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Date : 20020709

Dossier : IMM-2695-01

Référence neutre : 2002 CFPI 763

Ottawa (Ontario), le mardi 9 juillet 2002

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson

E N T R E :

                                                              VERNA ROBERTSON

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     demandeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Mme Robertson, la demanderesse, n'a établi l'existence d'aucune erreur sujette à révision dans la décision d'un agent d'immigration de ne pas lui accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense de l'obligation d'obtenir un visa d'immigrant avant d'arriver au Canada.

  

[2]                 Il s'agit de savoir si l'agent d'immigration a été réceptif, attentif et sensible aux intérêts du fils né au Canada de Mme Robertson, Shawn. Lors de la décision de l'agent, Shawn venait d'avoir deux ans et demi.

[3]                 Les arguments exposés à l'agent d'immigration au soutien de la demande fondée sur des considérations humanitaires, dans la mesure où ils concernaient les intérêts de Shawn, étaient clairsemés et ils étaient formulés ainsi :

[Traduction] Sur la question de l'intérêt de l'enfant né au Canada : On ne peut minimiser le préjudice irréparable possible que le fils canadien de Mme Robertson subirait, si cette demande devait être refusée et si Mme Robertson devait être renvoyée du Canada. Pour l'examen de cet argument, on doit considérer les options qui s'offrent à la mère.

Ces options sont les suivantes : 1) Confier l'enfant canadien à un tuteur; et 2) Emmener l'enfant avec elle lorsqu'elle sera renvoyée du Canada

Option 1 :Shawn n'a pas au Canada de parents par le sang qui puissent devenir ses tuteurs. Son père l'a totalement abandonné. On pourrait sans aucun doute affirmer qu'il peut trouver un résident canadien ou un résident permanent pour se charger de sa tutelle. Mais à quel prix pour sa stabilité affective? Cela voudrait dire l'amputation permanente de sa relation avec sa mère. Les conséquences pourraient être très durables. Un prix aussi élevé est trop demander à un jeune enfant pour l'acquisition de ses droits.

Option 2 :Si, comme l'on peut s'y attendre, la mère choisit d'emmener l'enfant avec elle au moment de son renvoi, l'intérêt de l'enfant risque d'être préjudicié fortement. Pour l'avenir prévisible, il ne profitera pas de son statut de Canadien. Durant son enfance et son adolescence, il ne bénéficiera pas de soins médicaux de grande qualité, d'un haut niveau d'enseignement et de tous les avantages qui sont accessibles en général aux citoyens canadiens. Il ne fait aucun doute que, dans ce scénario, lorsque Shawn deviendra adulte et sera prêt à prendre la place qui lui revient dans la société canadienne, il débutera avec un handicap.

[4]                 L'option deux parlait des conséquences pour Shawn pour le cas où il retournerait avec sa mère vers La Grenade. Aucun témoignage n'y est mentionné, et aucun argument n'a été avancé devant l'agent d'immigration sur la qualité des soins médicaux et le niveau d'éducation que Shawn recevrait probablement à La Grenade.

[5]                 Après avoir reproduit mot pour mot l'argument avancé à propos de l'intérêt de Shawn, l'agent d'immigration a écrit ce qui suit :

[Traduction] Je suis convaincu que l'option (1) ne serait pas dans l'intérêt supérieur de l'enfant pour ce qui concerne sa relation avec sa mère. Quant à l'option (2), exposée par l'avocat, selon laquelle l'enfant canadien de la demanderesse débuterait avec un handicap à son retour au Canada, j'ai accordé beaucoup de poids et de sensibilité à ses droits de citoyen canadien, droits qui ne lui seraient jamais enlevés.

[...]

J'ai pris en considération tous les éléments et les faits de cette affaire, en particulier l'intérêt supérieur de l'enfant, ainsi que l'établissement de Mme Robertson, et, compte tenu de tout ce qui précède et eu égard à toutes les possibilités offertes, je ne suis pas convaincu que, tels que les a avancés l'avocat, ces deux facteurs soient suffisants pour justifier une dispense des conditions du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, et la demande est donc refusée.

