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Date : 20041126

Dossier : T-2074-01

Référence : 2004 CF 1643

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2004

En présence de :         MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                                ALLAN CHASE

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un appel de la décision du protonotaire Lafrenière, en date du 24 février 2004, radiant la déclaration du demandeur en raison de l'absence de compétence de la Cour et du fait que la déclaration ne révèle aucune cause d'action.

LE CONTEXTE

[2]                Les faits sont exposés aux paragraphes 8 à 20 de la décision du protonotaire et sont repris ci-dessous par souci de commodité :


[traduction]

8. Le demandeur est un homme de race noire qui est employé depuis 1988 comme ingénieur de constructions navales par la Garde côtière canadienne (la GCC), au sein du ministère des Transports et du ministère des Pêches et des Océans. Il avait été embauché à la faveur du Programme de l'équité en matière d'emploi, établi en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, L.R.C. 1985 (2e suppl.), ch. 23.

9. Le 22 novembre 2001, le demandeur introduisait la présente procédure pour obtenir divers redressements fondés sur des plaintes de discrimination directe et systémique au travail, ainsi que sur la négligence de la défenderesse et sur son inertie à prendre des mesures raisonnables pour prévenir le racisme et l'intolérance et pour corriger les inégalités sur le lieu de travail. Les faits allégués par le demandeur s'étendent pratiquement sur toute sa période d'emploi dans la GCC. Le demandeur voudrait à la fois des jugements déclaratoires et des dommages-intérêts pour négligence, manquement au devoir de prudence, violation du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), préjudice moral infligé délibérément et manquement aux obligations fiduciaires de l'employeur.

10. L'une des principales allégations du demandeur est le fait qu'il s'était vu refuser en 1996 un poste à durée indéterminée, alors que ce poste lui avait été promis. Avant le 19 mai 1995, les employés comptant cinq années de service continu obtenaient automatiquement le statut d'employé à durée indéterminée. Cependant, au cours de son emploi auprès de la GCC, le demandeur n'a pas obtenu ce statut car il ne travaillait que par intermittence comme employé occasionnel, ou à la faveur d'un contrat à durée déterminée, en tant que vacataire.

11. Au cours de ses sept premières années de service, le demandeur a connu onze interruptions de ses états de service, ce qui le rendait non admissible à une titularisation. Le demandeur a cependant eu trois périodes relativement longues marquées par des nominations successives comme employé vacataire. L'une de ces périodes s'étendait du 16 mars 1994 au 22 novembre 1996.

12. À la fin de février 1995, le directeur général de la GCC avait tenté de remédier à la situation du demandeur en instituant un plan en sept points qui devait l'aider à obtenir le statut d'employé à durée indéterminée. Tout à fait par hasard, au cours des semaines suivantes, la politique relative à l'attribution automatique du statut d'employé à durée indéterminée fut gelée par le Conseil du Trésor. [...] Le demandeur fut informé le 1er octobre 1996 qu'il serait licencié le mois suivant.


13. Le demandeur a par la suite été embauché de nouveau comme vacataire, et cela à sept reprises. [...] À la requête du demandeur, cependant, le Syndicat des employés du transport (le Syndicat) a mené une enquête sur sa situation d'activité auprès de la GCC. Un représentant du syndicat écrivait au demandeur le 24 juin 1997 pour l'informer que le syndicat n'était pas en mesure de l'aider. Le représentant concluait sa lettre en écrivant : « Il est très dommage que M. Chase n'ait pas officiellement demandé l'aide de son syndicat au moment de son licenciement » .

14. Le demandeur affirme que, au moment où il avait appris qu'il ne serait pas titularisé, il lui était impossible de déposer un grief concernant la stratégie d'emploi cyclique appliquée par le ministère. Il affirme que le plan du directeur général destiné à lui conférer le statut d'employé à durée indéterminée était un « contrat de préembauche » conclu en dehors des limites de la convention collective.

