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Date : 20030808

Dossier : IMM-2260-02

Référence : 2003 CF 966

Toronto (Ontario), le 8 août 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE    

ENTRE :

                                                                    ZHENBIN ZHAO,

YANG CHEN BEI BEI ZHAO

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                  et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée par Zhenbin Zhao (la demanderesse principale) et sa fille à charge, Yang Chen Bei Bei Zhao (Rachel), concernant la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel), en date du 26 avril 2002, par laquelle une commissaire a rejeté l'appel concernant les mesures de renvoi prises contre les demanderesses le 26 avril 2001.

[2]                 Les demanderesses font valoir que la commissaire était saisie de la preuve suivante :

1.          La demanderesse principale et sa fille à charge, Rachel, sont nées en République populaire de Chine.

2.          La demanderesse principale avait d'abord fait sa demande d'immigration dans la catégorie des investisseurs pour la transférer ensuite dans la catégorie des entrepreneurs. Les demanderesses sont par la suite venues au Canada et ont obtenu le statut d'immigrant reçu le 28 mai 1997.

3.          La demanderesse principale a investi au total plus de 140 000 $ dans Howon Industries Ltd. (Howon) aux fins de sa demande d'immigration à titre d'entrepreneur. Un reçu lui a été délivré par Howon, confirmant le versement d'une somme de 100 000 $CAN par la demanderesse principale. Deux chèques de la demanderesse principale établis à l'ordre de Mei Ying Yeung, actionnaire et administrateur de Howon, pour des montants de plus de 20 000 $CAN chacun ont également été fournis par la demanderesse principale.


4.          Après que la demanderesse principale eut découvert que Howon était en difficulté financière, elle a constitué sa propre société, Bennett Enterprises Ltd. (Bennett) le 28 juillet 1998, dont elle était l'unique propriétaire et exploitante; son travail consistait à donner des consultations et des références pour l'achat de marchandises au Canada à l'intention de sociétés chinoises. Avec les années, les pertes de Bennett ont diminué. Une employée à temps partiel a été embauchée par Bennett en novembre 2001.

5.          Après avoir immigré au Canada, la demanderesse principale a acheté deux maisons et deux véhicules au Canada. Elle a également financé les études universitaires de Rachel. La demanderesse principale a des économies considérables au Canada et une somme d'argent lui est due en Chine.

6.          La fille de la demanderesse principale, Rachel, suit avec succès des cours à temps complet à l'université Simon Fraser, et elle vient tout juste d'y commencer sa troisième année. Elle fréquente également sérieusement son ami depuis quatre ans; ils se connaissent depuis cinq ans et ont l'intention de se marier dans un an ou deux.


7.          Le 26 avril 2001, au cours d'une enquête tenue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section d'arbitrage), l'arbitre a pris une mesure d'expulsion contre les demanderesses aux termes du paragraphe 32(2.1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, parce qu'il a jugé qu'elles étaient visées à l'alinéa 27(1)b) de la Loi sur l'immigration, précitée. Il est allégué que les demanderesses n'ont pas respecté les conditions exigées pour la catégorie des entrepreneurs et qu'elles n'ont pas fourni de raisons suffisantes pour justifier l'annulation de la mesure d'expulsion.

8.          Le 27 novembre 2001 et le 28 janvier 2002, des audiences ont eu lieu à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section d'appel), dans le cadre d'un appel pour faire annuler les mesures d'expulsion prises contre les demanderesses le 26 avril 2001.

[3]                 L'avocat des demanderesses a demandé un interprète parlant couramment le chinois (cantonais) pour l'audience.

[4]                 Selon les demanderesses, les questions en litige sont les suivantes :


1.          La commissaire a manqué à un principe de justice naturelle, à l'équité procédurale ou à une autre formalité qu'elle était tenue de suivre aux termes de la loi, en refusant aux demanderesses un interprète compétent au cours de l'audition de l'appel les 27 novembre 2001 et 28 janvier 2002, contrairement à l'article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l'annexe B de la Loi du Canada de 1982 (R.-U.), 1982, ch. 11.

2.          La commissaire a commis une erreur de droit dans sa décision en interprétant mal et en n'appliquant pas correctement l'alinéa 27(1)b) de la Loi sur l'immigration, précitée.

