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                                                                                                                                           Date : 20030609

Dossier : IMM-3266-02

Référence : 2003 CFPI 717

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 9 JUIN 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                    NATALYA (NATALIA) DYDYUK

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Mme Natalya Dydyuk (la demanderesse), de nationalité ukrainienne, est arrivée au Canada le 25 septembre 1995 à la faveur d'un visa de visiteur, prétendument pour fréquenter un collège religieux. Elle n'a jamais fréquenté cette école. En 1999, près de quatre ans plus tard, elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention, en alléguant une crainte fondée de persécution en Ukraine, à cause de sa religion pentecôtiste. Dans une décision datée du 1er mai 2002, la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé à la demanderesse le statut de réfugié au sens de la Convention. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.


Question préliminaire

[2]        La demanderesse, qui s'est représentée elle-même dans cette demande, n'était pas devant la Cour pour présenter sa demande. Par une lettre datée du 3 juin 2003, Mme Elena Levy, qui affirmait être l'avocate de la demanderesse, a demandé à la Cour « un bref ajournement pour la date la plus proche possible » . Mme Levy n'a pris aucune mesure pour informer la Cour qu'elle est dans cette affaire l'avocate occupante. Ses « raisons » étaient exposées ainsi :

[Traduction]Malheureusement, je n'ai pu me présenter à l'audience d'aujourd'hui, en raison d'une situation d'urgence familiale concernant ma mère, et je suis actuellement à l'étranger (à Saint-Petersbourg, en Russie). Il y a quelques jours, une téléconférence a eu lieu avec un avocat du ministère de la Justice, au cours de laquelle il a mentionné qu'il n'est pas disposé à consentir à un ajournement. Nous avons tenté de trouver un autre avocat pour représenter la cliente, mais nous n'avons pu trouver personne pour cette date. Je serai de retour vers le 10 juin.

[3]         Après examen de cette requête, qui m'a été présentée par une amie de la demanderesse, j'ai informé les parties que les motifs n'étaient pas suffisants pour justifier un ajournement, et j'ai rejeté la requête.

[4]         Le 17 février 1993, la Section de première instance émettait une directive de pratique qui informait les parties que les procès et audiences, une fois programmés, ne seraient ajournés qu'exceptionnellement. Cette directive, qui se trouve à la page 530 de D. Sgayais et al, Federal Court Practice 1998 (Toronto : Carswell, 1997), renferme ce qui suit :


[Traduction] La Cour fédérale ne surcharge pas le rôle des affaires qu'elle instruit. Les ajournements causent donc de sérieux inconvénients ainsi que des frais.

Lorsque la Cour fixe une date pour un procès ou pour une audience, tous les avocats doivent se présenter à la date fixée. Les demandes d'ajournement doivent être présentées au juge en chef adjoint et, à moins qu'elles ne soient présentées promptement après qu'une date d'audience est fixée, elles ne seront considérées que dans les circonstances les plus exceptionnelles.

[5]         Les raisons invoquées par Mme Levy, si l'on y ajoute le fait que la demanderesse n'a pas comparu à l'audience prévue ou n'a pas informé la Cour plus tôt, ne semblent pas constituer des « circonstances exceptionnelles » au sens de la directive de la pratique.

[6]         J'ai également décidé que, vu les circonstances particulières de cette affaire, je rendrais ma décision en me fondant sur les documents que j'ai devant moi, à savoir :

.     le dossier de la demanderesse, déposé le 1er août 2002

.     l'exposé des arguments du défendeur, déposé le 29 août 2002

.      le recueil des précédents du défendeur, déposé le 29 mai 2003

Point en litige

[1]         La demanderesse soulève de nombreux doutes en ce qui concerne la décision de la Commission, mais ils peuvent tous être résumés succinctement ainsi :

1.          La décision de la Commission était-elle manifestement déraisonnable?


Analyse

[2]         Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que cette demande doit être rejetée.

[3]         Plusieurs des arguments de la demanderesse ne semblent pas s'appliquer à la présente affaire. Contrairement à ce qu'affirme la demanderesse, elle n'a pas témoigné de « cas de menaces systématiques et de harcèlement de la part des autorités et des citoyens » , ni n'a prouvé qu'elle craignait à juste titre d'être persécutée aux mains de fonctionnaires de l'État à cause de « ses plaintes de corruption » ; les motifs du refus ne semblent pas « se concentrer uniquement sur des aspects secondaires de la revendication, dans l'ignorance complète de l'ensemble de la preuve portant sur la persécution et les causes fondamentales de cette persécution » ; et la Commission n'a pas tiré une conclusion selon laquelle « l'État ne tolérait pas sciemment ni ne soutenait la persécution » .


[4]         Après le rejet de ces conclusions inopportunes, ce qui reste des conclusions de la demanderesse se résume à un argument qui met en doute les conclusions factuelles de la Commission et ses conclusions en matière de crédibilité. La norme de contrôle à appliquer à ces conclusions est la norme de la décision manifestement déraisonnable, ce qui veut dire que les conclusions doivent être autorisées par la preuve et ne doivent pas avoir été tirées d'une manière arbitraire ou abusive ni résulter de constatations erronées (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. n ° 732, au paragraphe 4 (C.A.) (QL); Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 300 (1re inst.) (QL)).

