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Date : 20190709


Dossier : IMM‑5351‑18

Référence : 2019 CF 904

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 9 juillet 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ZHONG ZHENG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR], de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a conclu que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens, respectivement, des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR].

Contexte

[2]  Le demandeur, Zhong Zheng, est un citoyen chinois. Il affirme qu’il s’est joint à un groupe d’adeptes du Falun Gong en août 2010 après avoir constaté que les médecines occidentale et chinoise n’avaient pas réussi pas à soulager ses maux de tête et ses étourdissements. Il est entré au Canada en novembre 2011 pour étudier, et a continué à pratiquer le Falun Gong. Il a aussi donné, par téléphone, des détails sur sa pratique à sa tante et à une autre personne en Chine. À leur tour, elles ont fait part de ces renseignements à d’autres membres du groupe clandestin de Falun Gong du demandeur.

[3]  Le 5 décembre 2012, le Bureau de la sécurité publique [le BSP] a effectué une descente et arrêté deux membres du groupe. Le 7 décembre 2012, des agents du BSP se sont rendus chez les parents du demandeur et leur ont dit que le demandeur était membre d’une secte illégale et ordonné son retour en Chine pour se livrer aux autorités. Le 28 décembre 2011, des agents du BSP sont retournés chez les parents du demandeur. Ils leur ont dit que leur fils avait également envoyé des renseignements sur le Falun Gong depuis l’étranger.

Décision faisant l’objet du contrôle

[4]  La SPR a questionné le demandeur pour savoir s’il détenait des documents médicaux corroborant ses rendez-vous chez des médecins occidentaux et chinois. Elle n’a pas admis les raisons qu’il a données pour expliquer pourquoi il n’avait pas les documents en question, comme le fait que sa mère avait cherché à obtenir les documents, mais ils étaient perdus. Interrogé par la SPR pour savoir si, en 2013, lorsqu’il devait remplir le Formulaire de renseignements personnels [le FRP], il avait cherché à rassembler des documents médicaux, le demandeur a répondu qu’il ne savait pas que c’était nécessaire. La SPR a rejeté cette explication parce que le FRP précisait qu’il fallait inclure tout document essentiel à la demande d’asile, et que le demandeur a déclaré solennellement qu’il avait obtenu une traduction du FRP. La SPR a tiré une inférence défavorable de l’absence de documents et conclu que le demandeur aurait normalement pu les obtenir lorsqu’il a fait sa demande d’asile.

[5]  La SPR a également tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison de l’absence d’une citation à comparaître ou d’un mandat d’arrestation. La SPR a reconnu que la preuve documentaire sur le pays indiquait que la délivrance d’une citation à comparaître ou d’un mandat d’arrestation par le BSP variait d’un endroit à l’autre. Cependant, compte tenu des multiples visites du BSP décrites par le demandeur et de l’arrestation d’adeptes du Falun Gong qu’il connaissait, la SPR a conclu qu’il était évident que le BSP s’intéressait au demandeur et qu’il était donc, selon la prépondérance des probabilités, raisonnable de s’attendre à ce que les autorités de Fuquing, grand centre métropolitain de la province de Fujin, aient délivré une citation à comparaître et l’aient laissée à la famille (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 654 (Zhang); Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1200 (Lin), et Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1398 (Cao)). À la lumière de ces conclusions, la SPR a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que le demandeur était un adepte du Falun Gong en Chine et qu’il était poursuivi par le BSP.

[6]  C’est en se fondant sur ces conclusions et sur l’ensemble de la preuve (Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1067; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 5)) que la SPR a rejeté la demande d’asile sur place du demandeur. Elle a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il était maintenant un adepte authentique du Falun Gong au Canada. En effet, bien que le demandeur ait démontré une certaine connaissance du Falun Gong, la SPR a finalement conclu après l’avoir interrogé que cette connaissance reflétait une tentative d’appuyer une demande d’asile frauduleuse.

[7]  Pour ce qui est de l’allégation du demandeur selon laquelle le BSP savait qu’il avait envoyé des documents sur le Falun Gong depuis un pays étranger et qu’il avait ainsi aidé des adeptes du Falun Gong, la SPR a conclu que cet acte n’entraînerait pas de persécution ou de préjudice aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR (Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 600).

[8]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.

Questions en litige et norme de contrôle

[9]  La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si la décision de la SPR était raisonnable.

