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Date : 20030210

Dossier : IMM-5358-01

Référence neutre : 2003 CFPI 138

OTTAWA (ONTARIO), LE 10 FÉVRIER 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU                                     

ENTRE :

                                                                 DELMAN SHORSH

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur est un jeune Kurde iraquien qui dit craindre avec raison d'être persécuté par le Parti démocratique kurde (PDK), lequel aurait, selon lui, tué son père, et kidnappé et peut-être tué, sa mère et sa soeur. Il affirme également que le gouvernement iraquien appuie le PDK, et qu'il n'est donc pas disposé a protéger le demandeur.

[2]                 Le principal incident ayant amené le demandeur à quitter l'Irak serait survenu dans la nuit du 1er mai 2000. Six hommes se seraient alors présentés au domicile du demandeur et auraient réclamé de l'argent ainsi que l'autobus de son père, pour le PDK. Ce n'était pas la première fois qu'une telle demande était faite. Le père du demandeur leur aurait répondu qu'il pourrait avoir l'argent le lendemain, mais les hommes ont insisté pour qu'il le leur donne immédiatement. La mère du demandeur aurait invectivé les hommes et aurait été frappée avec un fusil. Le demandeur aurait alors tenté de lui porter secours, mais lui aussi aurait reçu un coup, et il aurait perdu conscience. Il se serait réveillé à l'hôpital, où un ami l'avait emmené. Il ne sait pas ce qui est arrivé à sa mère et à sa soeur, et il présume que son père a été tué ce soir-là.

[3]                 La demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale vise une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 5 novembre 2001. La Commission y a déterminé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi).

                                                            Décision de la Commission

[4]                 Voici quelle a été la conclusion de la Commission :

De plus, pourquoi les membres du PDK ont-ils cru que l'autobus appartenait au père de son ami, alors que, par le passé, ils l'avaient pris au père du revendicateur et que, le soir de l'incident, ils étaient allés pour le lui prendre encore une fois?


Le témoignage du revendicateur, en ce qui concerne cet incident et le fait qu'il ait été poursuivi par les gardes, n'était pas fiable.

Nous acceptons le fait qu'il est un jeune Kurde, et la question soulevée consiste à savoir s'il éprouverait des problèmes s'il retournait dans son pays. L'avocate a fait référence à la pièce C-3, le formulaire Réponses aux demandes d'information RDI362818. Dans ce document, le directeur de l'Institut kurde de Paris indique que la situation du territoire iraquien demeure stable, que le PDK et l'UPK se sont engagés à respecter l'accord de Washington et que, petit à petit, ils mettent en oeuvre les dispositions qui y sont contenues. On trouve également, dans la pièce C-3, des citations tirées du Manchester Guardian dans lesquelles on indique que le Kurdistan iraquien est prospère, qu'il n'y a plus de pauvreté extrême et que cette région se porte très bien. Il s'agit aussi d'un document récent, soit datant du 22 mars 2001.

L'avocate a fait référence à la pièce T-10, mais il s'agit d'un vieux document qui date de 1995, Amnesty on Human Rights Abuses by PUK. Elle mentionne l'onglet 11, mais il existe également un rapport de mai 1997, soit la pièce T-12, qui indique qu'il n'y a pas de recrutement forcé. La pièce T-14 consiste en un document qui date de 1997 dans lequel on précise que, si vous demeurez neutre, vous aurez des difficultés à trouver un emploi, etc. La pièce T-15 constitue également un document qui date de 1996. Ces documents sont vieux et ne tiennent pas compte de la nouvelle situation.    

S'il existait un élément de preuve ou un document quelconque montrant que les jeunes Kurdes d'aujourd'hui, s'ils sont neutres, font face à plus qu'une simple possibilitéde persécution ou qu'ils en sont près ou qu'ils sont recrutés de force, j'accorderais au revendicateur le bénéfice du doute et je conclurais qu'il fait face à plus qu'une simple possibilitéde persécution.

Cependant, la preuve documentaire indique qu'il n'existe rien de ce genre pour le moment. L'exposécirconstancié du revendicateur ne mentionne aucun problème important, sauf cet incident en particulier. Je ne peux lui accorder le bénéfice du doute que s'il s'agit d'un cas limite. Si la preuve documentaire ne soutient pas les faits qu'il rapporte et que son récit contient des éléments invraisemblables, je n'ai pas compétence pour lui accorder le bénéfice du doute.

...

Ayant examiné le témoignage dans son ensemble, je conclus que le revendicateur n'a pas établi qu'il existait plus qu'une simple possibilité qu'il subisse de la persécution s'il retournait au Kurdistan et que Shorsh Delman n'est pas un réfugié au sens de la Convention


                                    Les questions litigieuses

[5]                 Voici les principales questions soulevées par le défendeur :

1.         L'appréciation de la crédibilité du demandeur faite par la Commission était-elle déraisonnable?

2.         La Commission a-t-elle omis de tenir compte d'éléments de preuve documentaire importants pour parvenir à sa conclusion qu'un Kurde iraquien neutre ne risquait pas d'être persécuté en Iraq?