[5]         Selon la demanderesse, la Commission a ignoré la preuve lorsqu'elle a évalué la situation ayant cours en Ukraine, mais elle ne dit pas précisément quelle preuve la Commission a ignorée. Dans son affidavit, la demanderesse soutient que la Commission a ignoré les documents se rapportant à son changement de religion survenu en 1992, ainsi qu'à la discrimination qu'elle a connue par suite de ce changement. Il n'y a pas de documents du genre dans le dossier certifié du Tribunal ni dans le dossier de la demanderesse. À l'audience tenue devant la Commission, la demanderesse avait dit qu'elle n'avait pas apporté de lettres de son pasteur ou d'autres membres de son église en Ukraine parce qu'elle ne croyait pas que c'était nécessaire. Dans son affidavit, la demanderesse se réfère aussi à son témoignage relatif à l'incapacité de pratiquer la religion de son choix en Ukraine. La demanderesse met aussi en doute l'exactitude du document du Département d'État des États-Unis intitulé Annual Report on International Religious Freedom 2000 (le « Rapport annuel » ), dont il est fait état aux pages 45 à 54 du dossier certifié du Tribunal et qui est cité par la Commission dans sa décision.


[6]         L'examen de la preuve documentaire n'autorise pas les conclusions de la demanderesse. Au contraire, la preuve documentaire appuie clairement la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n'avait aucune raison de craindre la persécution en Ukraine du seul fait qu'elle pratiquait la religion pentecôtiste. De plus, la présente affaire peut être distinguée des circonstances de l'arrêt Okyere-Akosah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n ° 411 (C.A.) (QL). Dans cette affaire, la Commission n'avait pas mis en doute la crédibilité du demandeur et par conséquent était tenue d'expliquer en termes clairs et indubitables pourquoi elle préférait la preuve documentaire au témoignage crédible du demandeur. En l'espèce, la Commission était fondée à préférer la preuve documentaire au témoignage de la demanderesse, parce que selon elle le témoignage de la demanderesse posait un problème.

[7]         Par ailleurs, la demanderesse n'a produit aucune preuve contredisant le Rapport annuel ou autre preuve documentaire soumise à la Commission. Les quelques preuves que la demanderesse a produites (par exemple une lettre de Daniel Kalinovsky, pasteur de l'Église évangélique de tous les Slaves, en date du 2 avril 2002, qui confirmait qu'elle est membre de cette église, et un dossier médical et d'épicrise de son frère, Oleksandr Didyukh) ne réfutaient pas la preuve documentaire ni n'appuyaient sa revendication subjective.


[8]         À mon avis, le témoignage de la demanderesse durant l'audience n'appuie pas lui non plus son affirmation selon laquelle elle avait une crainte fondée de persécution en Ukraine en raison de sa religion. Son témoignage permet de penser qu'elle était exposée à une certaine discrimination en raison de ses croyances religieuses, mais il était loisible à la Commission de dire que ce traitement n'équivalait pas à persécution.

[9]         Par ailleurs, il y avait des omissions importantes dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse, en particulier la conversion de son frère, qui avait abandonné l'Église orthodoxe pour se joindre à l'Église pentecôtiste, et les agressions physiques dont la demanderesse elle-même avait été victime. À mon avis, la Commission était fondée à tirer une conclusion négative de l'absence de ces éléments de preuve, en particulier les agressions physiques, dans le FRP de la demanderesse (Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 1867 (1re inst.) (QL); Sahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 527, [2001] A.C.F. n ° 805 (QL)).


[10]       Finalement, la lenteur de la demanderesse à rechercher l'asile autorise elle aussi la décision de la Commission. La demanderesse avait attendu plus de trois ans pour revendiquer le statut de réfugié, et la Commission a estimé que cela faisait douter de la crainte subjective de persécution qu'entretenait la demanderesse. La Commission ne s'est pas satisfaite des explications données par la demanderesse pour justifier son retard à présenter une revendication plus tôt, et elle a jugé que ses décisions en la matière ne s'accordaient pas avec les décisions d'une personne qui craignait véritablement la persécution dans son pays d'origine. À mon avis, la Commission était fondée à tenir compte de la lenteur de la demanderesse à revendiquer le statut de réfugié lorsqu'elle s'est demandé si la demanderesse répondait à la définition de « réfugié au sens de la Convention » .

[11]       Par conséquent, un examen des pièces versées dans le dossier certifié du Tribunal, notamment de la preuve documentaire qui était devant la Commission, ainsi que du propre témoignage de la demanderesse, montre que la Commission était fondée à dire, au vu de la preuve, que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. En décidant ainsi, la Commission n'a pas agi d'une manière arbitraire ou abusive ni n'a ignoré les preuves qu'elle avait devant elle. La Cour ne se croit donc pas autorisée à modifier la décision de la Commission.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Les parties auront 10 jours à compter de la date de cette ordonnance pour proposer des questions à certifier, puis 5 jours pour répondre à la proposition.

                                                                                                                                       « Judith A. Snider »            

                                                                                                                                                                 Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           IMM-3266-02

INTITULÉ :                                                         NATALYA (NATALIA) DYDYUK

                                                                                                                                                  demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                               LE MERCREDI 4 JUIN 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                       MADAME LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                      LE LUNDI 9 JUIN 2003

COMPARUTIONS :

M. Yuri Gavris                                                                               pour la demanderesse

M. Tamrat Gebeyehu                                                                      pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Elena Levy                                                                              pour la demanderesse

Avocate

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

            Date : 20030609

Dossier : IMM-3266-02

ENTRE :

NATALYA (NATALIA) DYDYUK

                                                                                         

                                                                demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                        défendeur

                                                                                

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                


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