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                                                                                                                                 Date : 20030704

                                                                                                                    Dossier : IMM-4979-02

                                                                                                                  Référence : 2003 CF 832

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                     KWASI APPIAH DANQUAH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                Kwasi Danquah est un citoyen ghanéen, âgé de 32 ans, qui demande le contrôle judiciaire de la décision qu'a rendue le 24 septembre 2002 la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni « une personne à protéger » au sens des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, ch. 27, L.C. 2001, (la Loi).


Les faits

[2]                Le demandeur soutient qu'il est persécuté en raison de ses opinions politiques et qu'il craint que son oncle et des dirigeants du Congrès démocratique national (CDN), l'ancien parti au pouvoir au Ghana, le maltraitent.

[3]                Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur affirme qu'après avoir terminé ses études, il a travaillé pour deux sociétés appartenant à son oncle, M. Yaw Sarkodie. En 1996, le demandeur a été introduit dans le parti CDN par M. Sarkodie, et il en est devenu membre; il a ensuite été nommé secrétaire de la direction dans la circonscription Abeka Lapaz, Okaikwei-Nord.

[4]                Le 13 mai 2001, un ami du demandeur a appelé ce dernier pour l'avertir de mettre un terme aux activités qu'il exerçait pour le parti CDN. Cet ami était membre du CDN et avait été battu par ses propres collègues et en était resté handicapé. Le demandeur a alors décidé de se faire plus discret au sein du parti.

[5]                Un mois plus tard, le demandeur a déclaré à son oncle, M. Sarkodie, qu'il estimait devoir cesser ses activités politiques et se distancer du CDN. Il affirme que son oncle lui a demandé s'il voulait vivre ou mourir et s'il avait oublié qu'il avait fait le serment de préserver le secret.


[6]                Le 30 juin 2001, le demandeur a reçu un appel d'un ami qui l'informait que son oncle et quelques sbires du CDN projetaient de le tuer. Le soir même, le demandeur a été sévèrement agressé par, semble-t-il, des fiers-à-bras du CDN. Les agresseurs ont pris l'argent et les effets du demandeur et l'ont laissé saignant du nez et de la bouche.

[7]                Grâce à l'aide d'un « bon samaritain » , le demandeur s'est rendu au poste de police et a porté plainte. L'agent de service lui a demandé de revenir le lendemain en apportant un formulaire de rapport médical rempli. Le demandeur est retourné trois jours plus tard pour déposer le formulaire.

[8]                Le demandeur s'est réfugié auprès d'un autre oncle, M. John Owusu Afriyie. Le demandeur a déclaré qu'il a révélé à son oncle que M. Sarkodie avait organisé l'agression commise contre un député du Nouveau Parti patriotique (NPP). Il a également révélé que M. Sarkodie était un des instigateurs des actes de violence commis dans le stade d'Accra, qui avaient coûté la vie à 126 personnes.

[9]                L'oncle du demandeur l'a conduit chez un médecin qui l'a soigné. Le demandeur a ensuite quitté le Ghana pour se rendre au Canada, où il est arrivé le 9 juillet 2001.

Questions en litige

[10]            Les deux questions suivantes ont été débattues dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :


1.          La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a jugé que le demandeur n'avait pas démontré par des preuves convaincantes qu'il bénéficierait dans un délai raisonnable de la protection de l'État?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'avait pas démontré qu'il craignait avec raison d'être persécuté pour un motif mentionné par la Convention?

Norme de contrôle

[11]            Les questions ci-dessus soulèvent des questions de droit et de fait. La norme de contrôle applicable aux questions de fait et de droit est celle du caractère raisonnable simpliciter de la décision : Canada (Directeur des enquêtes et recherche) c. Southam Inc. [1997] 1 R.C.S. 748; Cihal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 577 (Q.L.); Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 809, [2002] A.C.F. n ° 1080 (QL).

Analyse

[12]            Les deux parties ont reconnu à l'audience que la principale question en litige ici était celle de la protection accordée par l'État. Je suis d'accord avec elles. En fait, j'estime que la question de la protection accordée par l'État joue un rôle déterminant dans cette demande et l'analyse à laquelle je procède dans les présents motifs va principalement porter sur cette question.


[13]            Les principes juridiques pertinents ont été résumés de façon succincte par le juge Dawson dans Adewumi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 258, [2002] A.C.F. n ° 337 (QL). Au paragraphe 10 de cette décision, elle a écrit ce qui suit au sujet de la protection accordée par l'État :

Les principes juridiques applicables sont les suivants :

i)              Sauf un effondrement complet de l'appareil étatique, l'existence d'une protection d'État est présumée. Un revendicateur doit donc produire une preuve manifeste et convaincante de l'incapacité de l'État à protéger ses citoyens. À titre d'exemple, un revendicateur pourrait témoigner de la situation analogue de personnes que l'État n'a pas pu ou n'a pas voulu protéger, ou témoigner d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée.

ii)             Lorsque l'État exerce une véritable autorité sur son territoire, qu'il a mis en place des instances militaires, policières et civiles et qu'il fait de réels efforts pour protéger ses citoyens, le simple fait qu'il n'y réussisse pas toujours ne suffira pas à établir que les victimes ne peuvent bénéficier d'une protection de l'État.

Voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, en particulier au paragraphe 57; Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.).

[14]            En l'espèce, la Commission a conclu que le demandeur s'était rendu dans un poste de police après avoir été agressé la nuit du 30 juin 2001 et qu'on lui avait remis un formulaire médical qu'il devait remplir et remettre le lendemain aux autorités.


[15]            La Commission a également conclu que l'exposé narratif contenu dans le FRP du demandeur n'indiquait nullement qu'il avait demandé à la police de le protéger ou qu'il soit retourné au poste de police avec le formulaire médical. Il a été démontré par la suite que cette dernière conclusion de la Commission était erronée. Le rapport du Service des enquêtes criminelles de la police du Ghana daté du 3 juillet 2001 montre que le demandeur est effectivement retourné au poste de police pour déposer une plainte et un rapport médical.

[16]            Le demandeur soutient que la Commission n'a pas tenu compte de ces preuves et qu'elle a par conséquent commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur ne s'était pas acquitté du fardeau de réfuter la présomption selon laquelle l'État était en mesure de protéger ses citoyens.

[17]            Le défendeur concède que la Commission n'a pas pleinement tenu compte des faits mentionnés dans le rapport de police. Cependant, l'intimé soutient que le rapport de police mentionné ci-dessus montre que la police a véritablement fait enquête sur l'incident mais qu'elle n'a pas été en mesure de procéder à une arrestation à cette époque parce que le demandeur n'a pas été en mesure d'identifier ses agresseurs. Le défendeur soutient que le rapport tend à montrer que les services policiers de ce pays étaient opérationnels.

[18]            Le défendeur soutient également que, malgré l'erreur de fait notée ci-dessus, la Commission n'a pas commis une erreur portant sur un fait pertinent lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption relative à la protection accordée par l'État. Le défendeur cite l'arrêt Smirnov c. Canada (Secrétaire d'État), [1995] 1 C.F. 780, [1994] A.C.F. n ° 1922 (QL), dans lequel le juge Gibson a déclaré au paragraphe 11 :


Il est également difficile premièrement d'enquêter efficacement sur des agressions commises au hasard, comme celles subies par les requérants, où les agresseurs ne sont pas connus de la victime et dont aucun tiers n'a été témoin et deuxièmement de protéger efficacement la victime contre ses agresseurs. Dans de tels cas, même la police la plus efficace, la mieux équipée et la plus motivée aura de la difficulté à fournir une protection efficace.

[19]            Le défendeur se fonde également sur l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. n ° 1189 (QL), dans lequel le juge Huguessen (tel était alors son titre) a déclaré :

Il n'est pas facile de se décharger de l'obligation de prouver qu'on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement (ce n'est pas clairement le cas ici) ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder.

[20]            Le défendeur soutient que même si l'on accepte que le demandeur s'est effectivement adressé à la police et déposé un rapport, les preuves ne montrent pas que la police ait refusé de protéger le demandeur ou n'ait pas été en mesure de le faire.

[21]            J'estime que les conclusions auxquelles en est arrivée la Commission sur la question de savoir si le demandeur a donné suite à sa visite au service de police en apportant un formulaire médical rempli ne constituait pas une erreur portant sur un fait essentiel. La jurisprudence citée ci-dessus montre que le demandeur doit démontrer de façon objective que la police a été empêchée de le protéger ou qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement. J'estime que le demandeur n'y est pas parvenu et par conséquent, qu'il ne s'est pas acquitté du fardeau de démontrer qu'il n'a pas été en mesure d'obtenir la protection de son État.


[22]            Le rapport du service de police du Ghana montre que le demandeur n'était pas en mesure d'identifier ses agresseurs et que c'est pour cette raison que la police n'a effectué aucune arrestation. Le rapport mentionne également que l'enquête est toujours en cours et que les policiers ont demandé au demandeur de leur communiquer tout élément nouveau. Il n'existe donc aucun élément montrant que la police a refusé de faire enquête sur la plainte déposée par le demandeur. En fait, les preuves montrent que les policiers ont remis au demandeur un formulaire médical et lui ont demandé de revenir les voir pour qu'ils puissent poursuivre leur enquête.

[23]            L'argument principal du demandeur est que la police n'a pas été en mesure de le protéger. Pour appuyer son affirmation, il a cité de nombreux rapports et articles de journaux faisant état des difficultés au sein des services de police du Ghana. Le demandeur soutient que la preuve documentaire montre que le gouvernement NPP ne contrôle pas vraiment les services de police ou de sécurité et que, par conséquent, il ne peut protéger les particuliers contre les agressions commises par les membres du CDN. Il cite des exemples de meurtres extrajudiciaires, comme l'assassinat du porte-parole principal du gouvernement et soutient que le gouvernement craint gravement pour sa propre sécurité à cause de la présence de partisans de l'ancien gouvernement dans les services de sécurité.


