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Date : 20030429

Dossier : IMM-2903-02

Référence : 2003 CFPI 528

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN        

ENTRE :

                                                        MUHAMMAD MUNIR HAJI

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 9 mai 2002 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section du statut de réfugié) a refusé de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Voici les points litigieux soulevés dans la présente demande :

a)          la Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur en appliquant le principe de l'autorité de la chose jugée à la revendication du demandeur?

b)          la Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur en rejetant la revendication du demandeur au motif qu'elle n'était pas crédible?

FAITS

        Le demandeur est un Pakistanais qui a quitté le Pakistan en 1990 et est arrivé au Canada en 1992 en passant par les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite et les États-Unis. À son arrivée au Canada, le demandeur a revendiqué le statut de réfugié sur le fondement de son travail de secrétaire chargé des publications et de la propagande au Jamiat-e-Ulema-i-Islam (JUI), un organisme politique sunnite qui exerce ses activités au Pakistan. Sa revendication a été refusée par la Section du statut de réfugié le 31 mars 1994. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire et notre Cour a rejeté la demande d'autorisation au motif qu'il n'avait pas déposé de dossier de demande. Le demandeur a été expulsé vers les États-Unis le 15 avril 1997, mais il est revenu au Canada plus tard la même année et a revendiqué de nouveau le statut de réfugié en vertu du paragraphe 46.01(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).


[2]                 La seconde revendication du demandeur a été instruite le 18 mai 1999 par la Section du statut de réfugié, qui l'a rejetée le 30 juillet 1999. Cette décision a été annulée par le juge Pelletier (maintenant juge à la Cour d'appel) le 21 juillet 2000 en raison des nombreuses erreurs de fait commises par les commissaires saisis de l'affaire (voir le jugement Haji c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2000), 192 F.T.R. 141). Bien que la seconde revendication du demandeur reposât en grande partie sur les mêmes faits que la première, les commissaires saisis de l'affaire n'ont pas abordé la question de l'autorité de la chose jugée dans leur décision. Pour faire droit à la demande, le juge Pelletier a fait remarquer ce qui suit, au paragraphe 3 :

Sa seconde demande de statut de réfugié reprend pour l'essentiel le contenu de sa première demande à laquelle il a ajouté quelques éléments supplémentaires. La SSR aurait pu appliquer le principe de l'autorité de la chose jugée en invoquant l'arrêt Vasquez c. M.C.I. [1998] A.C.F. no. 1769, une décision du juge Rothstein (tel était alors son titre), mais elle ne l'a pas fait.

[3]                 L'affaire a été renvoyée à la Section du statut de réfugié et une nouvelle audience a eu lieu le 26 avril 2001 et le 5 septembre 2001. Dans sa décision, le commissaire a rejeté la revendication au motif que la question était chose jugée pour ce qui était des éléments de preuve relatifs à la persécution subie avant le 31 mars 1994 et que le récit du demandeur n'était pas crédible. Sur la question de la chose jugée, le commissaire saisi de l'affaire a déclaré :

[TRADUCTION]

Le fait qu'une décision a déjà été rendue par un tribunal chargé de déterminer si la revendication avait un minimum de fondement soulève la question de l'autorité de la chose jugée en ce qui concerne tous les éléments de preuve relatifs à la persécution antérieurs au 31 mars 1994, date de la première décision. Le tribunal a examiné les consignes que la Cour fédérale a données à la Section du statut de réfugié (SSR) dans le jugement Vasquez. L'avocat et l'agent chargé de la revendication (l'agent) se sont tous les deux opposés à ce que le tribunal les examine. L'avocat a feint la surprise, tandis que l'agent a fait valoir que l'exposé circonstancié contenu dans les deux formulaires de renseignements personnels (FRP) se contredisaient au point de constituer des revendications du statut de réfugié entièrement distinctes.

[...]


