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Date : 20041027

Dossier : IMM-7941-03

Référence : 2004 CF 1511

ENTRE :

                                                    MAHESWARY SIVAGNANAM

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision d'une agente chargée du renvoi, rendue en date du 8 octobre 2003 et communiquée à la demanderesse le même jour, par laquelle l'agente a informé la demanderesse que son renvoi au Sri Lanka ne serait pas reporté et que les dispositions alors prises à l'égard de l'expulsion seraient exécutées.


[2]                La demanderesse avait présenté de l'intérieur du Canada une demande d'établissement entre janvier et juillet 2003. Sa demande d'établissement était parrainée par son fils qui a un statut au Canada. À la date de l'audition de la présente demande, la demande d'établissement présentée par la demanderesse de l'intérieur du Canada n'avait pas été traitée.

[3]                Par une ordonnance datée du 15 octobre 2003, j'ai accordé un sursis au renvoi de la demanderesse dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

Le renvoi de la demanderesse est reporté jusqu'à l'arrivée de la première des dates suivantes : quinze (15) jours après que la demanderesse aura été informée de l'issue de sa demande d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et de la demande de parrainage s'y rattachant ou la date de la décision définitive qui sera rendue à l'égard de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en l'espèce.

LES FAITS

[4]                La demanderesse est citoyenne du Sri Lanka. Elle est une Tamoule du nord du Sri Lanka et elle a entre cinquante-cinq et soixante ans. Elle et son fils sont entrés au Canada en 1997. Ils ont présenté des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. La revendication du fils de la demanderesse a été acceptée, mais celle de la demanderesse a été refusée. Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire visant le refus de la revendication du statut de réfugié présentée par la demanderesse a été rejetée.

[5]                À la suite d'un examen des risques avant renvoi effectué à l'égard de la demanderesse, il a été décidé le 10 septembre 2003 qu'elle ne pouvait pas rester au Canada comme elle souhaitait le faire. Des dispositions à l'égard du renvoi de la demanderesse au Sri Lanka ont rapidement été prises.


[6]                La demanderesse est veuve. Sa mère et ses frères et soeurs vivent au Canada. Son fils, duquel est dépend largement, vit également au Canada. La demanderesse n'a qu'une seule autre proche parente, une fille qui vit au Danemark où elle a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention. La demanderesse a vécu des expériences traumatisantes dans le nord du Sri Lanka entre 1995 et 1997. Aucun des membres de sa famille et aucune autre personne avec laquelle elle a un lien étroit ne vivent encore au Sri Lanka.

[7]                La demanderesse a de graves problèmes de santé. Elle affirme qu'elle souffre d'asthme grave et qu'elle a eu de nombreuses crises d'asthme qui ont nécessité que son fils la transporte d'urgence à l'hôpital. Elle a des problèmes de thyroïde. Elle souffre d'arthrose. Elle prend des médicaments pour soigner ces deux dernières maladies. Elle affirme qu'elle oublie beaucoup de choses et que sans son fils qui lui rappelle quotidiennement ce qu'elle doit faire, elle pourrait bien oublier de prendre ses médicaments, ce qui aggraverait son état de santé. Au cours de l'année qui a précédé la signature de son affidavit, elle a perdu énormément de poids.

[8]                La demanderesse a peur de retourner au Sri Lanka. Elle affirme ce qui suit :

[TRADUCTION]

L'idée d'être forcée de retourner au Sri Lanka me fait peur et me désespère.

Je suis terrifiée à l'idée d'être seule là-bas. Je n'ai personne à retrouver là-bas.

En raison des expériences traumatisantes que j'ai vécues au Sri Lanka avant de m'enfuir du pays, je souffre encore des conséquences émotionnelles des expériences horribles vécues là-bas. Cela fait que je suis devenue extrêmement affolée à la possibilité de retourner au Sri Lanka. En fait, je ne crois pas que je pourrais émotionnellement survivre là-bas[1].


[9]                Le fils de la demanderesse fait pour elle tous les repas et le ménage.

[10]            En résumé, la demanderesse affirme qu'elle dépend beaucoup de son fils, qu'elle est devenue [TRADUCTION] « découragée et déprimée » et qu'elle ne pense pas qu'elle pourrait survivre si elle devait retourner au Sri Lanka.

