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Date : 20030917

Dossier : IMM-2435-03

Référence : 2003 CF 1077

ENTRE :

                                                 HAN JUN YANG, YU JIN SU,

                                           HUI TING YANG et JU PENG YANG

                                                                                                                                      demandeurs

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                    ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                 Ces motifs découlent de l'audition d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention et qu'ils n'étaient pas des personnes à protéger. La décision de la SPR est datée du 13 mars 2003.


[2]                 Les demandeurs sollicitent une déclaration portant que la décision de la SPR selon laquelle ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention et ne sont pas des personnes à protéger est invalide ainsi qu'une ordonnance annulant la décision et renvoyant la demande à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'elle rende une nouvelle décision conformément aux directives que la Cour juge indiquées et conformément aux motifs de la Cour. Le défendeur affirme que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

LES FAITS

[3]                 Les demandeurs sont un mari, sa conjointe, ainsi que leur fils et leur fille. Ils sont citoyens de la République populaire de Chine. Han Jun Yang (le demandeur principal) et sa conjointe Yu Jin Su avaient violé la politique chinoise portant sur la limitation de la population en ayant deux enfants en moins de deux ans. Ils se sont donc vus obligés de payer une amende pour faire inscrire leur deuxième enfant, une fille, dans le registre des ménages. De plus, Yu Jin Su s'est vu obligée de prendre des mesures anticonceptionnelles. Or, ces mesures la rendaient souffrante; on l'a donc informée qu'elle devait accepter la stérilisation. La demanderesse a réussi à éviter la stérilisation en se cachant chaque fois que les autorités se rendaient à la maison familiale.

[4]                 En 1991, le demandeur principal a émigré, apparemment légalement, en Argentine. En 1993, le reste de la famille l'a joint en Argentine, encore une fois apparemment ouvertement et conformément à la loi.


[5]                 En 1998, les demandeurs ont été victimes de vol qualifié accompagné d'actes de violence à cinq reprises pendant qu'ils travaillaient et qu'ils exploitaient un restaurant en Argentine. Ils ont donc quitté l'Argentine et sont venus au Canada où ils ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Étant donné que les quatre intéressés ont plus de 18 ans, leurs revendications ont fait l'objet de décisions distinctes, même si elles ont été entendues ensemble.

[6]                 Le demandeur principal et sa conjointe craignent d'être persécutés s'ils sont obligés de retourner en Chine étant donné qu'ils ont violé les politiques relatives à la planification familiale et à la limitation de la population. La conjointe du demandeur principal craint de faire encore face à la stérilisation forcée. De plus, le demandeur principal et sa conjointe n'ont pas payé au complet l'amende qui leur avait été imposée et ils craignent d'être obligés de payer au moins le solde. La famille affirme craindre que la fille soit victime de discrimination en matière d'éducation et en matière d'emploi en tant qu'enfant née en violation des politiques de planification familiale. La famille affirme également qu'étant donné que l'enregistrement du ménage a été annulé lorsqu'ils ont quitté la Chine, il se pourrait bien, s'ils étaient obligés d'y retourner, qu'aucune terre ne leur soit attribuée et qu'aucun enregistrement du ménage ne leur soit accordé, de sorte qu'ils ne pourraient pas gagner leur vie.

[7]                 Les demandeurs craignent de faire face à de la discrimination et d'être victimes de nouveaux vols qualifiés et actes de violence s'ils sont obligés de retourner en Argentine. Étant donné que la revendication que les demandeurs avaient présentée à l'encontre de la République populaire de Chine avait été rejetée par la SPR, la revendication contre l'Argentine n'a pas été examinée et il n'en sera donc pas ici question.

