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Date : 20030527

Dossier : T-1431-01

Référence : 2003 CFPI 663

OTTAWA, ONTARIO, CE 27e JOUR DU MOIS DE MAI 2003

PRÉSENT : L'HONORABLE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                       LES ALIMENTS REACH INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                                            LE MINISTÈRE DU REVENU NATIONAL

                                                             Douanes, Accise et Impôt

                                                                                   

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande présentée par Les Aliments Reach Inc. (la « demanderesse » ) aux termes de l'article 88.2 de la Loi sur l'accise, L.R.C. 1985, ch. E-14 (la « Loi » ), afin de faire déclarer que son intérêt dans le véhicule ci-après identifié n'est pas affecté par la saisie à titre de confiscation pratiquée par les préposés du défendeur.

[2]                 Le 9 juillet 2001, un dénommé Marwan Charabi ainsi qu'un dénommé Ahmed Yassen Bager ont été observés par des membres de la section des Douanes et Accise de la GRC en train de transférer 58 boîtes de cartons de formes et couleurs différentes d'une remorque de 45 pieds, de 1998, immatriculée en Ontario, T12-404, portant le numéro de série 1GRAAV6Z9WB008370, à un véhicule Plymouth Voyageur dans le stationnement d'un centre commercial.

[3]                 Les boîtes ci-haut mentionnées contenaient des produits de tabac égyptien ne portant pas l'estampille requise en vertu de la Loi.

[4]                 Un camion International de couleur rouge vin, modèle INTER90S, 1996, immatriculé au Québec L239168 et portant le numéro de série 2HSFHAMROTCO63816 (le « véhicule » ), propriété de la demanderesse, était attaché à la remorque et a été saisi à titre de confiscation conformément à l'article 88 de la Loi.

[5]                 Au moment de l'infraction, le véhicule était sous la garde et possession de monsieur Marwan Charabi.


[6]                 Selon les allégations de la demanderesse, celle-ci afin d'économiser dans ses frais, prêta le véhicule à Cata International ( « Cata » ), laquelle évolue également dans le commerce de l'alimentation, sur la base d'une amitié antérieure entre monsieur Lotfi, le principal associé de la demanderesse, et le père des officiers de Cata, monsieur Bishara. Dans les jours précédant la saisie, Cata aurait prêté le véhicule audit Marwan Charabi, afin qu'il effectue des contrats de transport à titre personnel.

[7]                 Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l'espèce :



88. (1) Les articles suivants_:

a) les grains, le malt, le tabac brut et les autres matières en magasin;

b) les machines, mécanismes, ustensiles, serpentins, alambics, cuves-matière, tonneaux à fermentation, presses ou hachoirs à tabac;

c) les outils ou matériaux propres à la fabrication d'alambics, de serpentins, de rectificateurs ou d'appareils similaires;

d) l'eau-de-vie, le malt, la bière, le tabac, les cigares et autres articles fabriqués,

qui se trouvent dans un lieu ou établissement où il se poursuit des opérations sujettes à l'accise, et pour lequel une licence est exigée en vertu de la présente loi mais n'a pas été émise, doivent être saisis par un préposé qui en a connaissance et être confisqués au profit de Sa Majesté, et ils peuvent être soit détruits dans l'endroit et au moment où ils sont trouvés, soit transportés en lieu sûr, à la discrétion du préposé qui opère la saisie.

(2) Tous les chevaux, véhicules, vaisseaux et autres dispositifs qui, en contravention avec la présente loi ou les règlements, servent ou ont servi au transport de marchandises assujetties à l'accise ou de matières ou appareils employés ou à employer, en contravention avec la présente loi ou les règlements, à la production de quelque article assujetti à l'accise, ou sur ou dans lesquels sont trouvés de tels marchandises, matières ou appareils, peuvent être également saisis, avec ces marchandises, matières ou appareils, comme confisqués par tout préposé et peuvent être traités de la même manière.

...