15. Les autres allégations figurant dans la déclaration du demandeur font état d'une discrimination personnelle et systémique. Le demandeur affirme que, tout au long de son emploi auprès de la GCC, il s'est heurté à des hostilités racistes et que le ministère a sciemment laissé subsister cette situation. [...] Le demandeur dit aussi que certains de ses collègues de race blanche, qui occupaient des postes semblables au sien, ont obtenu leur titularisation ou ont été promus, ce qui équivalait à une inégalité devant la loi, en violation du paragraphe 15(1) de la Charte. [...]

16. Le demandeur a été embauché comme vacataire le 31 mars 1999 et il est resté vacataire jusqu'au 31 mars 2002. Le 10 novembre 2000, alors membre de l'unité de négociation, le demandeur a déposé un grief où il alléguait « une discrimination raciale contraire à l'article 19 de la convention collective » . Le demandeur a déposé un autre grief le 6 février 2001, affirmant : « ... il ne me reste plus de crédits de congés le 7 février 2001, en raison de mon absence au travail causée par des actes discriminatoires... » . Les deux griefs du demandeur ont été rejetés au troisième et dernier niveau de la procédure de règlement des griefs, puis ont été renvoyés à l'arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP).

17. Le 12 juin 2002, sur les conseils de son syndicat, le demandeur a communiqué avec la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP). Incidemment, la Cour d'appel fédérale avait jugé, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.) (l'arrêt Boutilier), que l'intention du Parlement était que la Commission canadienne des droits de la personne joue le rôle de gardien dans les dossiers de droits de la personne mettant en cause des fonctionnaires au sens de la LRTFP. [...]. La CCDP a écrit au demandeur le 14 juin 2002 pour l'informer qu'elle fermait son dossier parce que les présumés actes discriminatoires qu'il avait décrits s'étaient produits le 18 octobre 2000, plus d'un an avant le dépôt de la plainte. Les incidents sont détaillés aux sous-alinéas 9g) et h) de la déclaration.

18. Le 26 juin 2002 ou vers cette date, le syndicat demandait à la CRTFP d' « enlever » les deux griefs du calendrier des audiences de septembre 2002 parce qu'il attendait encore une ordonnance de la CCDP selon le paragraphe 41(1).


19. La CCDP a écrit au demandeur le 21 janvier 2003, en lui envoyant un formulaire de plainte à remplir. La CCDP l'avertissait que, « conformément à l'alinéa 41(1)e) de la Loi, la Commission peut refuser d'examiner une plainte déposée plus d'un an après les présumés actes discriminatoires » . Le 26 mai 2003, le demandeur était informé qu'un rapport serait remis à la CCDP lui recommandant de ne pas examiner sa plainte, en application des alinéas 41(1)e) et c).

20. Le demandeur a écrit à la CRTFP pour s'informer du statut de ses griefs. Il fut informé que les griefs avaient été enlevés du calendrier des audiences parce que le syndicat attendait encore de la CCDP une ordonnance selon l'article 41. Il semble donc que les griefs n'ont jamais été retirés.

[3]                Un tableau faisant état de l'historique d'emploi inhabituel du demandeur est joint à l'annexe A.

LA DÉCISION DU PROTONOTAIRE

[4]                Les conclusions du protonotaire sont essentiellement les suivantes.

a)          Il existe un régime législatif d'ensemble pour le traitement des griefs des fonctionnaires, composé de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique (LEFP), de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) ainsi que des conventions collectives passées en vertu de ces lois.

b)          Toute discrimination pour des motifs interdits est traitée par la CCDP dans le cadre de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

c)          Le demandeur cherche à obtenir un redressement pour une discrimination systémique, ce qu'il aurait dû faire pendant qu'il était un fonctionnaire, par la voie de la procédure de grief prévue dans la convention collective.


