Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20031031

Dossier : IMM-5263-02

Référence : 2003 CF 1274

OTTAWA (ONTARIO), LE 31 OCTOBRE 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU        

ENTRE :

                                                       VIKTORIA ZOLOTAREVA

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                          - et -

                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                En vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), la demanderesse demande le contrôle judiciaire de la décision du 23 septembre 2002 dans laquelle Mme Mei Wah Cheng, agente d'examen des risques avant renvoi (l'agente ERAR), a décidé que les circonstances d'ordre humanitaire invoquées par la demanderesse ne justifiaient pas l'examen de la demande de résidence permanente au Canada de cette dernière, conformément au paragraphe 25(1) de la Loi.

FAITS

[2]                La demanderesse, Viktoria Zolotareva, est une citoyenne israélienne d'origine russe. Elle a revendiqué à trois reprises, respectivement en 1992, 1998 et 2001, le statut de réfugié au Canada, demande qui lui a été chaque fois refusée. Son conjoint actuel, Andrai Llinsky et son fils Philip Llinsky sont, tous deux, citoyens canadiens et ils résident actuellement au Canada. La demanderesse a également une fille, Paulina, maintenant âgée de 7 ans, qui est issue d'un mariage antérieur et qui est également citoyenne canadienne. Sa fille habite actuellement en Israël avec son ex-conjoint.

[3]                La demanderesse a revendiqué le statut de réfugié pour la première fois avec son ex-conjoint. La demanderesse et son ex-conjoint ont allégué que les Israéliens les avaient persécutés à cause de leur foi chrétienne et de leur nationalité russe. La revendication de la demanderesse était fondée sur celle de son ex-conjoint, bien qu'elle ait allégué avoir été physiquement agressée par des Israéliens alors qu'elle se trouvait à l'église. De plus, elle a prétendu avoir de nouveau été agressée physiquement au mois de septembre 1992 et avoir fait une fausse couche par la suite.

[4]                Dans sa deuxième et sa troisième revendication de statut de réfugié et dans l'examen des risques avant renvoi (ERAR), elle a allégué la persécution du fait de son appartenance à un groupe social, celui des femmes. Elle a prétendu que si elle retournait en Israël, elle courrait le risque d'être persécutée par son ex-conjoint. Elle a allégué que son ex-conjoint l'avait agressée physiquement et sexuellement et qu'il avait fait du chantage. En outre, elle a soutenu que son ex-conjoint l'avait faussement accusée d'avoir enlevé leur enfant.

[5]                Alors qu'elle était au Canada, la demanderesse a été déclarée coupable de trois chefs d'accusation de vol de moins de 5 000 $. Elle a été aussi déclarée coupable de fraude et d'entrave à un agent de la paix.

DÉCISION DE L'AGENTE D'EXAMEN DES RISQUES AVANT RENVOI

[6]                L'agente ERAR a décidé que les circonstances d'ordre humanitaire invoquées ne permettaient pas au ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'autoriser la demanderesse à présenter sa demande de résidence permanente de l'intérieur du Canada.


[7]                Dans sa décision, l'agente ERAR a tenu compte de la relation de la demanderesse avec son conjoint actuel, ainsi que des risques qu'elle courrait en retournant en Israël. La demanderesse a mentionné qu'en tant que femme, elle était persécutée par son ex-conjoint et qu'en Israël, l'État ne protégeait pas les victimes de violence familiale. L'agente ERAR, après avoir examiné la situation en Israël, a conclu que les politiques du gouvernement israélien favorisaient l'intervention de l'État dans des querelles familiales. De plus, l'agente ERAR a tenu compte du fait que la demanderesse était venue au Canada avec son ex-conjoint au moins à deux autres reprises après leur divorce. Les visites de la demanderesse au Canada, son défaut de demander une protection à ces occasions, ainsi que les politiques israéliennes dénonçant la violence familiale ont amené l'agente ERAR à conclure que la crainte subjective de persécution qu'elle invoquait n'était pas crédible.

