Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030520

Dossier : IMM-4478-02

Référence : 2003 CFPI 632

ENTRE :

                                                   GABRIEL OSEI BOATENG

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LAYDEN-STEVENSON


[1]                 Le demandeur est un évangéliste chrétien âgé de 29 ans qui vient du Ghana. Il affirme craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa religion et de ses opinions politiques. Il craint d'être persécuté par certains citoyens et par certaines familles du Ghana, par les jeunes Ghanéens, par les musulmans et par la police. Il affirme également avoir qualité de personne à protéger, en ce sens qu'il est exposé au risque d'être soumis à la torture ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Le 29 août 2002, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le demandeur n'avait pas qualité de réfugié ni de personne à protéger. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                 Dans l'exposé circonstancié figurant dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP), le demandeur déclare avoir été évangéliste pendant 10 ou 11 ans. Il est apparemment bien connu et il a fait de nombreuses prophéties. Une prophétie, en particulier, est importante pour ce qui est de sa revendication. Il déclare qu'au mois de février 2001, après une période de jeûne et de prière, il a eu une vision à la suite de laquelle il a transmis un avertissement à la population d'Accra et de Kumasi, à savoir que les deux villes feraient face à un événement désastreux. Après avoir prêché au sujet de cette vision, le demandeur et sa famille ont été menacés et attaqués par des non-chrétiens, qui considéraient la prophétie comme étant de mauvaise augure. Le demandeur affirme que sa prophétie s'est réalisée lorsqu'une émeute, lors d'un match de soccer, a causé la mort de 126 citoyens, à Kumasi et à Accra. Il affirme qu'après cette tragédie, des attentats innombrables ont été faits contre sa vie, qu'une de ses voitures a été brûlée et que certains anciens de son Église ont été blessés. Dans le FRP, il est mentionné que même si le demandeur s'est adressé à la police, il avait de nombreux ennemis parmi les policiers et que la police ne voulait pas l'aider parce qu'il avait fréquemment prêché contre la corruption. La police n'a aucunement tenté d'enquêter parce qu'aucun suspect n'avait été désigné. Le demandeur a annulé les activités prévues et s'est caché. Il a quitté le Ghana au mois de juin 2001; il est venu au Canada en passant par la Côte d'Ivoire.


[3]                 Le premier groupe que craignait le demandeur était composé de personnes qui croyaient que sa prophétie était de mauvaise augure; ce groupe avait censément persécuté le demandeur après l'émeute, lors du match de soccer. Le deuxième groupe était composé de certains jeunes Ghanéens qui, parce qu'il prêchait contre les relations sexuelles et contre l'usage de la drogue et parlait du risque de contracter le SIDA, insultaient le demandeur et le harcelaient. Le troisième groupe que le demandeur craint est composé de musulmans. Le demandeur a témoigné que les musulmans étaient furieux en l'entendant dire que Jésus était la seule voie. C'étaient principalement des musulmans qui avaient perdu des membres de leur famille lors du match de soccer, et la plupart des spectateurs et des joueurs étaient musulmans. Le demandeur affirme que des musulmans sont venus essayer de le tuer après cet événement. Le demandeur craint le quatrième groupe, la police, parce qu'il prêchait contre la corruption. Il a dit que la police croyait que ses paroles prophétiques avaient amené les policiers à utiliser du gaz lacrymogène lors de l'émeute.


[4]                 La SPR a conclu que le demandeur avait établi son identité personnelle; elle a reconnu qu'il s'agissait d'un évangéliste qui effectuait des croisades dans diverses parties du Ghana. Toutefois, elle a conclu que le demandeur n'avait pas présenté suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir l'existence d'une possibilité raisonnable qu'il soit en danger parmi les citoyens ghanéens parce qu'il avait prédit un désastre et à cause de la tragédie subséquente qui était survenue lors du match de soccer. En ce qui concerne l'allégation relative au danger que présentaient les musulmans, la SPR a conclu que les événements connexes n'étaient pas suffisamment sérieux, constants ou répétitifs pour constituer cumulativement de la persécution. Il a été conclu que l'événement mettant en cause de jeunes Ghanéens, en l'an 2000, était un événement isolé. En ce qui concerne la police, le tribunal a conclu qu'il était invraisemblable que la police blâme le demandeur pour les mesures qu'elle avait prises lors de l'émeute au point qu'elle consacrerait son temps et son argent à essayer de le tuer. La SPR a mentionné la preuve documentaire relative à l'émeute. Rien n'indiquait que l'on blâmait quelqu'un d'autre que la police. Le tribunal a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir que le demandeur était une personnalité de renom qui serait ciblé par les personnes qu'il craignait censément.

