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Date : 20031017

Dossier :T-669-02

                                                                                                            Référence : 2003 CF 1207

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 17 OCTOBRE 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                           WILL-SHER CONSTRUCTION LTD.

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                         - et -

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]                 Will-Sher Construction Ltd. (la demanderesse) a exploité une entreprise d'appareils automatiques de 1983 jusqu'au milieu de 1997, date à laquelle l'entreprise fut vendue. À partir du 1er janvier 1991, la demanderesse a perçu la TPS et l'a versée au receveur général en application de certaines dispositions de la Loi sur la taxe d'accise (Canada), L.R.C. 1985, ch. E-15 (la LTA), ce qu'elle a continué de faire jusqu'à la vente de l'entreprise.


[2]         En 1997, le juge Tremblay, juge de la Cour de l'impôt, avait estimé qu'un contribuable vendant des fournitures par l'entremise de dispositifs automatiques semblables à ceux de la demanderesse dans la présente affaire était dispensé de percevoir la TPS sur les fournitures vendues au moyen des distributeurs automatiques (Distribution Lévesque Vending (1986) Ltée c. Canada, [1997] A.C.I. n ° 338 (C.C.I.) (QL)). Pour que soient traités de la même façon tous les exploitants de tels appareils automatiques (c'est-à-dire ceux qui avaient versé la TPS et ceux qui ne l'avaient pas versée), le gouverneur en conseil prenait, le 4 mars 1999, un décret de remise, en application du paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 (la LGFP). L'article 2 du décret de remise donnait aux inscrits tels que la demanderesse le droit à la remise de la TPS pour la période de déclaration allant du 1er janvier 1991 au 23 avril 1996. Ce droit était subordonné à l'article 5 du Décret de remise :


5. La remise est accordée à la condition que l'inscrit dépose une demande écrite à cet égard au ministre du Revenu national dans les deux ans suivant la prise du présent décret, dans la mesure où la somme visée par la demande ne lui a pas déjà été remboursée, créditée ou remise en application de la Loi ou de la Loi sur la gestion des finances publiques.

5. A remission shall be granted if a registrant files an application in writing for the remission with the Minister of National Revenue not later than two years after the day on which this Order is made, except to the extent to which the amount has otherwise been rebated, credited or remitted to the registrant under the Act or the Financial Administration Act.


[3]         Le 16 septembre 1999, apprenant qu'elle pouvait obtenir la remise, la demanderesse réclamait à l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) une remise de 157 587,71 $ pour la TPS payée au titre de la période allant du 1er janvier 1994 au 1er juin 1997. Cette réclamation fut approuvée par l'ADRC et la somme en question fut remboursée à la demanderesse.


[4]         La demanderesse a appris plus tard, en janvier 2001, qu'elle pouvait obtenir la remise de versements de TPS remontant à 1991 et, le 21 mars 2001, elle envoyait une autre réclamation à l'ADRC pour obtenir une remise de 140 858,10 $ au titre de la TPS versée pour la période allant du 30 mars 1991 au 31 décembre 1993.

[5]         Le 20 juin 2001, la deuxième réclamation de la demanderesse était rejetée en totalité. Les motifs donnés étaient les suivants :

[traduction] La date limite de production d'une réclamation selon le décret de remise était le 5 mars 2001. Votre réclamation a été reçue le 29 mars 2001.

[6]         La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision du ministre du Revenu national (le ministre) de rejeter la deuxième réclamation.

Points en litige

[7]         Cette demande de contrôle judiciaire soulève les points suivants :

1.          Le ministre a-t-il commis une erreur en interprétant l'article 5 du Décret de remise d'une manière qui empêchait la demanderesse de recouvrer la TPS payée par elle pour la période allant de 1991 à 1993?

2.          Le ministre s'est-il enrichi injustement?


3.          Le ministre a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable parce qu'il a refusé de considérer que la deuxième demande de remise constituait une modification de la première demande?

Analyse

Question préjudicielle : Quelle est la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la décision du ministre?

[8]         Dans cette affaire, le seul point à examiner est celui de savoir si le ministre a commis une erreur de droit dans l'interprétation de la condition fixée par le Décret de remise. Les décisions administratives qui prétendent régler des points de droit appellent une retenue moindre de la part des tribunaux. En l'espèce, il ne m'est pas nécessaire de dire si la norme est celle de la décision correcte (la norme appliquée dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, [1993] A.C.S. n ° 20 (QL); et dans l'arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33, [2002] A.C.S. n ° 31 (QL)) ou une autre norme, vu que, selon moi, le ministre a interprété correctement la disposition lorsqu'il a refusé la remise à la demanderesse. Mes motifs sont les suivants.

Point n ° 1 : Le ministre a-t-il commis une erreur en interprétant l'article 5 du Décret de remise d'une manière qui empêchait la demanderesse de recouvrer la TPS payée par elle pour la période allant de 1991 à 1993?


[9]         L'article 5 du Décret de remise semble clair et sans équivoque. Cette disposition fait obligation au ministre de rembourser la TPS en question. Cependant, cette obligation du ministre ne prend naissance que si une demande est déposée « dans les deux ans suivant la prise du présent décret » .

