Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190709


Dossier : IMM‑5288‑17

Référence : 2019 CF 903

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

OLABIMPE SALAMAT TEJUOSO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  APERÇU

[1]  La demanderesse, Olabimpe Salamat Tejuoso, est une citoyenne du Nigéria. Elle a demandé l’asile au Canada au motif qu’elle craignait avec raison d’être persécutée au Nigéria du fait qu’elle était bisexuelle. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté sa demande. La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR. Dans une décision datée du 9 novembre 2017, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR.

[2]  La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Elle soutient que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve, que la SAR a appliqué la mauvaise norme de contrôle en appel et que sa décision est déraisonnable.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande contrôle judiciaire sera rejetée.

II.  LES FAITS

[4]  La demanderesse est née au Nigéria en avril 1998. Elle prétend qu’adolescente, elle a découvert son orientation bisexuelle et a eu une relation de nature sexuelle avec sa meilleure amie, Remi. Au même moment, elle entretenait une relation avec un jeune homme, Pamilerin.

[5]  Selon la demanderesse, en août 2015 (alors qu’elle avait 17 ans), Pamilerin a découvert des vidéos et des photos de nature sexuelle de Remi et elle. Pamilerin a menacé d’exposer la bisexualité de la demanderesse à sa famille et à ses amis, ainsi qu’à la police. Il a utilisé ces renseignements pour lui extorquer de l’argent et la forcer à avoir des relations sexuelles avec lui.

[6]  La demanderesse dit qu’à la suggestion de sa mère, elle est venue au Canada en avril 2016 pour étudier. Elle allègue que Pamilerin est devenu furieux, du fait qu’elle a quitté le Nigéria sans l’aviser, et qu’il a donc rendu publique son orientation sexuelle. La demanderesse allègue qu’elle craint de retourner au Nigéria, parce que la police l’arrêterait et que sa famille la forcerait à subir une purification rituelle pour la guérir de sa bisexualité et l’obligerait à épouser un homme plus âgé.

[7]  La demanderesse a demandé l’asile le 16 septembre 2016. La SPR a instruit sa demande le 13 décembre 2016.

[8]  Pour les motifs datés du 20 avril 2017, la SPR a conclu que la demanderesse avait établi son identité nationale, mais non son orientation bisexuelle ou sa crainte subjective de retourner au Nigéria. Le commissaire de la SPR a jugé que la demanderesse n’était pas un témoin crédible. Par conséquent, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée au Nigéria ou que, selon la prépondérance des probabilités, elle soit personnellement exposée à un risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle retournait au Nigéria. Par conséquent, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

[9]  La SPR a formulé plusieurs motifs pour conclure que la demanderesse n’était pas un témoin crédible, y compris le fait qu’elle avait présenté une demande frauduleuse de visa d’études et que son récit de son arrivée au Canada était invraisemblable.

[10]  La SPR a aussi donné plusieurs motifs pour conclure que la demanderesse n’était pas bisexuelle et qu’elle n’avait pas eu une relation homosexuelle avec Remi, notamment :

  • la demanderesse ne pouvait se rappeler les filles qui l’attiraient à l’école secondaire, même si ce n’était que quatre ans auparavant;

  • la demanderesse a donné la même description générale des filles qui l’attiraient à l’école secondaire et de Remi, supposément sa partenaire de longue date;

  • la demanderesse n’a pas pu donner de détails de sa relation avec Remi pour démontrer que c’était plus qu’une amitié;

  • les photos de Remi que la demanderesse avait fournies étaient de mauvaise qualité et ne donnaient pas à penser qu’il y avait une relation amoureuse;

  • il n’était pas vraisemblable que Remi ait fait des avances à la demanderesse sans avertissement, comme cette dernière l’a prétendu, étant donné, en particulier, la culture homophobe dans laquelle elles vivaient;

  • la demanderesse n’a fourni aucune preuve pour corroborer sa relation avec Remi, comme des messages qu’elles auraient échangés;

  • la prétention de la demanderesse, selon laquelle elle n’avait pas accès à son compte Facebook ou à ses applications de courriel ou de messagerie instantanée, n’était pas crédible;

  • la demanderesse n’a exprimé sa sexualité au Canada qu’environ un mois après avoir présenté sa demande d’asile et peu de temps avant l’audience devant la SPR.