d)          Le demandeur était un fonctionnaire à la date où a été écrite la note de service suggérant de régulariser sa situation, soit le 3 mars 1993. Il avait également le même statut quand son emploi à durée déterminée n'a pas été renouvelé le 21 novembre 1996 ( ce qui irait, prétend-il, à l'encontre de la note de service du 3 mars 1993). Il pouvait et il aurait alors dû déposer un grief pour défaut d'exécution de la non-exécution de la note de service.

e)          Le défaut de non-renouvellement de sa nomination à durée déterminée ne peut faire l'objet d'un grief fondé sur l'article 25 de la LEFP.

f)           L'article 7 de la Charte ne peut être invoqué pour les faits de l'espèce qui concernent la discrimination systémique. L'article 12 ne peut l'être non plus, étant donné qu'il n'y a pas de discrimination pour des motifs interdits ou des motifs analogues, mais une seule procédure pour le personnel syndiqué et une procédure différente pour le personnel non syndiqué.

g)          Le paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale ne s'applique pas, étant donné qu'il y est prévu « Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale » et que la LRTFP prévoit des dispositions différentes.

[5]                Par conséquent, le protonotaire Lafrenière a rejeté la demande du demandeur sans autorisation de la modifier.


LES QUESTIONS SOULEVÉES

[6]                Le demandeur en appelle maintenant de la décision du protonotaire et soulève les trois questions suivantes :

i) Le protonotaire a-t-il commis une erreur quand il a conclu que la Cour n'était pas compétente pour connaître de la demande en raison du régime législatif établi par la LRTFP, étant donné que le demandeur ne tombait pas sous le régime de la Loi pendant 30 % de sa carrière, quand il a travaillé soit en vertu d'un décret d'exemption, soit comme personne employée pour une durée déterminée en période d'essai?

ii) Le protonotaire était-il fondé de rejeter la déclaration du demandeur qui contestait l'emploi systémique des décrets d'exemption et des nominations à durée déterminée au motif qu'ils portaient atteinte aux droits à l'égalité prévus à l'article 15 de la Charte?

iii) Le protonotaire a-t-il commis une erreur quand il a conclu que « l'entente » entre le demandeur et le directeur général ne constituait pas une exception au modèle de compétence exclusive élaboré dans l'arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, 125 D.L.R. (4th) 583 (l'arrêt Weber)?


LA NORME DE CONTRÔLE

[7]                Les deux parties conviennent que la présente requête appelle la norme de contrôle exposée par le juge Décary dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. no 1925 (C.A.F.) au paragraphe 19 :

                                                                                                           

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,

b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

QUESTION i) : Le protonotaire a-t-il commis une erreur quand il a conclu que la Cour n'était pas compétente pour connaître de la demande en raison du régime législatif établi par la LRTFP, étant donné que le demandeur ne tombait pas sous le régime de la Loi pendant 30 % de sa carrière, quand il a travaillé soit en vertu d'un décret d'exemption, soit comme personne employée pour une durée déterminée en période d'essai?


[8]                Même si le demandeur, à de nombreuses reprises, [traduction] « a effectué un va-et-vient par rapport au Code » , il s'est trouvé assujetti à la convention collective pendant certaines périodes, au cours desquelles il aurait pu avoir recours à la procédure de grief qui y est prévue. Selon l'annexe A, le demandeur a travaillé dans le cadre de la convention collective pendant 2 790 jours sur un total de 3 840 jours. L'article 2 de la LRTFP définit le « fonctionnaire » en excluant les personnes employées pour une durée déterminée de moins de trois mois et les personnes employées à titre occasionnel. Le demandeur compte onze nominations pour une durée déterminée au cours desquelles il a été fonctionnaire, donc couvert par la convention collective et ayant le droit de se prévaloir de la procédure de grief.