LA DÉCISION VISÉE PAR L'EXAMEN


[8]                 L'analyse que la SPR a effectuée à l'égard du demandeur principal et de sa conjointe est formulée comme suit :

[TRADUCTION] Je conclus qu'il n'existe pas vraiment de possibilité sérieuse que les autorités responsables de la planification familiale en Chine exigent que les intéressés ici en cause se soumettent à la stérilisation s'ils retournent en Chine. Auparavant, lorsque M. Yang était en Chine, les autorités responsables de la planification familiale voulaient stériliser sa conjointe et c'était elle qui devait se cacher. Les autorités n'ont pas pu la trouver, mais il n'était pas établi qu'elles cherchaient M. Yang pour le faire stériliser. Étant donné qu'il n'est pas établi que les autorités responsables de la planification familiale aient envisagé de stériliser M. Yang par le passé, je conclus qu'il n'existe pas vraiment de possibilité sérieuse qu'elles veuillent le stériliser s'il retourne en Chine.

En outre, je conclus que le fait que Mme Su sera contrainte à se faire stériliser si elle retourne en Chine n'est qu'une pure conjecture. L'application de la politique de planification familiale est devenue plus stricte dans de nombreuses régions de la Chine, mais l'avortement forcé et la stérilisation forcée vont à l'encontre de la politique officielle du gouvernement. Toutefois, ces pratiques existent encore dans certaines régions, mais pas dans d'autres régions. Étant donné que les deux intéressés ici en cause ne sont plus inscrits au registre rural des ménages, ils devront choisir une région lorsqu'il s'agira de s'installer en Chine, et ils pourront chercher à éviter les régions dans lesquelles les fonctionnaires locaux chargés de la planification familiale ont recours à la stérilisation forcée. En outre, Mme Su a maintenant 48 ans et elle a eu son dernier enfant il y a vingt ans. Selon moi, il est fort peu probable qu'elle attire maintenant l'attention des autorités responsables de la planification familiale pour une naissance mal planifiée il y a vingt ans. Mme Su affirme qu'une personne, au service de santé de leur ancien canton, l'a informée qu'elle devrait se soumettre à la stérilisation si elle retournait à cet endroit. Je n'accorde aucun poids à cette information de seconde main, provenant d'une personne qui se trouve dans un canton en Chine. Il n'est pas établi que les intéressés soient obligés de retourner dans ce canton. Mme Su n'a pas exprimé l'intention d'avoir d'autres enfants et elle a évité la grossesse depuis la naissance de son deuxième enfant, en 1983. Étant donné que la stérilisation forcée va à l'encontre de la politique du gouvernement central, je conclus qu'il n'existe pas vraiment de possibilité sérieuse que les autorités locales responsables de la planification familiale ciblent une femme de 48 ans, qui n'a pas eu d'enfant depuis vingt ans, pour la contraindre à se faire stériliser. Selon moi, le fait que Mme Su sera contrainte à se faire stériliser si elle retourne en Chine n'est qu'une pure conjecture.


En outre, je conclus que le fait que les deux intéressés ici en cause ne sont plus inscrits dans le registre des ménages ou qu'ils n'ont plus de terre qui leur a été attribuée et qu'ils ne savent pas trop comment ils gagneront leur vie ne constitue pas de la persécution ou encore une peine ou un traitement cruel et inusité. M. Yang a quitté la Chine il y a douze ans et Mme Su l'a quittée il y a dix ans. Ils ont vécu en Argentine où ils tenaient un commerce. Nombreux sont ceux qui n'ont pas de terres qui leur ont été attribuées en Chine. Ces gens travaillent dans d'autres secteurs de l'économie, soit dans le secteur public ou dans le secteur privé. Il n'est pas établi que M. Yang et Mme Su ne pourraient pas chercher du travail dans le secteur public ou dans le secteur privé en Chine. Il n'est pas établi qu'ils ne pourraient pas devenir de nouveau des résidents ruraux et se voir attribuer de nouvelles terres. De fait, il n'est pas établi qu'ils ne peuvent pas retourner dans leur ancien village, si ce n'est que l'enregistrement du ménage a été annulé. Toutefois, il n'est pas établi qu'ils ne peuvent pas demander à être de nouveau inscrits au registre des ménages. Selon moi, le fait que les deux intéressés ici en cause ne pourront pas gagner leur vie en Chine ne constitue qu'une pure conjecture. Ils sont citoyens chinois et ils ont le droit de vivre et de travailler dans ce pays. Selon moi, le fait qu'ils devraient recommencer leur vie en Chine en essayant de se faire attribuer de nouvelles terres ou en cherchant un emploi et un logement dans un milieu non agricole comme ils l'ont fait en Argentine ne constitue pas de la persécution ou une peine ou un traitement cruel et inusité, et ne met pas leur vie en danger.