[5]                 La SPR n'a pas retenu l'explication que le demandeur avait fournie pour ne pas avoir revendiqué la qualité de réfugié en Côte d'Ivoire. Elle a tenu compte du fait que le demandeur était un voyageur informé et qu'il avait revendiqué la qualité de réfugié dès son arrivée au Canada. Elle a conclu que son omission de revendiquer ailleurs la qualité de réfugié était pertinente en ce qui concerne sa crainte subjective.


[6]                 Enfin, la SPR a conclu que le demandeur n'avait pas qualité de personne à protéger au sens de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) parce qu'il n'existait aucun élément établissant que, par le passé, le demandeur avait été soumis à la torture ou avait été maltraité par des fonctionnaires ou par des personnes agissant à titre officiel, ou encore sur les instances ou avec le consentement de certaines personnes. De plus, il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles ou dignes de foi permettant d'établir qu'il y avait une possibilité raisonnable que la vie du demandeur soit menacée ou que le demandeur soit exposé au risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il retournait au Ghana.

[7]                 Le demandeur allègue que la SPR a commis une erreur en mettant l'accent sur la question de savoir s'il était un « personnage de renom » et il affirme que cela n'est pas pertinent parce que, selon la preuve qu'il a soumise, il était une « personnalité » . Il affirme qu'il incombe à la SPR de définir ce qu'elle entend par « profil » . À mon avis, cet argument n'est pas fondé. C'était le demandeur qui affirmait être une personnalité. Le demandeur a allégué que les groupes le connaissaient et qu'ils étaient au courant de ses sermons et de ses prophéties parce qu'il était une personnalité. Il ressort de la décision de la SPR que celle-ci a conclu que le demandeur n'était pas bien connu. La SPR a reconnu que la preuve documentaire soumise par le demandeur établissait qu'il était évangéliste, mais elle a conclu que cette preuve n'indiquait pas jusqu'à quel point il était connu. La SPR a examiné la preuve documentaire objective. Elle a conclu que « la sphère d'influence du demandeur d'asile n'est pas aussi vaste qu'il le croit » . En parlant de « personnage de renom » dans le contexte de l'affaire, la SPR voulait clairement dire que le demandeur n'était pas bien connu, c'est-à-dire qu'il n'était pas une personnalité. Il n'est pas nécessaire de définir ce qui est évident.

[8]                 Le demandeur affirme également que le tribunal n'a pas tenu compte de sa situation dans le contexte ghanéen. Plus précisément, le demandeur allègue que le tribunal n'a pas apprécié l'importance de la preuve documentaire par rapport à la croyance dans la sorcellerie au Ghana ainsi que de la preuve qui donne à entendre que les Ghanéens usent de représailles et se livrent à des activités de justiciers. Le tribunal a longuement fait état de la preuve documentaire. Il n'y a rien dans sa décision qui donne à entendre que le tribunal ait omis de tenir compte de la preuve sur laquelle le demandeur se fondait. Le fait que certains éléments de la preuve documentaire n'ont pas été mentionnés ne porte pas un coup fatal à la décision du tribunal. Les passages tirés de la preuve documentaire sur lesquels le demandeur se fonde font partie de l'ensemble de la preuve que la SPR peut à bon droit soupeser sur le plan de la fiabilité et de la vraisemblance : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.). De plus, le tribunal a examiné et analysé les allégations concernant chacun des quatre groupes qui, comme le demandeur le maintient, le ciblaient et il a conclu que les allégations du demandeur n'étaient pas fondées. La SPR a fourni des motifs clairs et convaincants à l'appui des conclusions qu'elle a tirées au sujet de chacun des groupes.


