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Date : 20031107

Dossiers : T-1837-02 et T-1838-02

Référence : 2003 CF 1312

ENTRE :

                                                          SHUN SHENG LIAO

                                                                                                                                            appelant

ET

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                               intimé

ET ENTRE :

                                                                      I JU HU

                                                                                                                                          appelante

ET

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                               intimé

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 J'ai été saisi de ces affaires à Vancouver, le 7 octobre 2003. Les avocats des deux parties ont accepté qu'une seule décision soit rendue pour les deux affaires étant donné que l'appel d'I Ju Hu repose sur les faits analysés dans l'appel de son mari, Shun Sheng Liao.


[2]                 Il s'agit d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), et de l'article 21 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, visant la décision du juge de la citoyenneté Hodge de rejeter, le 9 septembre 2002, la demande de citoyenneté canadienne des demandeurs au motif qu'ils ne satisfaisaient pas à la condition de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[3]                 Les appelants sont arrivés au Canada en qualité de résidents permanents le 7 novembre 1997. Ils se sont installés dans une maison qu'ils louaient à Surrey, où ils sont demeurés jusqu'en janvier 1999.

[4]                 En novembre 1997, l'appelant Liao a commencé à travailler pour la société Crédit Ford du Canada Limitée (Crédit Ford) et a été affecté à sa filiale à Vancouver.

[5]                 En janvier 1999, l'appelant Liao a été nommé à un poste en Chine par Crédit Ford. L'affectation devait durer trois ans, mais, en juin 2000, Crédit Ford a demandé à l'appelant Liao d'accepter une nouvelle affectation de trois ans au Japon.

[6]                 L'appelante Hu et les deux jeunes enfants du couple ont accompagné l'appelant Liao en Chine et au Japon. Pendant qu'ils étaient à l'étranger, les appelants ont obtenu des permis de retour pour résident permanent qui les autorisaient à revenir au Canada.


[7]                 L'employeur de l'appelant Liao lui versait son salaire au Canada pendant toutes les périodes pertinentes. De plus, l'appelant Liao payait de l'impôt sur le revenu des particuliers à Revenu Canada et, pendant toute la durée de son emploi, son employeur continuera à retenir des sommes au titre de l'impôt.

[8]                 Des cartes d'assurance sociale, des cartes relatives aux soins de santé et des permis de conduire ont été délivrés aux appelants. Ces derniers ont conservé des comptes de banque au Canada, dans lesquels le solde du revenu de l'appelant Liao était placé. Ils possédaient aussi différentes cartes de crédit canadiennes, notamment de grands magasins.

[9]                 Les appelants ont demandé la citoyenneté canadienne le 15 mars 2001.

[10]            Pendant la période sous examen, le total possible de jours de résidence des appelants est de 1 223 (du 15 novembre 1997 au 15 mars 2001). L'appelant Liao a en fait résidé au Canada pendant 434 jours et en a été absent pendant 789 jours, ce qui représente un déficit de 661 jours par rapport au nombre de jours spécifié dans la Loi. Pour ce qui est de l'appelante Hu, elle a en fait résidé au Canada pendant 445 jours et en a été absente pendant 778 jours. Le déficit dans son cas est de 650 jours.


[11]            Le juge de la citoyenneté a conclu que les appelants satisfaisaient à toutes les conditions de la citoyenneté décrites dans la Loi, à l'exception de celle prévue à l'alinéa 5(1)c) :

Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois : [...]

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout...

[12]            Le juge de la citoyenneté a indiqué dans sa décision qu'il avait étudié la demande à la lumière du critère de résidence établi par la juge Reed dans Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286, sans toutefois décrire expressément les facteurs pertinents. Il a mentionné que les principales questions sur lesquelles il devait se prononcer concernaient la mesure dans laquelle les appelants avaient centralisé leur vie au Canada et la mesure dans laquelle le temps qu'ils avaient passé au Canada leur avait permis de devenir des Canadiens en vivant et en travaillant avec des Canadiens et en s'intégrant à la société canadienne.

[13]            Le juge de la citoyenneté a fait remarquer qu'il existait différents indices de la résidence des appelants au Canada. À titre d'exemple, ils possédaient une voiture, un compte en banque et des cartes de crédit de grands magasins. Il a toutefois considéré qu'il ne s'agissait que d'indices passifs de la résidence.


[14]            De plus, les appelants et leurs deux jeunes enfants ont passé la plus grande partie de leur temps à l'extérieur du Canada. Le juge de la citoyenneté a conclu que leurs absences semblaient être de nature structurelle et constituaient un mode de vie plutôt qu'un phénomène temporaire.