[11]  La demanderesse a fourni un affidavit qu’aurait signé sa mère pour appuyer sa prétention selon laquelle elle est bisexuelle. Le commissaire de la SPR a conclu que l’affidavit était falsifié, parce qu’aucune pièce d’identité délivrée par le gouvernement n’y était jointe, que les membres de la famille de personnes LGBTQ au Nigéria sont peu susceptibles d’affirmer une telle chose dans un affidavit et que les affidavits frauduleux sont facilement disponibles au Nigéria. Le commissaire a conclu que la production d’un affidavit falsifié par la demanderesse minait sa crédibilité globale.

[12]  Enfin, la demanderesse a fourni le rapport d’un psychothérapeute pour corroborer son orientation sexuelle. Le commissaire lui a accordé peu de poids, parce que son auteur n’était pas qualifié pour poser le diagnostic médical qu’il prétendait poser et que le rapport était entièrement fondé sur une entrevue d’une heure avec la demanderesse. Aucun test ni aucun autre outil de diagnostic n’a été utilisé pour établir l’opinion de l’auteur.

III.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[13]  La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR pour trois motifs que je formulerais ainsi :

  • a) la SPR a fondé ses conclusions défavorables quant à la crédibilité sur une appréciation incorrecte et une [traduction« fixation » sur des questions accessoires ou secondaires;

  • b) la SPR n’a pas respecté les principes d’équité procédurale en n’appliquant pas les directives du président intitulées « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe » [les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe];

  • c) la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve pertinente liée à l’évolution de l’orientation sexuelle de la demanderesse.

[14]  De plus, la demanderesse a déposé un document qui serait une [traduction] « Invitation à se présenter devant la police » datée du 2 mars 2017 [traduction« invitant » la demanderesse à se présenter à une entrevue avec la police nigériane le 5 mars 2017 relativement à une enquête dont la nature n’est pas précisée. La demanderesse a demandé l’admission de ce document en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR. Elle a aussi demandé une audience devant la SAR en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR.

[15]  Examinant d’abord l’admissibilité de la nouvelle preuve proposée, la commissaire de la SAR a appliqué les critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR – à savoir, la preuve doit être survenue depuis le rejet de la demande d’asile, elle n’était pas normalement accessible à la demanderesse avant le rejet de la demande ou la demanderesse ne l’aurait pas normalement présentée au moment du rejet de la demande. Comme le fait remarquer la commissaire de la SAR, le sous‑alinéa 3(3)g)(iii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257, indique que lorsque la personne en cause est l’appelant et qu’elle souhaite invoquer une preuve documentaire, elle doit fournir des « observations complètes et détaillées » concernant la façon dont ces éléments de preuve sont conformes aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et la façon dont ils sont liés à l’appelant.

[16]  Au paragraphe 16 d’un affidavit qu’elle a signé le 2 juin 2017, au soutien de son appel devant la SAR, la demanderesse déclare ce qui suit en ce qui concerne l’invitation de la police nigériane :

[traduction]

J’ai récemment reçu une lettre d’invitation de la part de la police nigériane qui me demandait de comparaître au poste de police en ce qui concerne l’infraction relative à l’homosexualité. Je crois que c’est une tentative de la police nigériane de me faire venir au poste, de m’interroger, de me détenir, de me torturer et de finir par m’accuser devant la cour d’avoir commis une infraction contre les lois du Nigéria qui interdisent l’homosexualité.

