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Date : 20030121

Dossier : IMM-5173-00

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :

                                                                RONGGAN ZHENG

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

APRÈS avoir examiné la demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle une agente des visas a rejeté, en date du 29 août 2000, la demande de résidence permanente présentée par le demandeur, ainsi que les demandes visant à obtenir différentes mesures de redressement, notamment une ordonnance annulant cette décision;

ET APRÈS avoir entendu les avocats des parties le 14 mai 2002, à Toronto, où il a été sursis au prononcé du jugement, et avoir considéré leurs observations écrites et orales;


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          que la demande soit accueillie en partie;

2.          que la décision en date du 29 août 2000 soit annulée;

3.          que la demande de résidence permanente du demandeur soit renvoyée à un autre agent d'immigration pour faire l'objet d'un nouvel examen.

         « W. Andrew MacKay »         

            Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20030121

Dossier : IMM-5173-00

Référence neutre : 2003 CFPI 54

                                                                                                                                                                       

ENTRE :

                                                                RONGGAN ZHENG

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente des visas du Consulat général du Canada à New York a rejeté, en date du 29 août 2000, la demande de résidence permanente au Canada qu'il avait présentée à titre de chef autonome (CNP 6241.3). Il demande aussi à la Cour de rendre différentes ordonnances, notamment une ordonnance annulant cette décision et une ordonnance relative aux dépens.


[2]                 M. Zheng, le demandeur, est un citoyen de la République populaire de Chine. Lorsqu'il a présenté sa demande, il travaillait comme chef aux États-Unis depuis 1996 et gagnait environ 2 500 $ par mois. En septembre 1999, il possédait 18 300 $ en dépôt aux États-Unis et 480 000 yen en Chine. En juillet 2000, ces montants étaient de plus de 32 700 $ aux États-Unis, selon des documents bancaires, et d'environ 380 000 yen en Chine, selon des spécialistes locaux.

[3]                 L'agente des visas a soupesé les différents facteurs qui doivent être pris en compte dans le cas des demandeurs de résidence permanente appartenant à la catégorie des demandeurs indépendants, conformément à l'article 8 et à l'annexe I du Règlement. Elle a accordé un total de 54 points au demandeur, soit moins que les 70 points requis pour qu'un visa puisse être délivré. Elle lui a notamment attribué 4 points pour son expérience en tant que chef en Chine et aux États-Unis et 2 points pour sa personnalité, mais aucun des 30 points pouvant être accordés à un demandeur qui démontre qu'il réussira probablement à s'établir au Canada en tant qu'immigrant autonome.


[4]                 Le demandeur soutient que l'agente des visas a commis un certain nombre d'erreurs dans l'examen de sa demande. C'est pourquoi il demande à la Cour de rendre différentes ordonnances, notamment une ordonnance annulant la décision de l'agente, des ordonnances de la nature d'un mandamus et d'un jugement déclaratoire fixant les modalités du réexamen de sa demande de résidence permanente, ainsi qu'une ordonnance relative aux dépens. Je traiterai dans l'ordre de la validité de la décision contestée, de la nature de la mesure de redressement appropriée et de la question des dépens.

Validité de la décision

[5]                 À mon avis, la présente demande doit être accueillie et la décision contestée doit être annulée et ce, pour les motifs qui suivent.

[6]                 L'agente des visas a notamment écrit ce qui suit dans la lettre qu'elle a envoyée au demandeur pour l'informer de sa décision :

[traduction] Je ne vous ai pas accordé les 30 points supplémentaires parce que vous n'avez pas été en mesure de démontrer que vous satisfaites à la définition de « travailleur autonome » . Aux termes du Règlement sur l'immigration de 1978 du Canada, un immigrant autonome est « un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada » . À l'entrevue, vous avez déclaré que vous avez l'intention de travailler au Canada comme chef autonome et, bien que vous dites avoir de l'expérience dans le domaine, vous n'avez pas été en mesure de démontrer de quelle façon vous prévoyez exploiter avec succès une entreprise au Canada. Vous n'avez pas été en mesure non plus d'expliquer comment vous alliez vous y prendre pour établir une entreprise qui soit concurrentielle dans un marché déjà saturé et comment cette entreprise contribuerait de manière significative à la vie économique du Canada, compte tenu du nombre de restaurants situés dans les environs de l'endroit où vous avez l'intention de vous établir.

