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Date : 20030506

Dossier : IMM-6339-02

Référence neutre : 2003 CFPI 563

Toronto (Ontario), le mardi 6 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL                                   

ENTRE :

                                                            MUJEEB REHMAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR), datée du 16 octobre 2002, par laquelle la SPR a conclu que le demandeur n'a pas qualité de réfugié au sens de la Convention.


[2]                Le demandeur est un citoyen du Pakistan et un musulman chiite. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté par des musulmans sunnites fanatiques, notamment les membres de la famille de sa fiancée, qui font partie d'une organisation terroriste connue, le Sipah-e-Sahaba (SSP). Il prétend aussi avoir qualité d'une personne à protéger, puisque sa vie est menacée et qu'il risque des peines ou traitements cruels et inusités aux mains du gouvernement du Pakistan par suite de sa demande d'asile.

[3]                Dans ses motifs, la SPR n'a pas énoncé de conclusion spécifique quant à la crédibilité de la preuve du demandeur et elle a semblé l'accepter comme véridique. Par conséquent, il faut présumer en droit que la SPR a ajouté foi aux dires du demandeur (Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.); 31 N.R. 34 (C.A.F.)). Voici les conclusions de fait de la SPR :

Le demandeur d'asile était propriétaire d'une épicerie à Wazirabad, au Pakistan. Il a dit que son propre père s'opposait initialement à ce mariage éventuel avec Faiza, mais, plus tard, ses parents sont revenus sur leur décision. Toutefois, cette union a rendu furieux le père de Faiza et ses deux frères. Le demandeur d'asile a dit qu'ils s'étaient rendus à son magasin et qu'ils y avaient fracassé les vitres. Il a dit qu'ils l'avaient giflé et l'avaient menacé. Il a dit qu'un des frères l'avait plus tard frappé avec un objet contondant et qu'il avait perdu connaissance. Il a dit que la police avait refusé de déposer un rapport sous prétexte que les frères pouvaient avoir des liens avec le SSP. Le frère de Faiza a plus tard téléphoné au demandeur d'asile et l'a menacé de le lyncher.

Peu de temps après, le frère du demandeur d'asile lui a téléphoné pour l'aviser que son magasin avait été saccagé. Faiza a alors téléphoné au demandeur d'asile et lui a dit qu'elle avait révélé à sa famille qu'ils avaient eu des relations sexuelles et qu'elle n'était plus vierge. Elle le prévenait que ses frères faisaient route vers chez lui pour le tuer. Le demandeur d'asile a dit que ses frères étaient arrivés peu de temps après, mais pas avant qu'il ait rencontré Faiza derrière chez lui. Il a dit que ses frères s'étaient approchés de la maison, mais seulement vis-à-vis de la porte d'en avant et, ainsi, il a pu s'enfuir avec Faiza. Ils se sont rendus à Sheikhoopura à environ 100 kilomètres de là. Le demandeur d'asile a alors laissé sa fiancée chez un cousin là-bas. Il a dit qu'elle y était en sécurité. Il s'est rendu à Lahore puis au Canada où il est arrivé le 3 septembre 2001.


Le demandeur d'asile a dit que la famille de Faiza ne connaît pas les allées et venues de cette dernière. Elle se risque peu à sortir de la maison et se cache. Il a dit que le SSP a un réseau très puissant et la tuerait s'il la trouvait. Il a dit qu'un de ses frères l'a battue et a versé de l'acide sur elle lorsqu'il s'est rendu compte de l'importance de leur union. Il a dit que le frère ne l'a pas tuée immédiatement parce qu'ils souhaitaient le tuer lui d'abord. Il a dit que, pendant que ses frères se rendaient chez lui, il a rencontré Faiza à la porte arrière de la cuisine et ils se sont enfuis à la gare d'autobus (Décision de la SPR, p. 1 et 2).

[4]                On trouve ceci dans le FRP du demandeur au sujet du rapport à la police mentionné par la SPR :

[traduction]

Nous sommes allés au poste de police pour faire un rapport. Lorsque nous avons décliné les noms des accusés, le policier a refusé de déposer un rapport. Il a demandé si je ne savais pas que ces gens étaient membres du Sipah-e-Sahaba. Le policier a ajouté qu'il ne voulait pas mourir et il nous a conseillé d'oublier l'idée de déposer un rapport contre eux et de retourner chez nous (Dossier du tribunal, p. 25 et 26).