[17]  Comme le fait remarquer la commissaire de la SAR, l’invitation semble être datée du 2 mars 2017. Bien qu’elle soit survenue après l’audience de la demanderesse devant la SPR (qui s’est déroulée le 13 décembre 2016), elle existait manifestement avant le rejet de la demande le 20 avril 2017. Toutefois, comme le fait aussi remarquer la commissaire de la SAR, la demanderesse n’a fourni aucun renseignement sur la manière dont elle avait obtenu le document. La demanderesse n’a pas fourni non plus d’explication sur la raison pour laquelle le document ne lui était pas normalement accessible avant que la SPR rende sa décision ou pour laquelle elle n’avait pas pu normalement le présenter au moment du rejet de la demande. La commissaire de la SAR a donc conclu que le document ne respectait pas les exigences du paragraphe 110(4) et a refusé de l’admettre. La commissaire de la SAR a aussi rejeté la demande d’audience.

[18]  Se penchant sur les motifs d’appel de la demanderesse, la commissaire de la SAR a suivi la démarche établie dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], de même que dans la décision du tribunal de la SAR constitué de trois commissaires, X (Re), 2017 CanLII 33034 (CA CISR). Selon la compréhension de ces précédents par la commissaire « la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit et de fait (ainsi que les questions mixtes de fait et de droit), lesquelles ne soulèvent pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix ». Toutefois, il « peut être nécessaire de faire preuve de retenue lorsque la SPR a un avantage pour ce qui est de l’évaluation des témoignages de vive voix ». La commissaire a déclaré qu’elle avait conclu que la SPR avait effectivement un avantage « en ce qui concerne certains aspects du témoignage de l’appelante, dont pour ce qui est des problèmes relatifs au caractère vague et aux hésitations ». Par conséquent, la SAR doit faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR à cet égard.

[19]  La SAR a rejeté la prétention de la demanderesse selon laquelle la SPR avait utilisé des questions secondaires et non pertinentes pour mettre en cause sa crédibilité. La SAR a confirmé la conclusion de la SPR portant que la demanderesse avait présenté de faux documents relativement à son statut d’étudiante lorsqu’elle était arrivée au Canada (une conclusion que la demanderesse n’a de toute façon pas contestée en appel). Bien que cela n’ait pas rapport avec la principale question en litige dans l’affaire – l’orientation sexuelle de la demanderesse – cela faisait quand même partie de sa demande. Comme la SAR l’a expliqué, la demanderesse a allégué qu’elle avait quitté le Nigéria en partie parce que Pamilerin avait découvert son orientation sexuelle et que son départ l’avait poussé à l’exposer. La demanderesse a aussi raconté dans l’exposé circonstancié de son Fondement de la demande d’asile [FDA] que ses plans d’études au Canada avaient été compromis lorsque ses parents avaient refusé de payer ses frais après avoir appris qu’elle était bisexuelle. Elle a confirmé que le contenu de son FDA (y compris l’exposé circonstancié) était vrai et complet. La SAR a donc conclu que la demande de visa frauduleuse « min[ait]e grandement » la crédibilité de la demanderesse sur une question qui n’était pas secondaire ni accessoire.

[20]  En outre, comme la SPR, la SAR a conclu que le récit de la demanderesse selon lequel on lui avait permis de quitter l’aéroport à Toronto sans traiter son permis d’études était invraisemblable. Toutefois, la commissaire de la SAR s’est rappelé la mise en garde selon laquelle, puisque les conclusions sur l’invraisemblance devaient être formulées uniquement dans les cas les plus manifestes, elle n’a accordé que « peu de poids » à ce facteur dans l’appréciation de la crédibilité de la demanderesse.

[21]  La SAR n’a pas souscrit aux motifs invoqués par la SPR pour conclure que l’affidavit de la mère de la demanderesse était falsifié. La commissaire de la SAR a fait remarquer qu’il n’était pas nécessaire qu’une pièce d’identité soit jointe aux affidavits nigérians et qu’il était possible qu’un membre de la famille signe un tel affidavit, même dans le contexte des lois homophobes du Nigéria. Néanmoins, la commissaire de la SAR a accordé « un poids limité » à l’affidavit et a conclu qu’il ne « l’emport[ait] pas sur les dommages importants à la crédibilité de l’appelante causés par la fausse demande de permis d’études ».