Il s'agissait d'une nouvelle audience. C'est dans ce contexte que le tribunal a été invité une fois de plus à ne pas tenir compte du principe de l'autorité de la chose jugée. Si elle agissait ainsi, la CISR s'accorderait pratiquement le droit d'interjeter appel de ses propres décisions. [Renvois omis.]

Le commissaire a poursuivi en examinant la décision Vasquez dont il a adopté le raisonnement. Il a tenu compte des faits survenus avant le 31 mars 1994 uniquement pour se prononcer sur la crédibilité.

[4]                 Sur la question de la crédibilité, la Section du statut de réfugié a relevé [traduction] « de nombreuses failles dans ce récit hautement invraisemblable » . Le commissaire a signalé des contradictions avec le nom du demandeur et les événements relatés dans ses deux FRP et il n'a pas retenu les documents que le demandeur lui avait soumis pour corroborer sa version des faits parce qu'il est facile d'obtenir au Pakistan de faux documents tels que de faux mandats d'arrestation et de faux rapports de police. Le commissaire a également déclaré qu'il avait du mal à croire que le demandeur, qui n'était pas retourné au Pakistan depuis une dizaine d'années, y courait encore des risques et avait fait l'objet d'un mandat d'arrestation en 1997, sept ans après son départ du pays. Il a conclu que les nouveaux éléments contenus dans le récit du demandeur avaient été [traduction] « concoctés parce que sa première revendication n'avait pas réussi. »

NORME DE CONTRÔLE


        La première question qui se pose dans la présente demande est une question de droit et la norme de contrôle qui s'applique est celle de la décision bien fondée. La deuxième question porte sur la détermination de la crédibilité du demandeur, une tâche qui relève de la compétence spécialisée de la Section du statut de réfugié (voir le jugement Chen c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l' Immigration), 2002 CFPI 1194) . La norme de contrôle qui s'applique aux conclusions relatives à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable.

ANALYSE

1.          L'autorité de la chose jugée

        Le différend qui oppose les parties sur ce point tourne autour de la question de l'interprétation qu'il y a lieu de donner de la décision du juge Rothstein dans l'affaire Vasquez, précitée. Dans l'affaire Vasquez, il a été jugé le 23 avril 1992 que la revendication du statut de réfugié du demandeur n'avait pas un minimum de fondement. Le demandeur a quitté le Canada. Il est revenu au Canada en 1994 et a revendiqué une seconde fois le statut de réfugié au sens de la Convention. Cette demande a été rejetée le 25 avril 1997 par la Section du statut de réfugié, qui a refusé de tenir compte des éléments de preuve antérieurs au 23 avril 1992. La décision a été confirmée par le juge Rothstein, qui a conclu que l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige (une forme de principe de l'autorité de la chose jugée) s'appliquait. Voici ce qu'il déclare au paragraphe 8 :

Le principe veut qu'une partie, après avoir reçu une décision définitive, ne peut porter de nouveau une affaire en justice, même si elle a trouvé des arguments supplémentaires qu'elle aurait pu invoquer à l'époque du litige initial. C'est ce que le demandeur a tenté de faire devant la SSR. Cependant, le tribunal chargé de statuer sur le minimum de fondement a conclu que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention déposée par le demandeur n'avait pas le minimum de fondement requis. Il a essentiellement conclu que le demandeur ne pouvait obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada, soit la même question dont était saisie la SSR en 1997.

[7]                 Le demandeur soutient que le jugement Vasquez ne s'applique pas au cas qui nous occupe. Il affirme que le principe de l'autorité de la chose jugée ne peut être appliqué à une nouvelle audience après qu'une demande de contrôle judiciaire a été accueillie lorsque la question en litige n'a pas été soulevée par la Section du statut de réfugié dans sa première décision.