3.         La Commission a-t-elle omis de tenir compte du témoignage du demandeur au sujet de sa crainte d'être persécuté ou a-t-elle commis d'autres erreurs de droit?

                         La conclusion relative à la crédibilité


[6]                 Premièrement, l'appréciation de la crédibilité d'un demandeur constitue le noyau de la compétence exercée par la Commission, et notre Cour a jugé que, dans l'évaluation des questions de fait et, en particulier, dans l'évaluation de la crédibilité et de la crainte subjective de persécution, cet organisme possède un expertise bien établie (Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800 (C.F. 1re inst.), au par. 38; Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), N.R., à la p. 306 (C.A.F.); et Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, à la p. 40 (C.F. 1re inst.)).

[7]                 Il a en outre été reconnu et confirmé qu'en matière d'évaluation de la crédibilité et d'appréciation de la preuve, la Cour ne peut substituer sa décision à celle de la Commission lorsque le demandeur n'a pas réussi à établir que celle-ci a rendu une décision procédant d'une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve au dossier (voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997], A.C.F. no 296 (C.F. 1re inst.), au par. 14 (Akinlolu), Kanyai v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124 (C.F. 1re inst.), au par. 9 (Kanyai) ainsi que les motifs de révision énoncés à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale).

[8]                 Normalement, la Commission est habilitée à conclure que le demandeur n'est pas crédible à cause d'invraisemblances figurant dans la preuve qu'il a présentée, dans la mesure où les inférences qu'elle tire ne sont pas déraisonnables et où elle énonce ses motifs en « termes clairs et explicites » (voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) et Kanyai, précité, au par. 10).


[9]                 En outre, la Commission est habilitée à tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur des critères comme la présence d'invraisemblances, le bon sens ou la raison (voir Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415, au par. 2 (C.A.F.); et Aguebor, précité, au par. 4). La Commission peut rejeter des éléments de preuve non réfutés s'ils ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve (voir Akinlolu, précité, au par. 13 et Kanyai, précité, au par. 11).

[10]            En l'espèce, la Commission a relevé maintes invraisemblances dans le témoignage du demandeur ainsi que des contradictions qui minent sa crédibilité. On peut voir clairement, à la lecture de la transcription de l'audience, que la Commission a fourni au demandeur de nombreuses occasions d'expliquer des faits qui revêtaient une grande importance pour sa revendication. Le demandeur a souvent donné des réponses vagues et contradictoires. Par conséquent, la décision de la Commission ne reposait pas sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans égard à la preuve dont elle disposait.


                                                 La preuve documentaire

[11]            Dans l'arrêt Zhou c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087, la Cour d'appel fédérale a formulé la confirmation suivante au sujet de l'argument portant que la Commission a omis de prendre en considération des éléments de preuve documentaire :

Nous ne sommes pas persuadés que la section du statut a commis une erreur justifiant notre intervention. Les documents sur lesquels s'est appuyée la Commission ont été régulièrement produits en preuve. La Commission a le droit de s'appuyer sur la preuve documentaire de préférence au témoignage du demandeur de statut. La Commission n'a aucune obligation générale de préciser expressément les éléments de preuve documentaire sur lesquels elle pourrait se fonder. ...

[12]           Notre Cour a examiné la question du critère auquel doit satisfaire un demandeur, dans la décision Toth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1518 (C.F. 1re inst.), et s'est exprimée en ces termes au paragraphe 23:

Dans Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 165, la Cour d'appel fédérale a affirmé qu'il n'était pas nécessaire pour le revendicateur de démontrer que lui ou un membre de son groupe avait été persécuté dans le passé, afin d'établir le bien-fondé de la crainte de persécution. Le tribunal devrait plutôt se demander si la preuve au dossier, combinée aux événements passés, démontre que le revendicateur serait objectivement exposé à un risque s'il retournait dans le pays en cause.

(Non souligné dans l'original.)

[13]           En outre, la Cour d'appel a formulé la conclusion suivante dans l'arrêt Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.) :


L'avocat de l'appelant a cependant fait valoir, comme je l'ai souligné ci-dessus, que la Commission n'a pas tenu compte d'autres parties du rapport d'Amnistie Internationale, et que ce fait constitue un moyen valable d'appel. En toute déférence, je ne suis pas d'accord. À mon avis, la Commission pouvait raisonnablement tirer les conclusions auxquelles elle est parvenue, compte tenu de l'ensemble de la preuve soumise, et il s'ensuit donc qu'elle n'a pas commis d'erreur de droit. Le fait que la    Commission n'a pas mentionné dans ses motifs une partie quelconque de la preuve documentaire n'entache pas sa décision de nullité. Les passages tirés de la preuve documentaire que l'appelant invoque font partie de l'ensemble de la preuve que la Commission est en droit d'apprécier sur le plan de la crédibilité et de la force probante.

