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Date : 20030210

Dossier : IMM-2548-02

Référence neutre : 2003 CFPI 142

Toronto (Ontario), le lundi 10 février 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                       ABDULAHI MOHAMED ABDI

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

        M. Abdulahi Mohamed Abdi (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par l'agent des visas Gary Hawkes (l'agent des visas) en date du 17 avril 2002. Par sa décision, l'agent des visas a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur.

[2]                 Le demandeur est un citoyen somalien et un membre de la tribu rahanwein. Il a vécu à Mogadiscio, en Somalie, jusqu'au moment où, en 1996, il s'est enfui en Éthiopie où il vit actuellement.

[3]                 La Rahanwein Resistance Army (RRA) contrôle la région où le demandeur a vécu. Le demandeur prétend qu'il n'a jamais été membre de la RRA.

[4]                 Le demandeur prétend que son père était un capitaine en second dans l'armée durant le régime de Siyad Barre qui a pris le pouvoir en Somalie en 1969. Le demandeur avait alors deux ans. Il prétend qu'il n'a jamais occupé un poste officiel dans le régime de Siyad Barre qui a été renversé en 1991.

[5]                 La demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur, en tant que réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller, a fait l'objet d'un parrainage par des groupes répondants du secteur privé de la paroisse Saint-Boniface, à Calgary, en Alberta. Sa demande de résidence permanente a été reçue au Haut-commissariat du Canada à Nairobi, au Kenya, le 15 septembre 1998.


[6]                 Le demandeur a été reçu en entrevue par l'agente des visas Linda Bowler le 10 mars 1999. Les notes de l'agente des visas prises au cours de l'entrevue sont comprises dans le dossier du tribunal et ont été consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) le 24 mars 1999. L'agente des visas a, le 13 août 1999, consigné d'autres notes à l'égard de l'entrevue du mois de mars. Les notes manuscrites, bien qu'elles soient difficiles à lire, semblent appuyer l'affirmation à cet égard.

[7]                 Le demandeur a été convoqué à une deuxième entrevue qui a eu lieu à Addis-Abeba, en Éthiopie, le 26 janvier 2000. Cette entrevue a été tenue par un agent de liaison en matière de sécurité (ALS). Les notes prises lors de cette entrevue ont été perdues.

[8]                 Les notes du STIDI mentionnent qu'un ALS [TRADUCTION] « prévoyait » recevoir à nouveau le demandeur en entrevue à Addis-Abeba en mars 2002. Le demandeur dit qu'il n'a jamais reçu de lettre l'informant de cette autre entrevue et qu'il ne s'est pas présenté à l'entrevue du 31 mars 2002. Le dossier du tribunal ne comporte aucune copie d'une lettre envoyée au demandeur pour l'informer d'une entrevue devant être tenue le 31 mars 2002. L'agent des visas, dans l'affidavit déposé dans la présente instance, ne déclare pas qu'une lettre a été envoyée au demandeur.

[9]                 Par une lettre datée du 17 avril 2002, l'agent des visas a refusé la demande présentée par le demandeur en se fondant sur l'alinéa 19(1)l) et sur le sous-alinéa 19(1)f)(iii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et modifications (la Loi). Après avoir fait référence à ces dispositions de la Loi et en avoir cité des extraits, l'agent des visas a écrit ce qui suit :


[TRADUCTION]

Au cours de votre entrevue du 10 mars 1999, vous avez déclaré que vous étiez dans la Rahanwein Resistant Army et que votre père était un capitaine dans l'armée durant le régime de Siyad Barre.

Nous avions prévu vous rencontrer le 31 mars 2002 pour une entrevue afin que vous puissiez expliquer plus en détail votre situation, mais vous ne vous êtes pas présenté à cette entrevue.

Votre demande a été refusée parce que je ne suis pas convaincu que vous n'appartenez pas à une catégorie non admissible au Canada suivant les alinéas 19(1)l) et 19(1)f) de la Loi sur l'immigration de 1976; vous appartenez à une catégorie non admissible suivant l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration de 1976.