88.2 (1) Lorsque des chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs ont été saisis comme confisqués sous le régime de la présente loi, quiconque (sauf la personne accusée d'une infraction qui a eu pour résultat cette saisie ou la personne en la possession de qui ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs ont été saisis) réclame, à l'égard de ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs, un intérêt à titre de propriétaire, de créancier hypothécaire, de détenteur de gage ou de détenteur d'un intérêt similaire peut, dans les trente jours suivant cette saisie, s'adresser à un juge d'une cour supérieure ou à un juge de la Cour fédérale afin de faire rendre une ordonnance déclarant son i

intérêt.

(2) Le réclamant a droit à une ordonnance déclarant que son intérêt n'est pas atteint par la saisie si, après la notification au ministre que le juge peut exiger, il est démontré, à la satisfaction de ce juge_:

a) d'une part, que le réclamant est innocent de toute complicité dans l'infraction qui a eu pour résultat la saisie ou de toute collusion avec le contrevenant en l'espèce;

b) d'autre part, que le réclamant a pris toutes les mesures voulues à l'égard de la personne qui a reçu la permission d'obtenir la possession de ces chevaux, véhicules, vaisseaux ou autres dispositifs, afin de s'assurer que vraisemblablement ils ne seraient pas employés contrairement à la présente loi ou, s'il est un créancier hypothécaire ou un détenteur de gage ou d'un intérêt similaire, qu'il a pris ces mesures à l'égard du débiteur hypothécaire ou du donneur de gage ou d'un intérêt similaire avant de devenir semblable créancier hypothécaire ou détenteur de gage ou d'un intérêt similaire.

...

240(1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), quiconque vend, offre en vente ou a en sa possession du tabac fabriqué ou des cigares de tout genre importés ou fabriqués au Canada qui ne sont pas empaquetés et qui ne portent pas l'estampille de tabac ou l'estampille de cigares en conformité avec la présente loi et le règlement ministériel est coupable_:

a) soit d'un acte criminel passible_:

(i) soit d'une amende au moins égale au montant déterminé selon le paragraphe (1.1), sans dépasser le montant déterminé selon le paragraphe (1.2),

(ii) soit de l'amende visée au sous-alinéa (i) et d'un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible_:

(i) soit d'une amende au moins égale au montant déterminé selon le paragraphe (1.1), sans dépasser le moins élevé de 500 00_$ et du montant déterminé selon le paragraphe (1.2),

(ii) soit de l'amende visée au sous-alinéa (i) et d'un emprisonnement maximal de deux ans.

88. (1) Any of the following things, namely,

(a) all grain, malt, raw tobacco and other material in stock,

(b) all engines, machinery, utensils, worms, stills, mash-tubs, fermenting-tuns, tobacco presses or knives,

(c) all tools or materials suitable for the making of stills,

worms, rectifying or similar apparatus, and

(d) all spirits, malt, beer, tobacco, cigars and other

manufactured articles,

that are at any time found in any place or premises where anything is being done that is subject to excise, and for which a licence is required under this Act, but in respect of which no licence has been issued, shall be seized by any officer having a knowledge thereof and be forfeited to the Crown, and may either be destroyed when and where found or removed to a place for safe-keeping, in the discretion of the seizing officer.

(2) All horses, vehicles, vessels and other appliances that have been or are being used for the purpose of transporting in contravention of this Act or the regulations, or in or on which are found any goods subject to excise, or any materials or apparatus used or to be used in contravention of this Act or the regulations in the production of any goods subject to excise and all such goods, materials or apparatus may likewise be seized as forfeited by the seizing officer and may be dealt with in the manner described in subsection (1).

...

88.2 (1) Where a horse, vehicle, vessel or other appliance has been seized as forfeited under this Act, any person, other than the person accused of an offence resulting in the seizure or person in whose possession the horse, vehicle, vessel or other appliance was seized, who claims an interest in the horse, vehicle, vessel or other appliance as owner, mortgagee, or holder of a lien or other like interest may, within thirty days after the seizure, apply to any judge of any superior court of a province or to a judge of the Federal Court for an order declaring the claimant's interest.