[8]                L'agente ERAR a également pris en compte l'intégration de la demanderesse dans la société canadienne. L'agente a constaté que la demanderesse était prestataire de l'aide sociale et qu'elle avait un casier judiciaire. L'agente ERAR a jugé que la demanderesse n'avait pas réussi à prouver qu'elle était une résidente responsable et respectueuse de ce pays. Elle n'a pas respecté les conditions qui lui avaient été imposées par les autorités canadiennes d'immigration, ce qui lui a valu d'être détenue. D'une façon plus importante, elle a été déclarée coupable de fraude, d'entrave à un agent de la paix et de trois chefs d'accusation de vol.

[9]                Dans ses conclusions, l'agente ERAR a également pris en compte que la demanderesse a un fils au Canada, Philip. L'agente ERAR a mentionné qu'au moment de la demande, l'enfant n'était âgé que de 11 mois. À cet effet, l'agente ERAR a dit :

[traduction] Étant un enfant en bas âge, Philip n'a développé aucuns liens sociaux ni fait siens des valeurs ou des comportements susceptibles de le traumatiser s'il devait changer ou de culture ou de pays.

[10]            L'agente ERAR a également recommandé que le couple prenne des dispositions à l'égard de Philip en prévision du départ de la demanderesse du Canada puisque sa mesure de renvoi devait entrer en vigueur immédiatement. L'agente ERAR a suggéré de laisser Philip avec Andrei, le conjoint actuel de la demanderesse, en attendant qu'elle fasse sa demande à l'étranger.

QUESTIONS EN LITIGE

[11]            La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

(A) L'agente ERAR a-t-elle, en vertu de la Loi, compétence pour représenter le ministre et ainsi donner suite à une demande en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi?

(B) L'agente ERAR a-t-elle contrevenu aux principes de justice naturelle en ne donnant pas à la demanderesse la possibilité de répliquer aux motifs qu'elle a invoqués?

(C) L'agente ERAR a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l'intérêt supérieur de l'enfant lorsqu'elle a pris sa décision en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi?

[12]            Je vais maintenant examiner chaque question.

(A)        L'agente ERAR a-t-elle, en vertu de la Loi, compétence pour représenter le ministre et ainsi donner suite à une demande en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi?

[13]            La demanderesse allègue que l'agente ERAR a excédé sa compétence en prenant une décision conformément au paragraphe 25(1) de la Loi, qui est rédigé comme suit :

25.(1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient.

[14]            La demanderesse soutient que cette disposition confère au « ministre » et non à l'agente ERAR un pouvoir discrétionnaire. Pour étayer cet argument, la demanderesse fait valoir qu'il n'y a aucune indication que le ministre ait délégué quelque pouvoir que ce soit à l'agente ERAR.

[15]            Conformément au paragraphe 6(1) de la Loi, le ministre désigne, individuellement ou par catégorie, les personnes qu'il charge, à titre d'agent, de l'application de tout ou partie des dispositions de la Loi. Un examen des instruments de désignation et de délégation pris en application de la Loi révèle que le pouvoir visé au paragraphe 25(1) de la Loi a été délégué aux agents ERAR.

[16]            Plus particulièrement, le module 1 du document Désignation et délégation (point 45) a pour effet de déléguer le pouvoir décisionnel visé au paragraphe 25(1) de la Loi :

Point 45. Délégation - Déterminer sur demande si le demandeur fait partie d'une catégorie donnée au titre du Règlement; étudier le cas de l'étranger qui est interdit de territoire pour des raisons autres que la sécurité, l'atteinte aux droits humains ou internationaux, la grande criminalité, la criminalité organisée ou des motifs sanitaires, ou qui ne se conforme pas à la Loi ou au Règlement; estimer si des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger ou l'intérêt public justifient des considérations spéciales; lever tout ou partie des critères et obligations applicables; imposer les conditions prévues à l'étranger.

[Non souligné dans l'original.]

[17]            Plus particulièrement, le point 45 du document Désignation et délégation prévoit la délégation de la compétence à l'agent ERAR dans les régions du Québec :

Point 45. Agent de citoyenneté et d'immigration - Examinateur principal - Agent d'exécution de la loi - Conseiller en immigration - Agent d'expertise - Agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR).