[10]  La norme de contrôle pour les conclusions de la SPR en matière de crédibilité est celle du caractère raisonnable (Gaprindashvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 583, par. 20 (Gaprindashvili); Behary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794, par. 7; Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, par. 22 (Rahal); Aguebor c Canada (Emploi et Immigration), [1993] ACF no 732, par. 4, 160 NR 315 (CAF)). De telles conclusions relèvent du pouvoir discrétionnaire même de la SPR et, à ce titre, commandent une déférence considérable (Siad c Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 CF 608; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 539, par. 19 (Chen)). La décision relative à une demande d’asile sur place est également susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Chen, par. 19).

[11]  La norme de la décision raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47).

Analyse

Citation à comparaître et dossiers médicaux

[12]  Le demandeur soutient que la SPR a mis en doute sa crédibilité uniquement en raison de l’absence d’une citation à comparaître et d’un mandat d’arrestation. Or, la conclusion que la SPR a tirée à cet égard constitue une conclusion d’invraisemblance déraisonnable. Par conséquent, cette première conclusion ne lui permet pas de tirer une conclusion défavorable quant à l’omission du demandeur de présenter une preuve corroborante. Pour ce qui est de la conclusion de la SPR concernant l’absence de citation à comparaître ou de mandat d’arrestation, le demandeur se fonde sur la décision Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1124, plus précisément sur la déclaration suivante : « [l]a Cour a adressé une mise en garde aux décideurs, leur déconseillant de tirer “des conclusions défavorables quant à la crédibilité sur la base d’hypothèses quant aux réactions probables des autorités chinoises, ou d’une présomption d’uniformité des pratiques en matière d’application de la loi” » (par. 39, voir aussi par. 42‑43).

[13]  En ce qui concerne cette prétention, je fais tout d’abord remarquer que la Cour a déjà jugé que des conclusions défavorables quant à la crédibilité, motivées par l’absence d’une citation à comparaître ou d’un mandat d’arrestation, peuvent être raisonnables eu égard à l’ensemble des éléments de preuve présentés par le demandeur et lorsque, comme en l’espèce, la SPR a reconnu l’existence d’éléments de preuve contradictoires au sujet des pratiques de délivrance par les autorités des citations à comparaître et des mandats d’arrestation (Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 790, par. 47; Ni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 948, par. 19‑21; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1193, par. 9; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 148, par. 28‑31).

[14]  En l’espèce, le demandeur a affirmé que des agents du BSP s’étaient rendus à plusieurs reprises chez lui et avaient arrêté deux autres membres de son groupe de Falun Gong. Selon la transcription de son témoignage, il aurait aussi affirmé que des agents du BSP avaient effectué une perquisition approfondie chez lui et qu’ils avaient peut‑être placé sa maison sous surveillance. Le demandeur a déclaré qu’il supposait qu’il devait y avoir un mandat de perquisition, mais qu’il n’en avait aucune copie, ajoutant que sa mère avait eu très peur après la perquisition et qu’elle avait jeté beaucoup de documents à cause du danger qu’ils représentaient si des personnes apprenaient ce qui lui était reproché. Je remarque également que le FRP indique que le BSP a cherché à arrêter la tante du demandeur, qui se cachait, ainsi qu’un des membres du groupe clandestin de Falun Gong avec qui le demandeur avait parlé par téléphone depuis le Canada. La SPR a considéré que ces éléments de preuve reflétaient l’intérêt du BSP à l’égard du demandeur. Elle a également tenu compte de l’endroit où vivent les parents du demandeur en Chine. De plus, le demandeur n’a mentionné aucun élément de preuve qu’il avait présenté pour démontrer que, dans cette province, le BSP n’avait pas pour pratique de délivrer des citations à comparaître ou des mandats d’arrestation. Vu le contexte, il était loisible à la SPR de parvenir à une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[15]  Le demandeur soutient également que la SPR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable au sujet de l’absence de dossiers médicaux qui corroboreraient ses dires, alors qu’elle n’avait pas relevé de contradictions ou d’incohérences dans son témoignage.

[16]  J’ai récemment traité des questions de la crédibilité et de la preuve corroborante dans la décision Luo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 823, où j’ai écrit ceci :

[18]  Ma deuxième observation concerne la crédibilité et les éléments de preuve corroborants. La Cour s’est souvent penchée sur cette question; je l’ai moi-même fait dans la décision Ismaili (aux paragraphes 31 à 55), la juge Kane a fait de même dans la décision Guven (aux paragraphes 35 à 38), tout comme l’ont fait les juges ayant rédigé les jugements cités dans ces deux décisions. En résumé, il n’est pas contesté qu’il incombe toujours au demandeur d’asile de prouver le bien-fondé de sa demande d’asile (Ismaili, au paragraphe 32, ainsi que Samseen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 542). Ce principe s’exprime également à l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2112‑256, qui prévoit que le demandeur d’asile doit produire des documents acceptables permettant d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile, et que, s’il ne peut le faire, il doit en donner la raison et indiquer quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