[9]                 En contestant les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la SPR, le demandeur soutient que la preuve qu'il a soumise est réputée être véridique et qu'elle n'a pas à être corroborée. Il est exact que le témoignage que le demandeur a présenté sous serment est réputé être véridique à moins qu'il n'y ait lieu d'en douter : Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.).Toutefois, la présomption est toujours réfutable, et, dans les circonstances appropriées, elle peut être réfutée compte tenu du fait que la preuve documentaire ne mentionne pas ce à quoi on s'attendrait normalement : Adu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 114 (1re inst.). Compte tenu de la nature vague et imprécise de la preuve fournie par le demandeur, il y avait lieu de douter de sa véracité et la SPR pouvait à bon droit demander qu'elle soit corroborée. Quant à l'allégation du demandeur selon laquelle le tribunal aurait dû lui parler des préoccupations qu'il avait au sujet de la crédibilité et de l'invraisemblance et qu'il aurait dû lui donner la possibilité de répondre, le tribunal n'est pas tenu de signaler les conclusions qu'il a tirées au sujet de l'invraisemblance ou de la crédibilité générale de la preuve, avant de rendre une décision. Il reste qu'il incombe au demandeur d'établir, par des éléments de preuve dignes de foi, sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention : Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 45 Imm. L.R. (2d) 209 (1re inst.).

[10]            Le demandeur allègue également que la SPR aurait dû se demander si les évangélistes chrétiens constituent un groupe social et s'ils risquent d'être persécutés au Ghana. Or, il n'existe aucun élément de preuve indiquant que les évangélistes sont ciblés au Ghana. Le tribunal a mentionné le rapport sur la liberté religieuse en date du mois d'octobre 2001 du Department of State américain, indiquant que les relations entre les collectivités religieuses sont généralement amicales et que les porte-parole de ces collectivités prônent la tolérance. Le rapport indique également que les groupes missionnaires exercent leurs activités en toute liberté partout au pays.


[11]            Le demandeur soutient enfin qu'il n'existait aucun élément de preuve au sujet de la question de savoir si la Côte d'Ivoire accepte les réfugiés qui viennent du Ghana. Le demandeur a été informé, avant l'audience, que son omission de revendiquer la qualité de réfugié ailleurs serait un point litigieux. La SPR considérait que l'omission de revendiquer la qualité de réfugié en Côte d'Ivoire était pertinente en ce qui concerne l'élément subjectif de la revendication. La SPR n'a pas fondé sa décision sur ce facteur. L'explication subsidiaire avancée par le demandeur sur ce point a été examinée par le tribunal lorsqu'il a conclu que le demandeur n'était pas bien connu.

[12]            La SPR a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles à l'appui de la revendication du demandeur. Je ne suis pas convaincue qu'elle ait commis une erreur en tirant cette conclusion. La demande de contrôle judiciaire est rejetée et une ordonnance en ce sens sera rendue.

[13]            L'avocate du demandeur a proposé la certification de la question ci-après énoncée :

[traduction] Le tribunal est-il tenu de fournir des critères précis au sujet du profil d'un demandeur?


Eu égard aux faits de l'affaire, la question ne se pose pas. Comme il en a déjà été fait mention dans ces motifs, la SPR dit clairement dans sa décision qu'en parlant du « profil » du demandeur, elle se demandait si le demandeur était bien connu. Le mot « profil » ne peut pas ici donner lieu à une autre interprétation raisonnable et on ne saurait dire qu'on a laissé le demandeur se demander quels « critères précis » le tribunal a appliqués. Par conséquent, la question, si elle peut être certifiée, se poserait plutôt dans un cas où les faits la justifient. Aucune question n'est certifiée.

    « Carolyn A. Layden-Stevenson »   

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 20 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               IMM-4478-02

INTITULÉ :                                                              GABRIEL OSEI BOATENG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    Le 8 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                      MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                                            Le 20 mai 2003

COMPARUTIONS :

Mme Roxanne Haniff-Darwent                                    POUR LE DEMANDEUR

M. Rick Garvin                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Roxanne Haniff-Darwent                                    POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

M. Morris A. Rosenberg                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


Date : 20030520

Dossier : IMM-4478-02

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

ENTRE :

                                                   GABRIEL OSEI BOATENG

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                              ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

   « Carolyn A. Layden-Stevenson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.