[10]            Lors de l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, le défendeur a reconnu, publiquement et dans ses observations écrites, que la conclusion à l'égard de la non-admissibilité sur le fondement de l'alinéa 19(1)l) de la Loi était erronée. Le défendeur déclare, dans les observations écrites qu'il a soumises, au paragraphe 14, ce qui suit :

[TRADUCTION]

Le défendeur reconnaît que l'agent des visas n'avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour conclure que le demandeur était une personne décrite à l'alinéa 19(1)l) de la Loi sur l'immigration. L'autre question est celle de savoir si l'erreur était déterminante dans la décision étant donné que l'agent des visas a en outre conclu que le demandeur était une personne qui appartenait à une catégorie non admissible suivant le sous-alinéa 19(1)f)(iii) de la Loi sur l'immigration.


[11]            Le demandeur prétend que la décision de l'agent des visas devrait être annulée parce qu'elle a été prise en violation de son droit d'obtenir l'équité procédurale étant donné qu'il n'a pas été informé de la tenue de l'entrevue du 31 mars 2002 ou qu'il n'a pas eu la possibilité de répondre aux doutes de l'agent des visas et parce que, en outre, la conclusion selon laquelle il appartenait à une catégorie non admissible suivant le sous-alinéa 19(1)f)(iii) de la Loi constitue une erreur de droit.

[12]            Le défendeur prétend qu'il appartient au demandeur de démontrer qu'il satisfait aux critères de la Loi et du Règlement sur l'immigration de 1978 pour être admis au Canada. Le défendeur affirme que ce fardeau de preuve exige que le demandeur, entre autres, informe le défendeur de tous ses changements d'adresse. Le défendeur affirme que le Haut-commissariat a utilisé l'adresse la plus récente dont il disposait pour joindre le demandeur.

[13]            De plus, le défendeur prétend dans ses observations écrites que le demandeur a été reçu en entrevue une première fois et que l'absence d'une autre entrevue ne l'a pas privé du droit à une audition équitable. Finalement, le défendeur prétend, se fondant en l'espèce sur l'arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 843, qu'un agent des visas n'a pas l'obligation de recevoir en entrevue un immigrant éventuel.

[14]            Le défendeur prétend qu'il n'existe pas d'erreur de droit qui découle de la conclusion de l'agent des visas selon laquelle le demandeur appartenait à une catégorie non admissible suivant le sous-alinéa 19(1)f)(iii) de la Loi. Il affirme que les notes manuscrites prises par l'agente des visas Linda Bowler au cours de l'entrevue du 10 mars 1999 mentionnent que le demandeur était membre de la RRA.


[15]            Le défendeur renvoie à la page 11 du dossier du tribunal dans laquelle on retrouve la phrase suivante : [TRADUCTION] « Il s'est enfui alors et a fondé la RRA - Rahanwein Resistance Army » . Le défendeur affirme que cette phrase démontre que le demandeur avait déclaré être membre de la RRA.

[16]            Le défendeur prétend en outre que l'agent des visas déclare clairement dans son affidavit qu'il a fondé sa décision sur les notes de Linda Bowler et sur le fait que l'ALS avait tenu une entrevue et préparé un rapport. L'agent des visas, selon le défendeur, n'a pas fondé sa décision sur l'hypothèse selon laquelle le rapport de sécurité qui était manquant contenait probablement des renseignements qui confirmeraient que le demandeur appartenait à une catégorie non admissible.

[17]            Se fondant sur les décisions Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.), et Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 195 F.T.R. 69, le défendeur prétend que l'agent des visas avait une croyance légitime, fondée sur des éléments de preuve dignes de foi, qu'il existait une possibilité sérieuse que le demandeur ait été membre de la RRA. Par conséquent, la conclusion qu'il a tirée selon laquelle le demandeur appartenait à une catégorie non admissible, suivant le sous-alinéa 19(1)f)(iii), n'était pas une conclusion manifestement déraisonnable.

[18]            L'article 8 et le sous-alinéa 19(1)f)(iii) sont pertinents en l'espèce et sont rédigés comme suit :


8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.