Dans son témoignage devant la SPR, le demandeur a confirmé s'être adressé à la police qui ne lui a offert aucune aide (Dossier du tribunal, p. 415).

[5]                Au sujet du fait que la fiancée du demandeur a dû se cacher, il est important de noter la déclaration suivante, faite par l'ACR à l'audience devant la SPR :

[traduction]

Bon. La preuve documentaire fait état d'antagonismes importants entre les deux sectes, les sunnites et les chiites. La preuve documentaire au sujet de la situation des femmes au Pakistan nous indique aussi que les femmes sont fortement contrôlées par leur famille et que si celle-ci ne donne pas son approbation à -- en fait, ce sont généralement les familles qui arrangent les mariages et si elles n'approuvent pas un choix personnel, alors elles exercent énormément de pressions sur le couple.

Nous savons aussi que dans plusieurs cas où il y a eu des relations sexuelles avant le mariage, on considère que la femme a déshonoré sa famille et il y a eu plusieurs cas de violence physique exercée contre ceux qui avaient eu des relations sexuelles hors mariage.


Donc, ce que le revendicateur nous raconte n'est pas quelque chose d'inhabituel au Pakistan. Le fait qu'il ait eu des relations sexuelles avec une femme qui n'était pas mariée, que sa famille a découvert la chose, que sa famille s'est opposée à la relation et a voulu exercer des sévices contre la femme et contre lui en conséquence, je ne peux dire que de telles choses sont impossibles au Pakistan (Dossier du tribunal, p. 436 et 436).

Il est aussi admis que la SPR était en possession de rapports sur le pays où il est fait état de crimes d'honneur au Pakistan (Dossier du tribunal, p. 100).

[6]                Dans ses motifs, la SPR n'a pas traité la réalité décrite par le demandeur, telle que je viens de l'exposer. La SPR a plutôt longuement expliqué comment après que le demandeur a quitté le Pakistan, le gouvernement a ciblé le SSP dans le cadre de mesures de répression prises à travers le pays face aux allégations de terrorisme, de meurtres et autres crimes graves. En conséquence, la SPR a déclaré appliquer l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992) 18 IMM. N.R. (2nd) 130 (C.A.F.) pour conclure que « [l]e fait que la protection n'est pas parfaite ne porte pas un coup fatal à la proposition selon laquelle le Pakistan offre maintenant une protection adéquate aux musulmans chiites comme le demandeur d'asile » (Décision de la SPR, p. 9). Par conséquent, en rejetant la demande, la SPR a conclu que le demandeur pouvait bénéficier de la protection de l'État contre les extrémistes du SSP.


[7]                Je conclus que la décision de la SPR est manifestement déraisonnable. La preuve présentée à la SPR fait état de quatre éléments : la persécution du demandeur par les extrémistes de la SSP; la persécution du demandeur par les membres de la famille de sa fiancée, qui sont aussi membres de la SSP; la persécution du demandeur et de sa fiancée par suite de la perception d'une injure à l'honneur de la famille de la fiancée; et un refus non équivoque des autorités de l'État lorsque le demandeur a réclamé une protection.

[8]                Dans ses motifs, la SPR ne traite aucunement de la réalité de la vie quotidienne au Pakistan et de la question de savoir si la protection de l'État était disponible au vu de la combinaison des quatre éléments en cause. Par conséquent, selon moi la décision de la SPR ne traite pas de la crainte subjective et objective de persécution du demandeur au Pakistan. À mon avis, cette erreur rend la décision manifestement déraisonnable.

                                        ORDONNANCE

En conséquence, la décision de la SPR est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

                                                                      « Douglas R. Campbell »        

                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6339-02

INTITULÉ :                                        MUJEEB REHMAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                LE MARDI 6 MAI 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                       LE MARDI 6 MAI 2003

COMPARUTIONS :

M. Joel Etienne                                                                          pour le demandeur

M. Kadir Baksh

Mme Matina Karvellas                                                                pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Etienne Law Associates                                                                         pour le demandeur

Avenue Finch Est

Pièce 308

Toronto (Ontario)

M1S 4Z5

Morris Rosenberg                                                                                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

            Date : 20030506

        Dossier : IMM-6339-02

ENTRE :

MUJEEB REHMAN

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                               

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