(2) Where, after such notice to the Minister as the judge referred to in subsection (1) may require, it is made to appear to the satisfaction of the judge

(a) that the claimant is innocent of any complicity in the offence resulting in the seizure or of any collusion with the offender in relation thereto, and

(b) that the claimant exercised all reasonable care in respect of the person permitted to obtain the possession of the horse, vehicle, vessel or other appliance to satisfy the claimant that it was not likely to be used contrary to this Act or, if a mortgagee or holder of a lien or other like interest, that before becoming the mortgagee or holder of the lien or other interest the claimant exercised such care with respect to the mortgagor or person from whom the lien or interest was acquired,

the claimant is entitled to an order that the claimant's interest is not affected by the seizure.

...

240(1) Subject to subsections (2) and (3), every person who sells or offers for sale or has in the person's possession any manufactured tobacco or cigars, whether manufactured in or imported into Canada, not put up in packages and stamped with tobacco stamps or cigar stamps in accordance with this Act and the ministerial regulations,

(a) is guilty of an indictable offence and liable to

(i) a fine of not less than the amount determined under subsection (1.1) and not more than the amount determined under subsection (1.2), or

(ii) both the fine described in subparagraph (i) and imprisonment for a term not exceeding 5 years; or

(b) is guilty of an offence punishable on summary conviction and liable to

(i) a fine of not less than the amount determined under subsection (1.1) and not more than the lesser of_$500,000 and the amount determined under subsection (1.2), or

(ii) both the fine described in subparagraph (i) and imprisonment for a term not exceeding two years.


[8]                 L'article 88.2 de la Loi prévoit qu'une personne réclamant un intérêt dans une chose saisie à titre de confiscation a droit à une ordonnance déclarant que son intérêt n'est pas atteint par la saisie s'il est démontré, à la satisfaction du juge, que cette personne est innocente de toute complicité dans l'infraction qui a eu pour résultat la saisie et qu'elle a pris toutes les mesures voulues à l'égard de la personne qui a reçu la permission d'obtenir la possession de cette chose, afin de s'assurer que vraisemblablement celle-ci ne serait pas employée contrairement à la Loi.

[9]                 Dans le cas présent, le défendeur reconnaît que la demanderesse est innocente de toute complicité dans l'infraction qui a eu pour résultat la saisie, ici la possession, en contravention du paragraphe 240(1) de la Loi, de produits de tabac égyptien ne portant pas l'estampille exigée par la Loi, et qui ont été saisis avec le véhicule conformément à l'article 88 de la Loi.

[10]            En conséquence, l'unique question que cette Cour doit se poser est la suivante : est-ce que la demanderesse a pris toutes les mesures raisonnables pour s'assurer que la personne entre les mains de qui le véhicule a été saisi n'allait pas utiliser celui-ci à des fins contraires à la Loi?

[11]            En l'espèce, la demanderesse a le fardeau de démontrer qu'elle a fait enquête et pris des mesures concrètes afin de s'assurer que vraisemblablement le véhicule prêté à Cata ne serait pas employé contrairement à la Loi. Dans l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Deputy Minister of National Revenue v. Industrial Acceptance Corp. Ltd. (1958), 15 D.L.R. (2d) 369, l'honorable juge Fauteux souligne à la page 373 :

... The condition precedent to the right to obtain the relief is precisely that a positive and specific inquiry as to whether there are reasons to suspect such a likelihood [that the vehicle was not likely to be used contrary to the provisions of the Act], was made and negatived any reason for such suspicions. The fact that such an inquiry might offend the person who is the subject thereof cannot minimize the obligation to make it.

(mon soulignement)

[12]            Se référant à la portée du test énoncé par la Cour suprême, la Cour d'appel fédérale mentionne dans la décision El Khoury c. Canada (ministère du Revenu national, Douanes et Accise), [1996] F.C.J. No. 1339 (C.A.), au paragraphe 9 :

... un individu [...] ne peut non plus se satisfaire d'une absence apparente de raisons qui justifieraient une enquête de sa part. L'ajout du qualificatif "positive", dans sa référence à l'enquête en question, par la Cour suprême du Canada dans le texte précité, a pour conséquence de lui imposer un devoir précis et incontournable. Même si la nature, les modalités et l'envergure de l'enquête dépendent des circonstances, en aucun cas ne peut-il s'y soustraire totalement.