[Non souligné dans l'original.]

[18]            À la lumière de ce qui précède, il est évident que l'agente ERAR a compétence pour prendre une décision conformément au paragraphe 25(1) de la Loi.

(B)        L'agente ERAR a-t-elle contrevenu aux principes de justice naturelle en ne donnant pas à la demanderesse la possibilité de répliquer aux motifs qu'elle a invoqués?


[19]            La demanderesse soutient que l'agente ERAR a violé son obligation d'équité et les principes de justice naturelle en ne lui donnant pas la possibilité de répondre à la décision concernant les risques de retour. La demanderesse invoque l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407, où il a été décidé qu'un agent d'immigration contrevenait à l'obligation d'équité lorsqu'il n'informait pas le demandeur du contenu du rapport d'ERAR avant de rendre sa décision. La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Haghighi, précité, a jugé qu'un agent d'immigration avait le devoir de divulguer au demandeur un rapport préparé par un tiers.

[20]            Dans Majerbi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1145 (1re inst.) (QL), le juge Blais a fait une distinction d'avec l'arrêt Haghighi, précité, en se fondant sur trois motifs. Premièrement, l'agent d'immigration a l'obligation de divulguer au demandeur un rapport qui a été préparé par un tiers. Dans la décision Majerbi, précitée, comme en l'espèce, aucun rapport n'a été produit par un tiers. Deuxièmement, le juge Blais a dit que la Cour avait rendu des décisions dans lesquelles elle avait hésité à imposer à l'agent d'immigration le devoir de divulguer au demandeur le contenu de son analyse des risques de retour. Finalement, le juge Blais a conclu qu'il n'était pas normal de devoir soumettre les motifs aux parties avant que la décision ne soit prise.

[21]            Dans Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1207 (1re inst.) (QL), le juge Lemieux a conclu qu'un agent de révision des revendications refusées avait le devoir de divulguer au demandeur le contenu de son examen des risques de retour avant de prendre une décision finale. Cependant, dans Mia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1584 (1re inst.) (QL), au paragraphe 11, le juge McKeown a exprimé ainsi son désaccord :


[...] En toute déférence, je ne crois pas que les principes d'équité obligent un ARRR qui procède à une évaluation du risque pour savoir si le demandeur est membre de la catégorie DNRSRC à divulguer l'évaluation en question avant d'en arriver à sa décision. À mon sens, reconnaître l'existence de cette obligation équivaudrait pour ainsi dire à contraindre un décideur à communiquer les motifs de sa décision à des fins de commentaires avant de prendre sa décision finale. Dans la présente affaire, la personne qui a examiné les éléments de preuve a pris la décision. Aucune autre personne n'a participé au processus. Il ne s'agit pas d'un cas où le décideur reçoit des renseignements de personnes autres que le demandeur.

[22]            Dans la décision Majerbi, précitée, le juge Blais a souscrit au raisonnement suivant du juge McKeown dans la décision Siavashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1132 (1re inst.) (QL), au paragraphe 10 :

Je ne peux souscrire à cette analyse étant donné que l'affaire Baker [1999] 2 R.S.C. 817 prévoit expressément que le rapport récapitulatif est assimilable aux motifs. Il n'est pas normal de fournir des motifs aux parties afin d'en obtenir des commentaires avant que la décision ne soit rendue. Le défaut de divulguer le rapport récapitulatif causerait un problème uniquement si le sommaire comprenait des faits nouveaux qu'ignorait le demandeur. Il ne s'agit pas de la situation en l'espèce.

[23]            En conséquence, j'accepte le raisonnement suivant du juge Blais dans la décision Majerbi, précitée, au paragraphe 13 : « [...] Accepter l'argument du demandeur [...] équivaudrait à exiger des décideurs administratifs qu'ils fournissent une ébauche de leurs décisions aux demandeurs avant de rendre une décision finale, ce qui serait absurde. »


[24]            Compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis que, dans cette affaire, l'agente ERAR n'avait pas l'obligation de divulguer le contenu de l'analyse des risques de retour et de donner à la demanderesse la possibilité de faire des commentaires avant qu'une décision finale soit rendue sur sa demande. Plus particulièrement, l'agente ERAR n'avait aucune obligation de le faire puisque aucun tiers n'avait participé à la prise de décision.