[9]                L'article 91 de la LRTFP prévoit que le fonctionnaire a le droit de présenter un grief lorsqu'il s'estime lésé. Le demandeur a effectivement présenté deux griefs, le premier en novembre 2000 et le second en février 2001. Les deux griefs ont été rejetés au troisième palier et renvoyés à l'arbitrage auprès de la CRTFP. Son syndicat l'a avisé de communiquer avec la CCDP étant donné que la procédure de grief en vertu de la LRTFP n'est possible que si la CCDP invoque le paragraphe 41(1) de la LCDP en invitant le demandeur à recourir à cette procédure. À l'examen de la chronologie des événements, il appert que la demande du demandeur a été rejetée pour la dernière fois au troisième palier et que la CCDP n'a jamais invoqué le paragraphe 41(1) de la LCDP pour permettre au demandeur de recourir à la procédure de grief prévue à la LRTFP. Le rejet d'un grief ne change rien au fait que l'objet du grief relève de la convention collective.

[10]            La Cour suprême a élaboré le modèle de la compétence exclusive pour traiter les conflits de compétences entre les procédures de règlement des différends en vertu des lois du travail et les actions en justice dans l'arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929. Le modèle est résumé de manière succincte au paragraphe 58 :


En résumé, le modèle de la compétence exclusive est tout à fait conforme au libellé du par. 45(1) de la Loi sur les relations de travail et il concorde avec la position adoptée par notre Cour dans St. Anne Nackawic. En outre, il exauce le souhait que la procédure de règlement de litige établie par les diverses lois sur les relations du travail au pays ne soit pas doublée ou minée par des actions concomitantes. Il obéit à une tendance de plus en plus forte à faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la procédure d'arbitrage et de grief et à reconnaître des restrictions corrélatives aux droits des parties d'intenter des actions en justice qui sont parallèles ou se chevauchent : voir Ontario (Attorney-General) c. Bowie (1993), 110 D.L.R. (4th) 444 (C. div. Ont.), le juge O'Brien.

[11]            Ce principe vaut également pour les relations de travail dans le secteur public. Dans l'arrêt Johnson-Paquette c. Canada, [2000] A.C.F. no 441 (C.A.F.), la Cour déclare au paragraphe 7 en s'appuyant sur l'arrêt Weber, précité :

les lois en matière de relations de travail prévoient un code régissant tous les aspects des relations de travail, auquel on porterait atteinte si les parties avaient accès au tribunal comme juridiction concomitante auquel le législateur n'a pas attribué la tâche de se prononcer sur ces questions (... ) [L]'accessibilité aux tribunaux comme juridictions concomitantes minerait le régime d'arbitrage exclusif qui est au coeur de toutes les lois canadiennes sur les relations de travail et empêcherait la résolution rapide et économique des litiges en matière de relations de travail.

[12]            En l'espèce, les prétentions du demandeur sont directement reliées à des « événements qui découlent de la convention collective » et le manquement allégué aux dispositions de la convention collective est à l'origine du litige.


[13]            Le protonotaire n'a pas commis d'erreur en décidant que la nature du différend soulevé par le demandeur est reliée à un environnement global de racisme dans son milieu de travail et non à des incidents ponctuels. Le demandeur aurait pu avantageusement avoir recours à son syndicat pendant 70 % de sa carrière (soit 2 790 jours), quand il ne travaillait pas en vertu d'un décret d'exemption ou comme personne employée pour une durée déterminée en période d'essai.

[14]            QUESTION ii) : Le protonotaire était-il fondé de rejeter la déclaration du demandeur qui contestait l'emploi systémique des décrets d'exemption et des nominations à durée déterminée au motif qu'ils portaient atteinte aux droits à l'égalité prévus à l'article 15 de la Charte?

[15]            Le demandeur soutient que le protonotaire a mal apprécié sa prétention que les décrets d'exemption et les nominations à durée déterminée sont discriminatoires. Il déclare qu'il n'avait pas l'intention de se plaindre de sa nomination pour une durée déterminée, mais qu'il cherchait à faire valoir le caractère discriminatoire de la manière dont les décrets d'exemption et les nominations à durée déterminée s'appliquaient dans son cas. Le demandeur prétend que ces décrets et nominations sont utilisés pour cantonner les minorités visibles à des emplois à court terme ou sporadiques.