(Non souligné dans l'original.)

[14]            Le principal point litigieux, en l'espèce, porte sur la déclaration faite par la Commission à la fin de sa décision, suivant laquelle « [s]'il existait un élément de preuve ou un document quelconque montrant que les jeunes Kurdes d'aujourd'hui, s'ils sont neutres, font face à plus qu'une simple possibilité de persécution ou qu'ils en sont près ou qu'ils sont recrutés de force, j'accorderais au revendicateur le bénéfice du doute et je conclurais qu'il fait face à plus qu'une simple possibilité de persécution » . Ces mots donnent ouverture à la crainte que la Commission n'ait pas tenu compte de certains éléments de preuve documentaire faisant état des risques encourus par les jeunes Kurdes adhérant au principe de neutralité en Iraq.

[15]            Un examen des pièces qui avaient été déposées devant la Commission indique que le demandeur s'appuyait sur des documents datant de 1996 et sur des documents relatant des faits survenus entre 1992 et 2000. La seule pièce se rapportant à des événements récents se trouve à l'onglet 10 du dossier certifié, à la page 74, et on peut y lire ce qui suit :

[TRADUCTION] Relativement à l'affiliation des Kurdes du nord de l'Irak, le directeur de l'Institut kurde de Paris a indiqué que ces Kurdes ne peuvent opter pour la neutralité, car la population de ces deux régions est réputée appartenir au PDK ou au PUK selon la zone où elle habite.


(Direction des recherches, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Ottawa, Iraq: Situation in the Kurdish enclave in northern Iraq; whether there are pressures such that an individual Kurd would find it difficult to remain politically neutral, 22 mars 2001)

[16]            Ce même document indiquait toutefois, avant le passage précité, que l'Accord de Washington avait été signé au début de 1999, que d'autres pourparlers de paix s'étaient tenus à l'été 2000, aboutissant à un accord signé par les deux parties au mois de juillet, que la situation dans l'enclave kurde iraquienne demeurait stable (14 mars 2001), que le PDK et le PUK se conformaient à l'Accord de Washington et en mettaient peu à peu en oeuvre les dispositions et, enfin, que le journal mentionne que la sécurité de la population kurde dans l'enclave est précaire et dépend de la bonne volonté de la communauté internationale (dossier du tribunal aux pages 72 et 73).

[17]            Je ne puis conclure, après avoir examiné la preuve documentaire, que la Commission a commis une erreur de droit et qu'elle a omis de tenir compte d'éléments de preuve. Il ne semble pas qu'aujourd'hui en Irak, la neutralité entraîne la persécution pour les Kurdes comme le démontrerait la preuve, selon le demandeur. Je conclus donc que la décision de la Commission n'est pas entachée d'erreur.


                                Les autres motifs de contrôle

[18]            Relativement au dernier point en litige, portant sur l'interprétation erronée des motifs de persécution, il convient d'apprécier la preuve dans son ensemble et non pas d'en évaluer chaque élément séparément (Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 245 (C.A.F.)). C'est ce que la Commission a fait dans sa décision, et sa conclusion est raisonnable. La Commission n'a commis aucune erreur de droit. Malgré la prétention de l'avocat du demandeur voulant qu'elle n'ait pas procédé à une appréciation cumulative des éléments de preuve, on s'aperçoit, si on lit attentivement la décision, qu'elle a pris en considération l'ensemble de la preuve en tenant compte de la crainte actuelle du demandeur d'être persécuté.

[19]            Cela ne veut pas dire que j'aurais tiré la même conclusion, mais là n'est pas la question. Vu la preuve dont je dispose, et dont disposait également la Commission, je ne puis conclure que celle-ci a omis de tenir compte d'éléments de preuve ou qu'elle en a mal interprété, contrairement à ce que prétend le demandeur. Quoi qu'il en soit, je suis d'avis que, compte tenu de l'appréciation négative de la crédibilité du demandeur faite par la Commission, les autres motifs de contrôle invoqués ne sont pas fondés.

[20]            Aucun des avocats n'a soumis de question d'importance générale à certifier.


                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire visant la décision en date du 5 novembre 2001 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a déterminé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration est rejetée.

                                                                                     « Luc Martineau »                         

                                                                                                Juge

TRADUCTION CERTIFIÉE CONFORME

Ghislaine Poitras, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                                                        IMM-5358-01

INTITULÉ :                                                        DELMAN SHORSH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE LUNDI 3 FÉVRIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE LUC MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                                     LE 10 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :

SILVIA R. MACIUNAS                                    POUR LA DEMANDERESSE

DEREK RASMUSSEN                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SILVIA R. MACIUNAS                                                 POUR LA DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                                               POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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