[8]                 Notre Cour a déjà tranché cette question. Dans l'affaire Jeyaseelan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 356, les demandeurs se trouvaient pratiquement dans la même situation que le présent demandeur. Leur première revendication avait été refusée en 1996, mais ils avaient présenté une deuxième revendication qui avait été annulée dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Lors de la troisième audience, les commissaires saisis de l'affaire se sont fondés sur les conclusions du premier tribunal en invoquant le jugement Vasquez à l'appui. Le juge McKeown s'est dit d'accord avec l'utilisation que la Section du statut de réfugié avait faite du jugement Vasquez, et a déclaré, au paragraphe 4, « la Commission a, en l'espèce, correctement établi qu'il ne s'agissait pas d'une audience de novo au sens de réexamen de tous les éléments de preuve relatifs aux changements survenus depuis la première revendication. » La Section du statut de réfugié a donc eu raison de ne pas tenir compte des éléments de preuve relatifs à la persécution qui étaient antérieurs au 31 mars 1994 pour se prononcer sur le bien-fondé de la revendication.


[9]                 Le demandeur affirme également que le tribunal a manqué à l'équité procédurale dans ses conclusions sur l'autorité de la chose jugée. À l'audience, le commissaire a expliqué qu'il souhaitait que les parties abordent la question de l'autorité de la chose jugée, ce qu'elles ont fait. Après que cette question eut été abordée, le commissaire a poursuivi le débat en précisant qu'il tiendrait compte de tous les faits, qu'ils soient survenus avant ou après 1994, et à la clôture de l'audience, les deux parties ont formulé des observations en ce sens. Le demandeur soutient que la décision du commissaire d'admettre tous les éléments de preuve revenait à conclure à l'inapplicabilité du principe de l'autorité de la chose jugée. Le demandeur soutient que le tribunal qui rend en cours d'instance une décision qui a pour effet de permettre que des éléments de preuve ou des observations soient présentés en fonction d'une seule question pour ensuite se rétracter sans préavis dans sa décision finale manque gravement aux principes de justice naturelle.

[10]            La Cour ne souscrit pas à l'analyse que le demandeur fait des observations du commissaire, que l'on trouve à la page 812 du dossier du tribunal :

[traduction]

Vu l'argument de l'avocat et de l'agent qui affirment essentiellement que je devrais être très prudent avant d'appliquer le principe de l'autorité de la chose jugée en l'espèce, mais qui font cette affirmation pour des raisons différentes et avec des arguments différents.

Je suis impressionné par l'idée de l'agent qu'il est possible que nous ayons affaire à des allégations très différentes et qu'il ne convient peut-être pas que je me contente de dire qu'il s'agit de simples questions de crédibilité, je suis, pour cette raison - et je devrais aussi souligner que je crois - je ne sais pas si cela a été consigné ou non au dossier, mais les avocats ont affirmé à juste titre que la Cour fédérale n'a pas vraiment statué au fond sur la décision de 1994;

Vu toutes ces observations, je suis disposé à réentendre tout ce que le revendicateur désire présenter au sujet des raisons pour lesquelles il est un réfugié au sens de la Convention, indépendamment de la date à laquelle les faits sont survenus. D'accord? Est-ce raisonnable?

Juste par curiosité, pouvez-vous me dire si le jugement Vasquez a été porté en appel ou si la Cour fédérale, la Section d'appel a déjà statué sur cette affaire?

[Non souligné dans l'original.]


[11]            Le commissaire ne rendait pas une décision définitive au sujet de la question de l'autorité de la chose jugée lorsqu'il a formulé ces observations. Il ressort de ces propos que le commissaire reportait à plus tard sa décision sur la question, comme en font foi le fait qu'il emploie des expressions comme « il est possible » , « peut-être » et « je suis disposé à » et le fait qu'il cite le jugement Vasquez, précité. Le commissaire a agi avec sagesse en décidant de recevoir tous les éléments de preuve à l'audience avant de se prononcer sur l'autorité de la chose jugée. S'il n'avait pas entendu tous les éléments de preuve et avait ensuite décidé que le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'appliquait pas, une autre séance aurait été nécessaire.