Vous avez dit à l'entrevue que vous possédez plus de 32 000 $US aux États-Unis ainsi qu'un certificat de dépôt d'une valeur de 68 000 $CAN dans votre pays. Vous n'avez pas produit de preuve suffisante démontrant, comme vous l'affirmez, que vous êtes le seul proprétaire de ces fonds. Ainsi, vous avez dit, par exemple, que vos gains annuels n'excèdent pas 30 000 $, et pourtant le solde de votre compte aux États-Unis est supérieur à ce montant. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que vous êtes le seul propriétaire des fonds que vous prétendez avoir et que vous avez l'intention d'utiliser pour établir avec succès votre entreprise au Canada.


[7]                 L'agente a fondé sa décision sur le fait que, à son avis, le demandeur n'avait pas démontré qu'il « est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon [...] à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada » , parce que :

1)          il n'a pas été en mesure de démontrer de quelle façon il entendait s'y prendre pour exploiter une entreprise concurrentielle au Canada dans un marché qui, d'après l'agente - qui ne connaissait pas très bien le marché, il est vrai -, était [traduction] « déjà saturé » ;

2)          il n'a pas été en mesure d'expliquer comment cette entreprise contribuerait de manière significative à la vie économique du Canada, compte tenu du grand [traduction] « nombre de restaurants situés dans les environs de l'endroit où vous avez l'intention de vous établir » (il y a 1 000 restaurants de tous genres à Vancouver);

Les perceptions du marché sur lesquelles l'agente a fondé ces conclusions n'ont pas été divulguées au demandeur, de sorte que celui-ci n'a pas pu les évaluer ou les contester.

3)          l'agente n'était pas convaincue que M. Zheng était [traduction] « le seul propriétaire des fonds que vous prétendez avoir » parce qu'elle a supposé, sans toutefois faire part au demandeur de ses doutes concernant sa capacité d'accumuler des économies aux États-Unis, qu'il ne pouvait pas établir que ces fonds étaient bien à lui, en particulier en ce qui a trait à l'augmentation survenue de septembre 1999 à juillet 2000. En outre, elle n'a pas tenu compte des autres ressources financières qu'il prétendait avoir en Chine;

L'agente n'a rien dit au demandeur au sujet des réserves qu'elle avait et qui                    contredisaient la preuve qu'il avait produite relativement à ses ressources.


4)          l'agente a accordé 2 points pour la personnalité, plus particulièrement, d'après sa lettre, pour [traduction] « la faculté d'adaptation, l'esprit d'initiative, la motivation et l'ingéniosité » . Dans son affidavit, elle ajoute à ces qualités la [traduction] « capacité du demandeur de s'établir avec succès au Canada dans la profession qu'il envisage d'exercer » , à savoir [traduction] la profession de « chef autonome » . Cette profession n'est pas expressément décrite dans la Classification nationale des professions (CNP) : elle est incluse dans la catégorie « 6241 Chefs » . Le travail du demandeur en tant que chef en Chine et aux États-Unis a été reconnu. L'agente lui a donc attribué 4 points pour l'expérience, mais n'a pas considéré qu'il possédait les compétences voulues pour être [traduction] « chef autonome » . À mon avis, cette conclusion semble être fondée surtout sur l'évaluation faite par l'agente de la capacité du demandeur de devenir travailleur autonome au Canada. Or, une telle façon de faire n'est pas conforme au processus d'appréciation prévu par la Loi, lequel a été décrit par Mme le juge Tremblay-Lamer dans Jing-Hui Cao c. M.C.I. (IMM-6636-98, 4 juillet 2000 (C.F. 1re inst.)) :

[21]          Le Règlement sur l'immigration prévoit que les demandes invoquant la catégorie des travailleurs autonomes doivent faire l'objet d'une analyse en deux volets. Les demandeurs doivent être appréciés conformément à l'alinéa 8(1)b) et au paragraphe 8(4) du Règlement, et ils doivent être visés par la définition du paragraphe 2(1), qui prévoit que le « travailleur autonome » s'entend d' « un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada » .

[22]          En vertu de l'alinéa 8(1)b) du Règlement, l'agente des visas doit tenir compte de tous les facteurs énumérés à la première colonne de l'annexe I, sauf celui qui se rapporte à l' « emploi réservé » . Par ailleurs, le paragraphe 8(4) du Règlement confère à l'agent des visas le pouvoir discrétionnaire d'accorder au demandeur 30 points d'appréciation supplémentaires s'il est d'avis que ce dernier sera en mesure de s'établir avec succès au Canada en exerçant sa profession ou en exploitant une entreprise.


