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Date : 20040630

Dossier : IMM-6097-03

Référence : 2004 CF 937

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                          BERNARDO SOUSA MANUEL SANTOS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                M. Santos, qui est citoyen et ex-membre des services armés de l'Angola, demande à la Cour d'annuler la décision en date du 17 juillet 2003 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté l'allégation selon laquelle il avait été persécuté par l'armée angolaise parce qu'il était soupçonné d'être un renégat. Ayant statué que quelques-unes des principales conclusions d'invraisemblance de la Commission qui ont incité celle-ci à rejeter la demande d'asile du demandeur sont manifestement déraisonnables, la Cour fait droit à la présente demande et renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour réexamen conformément aux motifs exposés ci-après.

FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE

[2]                M. Santos a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada conformément à l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), parce qu'il craint d'être persécuté aux mains des autorités ou de l'armée angolaises du fait qu'il est perçu comme une personne appuyant l'Union nationale pour l'indépendance totale de l'Angola (UNITA). Il a également soutenu qu'en raison de cette crainte, il était une personne à protéger, conformément aux motifs énoncés à l'article 97 de la LIPR.

[3]                Le demandeur allègue qu'il a été contraint de travailler pour l'UNITA de juillet 2000 à juillet 2001, période pendant laquelle l'UNITA contrôlait le village de Caluquembe, dans la province de Huila, située dans le sud de l'Angola. En conséquence, dès qu'il a été relâché par l'UNITA, l'armée angolaise l'a arrêté, détenu et maltraité, parce qu'elle a présumé qu'il était un traître.


[4]                Avant ces événements, le demandeur soutient qu'il a été recruté de force dans l'armée angolaise, alors qu'il était âgé de 15 ans et étudiait à Huambo, et qu'il a dû rester dans l'armée de 1985 à 1992. Il a reçu une formation militaire et a dû participer à des batailles terrestres contre les forces de l'UNITA. En 1987, il a été transféré à la force aérienne de l'Angola et reçu une formation en mécanique d'aéronef. Par suite d'un accord de paix conclu en 1991, il a été démobilisé en août 1992. Toutefois, en octobre 1992, la guerre avec l'UNITA a repris et il a été rappelé dans l'armée. En janvier 1994, l'armée l'a envoyé au Portugal afin qu'il suive une formation en informatique. Il est retourné en Angola en octobre 1994. En novembre de la même année, un autre accord de paix a été signé et il a à nouveau été démobilisé en janvier 1995.

[5]                Le demandeur a ensuite travaillé comme technicien en informatique et coordonnateur logistique pour différentes sociétés et organisations, dont le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, de 1995 à 1998. En octobre 1998, la guerre civile a à nouveau fait rage en Angola et le demandeur a une fois de plus été rappelé dans l'armée.

[6]                Cependant, à cette occasion, le demandeur a refusé de se présenter à l'armée et a continué à travailler, cette fois pour Banco Portugues do Atlantico à Luanda. En juin ou juillet 2000, il est allé voir des membres de sa famille qui habitaient dans le petit village de Caluquembe, dans le sud de l'Angola. Sa mère et ses frères et soeurs étaient allés dans ce village afin de recevoir un traitement médical dispensé depuis un hôpital où des médecins suisses voyaient les malades. Environ une semaine après son arrivée, le village a été attaqué par les forces de l'UNITA et de nombreuses personnes ont été tuées. Étant donné que sa famille avait un oncle qui était général au sein de l'UNITA, le demandeur et les membres de sa famille ont été épargnés, à la condition qu'il reste et travaille pour l'UNITA. Il a travaillé comme présentateur à la radio, comme traducteur et comme écrivain.


[7]                En juillet 2001, l'armée angolaise a libéré Caluquembe et n'a pas cru que le demandeur avait été détenu contre son gré. Le demandeur soutient qu'il a été sauvagement battu par les soldats et traité de traître. Le demandeur décrit comment il a été battu et contraint de dormir dans un trou creusé dans la terre, ce qui lui a occasionné des dommages permanents au dos. Il ajoute qu'il a été détenu et interrogé par l'armée angolaise jusqu'en décembre 2001, lorsqu'il a réussi à s'enfuir du camp de détention où il se trouvait.

[8]                Après s'être enfui, le demandeur a commencé à se cacher et à rester chez différents parents et amis et s'est procuré un nouveau passeport ainsi qu'un visa américain. Il a quitté l'Angola pour se rendre aux États-Unis le 30 avril 2002. Il a passé quelque temps dans ce pays avant d'arriver au Canada le 13 juin 2002, date à laquelle il a présenté sa demande d'asile à la frontière du Québec. La Commission a entendu la demande du demandeur à Ottawa, au cours de trois séances différentes tenues de mars jusqu'au début de juillet 2003.