[22]  Pour ce qui est du motif d’appel touchant les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la commissaire de la SAR a fait remarquer que la demanderesse n’avait pas fourni d’observations précises pour démontrer pourquoi la décision de la SPR était incompatible avec ces directives. La commissaire a déclaré ceci : « Compte tenu de mon examen des motifs de la SPR et de l’absence de problèmes particuliers cernés par l’appelante, je ne vois rien […] qui contrevient aux principes énoncés dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ». Cette conclusion n’est pas contestée dans le cadre du contrôle judiciaire.

[23]  En ce qui concerne les conclusions de la SPR portant sur l’orientation sexuelle de la demanderesse, la SAR n’a pas souscrit à l’appréciation par la SPR de la preuve à cet égard sur un point, à savoir l’inférence défavorable que la SPR avait tirée de la participation relativement récente de la demanderesse aux activités de la communauté LGBTQ. La SAR était d’avis que l’inférence défavorable tirée par la SPR était trop forte. D’un autre côté, la SAR a conclu que la participation limitée et récente de la demanderesse aux activités de la communauté LGBTQ signifiait qu’un poids limité pouvait être accordé aux lettres de soutien fournies par des organisations liées à cette communauté. Par ailleurs, la SAR était d’accord avec la SPR pour dire que le manque de détails dans la preuve de la demanderesse en ce qui concerne sa sexualité et ses relations, le caractère vague de son témoignage au sujet de Remi, ses explications douteuses de la raison pour laquelle elle n’avait pas fourni d’élément de preuve corroborant et le poids limité mérité par le rapport du psychothérapeute appuyaient tous la conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était bisexuelle, la pierre angulaire de sa demande de protection.

[24]  En se fondant sur ce qui précède, la SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR.

IV.  LA NORME DE CONTRÔLE

[25]  Les conclusions tirées par la SAR sur les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Huruglica, au par. 35). Cela comprend l’appréciation par la SAR des conclusions de la SPR en matière de crédibilité et les propres conclusions de la SAR à ce sujet (Koffi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 4, au par. 27). Cela comprend également l’appréciation par la SAR de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au par. 29).

[26]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 38, au par. 18). Autrement dit, la cour de révision doit examiner à la fois les motifs et le résultat (Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2, au par. 27). La cour de révision examine la décision en ayant égard « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et détermine si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47 [Dunsmuir]). Les motifs répondent à ces critères « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16). La cour de révision ne doit intervenir que si ces critères ne sont pas respectés. Il ne lui incombe pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve ou d’y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 59 et 61).

V.  LES QUESTIONS EN LITIGE

[27]  La présente demande de contrôle judiciaire donne lieu à trois questions :

  • a) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve?

  • b) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en appliquant la mauvaise norme de contrôle à l’appel de la demanderesse?

  • c) La décision de la SAR est‑elle déraisonnable?

VI.  ANALYSE

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve?

[28]  La demanderesse soutient que le refus par la SAR d’admettre la lettre de la police nigériane est déraisonnable, parce que la commissaire a écarté à tort les déclarations de la demanderesse dans son affidavit [traduction« selon lesquelles la preuve nouvelle a[vait] été reçue après la décision de la SPR » et que [traduction« la preuve nouvelle [était] postérieure à la décision de la SPR ». Je ne suis pas d’accord.