[19]  Cependant, lorsque le demandeur d’asile jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) (Maldonado); voir aussi He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 2, aux paragraphes 22 à 25 (He)). Il en va ainsi parce que, par exemple, le réfugié peut avoir été obligé de s’enfuir de chez lui précipitamment, sans rien emporter ou presque, de sorte qu’il lui serait impossible de produire des éléments de preuve documentaire au soutien de sa demande d’asile, ou qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’il produise de tels éléments de preuve. Donc, il n’existe pas d’obligation générale pour les demandeurs d’asile de produire des documents corroborants.

[20]  Toutefois, il a été conclu qu’il est erroné de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en s’appuyant seulement sur l’absence d’éléments de preuve à l’appui (He, aux paragraphes 22 et 24; Guven, au paragraphe 37; et Ismaili, au paragraphe 53). Cependant, dans les cas où il existe un motif valable de douter de la crédibilité du demandeur d’asile ou lorsque sa version des faits est invraisemblable, l’absence de preuve documentaire peut être valablement prise en considération pour les besoins de l’appréciation de la crédibilité du demandeur s’il se révèle incapable de fournir une explication raisonnable (Guven, au paragraphe 38, et Ismaili, au paragraphe 36). Il est en outre permis à la SPR de prendre en compte l’insuffisance des efforts déployés par le demandeur d’asile pour obtenir des éléments corroborants pour établir les éléments de sa demande d’asile et d’en tirer une inférence défavorable (Ismaili, au paragraphe 33).

[21]  Il a été conclu dans d’autres précédents judiciaires à l’existence d’une exception ou d’une dérogation à la présomption de véracité formulée dans l’arrêt Maldonado, en ce sens qu’il est permis au décideur de tirer une inférence défavorable concernant le témoignage du demandeur d’asile dans le cas où ce dernier ne produit pas les éléments de preuve dont le décideur s’attend raisonnablement à ce qu’il dispose dans sa situation, et que le demandeur d’asile ne motive pas ce défaut de production par des explications raisonnables (Murugesu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 819, au paragraphe 30; Radics c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 110, aux paragraphes 30 à 32 (Radics); en outre, voir Tellez Picon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 129, au paragraphe 12; Ryan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 816, au paragraphe 19; Rojas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 849, au paragraphe 6 (Rojas); Ding c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 820, au paragraphe 15; Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 785, au paragraphe 26; Mowloughi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 270, au paragraphe 65; Delosevic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 831, au paragraphe 14, et Jin c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 359, au paragraphe 28). C’est‑à‑dire que le décideur, en l’occurrence la SPR, n’est fondé à prendre en considération la non-production de documents corroborants que s’il a des motifs légitimes de douter de la crédibilité du demandeur d’asile, ou s’il n’admet pas les explications par lesquelles celui-ci essaie de justifier cette non-production alors qu’il serait raisonnable de penser qu’il peut se procurer les documents en question (Radics, au paragraphe 30). Dans un tel cas, la SPR doit « préciser la nature des documents qu’elle s’attendait à recevoir et tirer une conclusion à cet effet » (Rojas, au paragraphe 6).

[22]  La réponse à la question de savoir s’il est raisonnable d’exiger des éléments de preuve corroborants dépend des faits de chaque espèce (Lopera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 653, au paragraphe 31).

[17]  Vu la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité en raison de l’absence d’une citation à comparaître ou d’un mandat d’arrestation, conclusion que j’ai jugée raisonnable, la SPR avait une bonne raison de douter de la crédibilité du demandeur. Par conséquent, pour évaluer la crédibilité du demandeur, la SPR était en droit de tenir compte de l’absence de preuve documentaire et de rapports médicaux à l’appui de l’aspect central de la demande d’asile.