[10]       La demanderesse voudrait que j'interprète cette disposition comme un texte obligeant le ministre à accepter la demande de remise quelle que soit la date à laquelle elle a été déposée. D'abord, selon la demanderesse, l'article 5 du Décret de remise n'est pas une « condition » au sens du paragraphe 23(5) de la LGFP. Sur ce point, la demanderesse se réfère à la définition d'une « condition » d'après le Black's Law Dictionary, 4e éd. (Wester Publishing Co.: St. Paul, 1968), qui décrit ainsi une condition :

[traduction] « Une réserve, restriction ou limite modifiant ou annulant l'acte original auquel elle se rapporte; un événement, fait ou incident qui est nécessaire pour la survenue d'un autre événement, fait ou incident, mais qui n'est pas la cause de cet autre événement, fait ou incident; une condition préalable; une stipulation » .

[11]       Puisque, selon la demanderesse, nous n'avons pas ici affaire à une « condition » , le Décret de remise doit être considéré comme un décret « inconditionnel » , et la demanderesse a alors droit au remboursement de la TPS.


[12]       Je ne partage pas cette manière de voir. La demanderesse a raison de dire que cette « condition » ne semble pas coller à la définition donnée dans le Black's Law Dictionary, mais cela ne veut pas dire que le Décret de remise était « inconditionnel » . Je dirais même que la question de savoir si nous sommes ou non devant une condition n'est probablement pas déterminante.

[13]       La bonne interprétation de cette disposition ne requiert pas de se demander s'il existe ou non une condition. Contrairement à ce qu'affirme la demanderesse, l'article 5 du Décret de remise n'est pas ambigu. Il saute aux yeux que le gouverneur en conseil a établi sans équivoque que la remise de la TPS était subordonnée au dépôt d'une demande en ce sens à l'intérieur de la période précisée de deux ans. Si une demande est faite après le 5 mars 2001, la disposition n'est tout simplement pas applicable et le ministre n'a pas le pouvoir ni la faculté d'accorder une remise. Ayant fixé au départ le délai précis à observer, seul le gouverneur en conseil pouvait proroger le délai de dépôt des demandes. Il ne l'a pas fait. Interpréter différemment l'article 5 ou les dispositions applicables de la LGFP, c'est dénaturer à l'excès le texte du Décret de remise.


[14]       Selon la demanderesse, il ne saurait s'agir là du résultat recherché par le Décret de remise, un décret qui a été pris pour corriger l'injustice produite par la perception de la TPS. Là encore, je ne puis souscrire à la manière dont la demanderesse voit le délai de deux ans. Le gouverneur en conseil, agissant dans l'intérêt supérieur de toute la population, a établi un délai de deux ans à l'intention des contribuables auxquels préjudiciait la perception de la TPS. Le délai n'était pas excessivement ou injustement bref. À la fin de la période, le gouvernement allait pouvoir poursuivre sa planification financière en étant certain qu'il n'y aurait plus de demandes de remboursement. Cet équilibre entre l'équité envers les contribuables et la certitude nécessaire pour une bonne planification budgétaire dans l'intérêt de tous les contribuables canadiens est un élément essentiel du pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des décrets de remise. Une limite de deux ans à l'application du décret de remise s'accorde avec les responsabilités du gouverneur en conseil aux termes de la LGFP.

[15]       J'admets que cette interprétation aura pour résultat que les contribuables ne bénéficieront pas tous du même traitement; ceux qui ont respecté la date limite recevront leurs remboursements et ceux qui ont déposé leurs demandes après le 5 mars 2001 n'obtiendront pas satisfaction. C'est un objectif louable que les contribuables soient traités de la même façon dans les mêmes circonstances. Cependant, on peut aussi bien soutenir que le report de la date limite par décision discrétionnaire risque lui aussi de conduire à un traitement discrétionnaire. L'article 5, interprété comme je crois qu'il doit l'être, assure l'uniformité, en ce sens que tous les propriétaires de machines automatiques qui déposent leurs demandes de remise de TPS après le délai de deux ans seront traités de la même façon par le ministre, c'est-à-dire que leurs demandes seront refusées.

[16]       Pour conclure sur cet aspect, je suis d'avis que le ministre n'a pas commis d'erreur dans la manière dont il a interprété le Décret de remise.


Point n ° 2 : Le ministre s'est-il enrichi injustement?

[17]       Selon la demanderesse, si la Cour accepte la manière dont le ministre interprète l'article 5 du Décret de remise, le ministre bénéficiera d'une « manne » injustifiée.

[18]       Pour qu'il y ait enrichissement sans cause, trois conditions doivent être remplies. Il doit y avoir enrichissement, privation correspondante et absence d'une justification juridique pour l'enrichissement (Peter c. Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980, [1993] A.C.S. n ° 36 (QL)). J'admets que, dans le cas qui nous occupe, le ministre s'est enrichi et la demanderesse a été dépossédée dans la même proportion. Cependant, à mon avis, il y a une justification juridique pour l'enrichissement; la troisième condition n'est donc pas remplie. La législation renferme un code complet pour la remise de la somme payée par erreur.