La décision de la Commission


[9]                La Commission n'a pas cru les allégations du demandeur selon lesquelles il aurait été contraint de travailler avec l'UNITA et aurait été persécuté par les autorités angolaises. Elle a conclu que le témoignage du demandeur et les lettres confirmant le service militaire de celui-ci ne pouvaient être ceux d'une personne qui, comme il le prétendait, « était inquiète ou honteuse au sujet de son service militaire passé, ou inquiète concernant ses relations avec les autorités angolaises » . La Commission n'a donc pas cru l'allégation du demandeur selon laquelle les autorités angolaises le recherchaient lorsqu'il a quitté le pays en mai 2002. À ce sujet, la Commission a relevé les problèmes suivants :

- Le demandeur a été enrôlé dans l'armée angolaise comme conscrit en 1985; cependant il a présenté au moins trois pièces prouvant son service militaire, ce qui indiquait que le service militaire représentait pour lui « une partie importante de son passé » et « quelque chose qu'il valait la peine de mentionner, soit dans l'intérêt de sa carrière, dans l'avenir ou pour obtenir un visa américain... » .

- Le demandeur s'est adressé à plusieurs haut gradés militaires en 1998, après avoir décidé de ne plus se présenter pour le service militaire, afin de connaître les conséquences de cette conduite. Même s'il n'a obtenu aucune assurance écrite qu'il ne serait pas puni s'il se faisait prendre à éviter le service militaire, il a eu l'impression qu'au besoin, ces personnes interviendraient en sa faveur.


[10]            En deuxième lieu, la Commission estimait qu'il n'était pas plausible que le demandeur ait été forcé, sous la menace de mort, de travailler pour l'UNITA à Caluquembe de juin/juillet 2000 à juin/juillet 2001. La Commission n'a pas cru que le demandeur soit allé à Caluquembe, parce qu'il n'a pas indiqué au cours de son témoignage le nom de l'hôpital où son frère avait été soigné. Il appert des motifs de la décision de la Commission que celle-ci doutait que la mère et les frères et soeurs du demandeur se soient rendus dans une ville éloignée pour recevoir un traitement médical en empruntant des routes minées par les forces de l'UNITA, même si le demandeur a expliqué qu'il y avait dans ce village un hôpital réputé dirigé par des médecins suisses. La commissaire n'a pas jugé digne de foi le témoignage du demandeur au sujet d'un sanatorium ouvert à Caluquembe.

[11]            Enfin, la Commission a conclu qu'il n'était pas plausible que, compte tenu des états de service appréciables du demandeur auprès de l'armée de l'Angola et de ses contacts avec des haut gradés militaires, il n'ait pas eu plus d'influence pour convaincre les autorités gouvernementales qui l'auraient détenu que son travail pour l'UNITA avait été accompli de force. En conséquence, la Commission n'a pas cru que M. Santos a été détenu à Caluquembe par les forces gouvernementales, comme il le soutenait.


[12]            Pour en arriver à ces deux dernières conclusions, la Commission a refusé de croire à l'authenticité d'un document soumis par l'employeur du demandeur, Banco Commercial Portugues, selon lequel il avait quitté son emploi là-bas en 2000 [traduction] « pour des raisons inconnues » , parce qu'il n'y a pas de caractéristique de sécurité sur ce document et qu'elle n'a pu vérifier la signature. De plus, la Commission n'était pas persuadée que ce document constituait un document probant à l'appui de l'allégation du demandeur, parce que les mots [traduction] « raisons inconnues » ne signifient pas nécessairement une « longue période d'enlèvement » et qu'un incident aussi grave qu'un rapt aurait été consigné sur le relevé d'emploi du demandeur, s'il s'était vraiment produit. La Commission a également jugé invraisemblable que le frère du demandeur, qui travaillait pour l'armée angolaise, n'ait fait aucun effort pour obtenir la libération de son frère pendant que celui-ci était détenu par l'armée ou pour informer l'employeur de son frère de la situation de celui-ci [traduction] « pour que les choses soient claires » .

QUESTIONS EN LITIGE

[13]            1. La Commission a-t-elle rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon arbitraire ou abusive ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

2. La Commission a-t-elle violé les principes de justice naturelle en omettant d'informer le demandeur des préoccupations qu'elle avait au sujet de certains éléments de la preuve documentaire?