[29]  La demanderesse déclare effectivement au paragraphe 2 de l’affidavit déposé au soutien de son appel que la preuve est postérieure à la décision de la SPR, mais c’est manifestement incorrect (la lettre est datée du 2 mars 2017; la décision de la SPR est datée du 20 avril 2017). De plus, contrairement à ses observations écrites dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse ne déclare nulle part dans son affidavit qu’elle a reçu la preuve après la décision de la SPR. Tout ce qu’elle dit est qu’elle a [traduction« récemment reçu » la lettre d’invitation. Cet énoncé est vague, au mieux. Même en donnant à la demanderesse le bénéfice du doute et en acceptant, pour les fins de l’argumentation, qu’elle ait voulu dire qu’elle avait reçu la lettre après le 20 avril 2017, il n’en demeure pas moins qu’elle ne dit rien quant à la façon dont la lettre est arrivée, et ne donne aucune explication sur la raison pour laquelle elle n’a pas reçu la lettre plus tôt. Il revenait à la demanderesse d’établir que la lettre était admissible au titre du paragraphe 110(4) de la LIPR. La décision de la SAR selon laquelle elle a omis de le faire est tout à fait raisonnable.

B.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en appliquant la mauvaise norme de contrôle à l’appel de la demanderesse?

[30]  Invoquant la norme de contrôle appliquée par la SAR à la décision de la SPR, la demanderesse fait valoir que la SAR [traduction« ne peut pas simplement adopter la norme de la décision raisonnable en concluant que la décision de la SPR était raisonnable, sans mener sa propre analyse des éléments de preuve présentés devant la SPR ». C’est exact. Toutefois, ce n’est pas ce que la SAR a fait en l’espèce.

[31]  Comme il est mentionné ci‑dessus, la commissaire de la SAR a énoncé correctement la norme de contrôle applicable. Il y avait des points pour lesquels la SAR s’en est remis aux conclusions de la SPR, parce que cette dernière était en meilleure position qu’elle pour formuler ces conclusions. Huruglica le permet. Ce n’est pas incompatible avec l’examen indépendant de la preuve que la SAR doit accomplir (Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145, aux par. 122 à 125). Les motifs de la commissaire de la SAR indiquent clairement à quel moment elle s’en est remise aux conclusions de la SPR et pourquoi elle l’a fait. De plus, ce qui est tout aussi important, les motifs de la commissaire de la SAR indiquent clairement à quel moment elle ne souscrit pas aux conclusions de la SPR et pourquoi elle n’y souscrit pas.

[32]  La demanderesse ne présente aucune observation contestant une décision de la SAR en particulier comme étant fondée sur un degré trop élevé de déférence envers la SPR. Mon propre examen de la décision de la SAR et du dossier sur lequel elle est fondée n’indique aucune erreur susceptible de contrôle dans l’exercice de sa fonction d’appel. Je suis convaincu que la commissaire de la SAR a effectué une analyse raisonnée et indépendante de la preuve et qu’elle n’a pas fait preuve d’une trop grande retenue à l’égard des conclusions de la SPR.

C.  La décision de la SAR est‑elle déraisonnable?

[33]  Enfin, la demanderesse fait valoir que la décision de la SAR est déraisonnable. En particulier, la demanderesse prétend que les décisions de la SAR en ce qui concerne son arrivée au Canada, sa demande de visa d’étudiant, son orientation sexuelle et l’affidavit de sa mère sont déraisonnables. Je ne suis pas d’accord.

[34]  Pour ce qui est, d’abord, de l’arrivée de la demanderesse au Canada, lors de son témoignage, elle a déclaré devant la SPR que, lorsqu’elle est arrivée à l’Aéroport international Pearson le 16 avril 2016, elle s’est simple identifiée comme une étudiante internationale à l’agent d’immigration qui l’a ensuite dirigée vers la sortie de l’aéroport. Selon la demanderesse, son permis d’études n’a jamais été traité. On l’a simplement autorisée à entrer au Canada et elle a pu s’en aller. Le commissaire de la SPR a conclu que ce récit était invraisemblable, étant donné les pratiques standard de traitement des étrangers arrivant à l’Aéroport international Pearson. Pour la SPR, le fait que la demanderesse insiste pour dire que c’est ce qui est arrivé [traduction« n’est pas digne de foi et nuit à sa crédibilité globale ». La commissaire de la SAR était d’accord avec la SPR pour dire que le récit de la demanderesse était invraisemblable, mais elle s’est rappelé la mise en garde selon laquelle, puisque les conclusions sur l’invraisemblance devaient être formulées uniquement dans les cas les plus manifestes, elle devait accorder peu de poids à ce facteur dans l’appréciation de la preuve de la demanderesse. Elle pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