[11]            Il est significatif que la demanderesse n'ait fourni aucun élément de preuve quant à l'existence ou l'absence d'agences de services sociaux ou d'agences semblables au Sri Lanka, dont elle pourrait payer les coûts, qui pourraient jouer le rôle de soutien que son fils joue pour elle ici au Canada.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[12]                La lettre communiquant la décision du défendeur de ne pas reporter le renvoi de la demanderesse au Sri Lanka ne contient aucune analyse au soutien de la décision. La partie essentielle de la lettre est rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

[...] Je ne suis pas d'avis qu'un report de l'exécution de la mesure de renvoi est approprié dans les circonstances de la présente affaire[2].

Cela dit, le dossier du tribunal contient des notes qui reflètent l'analyse plutôt réfléchie faite par l'agente qui a examiné la demande de report présentée par la demanderesse. Ces notes contiennent le passage suivant :


[TRADUCTION]

Bien que [la demanderesse] ait de nombreux facteurs impérieux d'ordre humanitaire, en tant qu'agente chargée du renvoi il ne m'appartient pas de les apprécier. C'est plutôt à l'agent chargé d'examiner ces facteurs de le faire[3].

[13]            L'agente a consulté un médecin agréé qui travaillait dans le ministère du défendeur. Ce médecin l'a informée qu'il existait au Sri Lanka des services médicaux pour les problèmes physiques et psychologiques de la demanderesse. Il l'a de plus informée que la demanderesse pourrait avoir [TRADUCTION] « accès » à des traitements pour sa dépression au Sri Lanka. L'agente chargée du renvoi ou l'agente d'exécution a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

Bien qu'il soit regrettable qu'elle ait à être séparée de son fils, cette séparation à elle seule n'est pas suffisante pour entraîner un report[4].

LES QUESTIONS EN LITIGE

[14]            Les questions en litige énumérées dans l'exposé des arguments de la demanderesse qui n'ont pas fait l'objet d'un désistement avant le début de l'audience sont les suivantes :

[TRADUCTION]

1.             L'agente a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a refusé d'examiner la demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire qui était en instance en dépit de son évaluation selon laquelle il existait des facteurs impérieux d'ordre humanitaire dans la présente affaire?


2.             L'agente a-t-elle commis une erreur de droit et a-t-elle entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a refusé d'examiner le risque pour la vie de la demanderesse[5]?

ANALYSE

[15]            Des juges de la Cour ont beaucoup écrit à l'égard du pouvoir discrétionnaire dont dispose un agent à qui, au nom du défendeur, on demande d'examiner le report des dispositions prises à l'égard d'un renvoi. Dans la décision Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6], mon collègue M. le juge Russell, après avoir examiné la jurisprudence dans ce domaine, a écrit ce qui suit au paragraphe [32] de ses motifs :

En résumé, la jurisprudence semble indiquer que le pouvoir discrétionnaire conféré à l'agente à l'article 48 [de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés] lui permet de tenir compte des circonstances qui influent directement sur les arrangements de voyage, mais que son examen ne doit pas aller plus loin. L'agente doit aussi tenir compte des autres circonstances particulières de l'affaire. D'une part, le simple fait qu'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire soit en instance ne justifie pas le report du renvoi et il n'appartient pas à l'agente d'exécution d'évaluer le bien-fondé d'une telle demande. D'autre part, l'agente peut entraver illégalement l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte de circonstances impérieuses propres à la personne visée par la mesure de renvoi, par exemple sa sécurité personnelle ou sa santé. [Non souligné dans l'original.]

[16]            Dans la décision Padda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7], Mme la juge Laydon-Stevenson, après avoir renvoyé aux motifs de la décision Prasad, a écrit ce qui suit :


La seconde erreur alléguée de l'agente d'exécution est qu'elle n'aurait aucunement tenu compte du contenu de l'évaluation psychologique concernant l'épouse de M. Padda. Ce n'est pas le cas. L'agente d'exécution a tenu compte du rapport psychologique et bien qu'elle n'ait pas employé les termes précis utilisés par le psychologue, ses remarques concernant le traitement étaient fidèles. Le demandeur ne peut prétendre que l'importance accordée au rapport était insuffisante. Il appartient à l'agent d'exécution de soupeser ces facteurs. [...] [Non souligné dans l'original.]