(2) Quiconque cherche à entrer au Canada est présumé être immigrant tant qu'il n'a pas convaincu du contraire l'agent d'immigration qui l'interroge ou l'arbitre qui mène l'enquête.

(2) Every person seeking to come into Canada shall be presumed to be an immigrant until that person satisfies the immigration officer examining him or the adjudicator presiding at his inquiry that he is not an immigrant.

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[...]

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

. . .

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles :

[...]

f) persons who there are reasonable grounds to believe

. . .

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée :

(iii) are or were members of an organization that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in

(A) soit à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques, au sens où cette expression s'entend au Canada,

(A) acts of espionage or subversion against democratic government, institutions or processes, as they are understood in Canada, or

(B) soit à des actes de terrorisme,

le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

(B) terrorism,

except persons who have satisfied the Minister that their admission would not be detrimental to the national interest;



[19]            Le demandeur prétend que l'agent des visas a violé l'obligation d'équité lorsqu'il a fondé son refus sur l'omission du demandeur de s'être présenté à une autre entrevue alors qu'il n'existait pas de preuve dans le dossier du tribunal qu'un avis d'entrevue avait été envoyé au demandeur.

[20]            La prétention du demandeur est bien fondée. Comme l'a mentionné la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, le concept d'équité procédurale est variable et son contenu doit être évalué selon le contexte de chaque cas.

[21]            À mon avis, il y a une violation de l'équité procédurale lorsqu'un agent des visas fonde un refus à l'égard d'une demande de résidence permanente au Canada sur l'omission du demandeur de s'être présenté à une entrevue alors qu'il n'existe pas de preuve démontrant qu'un avis d'entrevue avait été envoyé au demandeur. Cette conclusion est compatible avec la jurisprudence reconnue selon laquelle il n'est pas toujours indispensable que les immigrants éventuels aient une audience et selon laquelle une occasion valable de participer au processus de décision peut avoir lieu de différentes façons (voir à cet égard l'arrêt Baker, précité, aux paragraphes 30 à 34, et l'arrêt Chow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 17 Imm. L.R. (3d) 235 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 12).


[22]            Cette conclusion est suffisante pour accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Cependant, il existe en l'espèce une erreur plus grave qui nécessite des commentaires. Cette erreur est la conclusion de l'agent des visas selon laquelle le demandeur appartenait à une catégorie non admissible suivant le sous-alinéa 19(1)f(iii) de la Loi.

[23]            Selon le défendeur, cette conclusion est raisonnablement fondée sur la preuve, notamment sur une portion des notes manuscrites de l'agente des visas, Linda Bowler, consignées au cours de l'entrevue du 10 mars 1999. La phrase suivante a précédemment été citée, mais peut être reprise en y ajoutant le reste du paragraphe qui est rédigé comme suit :

[TRADUCTION]

Avant 1996, les combats n'avaient lieu qu'entre les tribus. Idid - un chef de guerre - a pris le contrôle de la région de Baidoa en novembre 1995. Il s'est enfui alors et a fondé la RRA - Rahanwein Resistant Army. Sa tribu est celle des Rahanwein - RRA - Alamathy à Mogadiscio (ligne verte - nord). Il n'est pas membre de la RRA. Il s'est enfui parce qu'il ne voulait pas être membre de la RRA et ne voulait pas se battre.

[24]            Les notes consignées au STIDI à l'égard de l'entrevue du 10 mars 1999 ne sont pas tout à fait identiques parce qu'elles ont été consignées deux semaines plus tard, le 24 mars 1999. Les notes du STIDI sont rédigées comme suit :

[TRADUCTION]