Enfin, je conclus que le fait que les deux intéressés ici en cause doivent encore payer le solde de l'amende qui leur a été imposée ne constitue pas de la persécution et ne leur cause pas un préjudice sérieux. Dans leurs Formulaires de renseignements personnels, les intéressés déclarent qu'ils doivent encore 2000 yuan, ce qui selon moi est une somme modeste. À l'audience, M. Yang a affirmé qu'ils doivent 5000 yuan étant donné que le montant de 3000 yuan qu'ils ont déjà versé était peut-être un pot-de-vin plutôt que le paiement partiel de l'amende. Ils ont produit un avis récent dans lequel il est déclaré qu'ils n'ont pas payé au complet l'amende de 5000 yuan. Toutefois, cet avis n'indique pas combien d'argent ils doivent ou s'il y a des conséquences autres que le fait d'avoir à payer le solde. Il n'est pas établi que les intéressés doivent plus que 2000 ou 5000 yuan. Selon moi, le montant de la dette ne saurait être assimilé à de la persécution ou encore à une peine ou un traitement cruel et inusité. Les intéressés ont dépensé encore plus d'argent pour venir au Canada.

Bref, compte tenu de la preuve, je conclus qu'il n'existe pas vraiment de possibilité sérieuse que M. Yang ou Mme Su soient persécutés en Chine ou qu'ils fassent l'objet d'une peine ou d'un traitement cruel et inusité, ou encore que leur vie soit en danger, ou qu'ils risquent d'être torturés s'ils retournent en Chine.

                                                               [Non souligné dans l'original, renvois omis]

[9]                 Les revendications des enfants du demandeur principal et de sa conjointe ont fait l'objet d'une décision sommaire, en partie fondée sur l'analyse et la décision qui s'appliquaient à leurs parents. L'analyse et la décision relatives au demandeur principal et à sa conjointe ont été contestées devant moi, mais les décisions concernant les enfants n'ont pas essentiellement été contestées sauf dans la mesure où les décisions relatives aux parents influaient sur celles concernant les enfants.

LES POINTS LITIGIEUX


[10]            Dans l'exposé du droit des demandeurs, les questions qui sont ici en litige sont essentiellement définies comme suit : premièrement, la SPR a-t-elle énoncé d'une façon erronée la preuve documentaire, a-t-elle omis de placer la preuve dans son contexte, ou a-t-elle omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents ou n'en a-t-elle fait aucun cas au point où il est possible de dire qu'elle a manqué aux principes d'équité et qu'elle a donc commis une erreur de droit? Deuxièmement, la SPR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la question de la persécution telle qu'elle se rapporte à la capacité des demandeurs d'obtenir un emploi en Chine, compte tenu des amendes non payées ou des amendes qui sont probablement dues?

ANALYSE

[11]            ll importe de noter que, dans la partie précitée de la décision de la SPR, l'expression [TRADUCTION] « il n'est pas établi » est employée sept fois. L'avocat des demandeurs a soutenu que, dans le troisième paragraphe précité où cette expression est employée quatre fois, son emploi est tout simplement inexact pour ce qui est de la capacité des demandeurs de redevenir des résidents ruraux et de se voir de nouveau attribuer un terrain ainsi qu'en ce qui concerne leur retour à leur ancien village et l'obtention d'un nouvel enregistrement du ménage dans ce village. En outre, l'avocat affirme que la SPR disposait de certains éléments de preuve montrant qu'en Chine, le demandeur principal aurait énormément de difficulté à obtenir un travail, si ce n'est sur le marché noir, et ce, dans le secteur public ou dans le secteur privé, en l'absence d'un enregistrement du ménage ou de terres qui lui seraient attribuées. L'avocat affirme que la SPR a en fait omis de tenir compte de la preuve dont elle disposait, laquelle se rapportait à la situation précise dans laquelle se trouvait le demandeur principal et sa conjointe[1].