ANALYSE

[14]            Je suis d'avis que quelques-unes des principales conclusions d'invraisemblance de la Commission ont été tirées de façon arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 1131 (C.F. 1re inst.)(QL), le juge Muldoon s'est exprimé comme suit aux paragraphes 7 et 8 au sujet des conclusions de la Commission sur la vraisemblance :


Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

Dans le jugement Leung c. M.E.I., (1994), 81 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.), voici ce que le juge en chef adjoint Jerome déclare à la page 307 :

[14] [...] Néanmoins, la Commission est clairement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilité en faisant expressément et clairement état des éléments de preuve.

[15] Cette obligation devient particulièrement importante dans des cas tels que l'espèce où la Commission a fondé sa conclusion de non-crédibilité sur des « invraisemblances » présumées dans les histoires des demanderesses plutôt que sur des inconsistances [sic] et des contradictions internes dans leur récit ou dans leur comportement lors de leur témoignage. Les conclusions d'invraisemblance sont en soi des évaluations subjectives qui dépendent largement de l'idée que les membres individuels de la Commission se font de ce qui constitue un comportement sensé. En conséquence, on peut évaluer l'à-propos d'une décision particulière seulement si la décision de la Commission relève clairement tous les faits qui sous-tendent ses conclusions [...] La Commission aura donc tort de ne pas faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient éventuellement réfuter ses conclusions d'invraisemblance ...


[15]            Il est évident que les conclusions sur la vraisemblance sont assujetties au même critère de retenue que les conclusions sur la crédibilité, soit la norme de la décision manifestement déraisonnable : voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Cependant, comme la Cour l'a souligné dans Valtchev, les conclusions sur la vraisemblance reposent sur un raisonnement distinct de celui des conclusions sur la crédibilité et peuvent être influencées par des présomptions culturelles ou des perceptions erronées. En conséquence, les conclusions d'invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l'appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions. Il convient de conserver à l'esprit les mises en garde exposées dans Valtchev et dans Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 81 F.T.R. 303, lors de la révision des conclusions sur la vraisemblance.

[16]            En ce qui a trait à la conclusion d'invraisemblance que la Commission a tirée au sujet du fait que le demandeur serait allé à Caluquembe, le demandeur a démontré que la Commission avait rendu sa décision de manière abusive et contraire aux règles d'équité procédurale. Il s'agissait là d'une conclusion cruciale sur laquelle reposait l'ensemble de la décision de la Commission. En conséquence, la décision ne peut être confirmée.


[17]            L'absence d'éléments de preuve objectifs ne constitue pas en soi une raison de ne pas croire le témoignage que le demandeur a fait sous serment au sujet des expériences qu'il a vécues à Caluquembe. Dans Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. n ° 444 (C.A.)(QL), la Cour d'appel fédérale a confirmé que l'absence d'éléments de preuve objectifs à l'appui de la demande d'un demandeur ne constitue pas en soi un motif permettant de mettre en doute un témoignage fait sous serment. Comme l'avocat l'a dit à l'audience et répété au cours des plaidoiries devant la Cour, le demandeur a été détenu, d'abord par l'UNITA, puis dans des conditions déplorables par l'armée angolaise, d'où il s'est enfui à pied au milieu de la nuit. Le demandeur a dit au cours de son témoignage qu'il n'y avait pas de téléphone qu'il aurait pu utiliser pour appeler qui que ce soit depuis Caluquembe. Il est difficile de savoir quelle sorte de preuve objective le demandeur aurait pu présenter pour prouver qu'il avait passé cette année-là à Caluquembe dans ces conditions.

[18]            En deuxième lieu, après avoir lu l'ensemble de la transcription, la Commission n'a pas prévenu le demandeur qu'elle avait des préoccupations quant à la fiabilité ou à la légitimité des articles tirés d'Internet qu'il a produits au sujet de l'hôpital de Caluquembe. Étant donné que la Commission a explicitement demandé des éléments de preuve au sujet de l'hôpital à la fin de la deuxième séance, tout problème lié à la preuve ainsi présentée par le demandeur aurait dû être porté à l'attention de celui-ci et de son avocat à l'audience. Cette preuve documentaire était importante pour la demande du demandeur, parce qu'elle pouvait corroborer la raison pour laquelle sa famille se trouvait à Caluquembe, ce qui l'a incité à se rendre là-bas pour aller la voir. Dans Muthusamy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 1333 (C.F. 1re inst.) (QL), la Cour a statué que la Commission était tenue de prévenir le demandeur des préoccupations qu'elle avait au sujet de l'authenticité de certains documents traduits. Dans la même veine, la Commission aurait dû, en l'espèce, prévenir le demandeur et l'avocat de celui-ci de la perception négative qu'elle avait quant à la fiabilité des documents tirés d'Internet.