[35]  Pour ce qui est, deuxièmement, de la demande de visa d’étudiant, la demanderesse a déclaré dans son formulaire FDA qu’elle avait demandé un visa canadien d’étudiant à Lagos à une date inconnue. Elle a déclaré qu’il avait été délivré le 1er mars 2016 et qu’il était valide pour trois ans. Cette demande n’a pas été présentée à la SPR ou à la SAR (ou à la Cour), mais le passeport de la demanderesse contenait un visa d’étudiant conforme aux renseignements figurant dans son FDA ainsi qu’aux renseignements du Système mondial de gestion des cas [le SMGC]. Selon les notes du SMGC, un visa avait été délivré à la demanderesse le 1er mars 2016, au motif qu’elle étudiait au Collège Seneca à Toronto. La difficulté pour la demanderesse est que ce visa a manifestement été obtenu à l’aide de documents frauduleux.

[36]  Ce fait a été mis au jour lorsque la demanderesse est retournée à l’aéroport le 20 mai 2016 (environ un mois après son arrivée au Canada), manifestement pour obtenir le permis d’études qu’elle n’avait pas obtenu lors de son arrivée. La demanderesse a présenté certains documents à un agent d’immigration, lesquels démontraient supposément qu’elle avait été admise au Collège Seneca. Toutefois, après enquête auprès de l’école, il a été déterminé qu’elle n’avait jamais été admise. En fait, il semble, d’après les dossiers de l’école, que la demanderesse n’a même jamais demandé à y être admise. La demanderesse n’a pas contesté ce fait devant la SPR ou la SAR. Elle a plutôt prétendu qu’un agent avait présenté la demande de visa pour elle.

[37]  Selon le témoignage de la demanderesse et les notes du SMGC concernant sa rencontre avec l’agent d’immigration le 20 mai 2016, le commissaire de la SPR a conclu que la demanderesse avait obtenu le visa d’étudiant de façon frauduleuse. Ce fait a été jugé dommageable pour la crédibilité globale de la demanderesse. La SAR a souscrit à cette appréciation. Surtout, rien ne donnait à penser que la demanderesse fuyait la persécution au Nigéria à l’époque et qu’elle avait dû se résoudre à présenter une demande frauduleuse de visa d’étudiant pour y parvenir. En effet, lorsqu’elle est retournée à l’aéroport Pearson pour tenter d’obtenir le permis d’études, elle a confirmé à l’agent qu’elle ne craignait pas de retourner au Nigéria et qu’elle prévoyait y retourner en vacances.

[38]  Comme l’a fait remarquer la commissaire de la SAR, la demanderesse n’avait pas contesté la conclusion de la SPR concernant la nature frauduleuse de sa demande de visa d’étudiant lorsqu’elle avait interjeté appel de la décision auprès de la SAR. La seule question était donc de savoir si elle appuyait la conclusion de la SPR au sujet de la crédibilité de la demanderesse qui demandait l’asile. La SAR a conclu que c’était le cas. La SAR pouvait raisonnablement formuler cette conclusion, étant donné le lien entre la demande frauduleuse et la demande de protection. Il n’y a pas lieu de modifier cette conclusion.