[18]  De plus, la SPR n’a pas admis les explications du demandeur quant à la raison pour laquelle il n’a pas fourni de documents médicaux, ni sa prétention selon laquelle il avait fait des efforts raisonnables pour les obtenir. Plus précisément, le demandeur a déclaré avoir eu des documents médicaux qui confirmaient ses visites chez le médecin, mais qu’ils avaient été perdus. On lui a demandé s’il avait un carnet de santé, et il a répondu à nouveau que le carnet était perdu. À la question de savoir s’il avait fait des efforts pour obtenir des documents sur sa maladie, il a répondu que sa mère ne pouvait trouver aucun document. Le demandeur s’est aussi vu demander s’il avait essayé de communiquer avec les médecins qui l’avaient traité, et a répondu que cela s’était passé il y a trop longtemps, que les médecins avaient quitté leur poste et qu’il ne pouvait plus les retrouver. Questionné pour savoir s’il avait essayé de communiquer avec les médecins pratiquant la médecine occidentale et chinoise qui l’avaient traité, il a déclaré que sa mère s’était rendue à l’hôpital, mais qu’il s’était écoulé trop de temps, qu’il ne restait plus de dossier et que sa mère ne pouvait plus retrouver les médecins. Il a ajouté que sa mère avait fait de son mieux, mais qu’elle n’avait retrouvé personne. On lui a demandé s’il avait fait lui‑même des efforts pour obtenir des exemplaires des documents médicaux, et il a répondu avoir appris qu’il s’agissait de documents essentiels à l’audience seulement quelques jours avant celle‑ci et que les documents n’étaient plus accessibles étant donné que trop de temps s’était écoulé. La SPR a fait remarquer que le demandeur avait rempli le FRP en 2013, et que ce document, qui lui avait été traduit, précisait qu’il devait présenter tous les documents essentiels pour l’audience. Le demandeur lui a alors dit qu’il n’y avait pas prêté trop d’attention, car l’école était très importante pour lui.

[19]  Compte tenu de ce témoignage, je suis d’avis que la SPR était en droit de tenir compte du manque d’effort du demandeur pour obtenir une preuve corroborante, et d’en tirer une inférence défavorable. De même, il était loisible à la SPR de ne pas croire à l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle de tels dossiers n’étaient pas accessibles.

[20]  Par conséquent, et vu l’absence d’autres documents à l’appui, les conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver qu’il pratiquait le Falun Gong en Chine et qu’il était poursuivi par le BSP appartenaient aux issues raisonnables.

La demande d’asile sur place

[21]  Le demandeur a aussi affirmé que la SPR a commis une erreur dans le traitement de sa demande d’asile sur place. D’après lui, la SPR n’aurait pas évalué ses activités liées au Falun Gong pour déterminer s’il en était devenu un adepte authentique au Canada. Elle aurait plutôt effectué une évaluation superficielle qui se limitait aux connaissances du demandeur sur le Falun Gong. En bref, le demandeur affirme que la SPR a conclu qu’il n’était pas un pratiquant authentique du Falun Gong au Canada parce qu’il n’était pas un adepte du Falun Gong en Chine. Or, la SPR devait tenir compte du contexte global de la demande d’asile sur place du demandeur et a commis une erreur en omettant de le faire (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 749 (Chen); Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 205, par. 32 (Huang)).

[22]  Le demandeur a raison lorsqu’il dit que la SPR devait tenir compte de ses pratiques religieuses au Canada pour évaluer sa demande d’asile sur place (Chen, par. 58; Huang, par. 32). Cela dit, je suis convaincue qu’elle l’a fait. L’évaluation de la SPR n’était pas détaillée, mais elle reflète la preuve dont disposait la SPR. Seul le témoignage écrit et oral du demandeur étayait sa prétention qu’il pratiquait le Falun Gong au Canada. Il n’a donné aucun détail sur l’endroit où il le pratiquait ou avec qui il le faisait, et n’a présenté aucun affidavit ou lettre des personnes avec qui il pratiquait le Falun Gong, ni aucune autre preuve pour appuyer sa prétention.

[23]  Le demandeur soutient également que la SPR s’est fondée sur les conclusions défavorables en matière de crédibilité qu’elle avait tirées pour conclure que la preuve présentée par le demandeur était insuffisante pour démontrer le bien‑fondé de sa demande d’asile. Or, il n’était pas loisible à la SPR de tenir compte des conclusions défavorables qu’elle avait déjà tirées quant à la crédibilité dans le cadre de son analyse de la demande d’asile sur place du demandeur. Il fait valoir que la SPR n’a pas tenu compte du fait qu’on ne peut se servir des conclusions défavorables quant à la crédibilité dans le cadre de l’évaluation d’une demande d’asile sur place que lorsque ces conclusions sont graves au point de remettre en question la crédibilité globale du demandeur d’asile, citant à l’appui les décisions Jiang (par. 7‑28), Hou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 993, par. 57 (Hou), et Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 849, par. 19 (Yang).