[19]            Je souligne également que la Commission semble avoir une perception négative de la date à laquelle le demandeur a présenté cette preuve, comme l'indiquent ses motifs à la page 3 : « À la troisième séance, le demandeur a produit des informations confuses, tirées d'Internet, concernant un sanatorium offrant des soins pour les lépreux et d'autres malades à Caluquembo » . Ces remarques sont inéquitables, étant donné que ce n'est qu'à la deuxième séance de l'audience que la Commission a mentionné qu'elle avait des doutes au sujet du fait que le demandeur avait passé du temps à Caluquembe ainsi qu'au sujet de l'existence de l'hôpital là-bas.

[20]            De plus, le demandeur a de bonnes raisons de reprocher à la Commission d'avoir ignoré la preuve documentaire appuyant ses allégations selon lesquelles la ville de Caluquembe a été prise et occupée par l'UNITA au cours de la période pertinente et selon lesquelles il a été forcé de travailler pour l'UNITA et a ensuite été considéré comme un traître par les autorités angolaises. Cette preuve documentaire se trouve dans le dossier du tribunal et appuie généralement le compte rendu du demandeur au sujet des événements qui se sont passés à Caluquembe. La Commission aurait dû citer cette preuve documentaire dans ses motifs. La conclusion de la commissaire selon laquelle la route menant à Caluquembe était fortement minée par l'UNITA à l'époque où la mère et les frères et soeurs du demandeur l'ont empruntée n'est pas appuyée par la preuve qui se trouvait dans le dossier du tribunal. Même s'il existe une preuve abondante au sujet du nombre élevé de mines dont le sol était jonché à Angola au cours de la guerre civile, la Commission et le défendeur n'ont cité aucun élément de preuve indiquant que la route menant à Caluquembe était particulièrement dangereuse et que les personnes désirant se faire soigner par les médecins étrangers ne l'emprunteraient pas pour s'y rendre.


[21]            Il appert de la page 793 de la transcription du dossier du tribunal que la commissaire a cherché les renseignements sur l'Internet au cours d'une pause à l'audience et a tenté ensuite d'interroger le demandeur à ce sujet. L'avocat du demandeur s'est opposé à ces questions, étant donné que ce document n'avait pas été préalablement communiqué, et la commissaire a admis que cette façon de procéder était inappropriée. Bien que cette faille soit peut-être sans conséquence, j'estime que même cette tentative constitue une grave erreur de la part de la Commission.

[22]            Le demandeur a également soutenu que la commissaire ne lui a pas fait part des préoccupations qu'elle avait au sujet de l'absence d'éléments de sécurité dans la lettre adressée par la banque pour laquelle il avait travaillé, ce qui a donné lieu à un autre manquement aux règles d'équité procédurale. De l'avis du demandeur, il était illogique de la part de la Commission de présumer que l'ex-employeur indiquerait dans une lettre de références écrite à un destinataire inconnu que le demandeur avait quitté son emploi parce qu'il avait été kidnappé. De plus, la Commission a mal interprété le témoignage du demandeur sur ce point. Il avait déclaré à l'audience qu'il n'a pas communiqué avec la banque après s'être enfui et qu'il n'a pu le faire (non plus qu'avec d'autres personnes) lorsqu'il était sous le contrôle de l'UNITA ou détenu par l'armée angolaise, puisqu'il n'y avait pas de téléphone à Caluquembe. De plus, selon ce que lui avait dit l'un de ses ex-collègues, les personnes travaillant à la banque avaient présumé qu'il avait joint les rangs de l'UNITA, puisqu'il n'était pas retourné travailler après être allé à Caluquembe au milieu de l'année 2000.


[23]            Le défendeur n'a pas commenté cet argument dans son mémoire.

