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Date : 20031218

Dossier : IMM-69-03

Référence : 2003 CF 1339

Toronto (Ontario), le 18 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN                          

ENTRE :

                                                    SANDRA TOSCANO FIGUEROA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                       MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE MODIFIÉS

(Modifiant les motifs de l'ordonnance et l'ordonnance datés du 13 novembre 2003)

[1]                 Madame Sandra Toscano Figueroa (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 6 décembre 2002 dans laquelle une agente d'immigration (l'agente d'immigration) a refusé de prolonger son autorisation de séjourner au Canada à titre de résidente temporaire.

[2]                 La demanderesse est une citoyenne cubaine. Elle a rencontré son mari, M. Cecil Stein, en mars 2001. Celui-ci passait alors ses vacances à Cuba. M. Stein a continué à rendre visite à la demanderesse après la fin de ses vacances, effectuant plusieurs séjours de quelques semaines à Cuba. Il a demandé la demanderesse en mariage le 24 décembre 2001.

[3]                 La demanderesse a présenté une demande de visa de visiteur canadien auprès de l'ambassade du Canada à Cuba. Sa demande a été rejetée. M. Stein, un résident de Stephenville (Terre-Neuve-et-Labrador), a communiqué avec son député et a obtenu un permis ministériel pour le compte de la demanderesse en été 2002. En vertu du permis en question, la demanderesse était autorisée à séjourner au Canada à titre de résidente temporaire jusqu'au 30 septembre 2002.

[4]                 Le 21 août 2002, la demanderesse a épousé M. Stein. Le 26 août 2002, plus de 30 jours avant la date d'expiration de son permis de séjour temporaire, elle a demandé la prorogation de ce dernier jusqu'à ce que la demande de résidence permanente, qu'elle a déposée le 12 septembre 2002, soit tranchée définitivement. La demanderesse a présenté la demande de résidence permanente, qui était étayée par une demande de parrainage de M. Stein, en tant que membre de la catégorie des époux au Canada.

[5]                 Le 6 décembre 2002, la demande de prolongation de l'autorisation de séjourner à titre de résidente temporaire présentée par la demanderesse a été rejetée. La lettre de refus était ainsi rédigée :


[traduction]    En vertu du pouvoir qui m'a été délégué par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration en application des dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, je vous avise que le permis qui vous autorise à séjourner au Canada jusqu'au 30 septembre 2002 délivré conformément au paragraphe 24(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ne sera pas prorogé. Par conséquent, vous DEVEZ quitter le Canada immédiatement. Si vous ne quittez pas le Canada de votre plein gré, des mesures d'exécution pourront être prises contre vous. [En caractères gras dans l'original.]

[6]                 La demande de résidence permanente présentée par la demanderesse a par la suite été rejetée. Cette décision fait l'objet d'une autre demande de contrôle judiciaire.

[7]                 Le principal argument de la demanderesse consiste à dire que l'agente d'immigration a omis de motiver sa décision défavorable, et ce, même si dans la lettre explicative qui accompagnait la décision il était fait mention des motifs de cette dernière. La demanderesse soutient que l'absence de motifs équivaut à un manquement à l'équité procédurale.

[8]                 La demanderesse fait également valoir que la décision est déraisonnable étant donné qu'elle fait partie de la catégorie de la famille et que son départ du Canada irait à l'encontre de l'objet de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).


[9]                 Le défendeur soutient qu'il n'y a pas eu de manquement à la justice naturelle et que l'agente d'immigration n'était pas tenue de motiver sa décision étant donné qu'elle se conformait simplement aux instructions qui lui avaient été données par le cabinet du ministre. De plus, le défendeur fait valoir que l'obligation de prononcer des motifs n'existe pas lorsque la décision relève de la prérogative personnelle du ministre et il affirme, en s'appuyant sur l'arrêt Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, que lorsqu'une décision suppose l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire très étendu, l'obligation de prononcer des motifs doit être appliquée de façon moins stricte.

[10]            De plus, le défendeur soutient que, selon l'arrêt Suresh c. Canada, [2002] 1 R.C.S. 3, la décision visée en l'espèce suppose l'exercice du plus important pouvoir discrétionnaire prévu par la Loi parce que, contrairement à ce qui était le cas dans l'arrêt Baker, précité, il n'existe pas de lignes directrices ministérielles, d'obligations découlant de traités ou d'instructions relatives à la façon dont le ministre doit l'exercer.

[11]            La question déterminante quant à la présente demande est de savoir si l'agente d'immigration a enfreint le droit de la demanderesse à l'équité procédurale en omettant de motiver sa décision par écrit.

[12]            La demanderesse s'est initialement vu refuser le visa de visiteur par l'ambassade du Canada à Cuba. Elle a obtenu un permis ministériel en été 2002. Le permis en question a été délivré conformément à l'article 24 de la Loi, qui prévoit ce qui suit :



(1) Devient résident temporaire l'étranger, dont l'agent estime qu'il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s'il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire - titre révocable en tout temps.