(C)        L'agente ERAR a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l'intérêt supérieur de l'enfant lorsqu'elle a pris sa décision en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi?

[25]            En appliquant la démarche pragmatique et fonctionnelle à la présente décision, je reconnais que la norme de contrôle applicable à la décision de l'agente ERAR est la décision raisonnable simpliciter. Ainsi, cette dernière décision devrait être annulée si déraisonnable, ce qui revient à dire si elle n'est étayée par aucun motif susceptible de résister à un examen assez poussé (Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 43 (1re inst) (QL), la juge Dawson, aux paragraphes 11 et 12; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 62 et 63).

[26]            La demanderesse soutient que l'agente ERAR a commis une erreur de droit et de fait en n'appliquant pas correctement l'arrêt Baker c. Canada, précité, de la Cour suprême du Canada, qui exige un examen complet et régulier de l'intérêt supérieur de l'enfant.


[27]            Même si, dans son examen des circonstances d'ordre humanitaire, l'agente ERAR porte une attention particulière à l'intérêt de Philip (demande CH - notes au dossier, section 4, paragraphe 3 et section 5, décision et motifs III, intérêt de Philip, dossier du tribunal, pages 3 et 6), la demanderesse prétend que la décision de l'agente ERAR est déraisonnable. La demanderesse fait valoir plus particulièrement les arguments suivants :

a)          L'analyse (6 lignes) est brève : Jack c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 192 F.T.R. 132, au paragraphe 8; Wynter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 185 F.T.R. 211, au paragraphe 40;

b)          L'agente ERAR commet une erreur de droit en invoquant le soi-disant [traduction] « choix » ou la soi-disant [traduction] « option » de la demanderesse de quitter le Canada avec son enfant ou de laisser l'enfant avec son conjoint : Mullholland c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 206 F.T.R. 77, au paragraphe 33; Naredo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 192 D.L.R. (4th) 373, à la page 381;

c)          L'agente ERAR commet une erreur de droit en soutenant que le jeune âge de l'enfant est un facteur négatif. À ce sujet, la demanderesse allègue qu'aucun fondement factuel ne justifie la conclusion de l'agente ERAR que Philip « n'a développé aucuns liens sociaux ni fait siens des valeurs ou des comportements susceptibles de le traumatiser s'il devait changer ou de culture ou de pays » .

[28]            Je suis d'avis que les arguments énoncés ci-haut sont sans fondement. La décision de l'agente ERAR était raisonnable puisqu'elle a bien tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant. La Cour ne devrait pas procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par l'agente ERAR ou à une analyse microscopique des sous-éléments de chaque facteur. Je suis convaincu que la décision de l'agente ERAR était fondée sur la preuve et que ses conclusions étaient raisonnables.

[29]            Dans l'arrêt Baker, précité, au paragraphe 68, la juge L'Heureux-Dubé a dit que l'un des objectifs de la Loi était de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger. Elle a interprété cet objectif comme comprenant l'obligation d'accorder une grande importance au maintien des enfants en contact avec leurs deux parents. Dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 37, la Cour suprême a clairement indiqué que l'arrêt Baker, précité, ne dérogeait pas au point de vue traditionnel selon lequel la pondération des facteurs pertinents relève du ministre ou de son délégué (Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1239 (1re inst.) (QL)), au paragraphe 8.

[30]            De plus, dans la décision Patel, précitée, au paragraphe 8, la juge Heneghan a souscrit au raisonnement de la Cour d'appel fédérale dans Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 212 D.L.R. (4th) 139, au paragraphe 11, qui confirme que l'intérêt des enfants est un facteur que l'agent ERAR doit raisonnablement prendre en compte :


Il est certain, avec Baker, que l'intérêt des enfants est un facteur que l'agent d'immigration doit examiner avec beaucoup d'attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu'il appartient à cet agent d'attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l'espèce. Ce n'est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