[12]            Dans la partie précitée des motifs de la décision de la SPR, les conclusions de fait suivantes sont tirées expressément ou implicitement. Premièrement, si les demandeurs sont obligés de retourner en Chine, ils pourront choisir une région de leur pays pour s'y établir; deuxièmement, le demandeur principal serait autorisé à chercher un emploi et ses recherches seraient probablement fructueuses; troisièmement, les demandeurs pourraient encore une fois devenir des résidents ruraux et se voir attribuer une nouvelle terre; et enfin, les demandeurs pourraient retourner dans leur ancien village et y obtenir un nouvel enregistrement du ménage. Or, aucun élément de preuve n'est mentionné à l'appui de ces conclusions. Il n'a pas été tenu compte d'éléments de preuve qui pourraient laisser planer un doute sur la validité de ces conclusions ou encore il est affirmé que ces éléments ne figuraient pas dans le dossier dont disposait la SPR.

[13]            Dans une décision qui a souvent été citée, Cepeda-Gutierrez et autres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2], Monsieur le juge Evans, qui était alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a noté que la Cour doit faire preuve de retenue à l'égard des conclusions de fait tirées par des offices tels que la SPR. Voici les remarques qu'il a faites au paragraphe 14 de ses motifs :

[...] pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d) [de la Loi sur la Cour fédérale] le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion " sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] " [...]


[14]            Je suis convaincu que certaines conclusions de fait, expresses ou implicites, dont je viens de faire mention, étaient, compte tenu du dossier dont disposait la SPR, « manifestement erronées » en l'absence de quelque analyse de la preuve versée au dossier, dont certains éléments étaient tirés de l'expérience personnelle d'une personne directement liée aux demandeurs. Une analyse approfondie de la preuve montre qu'il aurait probablement été loisible à la SPR de conclure que les demandeurs, s'ils étaient obligés de retourner en Chine, pourraient choisir le lieu, dans ce vaste pays, où ils voudraient s'établir de nouveau, qu'ils pourraient obtenir un enregistrement du ménage et se voir attribuer une terre dans une région où la conjointe du demandeur principal ne risquerait pas d'être contrainte de se faire stériliser et qu'ils pourraient se trouver un emploi véritable. Cependant, en l'absence de pareille analyse, je conclus qu'il n'était tout simplement pas loisible à la SPR de tirer les conclusions factuelles qui sous-tendent sa décision. Comme l'a dit le juge Evans, la SPR a tiré ces conclusions « sans tenir compte des éléments » .

CONCLUSION

[15]            Compte tenu de l'analyse qui précède, je suis convaincu que la décision ici en cause doit être annulée et que la demande doit être renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal différemment constitué entende à nouveau l'affaire et rende une nouvelle décision. Une ordonnance sera rendue en conséquence. Lorsqu'ils ont été consultés à la fin de l'audience, ni l'un ni l'autre avocat n'a recommandé la certification d'une question. Je suis convaincu qu'aucune question grave de portée générale ne se pose en l'espèce. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


                                                                                                                   « Frederick E. Gibson »            

                                                                                                                                                    Juge                             

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 17 septembre 2003.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-2435-03

INTITULÉ :                                                        HAN JUN YANG, YU JIN SU,

HUI TING YANG et JU PENG YANG

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 16 septembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :                                     le 17 septembre 2003

COMPARUTIONS :

M. Robert J. Kincaid                                            POUR LES DEMANDEURS

Mme Helen Park                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Robert J. Kincaid                                    POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                    



[1]       Voir, par exemple, le paragraphe 12 de la réponse du demandeur principal à la question 37, dans le Formulaire de renseignements personnels, pages 30 et 31, volume 1 du dossier de la demande des demandeurs.

[2]       (1998) 157 F.T.R. 35.

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