[8]                 Je reconnais que la capacité d'un demandeur de devenir travailleur autonome au Canada, au sens défini dans la Loi, peut dépendre en grande partie de ses qualités personnelles. Mais, en l'espèce, il ne semble pas que les qualités personnelles de M. Zheng qui l'ont amené à bien s'établir aux États-Unis aient été appréciées. L'agente s'est appuyée principalement, pour apprécier la « personnalité » du demandeur, sur son propre jugement de l'aptitude de ce dernier à devenir travailleur autonome, alors que ce facteur doit être apprécié en conformité avec le paragraphe 8(4) du Règlement. Elle n'a accordé aucun point au demandeur pour ce facteur, et elle semble s'être fondée sur la même évaluation pour apprécier la personnalité du demandeur.

[9]                 À mon avis, la Cour est justifiée d'intervenir vu les erreurs commises par l'agente des visas dans l'appréciation du demandeur et d'ordonner que la décision contestée soit annulée.

Mesure de redressement appropriée

[10]            Dans ses observations écrites, le demandeur demande aussi à la Cour de rendre des ordonnances de mandamus et un jugement déclaratoire précisant les modalités de réexamen de sa demande, notamment :

-           que le défendeur approuve la délivrance d'un visa ou supporte tous les frais raisonnables, y compris ceux de son avocat si une nouvelle entrevue devait avoir lieu;

-           que toute nouvelle entrevue du demandeur soit enregistrée ou qu'un avocat puisse y assister avec lui;


-           que les agents des visas étudient les demandes semblables à celle présentée par le demandeur en conformité avec les directives données par la Cour;

-           que le défendeur effectue de bonne foi l'examen prévu au paragraphe 11(3) du Règlement, c'est-à-dire qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire d'une manière favorable à M. Zheng ou qu'il délivre un visa d'immigrant dans un délai de 4 mois.

[11]            Ces mesures de redressement ne conviennent pas à mon avis. La Cour ne peut ordonner au défendeur d'exercer le pouvoir qui lui est conféré par la loi d'une manière ou à un moment qui n'est pas prévu par la loi ou le droit général, ou même ordonner qu'il exerce l'un de ses pouvoirs discrétionnaires. C'est au défendeur seul ou à son représentant qu'il appartient de décider d'exercer ou non ses pouvoirs discrétionnaires, par exemple celui prévu au paragraphe 11(3) du Règlement.

[12]            La seule mesure de redressement qu'il convient d'accorder en l'espèce est de rendre une ordonnance annulant la décision contestée et renvoyant la demande de M. Zheng à un autre agent des visas.

Dépens


[13]            Le demandeur demande que des dépens constitués des frais juridiques de 6 600 $ et des frais d'interrogatoire lui soient accordés. Il fait valoir qu'il existe des raisons spéciales, au sens de la règle 22 des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration, qui justifient l'adjudication des dépens en l'espèce. Ces raisons spéciales sont le paiement de [traduction] « frais doubles non remboursables » pour assister à l'entrevue, le fait que l'agente a mal apprécié le demandeur puisqu'elle n'a pas bien tenu compte de ses ressources financières, le fait qu'elle ne l'a pas apprécié correctement en conformité avec la Loi et le Règlement et le fait qu'elle n'a pas envisagé d'exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec le paragraphe 11(3) du Règlement. Comme je l'ai mentionné précédemment, ce pouvoir appartient exclusivement au ministre.

[14]            Bien que chacune de ces raisons puisse justifier l'annulation d'une décision, elles ne constituent pas à mon avis, que ce soit séparément ou collectivement, des raisons spéciales au sens de la règle 22 des Règles en matière d'immigration en vertu desquelles les dépens pourraient être adjugés, même en l'absence de mauvaise foi de la part du défendeur ou de son représentant.

Conclusion

[15]            Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande présentée par M. Zheng est renvoyée à un autre agent d'immigration pour faire l'objet d'un nouvel examen.


[16]            Aucune question n'ayant été proposée par les parties aux fins du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration (maintenant l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés), aucune question n'est certifiée.

      

                                                                                                                               « W. Andrew MacKay »            

                                                                                                                                                                 Juge                             

Ottawa (Ontario)

Le 21 janvier 2003

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                                        IMM-5173-00

INTITULÉ :                                                        RONGGAN ZHENG c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 14 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge MacKay

DATE DES MOTIFS :                                     Le 21 janvier 2003

  

COMPARUTIONS :

Timothy Leahy                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy Leahy                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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