[16]            Le demandeur cite l'arrêt Roncarelli c. Duplessis (1959), 16 D.L.R. (2d) 689 et affirme qu'une loi peut être appliquée de manière discriminatoire, même si elle n'est pas rédigée dans cette intention. Il soutient que la loi doit protéger toutes les personnes de manière égale.

[17]            Le protonotaire Lafrenière a souligné qu'il était dans l'intention du législateur que la fin d'une nomination à durée déterminée n'ouvre pas droit à grief. Il a également noté que le modèle de la compétence exclusive de l'arrêt Weber s'applique aussi aux demandes fondées sur la Charte. Dans l'arrêt Weber, précité, la Cour a statué que les tribunaux institués par des lois, tout comme les arbitres de griefs, peuvent être des instances décisionnelles compétentes et jouir de ce fait du pouvoir d'accorder les réparations en vertu de la Charte, dans la mesure où ils ont le pouvoir d'accorder les réparations recherchées et ont compétence à l'égard des parties.

[18]            À l'appui de sa conclusion, le protonotaire Lafrenière a cité Madame la juge Snider, qui a dit dans la décision Pieters c. Canada, 2004 C.F. 26 :

les personnes qui affirment que l'article 15 de la Charte a été violé doivent démontrer qu'un motif énuméré ou analogue constitue le fondement de la distinction discriminatoire, et que la loi en question a un but ou des effets « discriminatoires » . Le refus d'accorder à M. Pieters le droit d'intenter la présente action peut constituer un traitement qui est différent, mais cette distinction n'est pas fondée sur un motif énuméré ou sur un motif analogue. Je fonde ma décision en l'espèce sur ce que M. Pieters, en sa qualité d'employé syndiqué de la fonction publique fédérale, ne peut pas intenter la présente action devant la Cour fédérale. Je ne traite aucunement M. Pieters d'une façon différente des autres fonctionnaires fédéraux syndiqués. Il n'existe nulle part dans la Charte ou dans la jurisprudence un motif énuméré ou un motif analogue qui s'applique aux fonctionnaires fédéraux syndiqués. En l'espèce, l'appartenance de M. Pieters à un groupe qui a toujours été défavorisé n'est tout simplement pas pertinente. La radiation de la demande ne devrait donc pas avoir les conséquences alléguées pour ce qui est de la Charte.


[19]            Ces observations sont correctes, mais elles ne touchent pas directement le point que fait valoir le demandeur. Le demandeur prétend que la défenderesse recrute des Noirs comme personnes employées à titre occasionnel ou pour une durée déterminée, mais recrute aussi des personnes de race blanche dans la même situation comme personnes employées pour une durée indéterminée. Ces actes sont manifestement antérieurs à toute relation employeur-employé. La convention collective ne s'applique qu'aux fonctionnaires, soit les personnes employées pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée au-delà de la période d'essai. En l'espèce, les préoccupations du demandeur portent sur les actes de la GCC lorsqu'elle recrute des personnes employées à titre occasionnel ou pour une durée déterminée.

[20]            Le demandeur ne soutient pas que la LRTFP ou la LEFP sont des lois discriminatoires, mais il prétend qu'elles sont appliquées de manière discriminatoire à l'étape initiale du recrutement. Cette plainte pouvait être présentée à la CCDP, mais elle peut aussi fonder une action intentée devant la présente Cour. Je ne vois rien dans le régime défini par l'arrêt Weber qui interdirait une telle action.