[31]            Dans l'arrêt Legault, précité, au paragraphe 13, la Cour d'appel fédérale a reconnu l'importance de prendre en considération l'intérêt des enfants, mais elle a mentionné qu'il ne fallait pas oublier que l'arrêt Baker, précité, « [...] n'entraîne pas une présomption prima facie selon laquelle l'intérêt des enfants devrait prévaloir, sous réserve seulement des raisons contraires les plus graves » . Il est quelque peu artificiel de simplement exiger de l'agent ERAR qu'il décide si l'intérêt supérieur de l'enfant milite en faveur du non-renvoi. Cette conclusion s'impose presque toujours. Dans Hawthrone c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2002), 222 D.L.R. (4th) 265 (C.A.F.), à la page 270, la Cour d'appel a proposé une approche pratique. L'agent ERAR doit décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d'un parent exposera l'enfant et pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d'intérêt public, qui militent en faveur ou à l'encontre du renvoi.


[32]            En bref, l'agent ERAR doit se montrer « réceptif, attentif et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant, mais une fois qu'il a bien identifié et défini ce facteur, il lui appartient de lui accorder le poids, qu'à son avis il mérite, dans les circonstances en l'espèce (Baker, précité, au paragraphe 75; Legault, précité, au paragraphe 12). Dans la présente affaire, la demanderesse avait la possibilité de soumettre dans sa demande des observations sur le poids qu'il fallait accorder à ce facteur, mais elle a été très brève : elle a uniquement fait valoir que si elle était renvoyée du Canada, son fils Philip, né au mois d'octobre 2001, serait séparé soit de son père soit de sa mère, auquel cas il deviendrait apatride. Le seul autre argument qu'elle a soumis était que le père de l'enfant ne voudrait pas que son fils voyage d'un pays à l'autre.

[33]            Les commentaires suivants établissent que l'agente ERAR a tenu compte de « l'intérêt supérieur » de Philip :

[traduction] Le fils de la demanderesse a 11 mois. Il est et restera toujours un citoyen canadien où qu'il soit. Philip ne sera jamais apatride tel que le mentionne la demanderesse. Cependant, le couple doit décider des dispositions à prendre à l'égard de Philip au moment du départ de la demanderesse puisque la mesure de renvoi entrera en vigueur immédiatement. Étant un enfant en bas âge, Philip n'a développé aucuns liens sociaux ni fait siens des valeurs ou des comportements susceptibles de le traumatiser s'il devait changer ou de culture ou de pays. De plus, le couple pourrait choisir de laisser Philip avec Andrei en attendant que la demanderesse fasse sa demande de l'extérieur du Canada.

[34]            Il incombait ensuite à l'agente ERAR de déterminer l'importance qu'il fallait accorder à ce facteur dans les circonstances de la présente affaire.

[35]            Le 29 juillet 2003, la demanderesse a déposé un affidavit à la Cour dans lequel elle indiquait qu'elle avait rencontré un psychologue à trois reprises. Ledit psychologue a rédigé une opinion le 10 mars 2003 relative à la relation entre la demanderesse, son conjoint et leur fils. Le psychologue a insisté sur les conséquences négatives qu'aurait sur l'enfant le renvoi de la demanderesse en Israël.

[36]            Il est regrettable que le rapport du psychologue n'ait pas été soumis à l'agente ERAR avant que celle-ci ait pris sa décision. Si on tient compte du fait que l'opinion du psychologue n'a pas été produite à l'agente ERAR, qui a refusé sa demande, la demanderesse ne peut invoquer cette nouvelle preuve. La Cour a reconnu, à de nombreuses reprises, que le contrôle judiciaire d'une décision doit se faire à la lumière des éléments de preuve qui ont été soumis au décideur : voir Noor c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] A.C.F. no 574 (C.A.) (QL), au paragraphe 6; Rodbom c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 636 (C.A.) (QL); Bara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 992 (1re inst.) (QL), au paragraphe 12; Khchinat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 954 (1re inst.) (QL), au paragraphe 18; LGS Group Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 C.F. 474 (1re inst.), à la page 495; Quintero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995) 90 F.T.R. 251, aux paragraphes 30 à 33; Franz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1994), 80 F.T.R. 79; Asafov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 713.