[24]            Je suis convaincu que la Commission pouvait raisonnablement conclure comme elle l'a fait sur la question de protection assurée par l'État. La preuve documentaire montre que la constitution du Ghana garantit aux Ghanéens le droit de s'affilier au parti politique de leur choix. En outre, si la preuve documentaire fait état de cas de corruption des services de police, de cas de détention illégale et d'usage d'une force excessive par les policiers, l'État a publiquement reconnu ces problèmes et a tenté en 1999 et 2001 d'apporter des réformes pour y remédier.

[25]            L'avocat du demandeur a fait état de rapports indiquant que des chefs politiques ont été agressés et que la police est corrompue et trop zélée, mais je suis convaincu que ces éléments ne concernent pas la situation du demandeur. Le demandeur est un membre ordinaire du CDN qui est poursuivi par les membres de son propre parti, notamment par son oncle, parce qu'il a quitté le parti et aurait divulgué des secrets concernant le parti. Ce n'est pas un membre de la direction du CDN, ni un ancien chef politique qui vise à déstabiliser le régime actuel.

[26]            La Commission a jugé que le demandeur n'avait pas clairement démontré que les autorités du Ghana refusaient ou étaient incapables d'assurer sa protection. La Commission a également jugé qu'elle ne pensait pas que les preuves montraient que le gouvernement NPP avait des raisons de refuser de protéger une personne qui souhaitait quitter un parti politique adverse. D'après la preuve, je conclus que la Commission pouvait raisonnablement en arriver à cette conclusion.

[27]            La Commission n'était pas tenue de commenter tous les éléments de preuve dans sa décision. Je suis convaincu que la Commission a tenu compte de la preuve documentaire qui lui a été présentée. Par conséquent, je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a jugé que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption de la protection de l'État.


[28]            En plus d'avoir conclu que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l'État, la Commission a jugé qu'il n'avait pas démontré que sa crainte était reliée à un motif prévu par la Convention. La Commission a admis le fait que le demandeur était membre du CDN mais n'a pas constaté l'existence d'un lien, étant donné que le demandeur n'avait pas exprimé des « opinions politiques virulentes _ au sujet des événements s'étant produits au Ghana. J'estime que l'interprétation qu'a faite la Commission du motif des « opinions politiques » mentionnée par la Convention est peut-être trop étroite. Néanmoins, étant donné la conclusion déterminante à laquelle je suis arrivé au sujet du caractère raisonnable de la conclusion de la Commission au sujet de la protection assurée par l'État, il n'est pas nécessaire de commenter davantage la conclusion de la Commission concernant l'existence d'un lien avec un motif mentionné par la Convention.

[29]            Cet aspect n'a pas été débattu à l'audience mais le demandeur soutient également dans son mémoire de fait et du droit que la Commission a violé les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, annexe B, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (R.-U.) ch. 11, (la Charte) en ne respectant pas son obligation de ne pas déporter le demandeur au Ghana, pays où il risque d'être torturé.


[30]            Le défendeur soutient que cet argument est présenté de façon prématurée et ne vise pas le décideur compétent, étant donné que la Commission n'a pas prononcé une mesure de renvoi ou d'expulsion contre le demandeur mais s'est uniquement prononcée sur le statut du demandeur de réfugié au sens de la Convention ou de « personne à protéger » . Dans Kofitse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1168 (QL), le juge Pinard a jugé que les arguments fondés sur la Charte contre son expulsion présentés par le demandeur dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision lui refusant le statut de réfugié étaient prématurés étant donné que « la décision en cause n'en est pas à l'étape finale de l'expulsion, mais qu'elle est limitée à la conclusion selon laquelle la défenderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention (Barrera c. Canada (M.E.I.), [1993] 2 C.F. 3 (C.A.F.) » .

[31]            J'estime que, conformément à l'arrêt Kofitse, précité, les arguments du demandeur fondés sur la Charte, qui ont été soulevés dans cette instance, sont mal fondés. La décision attaquée portait que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention et les arguments présentés dans le cadre du contrôle judiciaire doivent porter sur le bien-fondé de cette décision.

[32]            Pour les motifs ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[33]            Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale, comme l'envisage l'alinéa 74d) de la Loi, et ne l'ont pas fait. Je ne me propose pas de certifier une question grave de portée générale.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision de la section de protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 24 septembre 2002 est rejetée.

2.         Aucune question de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »           

                                                                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-4979-02

INTITULÉ :                                       Kwasi Appiah Danquah c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 27 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                     le 4 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Me Stewart Istvanffy                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Me Caroline Cloutier                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stewart Istvanffy                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec)


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