[21]            Le protonotaire a commis une erreur en considérant que la question soulevée concernait l'emploi et le caractère prétendument discriminatoire d'une loi , au lieu de se demander si une loi non discriminatoire pouvait être appliquée de manière discriminatoire au moment du recrutement de fonctionnaires. Il ne s'agit pas d'une question qui peut faire l'objet d'un grief et, par conséquent, rien n'interdit que la question soit soumise à la Cour.


QUESTION iii) : Le protonotaire a-t-il commis une erreur quand il a conclu que « l'entente » entre le demandeur et le directeur général ne constituait pas une exception au modèle de compétence exclusive élaboré dans l'arrêt Weber?

[22]            Le demandeur renvoie à l'arrêt Weber, déclarant qu'il y a des exceptions à cette décision et que la Cour a laissé une [traduction] « marge de manoeuvre » . L'entente a été passée avant le contrat d'emploi dans la fonction publique et n'est donc pas régie par la convention collective. Le demandeur fait valoir que le syndicat l'a reconnu quand celui-ci a refusé de traiter son grief au motif que l'entente relative à la promotion n'avait pas été passée dans le cadre du protocole habituel. Par conséquent, l'entente et le manquement à l'entente ne relevaient pas de la convention collective et ne devraient pas être définis comme un manquement au contrat d'emploi.

[23]            Le demandeur était une personne employée pour une durée déterminée ayant achevé la période d'essai au moment où le directeur général a signé la note de service qui suggérait de lui accorder un statut d'emploi à durée indéterminée. Cependant, à peine quelques semaines plus tard, la politique des nominations d'office à un statut d'emploi à durée indéterminée a été gelée par le Conseil du Trésor.


[24]            Malheureusement, le demandeur semble à cet égard être tombé à un mauvais moment. Le demandeur a été régi par la convention collective du 16 mars 1994 au 22 novembre 1996. La note de service faisant état de la promesse de faire du demandeur une personne employée à durée indéterminée est datée du 3 mars 1995 et reflète des discussions qui ont eu lieu le 28 février 1995. Le directeur général de la région des Maritimes de la GCC qui est censé avoir fait la promesse a pris sa retraite peu de temps après et la note de service du 3 mars 1995 n'a jamais été mise en oeuvre. Au contraire, on a mis fin à l'emploi à durée déterminée du demandeur le 22 novembre 1996 en raison d'une réduction des besoins en équipage. Par conséquent, la promesse a été faite pendant que le demandeur était une personne employée à durée déterminée régie par convention collective. Le demandeur a eu tout le temps voulu (du 3 mars 1995 au 22 novembre 1996) pour déposer un grief pour manquement à la promesse dont fait état la note de service du 3 mars 1995. Comme il n'a pas soulevé la question en temps opportun, son syndicat l'a avisé, le 24 juin 1997, qu'il ne pouvait l'aider et que le demandeur aurait dû officiellement faire appel au syndicat au moment de son licenciement ou antérieurement. Il est malheureux que le demandeur ait décidé d'attendre avant de s'adresser à son syndicat, mais cette option était et demeure la voie appropriée et le demandeur doit supporter les conséquences de son retard.

[25]            La plainte du demandeur à l'égard du manquement à la promesse ne relève pas de la convention collective, mais aurait pu faire l'objet d'un grief en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, P-35, qui prévoit :

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu'il s'estime lésé :                


a) par l'interprétation ou l'application à son égard :      

(i) soit d'une disposition législative, d'un règlement -- administratif ou autre --, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,           

(ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;               

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.     

(2) Le fonctionnaire n'est pas admis à présenter de grief portant sur une mesure prise en vertu d'une directive, d'une instruction ou d'un règlement conforme à l'article 113. Par ailleurs, il ne peut déposer de grief touchant à l'interprétation ou à l'application à son égard d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale qu'à condition d'avoir obtenu l'approbation de l'agent négociateur de l'unité de négociation à laquelle s'applique la convention collective ou la décision arbitrale et d'être représenté par cet agent.     