RC3 - REÇU EN ENTREVUE LE 10 MARS 1999 (VOIR LES NOTES DE CAS AU DOSSIER). ÉTAIT EN SOMALIE JUSQU'EN 1996. CÉLIBATAIRE, PAS D'ENFANTS. IL ÉTAIT À MOGADISCIO JUSQU'EN 1996. DÉCLARE QU'IL VIVAIT DANS LA PARTIE NORD DE MOGADISCIO - IL Y A UNE LIGNE VERTE DANS LA VILLE - IL ÉTAIT DU CÔTÉ D'ALAMATHY - LA RRA. IL ÉTAIT OBLIGÉ DE S'ENTRAÎNER À SE BATTRE POUR LA RRA ET C'EST POURQUOI IL S'EST ENFUI - IL CRAIGNAIT D'ÊTRE TUÉ S'IL DÉCIDAIT DE NE PAS SE BATTRE. IL A DÉCLARÉ QUE JUSQU'À RÉCEMMENT LA SITUATION ÉTAIT NORMALE, MAIS QU' « IDID » ET LES CHEFS DE GUERRE PRENNENT LE CONTRÔLE DE NOMBREUSES RÉGIONS DE SOMALIE ET LES INDIVIDUS SONT FORCÉS DE SUIVRE LES ORDRES, DE DONNER LEURS TERRES, ETC. CEUX QUI N'APPUIENT PAS « IDID » SERONT TUÉS.


[25]            D'autres notes ont été consignées par Mme Bowler, le 13 août 1999, à la suite d'une discussion au sujet du dossier du demandeur. Ces notes sont rédigées comme suit :

[TRADUCTION]

SUR LE FONDEMENT DES RENSEIGNEMENTS CONTENUS AU DOSSIER ET OBTENUS LORS DE L'ENTREVUE - DISCUTÉS AVEC L'ALS - IL EST NÉCESSAIRE QUE L'ALS FASSE UNE ENTREVUE. MEMBRE DE LA TRIBU RAHANWEIN - A DÉCLARÉ UNE FOIS QU'IL ÉTAIT MEMBRE DE LA RRA (RAHANWEIN RESISTANT ARMY), MAIS A PAR LA SUITE DÉCLARÉ QU'IL NE L'ÉTAIT PAS - IL EST CEPENDANT RESTÉ À MOGADISCIO JUSQU'EN 1996. SON PÈRE FAISAIT PARTIE DU RÉGIME DE SIYAD BARRE, ALORS ILS SONT RESTÉS. LE PÈRE EST DÉCÉDÉ EN 1994. LE PÈRE ÉTAIT UN CAPITAINE DANS L'ARMÉE DANS LE NORD DE MOGADISCIO DURANT LE RÉGIME DE SIYAD BARRE. IL PENSAIT QU'IL POUVAIT RESTER ÉTANT DONNÉ QU'IL N'ÉTAIT PAS MEMBRE DE LA TRIBU DAROD OU UN INDÉSIRABLE - IL A CEPENDANT QUITTÉ LE PAYS EN 1996 ÉTANT DONNÉ QUE CELA DEVENAIT PLUS DANGEREUX. JE SUIS D'AVIS QU'IL A PARTICIPÉ PLUS AUX ACTIVITÉS QUE CE QU'IL A DÉCLARÉ - NOTAMMENT COMPTE TENU DU POSTE QU'OCCUPAIT LE PÈRE DANS LE RÉGIME DE SIYAD BARRE DE MÊME QUE LE FAIT QU'IL SOIT RESTÉ À MOGADISCIO AVEC LA RRA. IL DÉCLARE QU'IL N'A JAMAIS COMBATTU PAS PLUS QU'IL N'EST INTÉRESSÉ À COMBATTRE LES CHEFS DE GUERRE QUI SONT MAINTENANT AU POUVOIR EN SOMALIE. IL DÉCLARE QU'IL EST UN HOMME PACIFIQUE. IL AFFIRME QU'IL NE CONNAÎT PAS LE FRONT NATIONAL SOMALIEN (FNS).

[26]            Les notes contenues au paragraphe qui précède ne mentionnent pas que le demandeur était un fondateur de la RRA. Elles mentionnent simplement qu'il avait pu en être membre pendant un certain temps jusqu'au moment où il s'est enfui. Cependant, les notes contiennent une supposition par l'agente des visas, Linda Bowler, soit : [TRADUCTION] « je suis d'avis qu'il a participé plus aux activités que ce qu'il a déclaré » .