[24]            Je suis d'accord avec le demandeur. Il est abusif de s'attendre à ce qu'un ex-employeur, duquel une confirmation d'emploi était demandée, écrive dans une lettre de références un renseignement dont il n'avait jamais été officiellement informé, soit le fait que le demandeur avait quitté son emploi parce qu'il avait été kidnappé. Le demandeur a déclaré au cours de son témoignage qu'il n'avait jamais informé son employeur, que ce soit pendant qu'il a été détenu à Caluquembe ou après s'être enfui, de la raison pour laquelle il n'est pas retourné travailler là-bas, puisqu'il n'a jamais eu la possibilité de faire d'appel téléphonique. Il est manifestement déraisonnable de s'attendre à ce que l'employeur inscrive ces mots dans une lettre confirmant que le demandeur a travaillé pour lui. De plus, même si la commissaire a cherché à savoir comment le demandeur avait obtenu la lettre de son ex-employeur, elle n'a nullement indiqué à l'audience qu'elle avait des préoccupations au sujet des caractéristiques de sécurité du document (aux pages 693 à 700 du dossier du tribunal). En omettant de le faire, elle a commis un manquement au devoir d'équité qu'elle avait envers le demandeur.


[25]            Le demandeur a ajouté que son témoignage fait sous serment n'appuie pas la conclusion de la commissaire selon laquelle il était invraisemblable qu'il n'ait pu utiliser son influence et les contacts qu'il avait avec des militaires pour convaincre ses ravisseurs qu'il n'était pas un membre consentant de l'UNITA. Le demandeur a déclaré en toutes lettres que les haut gradés militaires auxquels il s'est adressé en 1998 se trouvaient à Luanda et qu'il n'y avait aucune façon de communiquer avec eux depuis Caluquembe. Qui plus est, toute assurance verbale qu'il a reçue lui avait été donnée en 1998, lorsqu'il posait des questions sur les conséquences pouvant découler de son refus de retourner à l'armée, et non alors qu'il était perçu comme un adepte de l'UNITA et comme une personne qui s'était échappée de l'endroit où l'armée le détenait.

[26]            Le défendeur a fait valoir que la conclusion d'invraisemblance que la Commission a tirée sur cette question était raisonnable, parce qu'il était logique de penser qu'une personne ayant vécu des expériences semblables à celles du demandeur se serait servie de ses contacts, même si les garanties d'aide données par les membres de l'armée l'ont été dans des circonstances différentes, avant qu'il vende tous ses biens et quitte le pays. Le défendeur a ajouté que la Commission est réputée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle était saisie, même si elle ne les a pas mentionnés dans ses motifs, et que le demandeur n'a pas réussi à réfuter cette présomption.


[27]            Je souscris également aux arguments du demandeur sur ce point. Le raisonnement de la Commission à cet égard ne tient pas compte du fait que le demandeur a approché le personnel militaire en 1998, lorsqu'il a décidé de ne pas continuer à servir dans l'armée, avant d'être perçu comme un traître en 2001 et de s'enfuir alors qu'il était détenu par l'armée. Cette interprétation erronée du témoignage du demandeur signifie que la conclusion d'invraisemblance de la Commission en ce qui a trait à l'influence qu'il aurait dû avoir auprès de l'armée angolaise est manifestement déraisonnable ou a été tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[28]            En dernier lieu, le demandeur a reproché à la Commission d'avoir mal interprété le témoignage qu'il a présenté en le décrivant comme une personne « inquiète ou honteuse au sujet de son service militaire passé » . Le demandeur soutient qu'il n'a à aucun moment déclaré qu'il « était inquiet ou honteux au sujet de son service militaire passé » . En ce sens, la commissaire a refusé de croire un élément de preuve dont elle n'était pas saisie.

[29]            Encore là, je souscris à l'avis du demandeur. Le raisonnement de la Commission au sujet de cette conclusion est trompeur. Le demandeur n'a jamais déclaré qu'il avait honte de ses activités militaires antérieures; il a simplement dit qu'il avait décidé, en 1998, qu'il ne voulait pas retourner dans l'armée, parce que la guerre ne lui semblait pas justifiée et que le travail dans l'armée était pénible. Le fait qu'il avait des lettres antérieures confirmant son service militaire, soit une lettre non datée et les autres datées de 1994 et 1995, ne peut être considéré comme un élément de preuve établissant que les autorités angolaises ne voulaient pas de lui en 2002 pour des raisons découlant d'incidents qui se sont produits en 2000 et 2001.

[30]            Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n'y a aucune question à faire certifier en l'espèce.


                            ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission est annulée et renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué conformément aux présents motifs. Il n'y a aucune question à faire certifier en l'espèce.

                                                  « Richard G. Mosley »           

                                                                             Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-6097-03

INTITULÉ :                            Bernardo Sousa Manuel Santos

c.

Le ministre de la Citoyenneté et

de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 14 juin 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :           le 30 juin 2004

COMPARUTIONS :

Michael Bossin                          POUR LE DEMANDEUR

Alexandre Kaufman                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Bossin                          POUR LE DEMANDEUR

Clinique juridique communautaire

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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