[19]       La demanderesse fait valoir avec insistance qu'elle n'avait pas connaissance du Décret de remise. L'ignorance de la loi ne peut être une raison valide pour la Cour de juger en équité. Le Décret de remise était un document public. D'ailleurs, la demanderesse a certainement eu connaissance de l'existence d'un décret de remise lorsqu'elle a déposé sa première demande le 16 septembre 1999. Au lieu de lire le Décret de remise, la demanderesse s'en est rapportée à une connaissance pour s'informer de la teneur du décret. Seize mois plus tard, et tout à fait par hasard, la demanderesse a découvert qu'elle aurait pu obtenir remise de la TPS qui avait été perçue au cours d'une période antérieure. Je comprends le point de vue de la demanderesse, mais je ne crois pas qu'il s'agisse là d'un cas où la Cour devrait juger en équité. Ce serait en effet contrarier un régime législatif qui informait suffisamment la demanderesse.

Point n ° 3 : Le ministre a-t-il commis une erreur manifestement déraisonnable parce qu'il a refusé de considérer que la deuxième demande de remise constituait une modification de la première demande?

[20]       Selon la demanderesse, la deuxième demande de remise se limitait à modifier la première demande, qui avait été déposée dans le délai imparti. Cet argument repose en partie sur la définition des mots « modifier » et « modification » (Black's Law Dictionary, 4e éd. (Wester Publishing Co. : St. Paul, 1968)). Se fondant sur cette définition, la demanderesse dit que la deuxième demande de remise était à l'évidence une amélioration de la première demande, une tentative de corriger le défaut initial de la première demande, défaut qui résultait de l'ignorance de la demanderesse. Ainsi, de dire la demanderesse, la décision de l'ADRC selon laquelle la deuxième demande de remise constitue une nouvelle demande de remise de TPS produite après le 5 mars 2001 constitue une erreur de fait qui justifie une révision.


[21]       Je doute que la demanderesse ait jamais considéré la deuxième demande comme une modification de la première. La preuve semble montrer que la deuxième demande était une nouvelle demande et pas simplement un éclaircissement ou une modification de la première. La demanderesse a coché la case « non » , sur la deuxième demande de remise, en réponse à la question : « Cette demande modifie-t-elle une demande antérieure? » . La demanderesse elle-même considérait donc que la deuxième demande était une demande tout à fait séparée.

[22]       Quoi qu'il en soit, il est logique de conclure que, après qu'une demande de remise de TPS a été accordée, c'est-à-dire après que le ministre eut remis la TPS à la demanderesse, la demande en question n'était plus d'actualité et ne pouvait donc pas être modifiée seize mois plus tard.

[23]       Il n'y a pas ici d'erreur justifiant une révision.

Conclusion

[24]       En conclusion, cette demande ne peut être accueillie, pour les motifs suivants :

1.          Le ministre a validement interprété les dispositions du Décret de remise lorsqu'il a refusé la demande de remise déposée après le délai de deux ans fixé par l'article 5 du Décret de remise.


2.          Les circonstances de cette affaire n'entraînent pas un enrichissement sans cause.

3.          La deuxième demande de remise, refusée celle-là, était une nouvelle demande déposée après l'échéance fixée par le Décret de remise.

Dépens

[25]       Le défendeur voudrait que, s'il obtient gain de cause, je lui accorde des dépens pour la somme de 1 814,80 $ indiquée dans son mémoire de dépens. La demanderesse dit que, si elle n'obtient pas gain de cause, je devrais tenir compte du fait que c'est la première fois que la Cour est appelée à interpréter ce Décret de remise. Dans une situation semblable (La Reine c. Cerescorp Inc. [1985] 2 C.F. 247 (1re inst.) (QL)), monsieur le juge Joyal avait refusé d'accorder des dépens parce que « la Cour n'a jamais examiné les termes du décret de remise auparavant » .


[26]       Dans l'affaire Cerescorp, outre que cette affaire était examinée par la Cour pour la première fois, je relève que les points soulevés étaient très embrouillés et que les parties avaient dû s'employer à rédiger ensemble une ordonnance complexe. Par conséquent, je ne crois pas devoir ici exercer mon pouvoir discrétionnaire et dispenser la demanderesse de tous les dépens. Néanmoins, je suis disposée à exercer mon pouvoir discrétionnaire en accordant au défendeur des dépens fixés à 900 $.

                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2. Des dépens fixés à la somme de 900 $ sont accordés au défendeur.

                                                                                                                          _ Judith A. Snider _             

                                                                                                                                                    Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                           COUR FÉDÉRALE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           T-669-02

INTITULÉ :                                                          WILL-SHER CONSTRUCTION LTD. c.

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                  CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE VENDREDI 15 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                        LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                       LE VENDREDI 17 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

JONATHAN D. WARREN                                             POUR LA DEMANDERESSE

JOHN O'CALLAGHAN                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WARREN TETTENSOR LLP                                        POUR LA DEMANDERESSE

CALGARY (ALBERTA)

MORRIS ROSENBERG                                                 POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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