[13]            Il s'agit d'un très « lourd » fardeau comme le faisait remarquer le juge Rouleau de cette Cour dans Groleau v. Canada (sous-ministre du Revenu national, division de l'Accise - M.R.N.) [1993] A.C.F. no 403 au paragraphe 8. Ainsi, un revendicateur ne peut simplement se fier à la bonne opinion qu'il peut avoir de la personne à qui il prête son véhicule (voir Ken Ware Auto Sales Ltd. v. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R.), [1993] F.C.J. No. 1271, au paragraphe 8; et Groleau, supra, au paragraphe 10).

[14]            Or, qu'a précisément fait le représentant de la demanderesse pour s'acquitter de ce fardeau?

[15]            Rien, sinon que de s'en remettre entièrement à la bonne réputation des dirigeants de Cata. À cause des liens d'amitié qu'il entretenait depuis longue date avec le père des dirigeants de Cata, le représentant de la demanderesse n'a pas considéré opportun de faire quelque enquête que ce soit. Malheureusement pour la demanderesse, la jurisprudence est claire et unanime : une telle conduite n'est pas satisfaisante. De plus, le représentant de la demanderesse a admis avoir été au courant du fait, qu'un an avant la saisie en cause ici, Cata avait fait l'objet de deux saisies effectuées par des agents de la GRC en juin et août 2000. Dans le premier cas, comme aujourd'hui, la saisie avait trait à une infraction à la Loi visant des produits de tabac égyptien d'une valeur de plusieurs centaines de milliers de dollars.

[16]            En dépit de la connaissance de ces saisies antérieures, le représentant de la demanderesse affirme n'avoir pas été inquiété, car « ce qui s'est passé, ça faisait un (1) an ... il y avait pas eu une accusation officielle ... [s]i c'est du tabac ou c'est pas du tabac, on le sait pas encore » (interrogatoire hors cour sur affidavit de M. Ehab Lotfi, 21 février 2002, réponse à la question 39). J'ajouterai ici qu'il est pour le moins surprenant que le représentant de la demanderesse n'ait eu alors aucun soupçon, ni n'ait jugé opportun de vérifier si le véhicule pouvait servir à transporter autre chose que de simples aliments.

[17]            En tout état de cause, que des accusations criminelles aient été déposées ou non ne change rien au fait que l'article 88.2 de la Loi oblige la demanderesse de s'assurer qu'elle a pris toutes les mesures voulues à l'égard de la personne qui a obtenu la possession du véhicule afin de s'assurer qu'il ne serait pas employé contrairement à la Loi.

[18]            Enfin, même s'il n'y a pas eu ici condamnation antérieure contre Cata, je n'ai aucune hésitation à parvenir à la même conclusion que dans l'affaire Zlotnick v. Canada, [1991] F.C.J. No. 415, invoquée en l'espèce par le défendeur, car clairement, l'apparente insouciance du représentant de la demanderesse constitue ici, à mon avis, un écart marqué par rapport à la norme de la « personne raisonnable » ou de la « diligence raisonnable » plaidée par la demanderesse qui prétend que cette dernière affaire et les autres jugements mentionnés plus haut ne s'appliquent pas ici.


                                           ORDONNANCE

Pour ces motifs, la présente demande est rejetée avec dépens.

                                                                                                                                                                              

                                                                                                            Juge


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-1431-01

INTITULÉ :                  LES ALIMENTS REACH INC. c. LE MINISTÈRE DU REVENU NATIONAL Douanes, Accise et Impôt

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                              21 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

DATE DES MOTIFS :                                     27 mai 2003

COMPARUTIONS :

Me Robert Doré

POUR LE DEMANDEUR

Me Marc Ribiero

POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Robert Doré

POUR LE DEMANDEUR

Me Marc Ribiero

POUR LE DÉFENDEUR


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