[27]            Il n'est pas approprié pour le défendeur de se fonder sur les notes consignées par l'agente des visas Bowler le 10 mars 1999. Le pronom « il » semble renvoyer à « Idid » , un chef de guerre, et non au demandeur. L'interprétation adoptée par le défendeur est trompeuse étant donné qu'il existe plus d'une façon d'interpréter les notes. La phrase précédemment mentionnée, qui peut raisonnablement être interprétée d'une autre façon, semble fournir à l'agent des visas un fondement à la supposition selon laquelle le demandeur en savait plus à l'égard de la RRA que ce qu'il a déclaré.

[28]            Le demandeur et le défendeur s'appuient tous deux sur la décision Chiau, précitée, pour établir le critère à l'égard de la norme de preuve requise dans les cas où une conclusion est tirée quant à la non-admissibilité suivant le paragraphe 19(1) de la Loi. Dans la décision Chiau, précitée, la Cour a déclaré au paragraphe 27 :

La norme de la preuve par croyance fondée sur des « motifs raisonnables » exige davantage que de vagues soupçons, mais est moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile. Cf. Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); et Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.). Et bien entendu, elle est bien inférieure à celle de la preuve « hors de tout doute raisonnable » requise en matière criminelle. Il s'agit de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi.

[29]            La définition de « motifs raisonnables » a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.).


[30]            À mon avis, l'agent des visas qui a refusé la demande présentée par le demandeur a commis une erreur lorsqu'il a conclu que la preuve soumise satisfaisait au critère. En fait, la preuve dont disposait l'agent des visas était loin d'atteindre le niveau d'une « croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » . À mon avis, il n'existait pas de preuve digne de foi qui appuyait la conclusion tirée par l'agent des visas. Il est peu probable que l'agent des visas croyait légitimement, selon la preuve dont il disposait, qu'il existait une possibilité sérieuse que le demandeur ait été membre de la RRA.

[31]            À mon avis, le demandeur n'a pas été traité correctement. Il a été reçu deux fois en entrevue entre 1999 et 2000. Les notes de la deuxième entrevue ont été perdues par l'ALS. Le dossier donne raisonnablement à penser que la troisième entrevue avait été prévue afin de compenser la perte des notes, mais rien au dossier ne démontre que le demandeur a effectivement été convoqué à une troisième entrevue. L'agent des visas a par la suite fondé sa conclusion à l'égard de la non-admissibilité, en partie, sur l'omission du demandeur de s'être présenté à cette troisième entrevue.

[32]            En outre, la conclusion à l'égard de la non-admissibilité était fondée sur le fait qu'un rapport avait été préparé par l'ALS, mais l'agent des visas n'avait jamais pris connaissance du contenu de ce rapport. Le déroulement de ces événements et la supposition précédemment mentionnée reflètent une absence de diligence et de vérification auxquelles on doit s'attendre de la part des décideurs administratifs, notamment lorsqu'ils traitent le dossier d'un demandeur pour lequel la décision revêt une grande importance.

[33]            Ces facteurs sembleraient être des « raisons spéciales » , suivant l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/2002-232, qui justifieraient l'adjudication des dépens si une demande à cet égard avait été présentée. Cependant, le demandeur n'a pas sollicité des dépens et des dépens ne seront pas adjugés.

[34]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire conformément à la loi et aux présents motifs. Les avocats ont informé la Cour qu'aucune question n'est soulevée aux fins de la certification.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire conformément à la loi et aux présents motifs. Il n'y a pas de question soulevée aux fins de la certification.

                                                                                       « E. Heneghan »             

                                                                                                             Juge                      

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-2548-02

INTITULÉ :                                           ABDULAH MOHAMED ABDI

                                                                                                  demandeur

- et -

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE JEUDI 7 NOVEMBRE 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                        LE LUNDI 10 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :

Stephen G. Jenuth                                                                           Pour le demandeur

Brad Hardstaff                                                                  Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ho MacNeil Jenuth                                                                         Pour le demandeur

Avocats

2819 Centre Street N.W.

Calgary (Alberta)

T2E 2V7

Morris A. Rosenberg, c.r.                                                              Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20030210

Dossier : IMM-2548-02

ENTRE :

ABDULAHI MOHAMED ABDI

                                             demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                             

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