[6]                 Dans l'arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125; [2002] A.C.F. no 457, la Cour d'appel fédérale a récemment examiné l'application des arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et dans l'affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, au regard de l'obligation du ministre de tenir compte de l'intérêt supérieur d'un enfant lorsqu'il examine une demande fondée sur des considérations humanitaires. La Cour s'est exprimée ainsi, au paragraphe 12 :

Bref, l'agent d'immigration doit se montrer « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, par. 75), mais une fois qu'il l'a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu'à son avis il mérite dans les circonstances de l'espèce. La présence d'enfants, contrairement à ce qu'a conclu le juge Nadon, n'appelle pas un certain résultat. Ce n'est pas parce que l'intérêt des enfants voudra qu'un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n'a pas voulu, à ce jour, que la présence d'enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d'un parent se trouvant illégalement au pays. [non souligné dans le texte]

  

[7]                 Puis la Cour a précisé que la simple mention d'un enfant ne suffit pas, mais que l'intérêt de l'enfant est un facteur qu'il convient d'examiner avec soin et d'apprécier en même temps que d'autres facteurs pertinents.

[8]                 Je suis convaincue que, en l'espèce, l'agent a fait davantage que simplement mentionner Shawn. La décision de l'agent montre qu'il a considéré et défini l'intérêt de Shawn au regard de l'argument exposé à l'agent.

[9]                 L'agent a tenu compte de l'option d'après laquelle Shawn demeurerait au Canada, ainsi que des conséquences que cela aurait pour lui. Les propos de l'agent selon lesquels les droits de Shawn, en tant que citoyen canadien, ne lui seraient pas enlevés répondaient à l'argument de la demanderesse pour qui Shawn ne bénéficierait pas de son statut de Canadien.

[10]            Le seul argument avancé au nom de Shawn concernant l'effet qu'aurait sur lui l'obligation pour sa mère de demander un visa d'immigrant depuis l'étranger était que Shawn ne serait pas en mesure de bénéficier de son statut de citoyen canadien pendant un avenir prévisible et que, à son retour au Canada, il commencerait avec un handicap. L'agent a examiné et mesuré cet argument. En l'absence d'un argument ou d'une preuve concernant l'effet prévu sur Shawn d'un renvoi vers La Grenade, je ne crois pas que la décision de l'agent d'obliger Mme Robertson à demander un visa d'immigrant selon la procédure normale était déraisonnable ou manifestement erronée.

[11]            En bref, l'argument soumis à l'agent d'immigration était qu'il était conforme à l'intérêt supérieur de Shawn qu'il reste au Canada avec sa mère. Conclure que la décision de l'agent d'immigration était déraisonnable au vu de la preuve et au vu des arguments soumis à l'agent équivaudrait à conclure que le ministre était tenu d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de Mme Robertson uniquement parce que l'intérêt de Shawn militait en faveur du maintien de sa mère au Canada. Dans l'arrêt Legault, la Cour d'appel a bien souligné que l'arrêt Baker ne posait pas pour principe que l'intérêt des enfants devrait prévaloir.

[12]            Finalement, on a énergiquement soutenu, au nom de Mme Robertson, que l'agent aurait dû se renseigner davantage à propos de Shawn. On a dit par exemple que l'agent aurait dû demander ce qui avait été fait pour que le père de Shawn subvienne à ses besoins ou si quelqu'un pouvait assumer la tutelle de Shawn au Canada pendant que sa mère présentait sa demande. Cependant, à mon avis, cet argument ignore la règle selon laquelle c'est le requérant qui doit convaincre l'agent d'immigration que, vu la situation du requérant, la difficulté de demander depuis l'étranger un visa d'immigrant serait inhabituelle, injuste ou indue.

[13]            La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[14]            Les avocats n'ont pas demandé qu'une question soit certifiée.

   

                                                                     ORDONNANCE

[15]            LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  

          « Eleanor R. Dawson »          

Juge

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                            IMM-2695-01

  

INTITULÉ :                                           VERNA ROBERTSON    c. MCI

  

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 18 juin 2002

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                        le 9 juillet 2002

COMPARUTIONS :

M. Leroy A. Crosse                                                                       pour la demanderesse

M. Marcel Larouche                                                                       pour le défendeur

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mr. Leroy A. Crosse                                                                      pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

   

M. Morris Rosenberg                                                                     pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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