[12]            Qui plus est, la présente espèce se distingue de l'affaire Velauthar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 425 (C.A.) (QL), que le demandeur a citée. Dans l'affaire Velauthar, la Section du statut de réfugié a déclaré que [traduction] « la seule question en litige était celle de savoir si la définition du réfugié au sens de la Convention englobe la persécution » pour ensuite conclure que le demandeur n'était pas crédible. Par contre, en l'espèce, le commissaire a informé le demandeur à l'audience que la question de l'autorité de la chose jugée était en jeu et il a accordé à l'avocat du demandeur la possibilité de faire valoir son point de vue sur la question. La question avait été soulevée à l'origine par le juge Pelletier dans sa décision. Le demandeur ne devrait donc pas se surprendre que le commissaire soulève la question de l'autorité de la chose jugée.


2.          Crédibilité

      Le demandeur conteste le fait que la Section du statut de réfugié a tenu compte des faits survenus avant 1994 pour apprécier sa crédibilité malgré la conclusion qu'elle avait tirée au sujet du principe de l'autorité de la chose jugée. Le demandeur soutient que la Section du statut de réfugié n'a pas appliqué correctement ou équitablement le jugement Vasquez, précité.

[14]            La Section du statut de réfugié n'a pas commis d'erreur en tenant compte des faits survenus avant 1994 pour évaluer la crédibilité du demandeur. Bien que le principe de l'autorité de la chose jugée empêche le demandeur d'invoquer des moyens qui ont été soulevés lors de la première audience ou qui auraient pu l'être, il n'empêche pas la Section du statut de réfugié de tenir compte de ces mêmes éléments de preuve lors de l'examen d'une revendication ultérieure. Si elle devait accepter l'argument du demandeur, la Cour permettrait aux demandeurs de changer à leur gré leur version des faits dans chaque revendication ultérieure sans voir leur crédibilité remise en cause même si leurs récits se contredisent. Une telle interprétation minerait l'intégrité du régime de protection des réfugiés.


[15]            Les autres arguments du demandeur peuvent facilement être écartés. Il soutient que la Section du statut de réfugié a fait preuve d'insensibilité culturelle en accordant une grande importance aux divergences relevées au sujet de son nom. Le commissaire n'a pas commis d'erreur en tirant cette conclusion. Il a simplement fait ressortir ces divergences pour illustrer les contradictions que comportait le récit du demandeur. Dans le même ordre d'idées, l'argument du demandeur suivant lequel le commissaire avait fondé sa décision sur le « profil » du demandeur constitue une mauvaise interprétation des motifs du tribunal. La Section du statut de réfugié n'a pas ajouté foi à l'affirmation du demandeur suivant laquelle il était toujours ciblé au Pakistan. Le commissaire a cité le fait que le demandeur n'était pas une figure très connue sur le plan politique et son absence du pays pendant une dizaine d'années pour justifier cette conclusion. La conclusion tirée par la Section du statut de réfugié sur cette question était raisonnable.

[16]            Aucune des deux parties n'a proposé de question à certifier. La Cour refuse donc de certifier une question.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR :

REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

« Michael A. Kelen »                                                                                                          ________________________________

                                                                                                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL .L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                            IMM-2903-02

INTITULÉ :                                          MUHAMMAD MUNIR HAJI c. MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                 17 avril 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                        29 avril 2003

COMPARUTIONS :

Me Douglas Lehrer                                                            POUR LE DEMANDEUR

                                                                                                                            

Me Tamrat Gebeyehu                                                        POUR LE DÉFENDEUR

                                                          

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Douglas Lehrer                                                            POUR LE DEMANDEUR

Vander Vennen Lehrer

45, rue St. Nicholas

Toronto (Ontario)     M4Y 1W6

Tél : 416-963-8405

Téléc. : 416-925-8122

Me Tamrat Gebeyehu                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest, bureau 3400, C.P. 36

Toronto (Ontario)      M5X 1K6

Tél : 416-973-9665

Téléc. : 416-954-8982


                                    

             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                                 Date : 20030429

                                               Dossier : IMM-2903-02

ENTRE :

MUHAMMAD MUNIR HAJI

                                                                       demandeur

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                        défendeur

                                                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                         

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