[15]            Le juge de la citoyenneté a conclu que les appelants n'avaient pas assez centralisé leur vie au Canada, en vivant avec les Canadiens et en s'intégrant à la société canadienne. En conséquence, il a rejeté leur demande de citoyenneté canadienne.

[16]            La principale question en l'espèce consiste à déterminer si le juge de la citoyenneté a eu tort de conclure que les appelants ne remplissaient pas la condition prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, soit avoir, dans les quatre ans qui ont précédé la date de leur demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout.

[17]            Les appelants soutiennent qu'ils ont accumulé les trois années de résidence nécessaires et que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant le contraire.

[18]            Les appelants prétendent que le juge de la citoyenneté n'a pas tenu compte du fait qu'ils étaient des résidents du Canada depuis au moins trois ans, de sorte qu'ils satisfaisaient à la condition prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Plusieurs des conclusions de fait tirées par le juge de la citoyenneté dans sa décision sont donc erronées.


[19]            Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux décisions d'un juge de la citoyenneté est une norme qui est proche de la décision correcte, une certaine retenue étant exigée envers les connaissances et l'expérience particulières des juges de la citoyenneté (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 410).

[20]            En l'espèce, le juge de la citoyenneté a commis de nombreuses erreurs en concluant que les appelants ne satisfaisaient pas aux conditions de résidence.

[21]            En premier lieu, le juge de la citoyenneté a commis une erreur lorsqu'il a déclaré que le lieu d'affaires de l'appelant Liao était situé en Chine. En fait, l'appelant Liao travaillait pour une société canadienne et a été affecté à un poste à l'étranger de façon temporaire. Ses absences du Canada n'étaient donc pas de nature structurelle. Elles ne dépendaient pas de lui mais de son employeur canadien.

[22]            En deuxième lieu, pendant la période pertinente, l'appelant Liao travaillait pour une société canadienne et payait de l'impôt sur le revenu au Canada. De plus, son salaire était déposé en entier dans des comptes de banque au Canada, jamais en Chine ou au Japon. L'adresse figurant sur tous ses bordereaux de dépôt, comptes de banque et chèques était une adresse canadienne.


[23]            En troisième lieu, le juge de la citoyenneté n'a jamais souligné que les appelants avaient vécu au Canada pendant 14 ou 15 mois avant que l'appelant Liao soit muté à l'étranger. Ce fait étaye la prétention des appelants selon laquelle ils ont établi une résidence au Canada et ont des liens solides avec le Canada.

[24]            Finalement, le juge de la citoyenneté a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que les appelants avaient vendu leur maison à Taïwan lorsqu'ils sont arrivés au Canada. L'intimé accorde beaucoup d'importance au fait que les appelants, au moment de leur retour au Canada, n'auront aucune [traduction] « maison » où retourner. Les appelants ont cependant dépensé des sommes considérables afin que tous leurs biens personnels soient entreposés au Canada pendant toute la durée de leur séjour à l'étranger. Cela démontre clairement que l'affectation à l'étranger est temporaire et que les appelants ont l'intention de s'installer de nouveau au Canada ensuite.

[25]            Comme dans l'affaire Lam, l'affectation de l'appelant Liao en Chine et au Japon est temporaire. De plus, compte tenu du jeune âge des enfants des appelants, toute la famille devait accompagner l'appelant Liao.

[26]            Le juge de la citoyenneté a bien compris la jurisprudence, mais il a commis de nombreuses erreurs et omissions dans son examen des faits.


[27]            Les appelants avaient suffisamment centralisé leur vie au Canada au moment où ils ont présenté leur demande de citoyenneté. Bien qu'ils aient été absents du Canada pendant de longues périodes, ces absences étaient justifiées dans les circonstances. Il ne fait aucun doute qu'il existe des indices suffisants de leur résidence au Canada pour leur permettre d'obtenir la citoyenneté canadienne. L'appel est accueilli, et je recommande que la citoyenneté soit attribuée aux appelants.

          « P. Rouleau »          

      Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 novembre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                           COUR FÉDÉRALE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                         T-1837-02 et T-1838-02

INTITULÉ :                                                          I JU HU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

SHUN SHENG LIAO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                  VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE 7 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                       LE 7 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Lawrence Wong                                                     POUR LES APPELANTS

Peter Bell                                                                POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Lawrence Wong                                                     POUR LES APPELANTS

Lawrence Wong &

associates

Morris Rosenberg                                                   POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada


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