[24]  Cependant, après examen, ces décisions ne semblent pas appuyer la prétention du demandeur. Les paragraphes pertinents de la décision Jiang sont les suivants :

[26]  La véritable question qui se pose est de savoir si la Commission avait le droit et s’il était raisonnable de sa part d’intégrer ses conclusions concernant la demande d’asile frauduleuse dans la demande d’asile sur place de la demanderesse, c’est‑à‑dire de présumer que celle‑ci n’était pas une véritable adepte du Falun Gong.

[27]  À mon avis, la Commission doit avoir le droit d’intégrer ses conclusions sur la crédibilité dans son appréciation de la demande d’asile sur place d’un demandeur. Dans la présente affaire, la Commission a conclu que la demanderesse avait fabriqué son histoire afin de demander l’asile. Il est raisonnable de déduire de cette constatation que les connaissances actuelles de la demanderesse, les photographies d’elle‑même et les lettres de soutien obtenues pendant l’intervalle de deux ans visaient à étayer cette demande frauduleuse.

[28]  La Cour fédérale a déjà décidé qu’il est permis à la Commission d’évaluer la sincérité d’un demandeur et, par conséquent, la demande d’asile sur place de celui‑ci au regard des préoccupations relatives à la crédibilité se rapportant à l’authenticité initiale d’une demande d’asile : Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 993, au paragraphe 57, Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 849, au paragraphe 19.

[25]  À mon avis, la décision Jiang appuie clairement la thèse que la SPR n’a pas commis d’erreur en l’espèce en tenant compte des conclusions défavorables quant à la crédibilité pour évaluer la demande d’asile sur place.

[26]  Dans la décision Hou, la Cour a déclaré ce qui suit :

[57]  Pour ce qui est, premièrement, de la nature des questions posées par la Commission, sur la base des faits de la présente affaire, la Commission avait de bonnes raisons de mettre en doute la sincérité du demandeur, compte tenu de son manque total de crédibilité en ce qui concerne les faits qui, d’après lui, avaient été connus en Chine et les explications peu convaincantes qu’il avait données pour tenter de justifier les incohérences que la Commission portait à son attention. Vu les problèmes que soulevait la crédibilité du demandeur, il était raisonnable que la Commission examine avec soin la revendication présentée sur place par le demandeur. De plus, le demandeur a fait des allégations précises quant à sa façon de pratiquer sa foi et a affirmé avoir lu le Zhuan Falun sur une base hebdomadaire pendant plusieurs années en Chine, puis sur une base quotidienne depuis son arrivée au Canada. Compte tenu de ce niveau d’étude allégué et des autres aspects des éléments soumis en preuve par le demandeur, il était approprié que la Commission interroge le demandeur au sujet de sa connaissance du Falun Gong.

[27]  Dans la décision Yang, la Cour s’est ainsi exprimée à ce sujet :

[19]  Je reconnais donc avec le demandeur que la Commission a commis une erreur en évoquant une exigence en matière de « bonne foi » pour les demandes d’asile sur place, et sa décision serait déraisonnable si elle avait été rendue sur ce fondement. Cependant, les motifs de la Commission peuvent globalement s’interpréter comme une conclusion selon laquelle, compte tenu des nombreux doutes sur sa crédibilité, la demanderesse n’est pas une authentique chrétienne. Autrement dit, la Commission n’a pas refusé la demande d’asile parce que la demanderesse s’était convertie dans un dessein illégitime; elle l’a refusée parce que la demanderesse ne s’était jamais véritablement convertie, mais fréquentait plutôt une église au Canada pour étoffer sa demande d’asile. À mon avis donc, l’erreur de la Commission n’a pas eu pour effet d’invalider sa conclusion, et cet aspect de sa décision est raisonnable.

[28]  Les paragraphes reproduits ci‑dessus décrivent seulement la nature des conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées dans ces affaires. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, ils n’indiquent pas qu’il ne faut tenir compte des conclusions défavorables quant à la crédibilité dans l’évaluation d’une demande sur place que lorsque ces conclusions sont graves au point de remettre en question la crédibilité globale du demandeur d’asile.

[29]  Pour les motifs qui précèdent, je juge que la conclusion de la SPR concernant la demande sur place ainsi que la décision de la SPR dans son ensemble sont raisonnables.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5351‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’a été proposée aux fins de certification, et aucune n’est soulevée.

  3. Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour d’août 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5351‑18

INTITULÉ :

ZHONG ZHENG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 juin 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge Strickland

DATE DES MOTIFS :

Le 9 juillet 2019

COMPARUTIONS :

Nkunda I. Kabateraine

Pour le demandeur

Ada Mok

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nkunda I. Kabateraine

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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