(2) L'étranger visé au paragraphe (1) à qui l'agent délivre hors du Canada un permis de séjour temporaire ne devient résident temporaire qu'après s'être soumis au contrôle à son arrivée au Canada.

(3) L'agent est tenu de se conformer aux instructions que le ministre peut donner pour l'application du paragraphe (1).

(1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

(2) A foreign national referred to in subsection (1) to whom an officer issues a temporary resident permit outside Canada does not become a temporary resident until they have been examined upon arrival in Canada.

(3) In applying subsection (1), the officer shall act in accordance with any instructions that the Minister may make.


[13]            L'article 124 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, (le Règlement) s'applique également à la demanderesse. Il dispose :


Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l'étranger qui remplit les conditions suivantes :

a) il est l'époux ou le conjoint de fait d'un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

(b) have temporary resident status in Canada; and

(c) are the subject of a sponsorship application.


[14]            Dans sa lettre explicative, l'agente d'immigration affirme qu'elle joint à cette dernière [traduction] « des copies de la décision étayée par des motifs écrits » . Toutefois, il ressort clairement de la décision qu'elle ne comporte aucun motif écrit. Les notes du Système de soutien des opérations dans les bureaux locaux (le SSOBL) et la correspondance électronique jointe à l'affidavit de Karen Miranda qu'on retrouve dans le dossier de demande du défendeur ne font pas état des motifs du refus de prolonger l'autorisation de séjourner à titre de résidente temporaire de la demanderesse.

[15]            Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a résumé de la façon suivante les facteurs dont il convient de tenir compte pour définir l'étendue de l'obligation d'équité dans un contexte donné :


·            la nature de la décision et le processus suivi pour y parvenir (plus il se rapproche du processus judiciaire, plus l'obligation d'équité est étendue);

·            la nature du régime législatif (par exemple, des protections procédurales plus importantes sont exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d'appel);

·            l'importance de la décision pour les personnes visées est un facteur important;

·            les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

·            le choix de procédure que l'organisme fait lui-même.

[16]            À mon avis, le facteur qui revêt le plus grand intérêt pour la demanderesse est l'importance que la décision a pour elle. La décision du défendeur de délivrer un permis de séjour temporaire est hautement discrétionnaire, et l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire n'est pas régi par des lignes directrices ou des directives. Compte tenu de l'absence d'éléments de preuve démontrant que la demanderesse s'attendait légitimement à une décision favorable, ce facteur n'entre pas en ligne de compte en l'espèce. De même, la question du choix de la procédure que le demandeur a suivie pour traiter la demande de la demanderesse n'a pas été soulevée en l'espèce.


[17]            La décision défavorable entraîne de graves conséquences pour la demanderesse parce qu'elle a une incidence sur sa capacité de poursuivre les démarches relatives à sa demande d'admission au Canada en tant que membre de la catégorie des époux au Canada au sens de l'article 124 du Règlement. L'importance de la décision défavorable pour la demanderesse découle du fait qu'elle s'est mariée au cours de la période pendant laquelle elle détenait le statut de résidente temporaire au Canada. La décision d'agir ainsi était un choix personnel de la demanderesse, et elle n'a pas pour effet d'imposer au défendeur l'obligation de prononcer des motifs, si une telle obligation n'existe pas par ailleurs.

[18]            Selon le défendeur, l'agente d'immigration s'est conformée aux instructions du ministre lorsqu'elle a rendu sa décision. Le dossier ne précise pas quelles ont été ces instructions. L'absence de motifs et l'absence de tout élément de preuve concernant les instructions soulèvent des questions au sujet de la façon dont l'agente d'immigration a suivi ces dernières. Compte tenu des circonstances et des faits en l'espèce, l'absence de motifs donne à la décision de l'agente d'immigration qui a statué sur la demande de prolongation de l'autorisation de séjourner à titre de résidente temporaire présentée par la demanderesse l'apparence d'une décision arbitraire.

[19]            Les faits exposés en l'espèce soulèvent un doute quant au caractère équitable de la façon dont la demanderesse a été traitée. Ce doute doit profiter à la demanderesse. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée au ministre défendeur ou à son représentant autorisé, selon le cas, pour qu'il statue à nouveau sur elle. Aucune question n'est soulevée aux fins de certification.

                                                         


ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée au ministre défendeur ou à son représentant autorisé, selon le cas, pour qu'il statue à nouveau sur elle. Aucune question n'est soulevée aux fins de certification.

                                                                                         _ E. Heneghan _                 

ligne

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-69-03

INTITULÉ :                                                                     SANDRA TOSCANO FIGUEROA c. MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                                          LE 13 AOÛT 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                   LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET DE L'ORDONNANCE MODIFIÉS :                  LE 18 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Cecil Rotenberg, c.r.                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Patricia MacPhee                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil Rotenberg, c.r.                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

255, chemin Duncan Mill, bureau 803

Toronto (Ontario)

M3B 3H9

Patricia MacPhee                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest, bureau 3400

boîte 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

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