Canepa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] A.C.F. no. 512. Dans cette affaire, la Cour fédérale d'appel a décidé que l'expulsion de résidents permanents vers leur pays de citoyenneté avec lequel ils n'avaient plus aucun lien n'était pas contraire aux articles 7 et 12 de la Charte. La Cour a examiné la façon dont la SAI doit aborder la question de l'alinéa 70(1)b) de la Loi :

La deuxième objection concerne la déclaration de la Commission selon laquelle « dans ce genre d'affaire, la Commission doit soigneusement soupeser les intérêts de la société canadienne et ceux de la personne en cause » . Il s'agit, soutient l'appelant, d'un critère différent de celui prescrit par la loi, c'est-à-dire la question de savoir si « compte tenu des circonstances de l'espèce, [la personne] ne devrait pas être renvoyée du Canada » .

Je ne peux pas croire que la phrase [sic] « compte tenu des circonstances de l'espèce » signifie qu'un tribunal devrait, pour tirer une telle conclusion, détacher l'appelant de la société au sein de laquelle il vit. Le libellé législatif ne renvoie pas seulement aux circonstances de la personne mais plutôt aux circonstances de l'affaire. Cette expression comprend certainement la personne dans son contexte global et fait intervenir le bien de la société et celui de la personne en particulier. Je ne peux concevoir que les considérations d'ordre social aient été envisagées de façon définitive par la mesure d'expulsion elle-même. À mon avis, l'alinéa 70(1)b) de la Loi exige qu'elles soient considérées de nouveau, mais cette fois-ci, de pair avec toutes les circonstances atténuantes pouvant être invoquées en faveur de l'expulsé.


[13]       Ce passage montre clairement que la SAI a le droit de tenir compte du risque de récidive lorsqu'elle se prononce sur un appel interjeté aux termes de l'alinéa 70(1)b). Elle doit également tenir compte de toutes les circonstances atténuantes « pouvant être invoquées en faveur de l'expulsé » .

[14]       En l'espèce, la Commission a examiné divers facteurs qui étaient favorables au demandeur. En fin de compte, elle a décidé que le demandeur risquait de récidiver et qu'il convenait, par conséquent, de l'expulser. La SAI a clairement tenu compte de la protection de la société canadienne, élément qu'elle avait le droit de considérer.

[15]       Il ne semble pas que la norme de contrôle applicable aux décisions de la SAI ait été examinée depuis les arrêts Pushpanathan[1] et Baker[2]. La position la plus favorable au demandeur consisterait à soutenir que la norme de contrôle est celle de l'exactitude mais étant donné qu'il s'agit d'une décision discrétionnaire d'un tribunal créé par la Loi, il est possible d'affirmer en toute confiance que la norme de contrôle applicable n'est pas celle de l'exactitude. Parmi les choix restants, la position la plus favorable au demandeur est le critère du caractère raisonnable de la décision, que je suis disposé à appliquer dans le cadre de cette analyse.


[16]       Si la norme de contrôle est le caractère raisonnable, le demandeur doit alléguer que la décision n'est pas raisonnable, s'il veut soutenir que la décision soulève une question grave. Si celle-ci est raisonnable, il n'y a pas de question à trancher puisque le juge qui entend la demande ne peut qu'accepter une décision raisonnable, même s'il n'y souscrit pas. Pour soulever une question grave, le demandeur doit soulever, de façon convaincante, la possibilité que la décision soit déraisonnable. Si le demandeur réussit à démontrer qu'il est possible que la conclusion du tribunal n'entretient aucun rapport rationnel avec les preuves présentées et le critère applicable, il a alors établi l'existence d'une question grave. Si les arguments du demandeur ne démontrent pas qu'il est possible que la décision soit considérée comme étant déraisonnable, ils sont alors « frivoles et vexatoires » et ne montrent pas que l'affaire soulève une question grave.

[17]       J'estime que le demandeur n'a pas réussi à démontrer l'existence d'une telle question. La lecture des motifs indiquent que le tribunal a examiné divers facteurs concernant le demandeur et sa situation. Il a mentionné les aspects positifs ainsi que les aspects négatifs. Il a choisi d'accorder plus d'importance au risque de récidive qu'au bouleversement que l'expulsion pourrait causer au demandeur et à sa famille. Il est possible que d'autres seraient arrivés à une conclusion différente mais il n'est pas possible de soutenir, de façon crédible, que la décision n'entretient aucun rapport rationnel avec les preuves présentées et les critères appliqués. Le demandeur soutient que le fait que la SAI se soit fondée sur le risque de récidive pour justifier sa décision indique que c'est le seul facteur dont elle ait tenu compte. Le demandeur confond le fait d'examiner tous les facteurs et celui de leur accorder une importance égale. Il appartient à la SAI d'apprécier l'importance à accorder aux divers facteurs en fonction des faits de l'espèce. Il n'est pas possible de soutenir véritablement qu'elle a agi de façon déraisonnable. Il est possible que d'autres en seraient arrivés à une conclusion différente mais cela ne prouve pas que la conclusion de la SAI est déraisonnable.

[18]       Le critère applicable comporte trois volets cumulatifs et l'omission de répondre à un des critères entraîne le rejet de la demande.


[19]       Si j'ai commis une erreur sur l'existence d'une question grave, je conclus que le demandeur ne subira pas un préjudice irréparable s'il est expulsé. Il est vrai que cela va occasionner des difficultés pour lui et sa famille mais les tribunaux ont toujours jugé que les changements familiaux ne constituaient pas un préjudice irréparable. Il n'existe aucun élément indiquant que les besoins du demandeur en matière de physiothérapie ne peuvent être comblés aux Philippines. Il n'aura pas accès aux systèmes de soutien auxquels il avait accès au Canada, mais comme l'a fait remarquer la SAI, l'existence de ces systèmes de soutien ne l'a pas empêché de commettre des infractions avec violence.

[20]       La Cour a attiré l'attention des parties sur l'arrêt Calabrese c. MCI [1996] A.C.F. no. 723. Dans cette affaire, le juge Gibson a déclaré que l'expulsion en Italie d'une personne qui avait des antécédents judiciaires plus graves que ceux du demandeur en espèce entraînait un préjudice irréparable. La différence qui existe entre l'arrêt Calabrese et la présente affaire est que dans Calabrese, le demandeur vivait dans une relation stable dont il avait eu un enfant, et qu'il en attendait un autre. C'était lui qui était le soutien financier de sa famille. Ces éléments ne se retrouvent pas en l'espèce.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES que, pour les motifs énoncés ci-dessus, la demande de sursis soit rejetée.

                                                                                 « J.D. Denis Pelletier »             

                                                                                                                  J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DE GREFFE :                                    IMM-3090-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    TRISTAN JOSE OLASO c. MCI

ENTENDU PAR TÉLÉCONFÉRENCE À OTTAWA ET TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                    le lundi 17 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU 20 juillet 2000

ONT COMPARU :

Rocco Galati                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Ann-Margaret Oberst                                                        POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

GALATI, RODRIGUES ET ASSOCIÉS                       POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



     [1]         Pushpanathan c. Canada (MCI) [1988] 1 R.C.S. 982.

     [2]       Baker c. Canada (MCI) [1999] 2 R.C.S. 817.

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