[37]            J'ai porté une attention particulière aux décisions citées par l'avocat de la demanderesse. Elles se distinguent de la présente affaire ou ne s'appliquent pas. La demanderesse a cité les décisions Naredo, précitée, Jack, précitée, et Mulholland, précitée, dans lesquelles la demande de contrôle judiciaire a été accueillie au motif que l'agent d'immigration n'avait pas accordé suffisamment d'importance à l'intérêt supérieur de l'enfant. Cependant, les faits précis de l'affaire qui nous concerne se distinguent de ceux des décisions citées par la demanderesse. Dans toutes les décisions susmentionnées, les demandeurs avaient mené une vie exemplaire et ils s'étaient très bien intégrés à la société canadienne. Ce n'est pas le cas en l'espèce.

[38]            La demanderesse a également invoqué la décision Wynter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1107, dans laquelle l'agent d'immigration a refusé la demande CH. Dans ses motifs, l'agent d'immigration n'a consacré que deux phrases aux enfants de la demanderesse; dans l'une, il dit qu'il tient compte de ceux-ci, alors que dans l'autre, il mentionne qu'il revient à la mère de déterminer leur intérêt. La demande de contrôle judiciaire a été accueillie par la Cour et par conséquent, la décision a été annulée et l'affaire a été renvoyée pour qu'on l'examine de nouveau. En l'espèce, l'analyse de l'intérêt supérieur de l'enfant faite par l'agente ERAR était une analyse beaucoup plus complète que celle de la décision Wynter, précitée.

[39]            Dans la présente affaire, les motifs invoqués par l'agente ERAR font preuve qu'elle a bien tenu compte de l'intérêt de l'enfant. De plus, l'agente ERAR a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à l'objet de la Loi qui veut que les règles et règlements soient mis en oeuvre de façon à maintenir et à garantir la santé, la sécurité et l'ordre public au Canada (Loi, précitée, alinéa 3(1)h)). Il est évident de par la preuve déposée devant la Cour que l'agente ERAR, dans son examen des différents facteurs, a non seulement bien pris en compte l'intérêt de l'enfant de la demanderesse, mais aussi le casier judiciaire de cette dernière.

[40]            Dans la décision Mann c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 738 (1re inst.) (QL), le juge Gibson a appliqué Legault, précité, et il a souligné qu'il ne pouvait apprécier de nouveau les facteurs pris en compte par l'agent ERAR. Au paragraphe 11, il a dit :

[...] Ceci étant dit, je ne puis conclure que la fonctionnaire de l'Immigration a ignoré ou mal interprété les éléments de preuve portés à sa connaissance, qu'elle a tenu compte d'éléments non pertinents ou qu'elle n'a pas tenu compte de l'intérêt de l'enfant né au Canada du demandeur. Je suis convaincu qu'il ressort des notes de la fonctionnaire de l'Immigration dont j'ai déjà cité des extraits que celle-ci a tenu compte de tous les facteurs portés à sa connaissance par le demandeur et dont elle devait tenir compte. Le fait que j'aurais pu apprécier différemment ces facteurs ne constitue pas une raison qui justifierait de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

[41]            Même si la Cour devait apprécier différemment les facteurs pris en compte par l'agente ERAR, cela ne pourrait servir de justification pour faire droit à la demande de contrôle judiciaire. La décision de l'agente ERAR était raisonnable si l'on tient compte des documents qui lui ont été soumis par la demanderesse.

[42]            Pour ces motifs, la présente demande doit être rejetée. Les avocats conviennent qu'aucune question de portée générale n'est soulevée en l'espèce.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l'agente Mei Wah Cheng du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration Canada le 23 septembre 2002 soit rejetée. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             IMM-5263-02

INTITULÉ :                                                                            VIKTORIA ZOLOTAREVA

c.

MCI

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LE 16 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                            LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 31 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

MITCHELL GOLDBERG                                                        POUR LA DEMANDERESSE

EDITH SAVARD                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MITCHELL GOLDBERG                                                        POUR LA DEMANDERESSE

MONTRÉAL (QUÉBEC)

MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                   POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.