3.          La commissaire a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées qu'elle a tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait, ignorant l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, précitée.

4.          La commissaire n'a pas respecté les principes de justice naturelle, d'équité procédurale ou d'autres formalités qu'elle était tenue de suivre aux termes de la loi, en refusant à la fille à charge de la demanderesse principale, Rachel, le droit d'être présente au cours de l'audience la concernant dans le cadre de l'audition de l'appel le 28 janvier 2002.


5.          La commissaire a refusé d'exercer sa compétence en rejetant l'appel à l'encontre de la mesure d'expulsion, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, et par conséquent, elle a infligé un traitement « cruel et inusité » aux demanderesses, ce qui est contraire à l'article 12 de la Charte des droits et libertés, précitée.

Les dispositions législatives pertinentes

[5]                 Les articles pertinents de la Loi sur l'immigration, précitée sont rédigés dans les termes suivants :

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas :

. . .

27. (1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who

. . .

b) a sciemment contrevenu aux conditions dont était assorti son droit d'établissement;

(b) if that person was granted landing subject to terms and conditions, has knowingly contravened any of those terms or conditions;


70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants :

70. (1) Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds, namely,

a) question de droit, de fait ou mixte;

(a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

(b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada.

Les prétentions des demanderesses

[6]                 Les demanderesses prétendent que la commissaire a commis une erreur en concluant qu'elles n'avaient pas respecté toutes les conditions assorties à l'octroi du droit d'établissement et qu'ainsi elles avaient contrevenu à l'alinéa 27(1)b) de la Loi sur l'immigration, précitée.

[7]                 Elles soutiennent également que la commissaire a ignoré l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, précitée, en prenant une décision sans tenir compte des faits dont elle était saisie.

[8]                 Les demanderesses font valoir que la commissaire a manqué à un principe de justice naturelle ou à l'équité procédurale en ne leur assurant pas les services d'un interprète compétent à l'audience. Les demanderesses déclarent que ceci est contraire à l'article 14 de la Charte des droits et libertés, précitée.


[9]                 Les demanderesses soutiennent qu'on a manqué au principe d'équité procédurale à l'égard de la fille à charge de la demanderesse principale quand celle-ci a quitté la salle d'audience et qu'elle n'a pu y revenir pendant un certain temps, ce qui lui a fait manquer une partie de l'audience.

[10]            Les demanderesses prétendent que le maintien en vigueur de la mesure d'expulsion contrevient à l'article 12 de la Charte des droits et libertés, précitée.

Les prétentions du défendeur

[11]            Le défendeur fait valoir que la Cour ne devrait pas modifier les décisions de la section d'appel à moins que cette décision n'ait pas été prise de bonne foi et qu'elle soit influencée par des considérations non pertinentes, ou qu'elle ait été prise de façon arbitraire ou illégale.

[12]            Le défendeur soutient que la Commission n'a commis aucune erreur en refusant d'accorder un redressement discrétionnaire dans les circonstances de l'espèce.

[13]            Le défendeur prétend également que la Commission n'a pas commis d'erreur de fait importante dans sa décision. Toutes les erreurs factuelles n'étaient pas déterminantes pour le règlement de la cause.

[14]            Le défendeur soutient que les demanderesses n'ont pas réussi à établir qu'elles avaient subi un préjudice du fait d'erreurs d'interprétation au cours de l'audience.

[15]            Le défendeur prétend également qu'il n'y a pas de preuve qu'on a refusé à la fille à charge de la demanderesse principale le droit d'être présente à l'audience. Il est allégué que la fille à charge de la demanderesse principale a quitté la salle d'audience sans en avertir la commissaire et que, dès que la commissaire s'est aperçue qu'elle n'était pas dans la pièce, elle a cherché à en connaître la raison et a demandé qu'elle revienne dans la salle d'audience.

[16]            Le défendeur soutient de plus qu'il n'y a pas eu contravention à l'article 12 de la Charte des droits et libertés, précitée, étant donné que l'expulsion en soi n'est pas un traitement cruel ou inusité.

Analyse et décision

[17]            Question 1

La commissaire a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle, à l'équité procédurale ou à toute autre formalité qu'elle était tenue de suivre aux termes de la loi, en refusant aux demanderesses un interprète compétent au cours de l'audition de l'appel les 27 novembre 2001 et 28 janvier 2002, contrairement à l'article 14 de la Charte des droits et libertés, précitée.