[17]            Selon les faits de la présente affaire, l'agente dont la décision fait l'objet du contrôle était clairement très au courant des préoccupations de la demanderesse. Elle a vraisemblablement fait plus que ce qu'elle était tenue de faire pour établir que des services médicaux seraient offerts à la demanderesse au Sri Lanka pour l'aider à affronter ses problèmes physiques et psychologiques. Cela dit, il semblerait, à la lecture des notes de l'agente, qu'elle n'a pas tenu compte de la préoccupation de la demanderesse selon laquelle elle est très dépendante de son fils ici au Canada et elle n'aurait pas un soutien équivalent au Sri Lanka. Je suis convaincu que cette préoccupation particulière était l'essence de l'expression « [...] circonstances impérieuses propres à la personne visée [...], par exemple [...] sa santé » , pour reprendre les mots du juge Russell précédemment cité en l'espèce dans le contexte. Je suis convaincu que l'omission de l'agente d'avoir examiné ces circonstances impérieuses propres à la personne visée, selon les faits de la présente affaire, constituait une entrave illégale de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.


[18]            Ce qui précède ne veut pas dire que les circonstances impérieuses propres à la demanderesse n'auraient pas pu être facilement traitées. Dans la décision Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8], M. le juge Martineau a écrit ce qui suit au paragraphe [44] :

[...] la demanderesse avait la charge de prouver, selon la prépondérance des probabilités, au moyen d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi, qu'elle se verrait probablement refuser l'accès [aux produits et médicaments nécessaires]. [...]

[19]            En l'espèce, selon les documents dont dispose la Cour, il semblerait que la demanderesse a omis de fournir des éléments de preuve dignes de foi au soutien de sa prétention selon laquelle le rôle joué par son fils ici au Canada, par son soutien, n'aurait pas pu au Sri Lanka être joué par une agence de services sociaux ou par un autre mécanisme qui aurait été disponible selon les ressources financières de la demanderesse et de sa famille.

[20]            Peu importe à quel point il aurait été facile pour l'agente de traiter des circonstances impérieuses propres à la demanderesse, je suis convaincu que l'omission de l'agente d'en avoir traité constituait une erreur susceptible de contrôle.

[21]            Pour les brefs motifs précédemment énoncés, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

CERTIFICATION D'UNE QUESTION


[22]            Lorsqu'il a été informé de ma conclusion à l'égard de la présente demande de contrôle judiciaire, l'avocat du défendeur a recommandé avec insistance la certification d'une question bien qu'il n'ait pas proposé à l'égard d'une telle question un libellé qui satisfaisait la Cour. L'avocate de la demanderesse a recommandé avec insistance de ne pas certifier de question.

[23]            Comme je l'ai mentionné précédemment, les questions en litige soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire ont souvent fait l'objet d'un examen par la Cour. Aucun des avocats n'a indiqué à la Cour que les mêmes questions ont été soumises à la Cour d'appel. Je suis convaincu que les questions soulevées en l'espèce sont maintenant devenues des questions graves de portée générale qui seraient déterminantes lors d'un appel de ma décision dans la présente affaire. Par conséquent, je certifierai la question suivante comme elle a été rédigée par la Cour et sans que les avocats aient la possibilité de faire des commentaires à l'égard du libellé précis :

En l'absence d'éléments de preuve démontrant que le pays de destination d'un demandeur sera incapable de répondre de façon satisfaisante à des circonstances impérieuses propres à une personne qui demande un report de renvoi, l'étendue de l'obligation de l'agent à qui une demande de report de renvoi a été présentée, selon ce qui a été établi dans les motifs de la présente décision, est-elle appropriée en droit?

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 27 octobre 2004

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7941-03

INTITULÉ :                                        MAHESWARY SIVAGNANAM

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

         

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 21 OCTOBRE 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DE L'ORDONNANCE :        LE 27 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Brena Parnes

Avocate

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)    M4P 1L3                             POUR LA DEMANDERESSE

David Tyndale

Ministère de la Justice

130, rue King Ouest

Bureau 3400, case postale 36

Toronto (Ontario)    M5X 1K6                POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman

Avocat

Waldman and Associates

Toronto (Ontario)                                              POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR



[1]       Dossier de demande de la demanderesse, onglet 3, page 9, paragraphes 10 à 12.

[2]       Dossier du tribunal, page 2.

[3]       Dossier du tribunal, page 3.

[4]       Dossier du tribunal, page 4.

[5]       Dossier de demande de la demanderesse, page 33.

[6]         [2003] A.C.F. no 805 (Q.L.).

[7]         [2003] A.C.F. no 1353 (Q.L.).

[8]         [2003] A.C.F. no 1837 (Q.L.).

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