[39]  Troisièmement, la demanderesse affirme qu’il était déraisonnable pour la SAR de confirmer les conclusions défavorables de la SPR concernant sa prétention selon laquelle était bisexuelle. Je ne suis pas d’accord. Selon son propre examen de la preuve (y compris l’enregistrement sonore de l’audience devant la SPR), la SAR a accepté certains des motifs de la SPR pour rejeter la demande, mais elle a également conclu que la SPR s’était trompée à certains égards dans son analyse de la preuve. En particulier, la commissaire de la SAR a conclu que la SPR n’aurait pas dû tirer d’inférence négative de la récente participation de la demanderesse aux activités de la communauté LGBTQ. Néanmoins, la SAR a souscrit à la décision globale de la SPR quant à la prétention de la demanderesse selon laquelle elle était bisexuelle.

[40]  Cette décision était fondée sur plusieurs considérations défavorables concernant le témoignage de la demanderesse. Par exemple, la SAR, tout comme la SPR, a conclu que l’absence d’éléments de preuve corroborants était une importante lacune dans la demande de la demanderesse. La commissaire de la SAR a examiné l’explication de la demanderesse quant à savoir pourquoi elle n’avait pas produit d’éléments de preuve pour corroborer sa prétention selon laquelle elle avait une relation amoureuse avec Remi. La commissaire de la SAR n’a pas tiré d’inférence défavorable de la seule absence de corroboration. Au contraire, elle n’était pas convaincue par l’explication de la demanderesse quant à la raison pour laquelle il n’y avait pas d’éléments de preuve corroborants – à savoir qu’elle n’avait jamais eu de compte de courriel (malgré le fait qu’elle avait un compte Facebook) et que quelque chose s’était passé avec son téléphone peu de temps après qu’elle est arrivée au Canada, de sorte qu’elle ne pouvait pas voir accès aux messages qu’il contenait. S’il existe des raisons valables pour mettre en doute la sincérité d’un demandeur d’asile, le tribunal peut également prendre en compte le fait que celui‑ci n’a pas produit d’éléments de preuve corroborant, mais uniquement si le demandeur ne peut expliquer de manière raisonnable l’absence de tels éléments de preuve (Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, au par. 22, citant Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, au par. 10).

[41]  Selon le dossier dont la commissaire de la SAR disposait, elle pouvait raisonnablement parvenir aux conclusions qu’elle a tirées concernant la prétention de la demanderesse selon laquelle elle était bisexuelle. Aucun fondement ne permet à la Cour de les modifier.

[42]  Enfin, la commissaire de la SAR a accordé peu de poids à l’affidavit qui aurait été signé par la mère de la demanderesse. Contrairement au commissaire de la SPR, la commissaire de la SAR n’a pas conclu que l’affidavit avait été « falsifié ». Néanmoins, la commissaire de la SAR a conclu que c’était insuffisant pour surmonter les graves problèmes touchant la crédibilité de la demanderesse. La commissaire de la SAR n’a pas rejeté l’affidavit du simple fait qu’il avait été signé par un membre de la famille. Elle n’a pas non plus diminué sa valeur simplement parce que la demanderesse n’était pas crédible (voir Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 311, au par. 20). Au contraire, la commissaire a apprécié la crédibilité de la demanderesse à la lumière de l’ensemble de la preuve, y compris l’affidavit. La commissaire pouvait raisonnablement conclure que l’affidavit ne rétablissait pas la confiance dans le témoignage de la demanderesse, étant donné les motifs graves et fondés permettant de douter de sa crédibilité.

[43]  En résumé, des motifs détaillés de la commissaire de la SAR ressortent la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. À mon avis, le résultat appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La norme du caractère raisonnable est satisfaite (Dunsmuir, au paragraphe 47). Il n’y a donc pas lieu de modifier la décision de la SAR.

VII.  CONCLUSION

[44]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[45]  Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑5288‑17

LA COUR STATUE :

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour d’août 2019

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5288‑17

 

INTITULÉ :

OLABIMPE SALAMAT TEJUOSO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 décembre 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 9 juillet 2019

 

COMPARUTIONS :

Richard A Odeleye

Pour la demanderesse

 

Alex Kam

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard A Odeleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.