(3) Le fonctionnaire ne faisant pas partie d'une unité de négociation pour laquelle une organisation syndicale a été accréditée peut demander l'aide de n'importe quelle organisation syndicale et, s'il le désire, être représenté par celle-ci à l'occasion du dépôt d'un grief ou de son renvoi à l'arbitrage.         

(4) Le fonctionnaire faisant partie d'une unité de négociation pour laquelle une organisation syndicale a été accréditée ne peut être représenté par une autre organisation syndicale à l'occasion du dépôt d'un grief ou de son renvoi à l'arbitrage. (Non souligné dans l'original.)

[26]            Comme la promesse alléguée d'accorder au demandeur le statut de personne employée à durée indéterminée a été faite à un moment où le demandeur était déjà employé à durée déterminée depuis presqu'un an, il est difficile de voir comment cette promesse pourrait être considérée comme analogue à un contrat de préembauche. Par conséquent, l'argumentation du demandeur au sujet de cette question ne peut être accueillie.


LA MODIFICATION DE LA DÉCLARATION

[27]            Le demandeur a demandé l'autorisation de modifier sa déclaration s'il avait gain de cause sur l'un des trois points en appel. Comme il a obtenu gain de cause sur le point ii), je ne vois pas de raison de ne pas accorder l'autorisation à cette étape de l'instance.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         L'ordonnance du protonotaire Lafrenière en date du 24 février 2004 est annulée.

2.          Le paragraphe 1, les sous-alinéas 2(a)(i), 2(a)(iv) et 2(a)(v), les paragraphes 4 à 11 et 15 à 18 inclusivement de la déclaration datée du 22 novembre 2001 sont radiés.

3.         Le demandeur doit présenter à la Cour, au plus tard le 17 décembre 2004, une version révisée de sa déclaration qui modifie, en fonction des motifs présentés ci-dessus, les parties de la déclaration qui n'ont pas été radiées.

                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.                                                                                                                                              


ANNEXE A

TABLEAU DE LA DURÉE DES CONTRATS, DU STATUT D'EMPLOI, DES JOURS DE TRAVAIL ET DES JOURS RELEVANT DE LA CONVENTION COLLECTIVE

ALLAN CHASE : EMPLOI AUPRÈS DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE

Année

Durée du contrat

Statut d'emploi

Jours de contrat

Dans le cadre de la convention collective

1988

7 juin 1988 au 19 juin 1988

OCCASIONNEL

13

NON

14 juillet 1988 au 26 septembre 1988

OCCASIONNEL

75

NON

14 octobre 1988 au 7 novembre 1988

OCCASIONNEL

25

NON

Total

3 CONTRATS DISTINCTS

OCCASIONNEL

113

0/113

Année

Durée du contrat

Statut d'emploi

Jours de contrat

Dans le cadre de la convention collective

1989

16 janvier 1989 au 13 février 1989

OCCASIONNEL

29

NON

20 mars 1989 au 5 septembre 1989

À DURÉE DÉTERMINÉE

170

80 JOURS

30 octobre 1989 au 14 novembre 1989

À DURÉE DÉTERMINÉE

16

NON

Total

3 CONTRATS DISTINCTS

OCCASIONNEL/À DURÉE DÉTERMINÉE

215

80/215

Année

Durée du contrat

Statut d'emploi

Jours de contrat

Dans le cadre de la convention collective

1990

2 janvier 1990 au 29 janvier 1990

À DURÉE DÉTERMINÉE

28

NON

19 avril 1990 au 31 décembre 1990

À DURÉE DÉTERMINÉE

257

147 JOURS

Total

2 CONTRATS DISTINCTS

À DURÉE DÉTERMINÉE

285

167/285


Année

Durée du contrat

Statut d'emploi

Jours de contrat

Dans le cadre de la convention collective

1991

1er janvier 1991 au 2 février 1991

SUITE DU CDD DE 1990

33

33 JOURS

6 mai 1991 au 12 juillet 1991

À DURÉE DÉTERMINÉE

68

NON

30 octobre 1991 au 29 novembre 1991

À DURÉE DÉTERMINÉE

31

NON

11 décembre 1991 au 31 décembre 1991

À DURÉE DÉTERMINÉE

21

NON

Total

3 CONTRATS DISTINCTS

À DURÉE DÉTERMINÉE

153

33/153

Année

Durée du contrat

Statut d'emploi

Jours de contrat

Dans le cadre de la convention collective

1992

1er janvier 1992 au 10 janvier 1992

SUITE DU CDD DE 1991

10

NON

1992

29 avril 1992 au 31 décembre 1992

DÉBUT DU 1ER DES 2 CDD SUCCESSIFS

247

157/247 JOURS

1993

1er janvier 1993 au 31 décembre 1993

SUITE DU CDD

365

365/365 JOURS

1994

1er janvier 1994 au 21 janvier 1994

SUITE DU CDD

21

1994

16 mars 1994 au 31 décembre 1994

DÉBUT DU 2E DES 2 CDD SUCCESSIFS

291

223/313 JOURS

1995

1er janvier 1995 au 31 décembre 1995

SUITE DU CDD

365

365

1996

1er janvier 1996 au 22 novembre 1996

SUITE DU CDD

325

325

Total

2 CONTRATS DISTINCTS SUCCESSIFS À DURÉE DÉTERMINÉE

À DURÉE DÉTERMINÉE

1654

1435/1654


Année

Durée du contrat

Statut d'emploi

Jours de contrat

Dans le cadre de la convention collective

1997

8 décembre 1997 au 22 décembre 1997

OCCASIONNEL

14

NON

1998

5 janvier 1998 au 19 janvier 1998

OCCASIONNEL

14

NON

1998

2 février 1998 au 30 mars 1998

OCCASIONNEL

56

NON

1998

1er avril 1998 au 13 avril 1998

OCCASIONNEL

13

NON

1998

27 avril 1998 au 11 mai 1998

OCCASIONNEL

14

NON

1998

25 mai 1998 au 12 juin 1998

OCCASIONNEL

19

NON

1998

19 août 1998 au 2 septembre 1998

OCCASIONNEL

15

NON

Total

7 CONTRATS DISTINCTS D'OCCASIONNEL

OCCASIONNEL

145

0/145

Année

Durée du contrat

Statut d'emploi

Jours de contrat

Dans le cadre de la convention collective

1999

31 mars 1999 au 31 décembre 1999

À DURÉE DÉTERMINÉE

275

185

2000

1er janvier 2000 au 31 décembre 2000

À DURÉE DÉTERMINÉE

365

365

2001

1er janvier 2001 au 31 décembre 2001

À DURÉE DÉTERMINÉE

365

365

2002

1er janvier 2002 au 31 mars 2002

À DURÉE DÉTERMINÉE

90

90

2002

24 avril 2002 au 24 octobre 2002

OCCASIONNEL

120

30

2002

25 octobre 2002 au 25 décembre 2002

OCCASIONNEL

60

NON

2003

26 décembre 2002 jusqu'à maintenant

Rayé de l'effectif

---

---

Total

36 mois successifs de contrats à durée déterminée

À DURÉE DÉTERMINÉE

1275

1095/1275


                                                     

COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-2074-01

INTITULÉ :               ALLAN CHASE c. SA MAJESTÉ LA REINE

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 22 NOVEMBRE 2004

MOTIFS :                MONSIEUR LE JUGE

VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 26 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

DEMANDEUR :         MYRON W. SHULGAN

DÉFENDERESSE :     JACQUELINE DAIS-VISCA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEVEN FLAHERTY

DAVIES BAGAMBIIRE

TORONTO (ONTARIO)

POUR LE DEMANDEUR

KATHERINE HUCAL

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

POUR LA DÉFENDERESSE


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