Dans la décision Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 371 (C.F. 1re inst.), confirmée à [2001] 4 C.F. 85 (C.A.), le juge Pelletier (maintenant juge à la Cour d'appel) a résumé les principes applicables à l'interprétation dans les termes suivants aux pages 376 et 377 :

En bref, les éléments de la norme garantie par la Constitution sont les suivants :

- en général, on peut dire que la norme d'interprétation est élevée mais qu'il ne s'agit pas d'une norme de perfection.

- continuité : il ne doit pas y avoir de pauses ou d'interruptions, c.-à-d. que l'interprétation doit être fournie tout au long des procédures, sans aucune période où l'interprétation n'est pas disponible.

- fidélité : l'interprétation doit transmettre le témoignage sans aucune amélioration de forme, de grammaire ou autrement.

- impartialité : l'interprète ne devrait pas être lié aux parties ou avoir quelque intérêt que ce soit dans l'affaire.

- compétence : l'interprétation doit être d'assez bonne qualité pour assurer que justice soit rendue et paraisse avoir été rendue.

- concomitance : l'interprétation doit être disponible lors du témoignage, sans être nécessairement simultanée.

Si la violation de cette norme est démontrée, l'accusé n'a pas à prouver qu'il a subi un préjudice [...].

[18]            J'ai examiné la transcription de l'audience. L'extrait suivant du contre-interrogatoire de la demanderesse principale fait ressortir certains problèmes sur le plan de l'interprétation (dossier du tribunal, page 61) :

Q                                                Les documents indiquent que la constitution vous a coûté 1 070 $.

R                                                J'ai acheté des fournitures.


Q                                                Avez-vous investi environ 2 700 $ dans la compagnie que la compagnie vous doit maintenant? Est-ce que vous vous rappelez cela?

INTERPRÈTE :                        20 000 $?

M. BULMER :                         Environ 2 700 $.

Q                                                Vous rappelez-vous cela?

R                                                C'est l'argent que j'ai utilisé pour acheter des fournitures.

M. LI :                                      Je suis désolé de vous interrompre ici. Madame la présidente, il y a un problème dans ... dans la traduction également. Nous parlons de coût (incompréhensible) et l'interprétation indique qu'il s'agit du coût d'achat de quelque chose d'autre et ils parlent d'environ 27 000 $, et maintenant vous parlez d'environ 2 700 $. Il y a beaucoup de confusion dans la communication elle-même.

LA PRÉSIDENTE :                 Oui, en effet. Cela crée de la confusion et je suis sûre que l'appelante est aussi confuse sur la direction que prend l'interrogatoire.

[19]            Cet extrait et d'autres exemples de la transcription me convainquent que les demanderesses n'ont pas bénéficié de la norme d'interprétation qu'exige la loi. La commissaire a fait référence au fait qu'il y avait beaucoup de confusion dans la communication et que cela créait également de la confusion pour la demanderesse. La décision de la Commission doit donc être infirmée et l'affaire renvoyée pour être entendue de nouveau devant une formation différente de la section d'appel.

[20]            En raison de ma conclusion sur cette question, il n'est pas nécessaire que je traite des autres points en litige.

[21]            Compte tenu du fondement de la décision, aucune des parties ne souhaite proposer une question grave de portée générale aux fins de la certification.

                                           ORDONNANCE

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée pour être entendue de nouveau devant une formation différente de la section d'appel.

                                                                                  _ John A. O'Keefe _            

ligne

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-2260-02

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          ZHENBIN ZHAO et YANG CHEN BEI BEI ZHAO

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le mercredi 5 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                     le vendredi 8 août 2003

COMPARUTIONS :

Peter S. K. Li                                           Pour les demanderesses

Sandra Weafer                                        Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Li & Company                               Pour les demanderesses

#110 - 4400 Hazelbridge Way

Richmond (Colombie-Britannique)

V6X 3R8

Morris Rosenberg, c.r.                           Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

         Date : 20030808

Dossier : IMM-2260-02

ENTRE :

ZHENBIN ZHAO,

YANG CHEN BEI BEI ZHAO

                                    demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

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MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

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