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Date : 20050118

Dossier : IMM-2729-04

Référence : 2005 CF 18

Ottawa (Ontario), le 18ième jour de janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                                 ZIANY RAHIM

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Quand la logique inhérente d'une personne, elle-même, se perd, la crédibilité de la personne est entachée à tel point que l'histoire ne fait plus de sens intrinsèque ; seul, sans lien directe à la personne, la preuve documentaire du pays ne permet pas de démontrer qu'il s'agit d'une personne à protéger.


NATURE DE LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                La présente demande de contrôle judiciaire, introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (Loi), porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 10 mars 2004. Dans cette décision, la Commission a conclu que la demanderesse ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 ni à celle de _ personne à protéger _ au paragraphe 97(1) de la Loi.

FAITS

[3]                Citoyenne du Sri Lanka, la demanderesse, Mme Ziany Rahim, allègue avoir une crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politiques.

[4]                Voici les faits allégués, tels que décrits par la Commission. Mme Rahim a suivi les traces de son père en se joignant au « United National Party » (UNP) en 1999. Elle a participé aux réunions politiques et distribué des brochures de ce parti, ce qui a amené le « People's Alliance » (PA) à lui proférer des menaces allant jusqu'à des menaces de mort. Mme Rahim s'est plaint au UNP et à la police mais n'a reçu aucune protection.

[5]                Mme Rahim a fréquenté un Canadien qu'elle a rencontré et qui a été témoin, avec elle, d'une attaque terroriste. Cependant, après le retour de l'homme en question au Canada, elle n'a plus eu de ses nouvelles.

[6]                Puisqu'elle possédait un visa, Mme Rahim a décidé de quitter son pays pour le Canada, croyant qu'elle y serait davantage en sécurité. Elle est arrivée à Toronto le 10 novembre 2000 et a demandé le statut de réfugié cinq mois plus tard.

DÉCISION CONTESTÉE

[7]                La Commission a rejeté la demande d'asile en raison du manque de crédibilité de Mme Rahim. La Commission s'est fondée essentiellement sur deux éléments pour rendre sa décision. D'une part, elle a relevé une omission, des contradictions et des invraisemblances sur des éléments essentiels de l'histoire de la demanderesse. D'autre part, la Commission a constaté que le comportement de la demanderesse ne correspondait pas à celui d'une personne qui craint véritablement d'être persécutée.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]                1. Était-il manifestement déraisonnable que la Commission conclut au manque de crédibilité de la demanderesse ?


2. La conclusion selon laquelle la demanderesse n'était pas crédible sous le régime de l'article 96 permet-elle de rejeter, à elle seule, une demande de protection sous le régime de l'article 97 ?

ANALYSE

1. Était-il manifestement déraisonnable que la Commission conclut au manque de           crédibilité de la demanderesse ?

[9]                Après son arrivée au Canada, Mme Rahim s'est mariée avec l'homme qu'elle fréquentait au Sri Lanka, M. Éric Charron. Au début de l'audience, la Commission a donc demandé à Mme Rahim si elle craignait de retourner dans son pays parce qu'elle est mariée à un non-Musulman. Elle a répondu par l'affirmative, mais n'avait pas modifié son Formulaire de renseignements personnels (FRP) en conséquence ni demandé à faire des modifications à sa demande au début de l'audience. Toutefois, elle n'a pu identifié de tort qui lui serait causé si elle retournait au pays étant mariée à un non-Musulman, sauf le fait que les gens la regarderaient d'un mauvais oeil. Selon la Commission, le manque d'explication sur ce sujet mine la crédibilité de Mme Rahim.


[10]            Il est bien établi qu'en ce qui a trait à des questions de crédibilité, comme en l'espèce, l'erreur de la Commission doit être manifestement déraisonnable pour que la Cour intervienne [Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.),[2] Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),[3] Singh c. Canada (Ministre de la Citoynneté et de l'Immigration)[4]].

[11]            La Commission s'est penchée sur le délai que Mme Rahim a mis pour quitter le Sri Lanka. Malgré le fait qu'elle possédait un visa pour le Canada depuis le 8 mai 2000, Mme Rahim n'a quitté son pays que le 10 novembre 2000. Elle a expliqué à la Commission qu'il lui a fallu un mois pour avoir assez d'argent pour acheter un billet et quitter le pays. Or, le délai qu'un demandeur a mis avant de quitter son pays d'origine peut être pris en compte pour déterminer si la personne avait une crainte subjective de persécution. La Cour note également que Mme Rahim n'a présenté sa demande d'asile que cinq mois après son arrivée au Canada. Ces éléments jettent un doute sur la crainte subjective de persécution que Mme Rahim possédait [Huerta c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.)].[5]


[12]            La Commission a également relevé de nombreuses incohérences et contradictions dans le témoignage de Mme Rahim. Cette dernière a produit en preuve une carte de membre du parti UNP, qui serait sa première carte de membre, sur laquelle la Commission a remarqué que Mme Rahim possédait déjà un numéro de membre lors de l'émission de celle-ci et que l'année de validité de la carte avait été laissée en blanc.

[13]            Mme Rahim a aussi déposé une lettre d'un membre du parlement dans laquelle il est mentionné qu'elle lui aurait parlé des menaces reçues. Cependant, Mme Rahim a fourni à la Commission trois versions quant à savoir à quel moment elle lui en aurait parlé. Concernant la lettre du parti UNP, qui décrit Mme Rahim comme une membre active du parti, Mme Rahim a dit le contraire lors de son témoignage. La Commission a, en outre, interrogé Mme Rahim au sujet de sa participation politique. Cette dernière a notamment décrit un membre du parlement comme étant un ministre du parlement. La Commission l'a informée qu'elle n'avait jamais entendu parler de ce titre. Mme Rahim a répondu qu'elle n'était pas politicienne mais qu'elle travaillait en politique. Or, en déposant une lettre d'un membre du parlement, Mme Rahim aurait dû connaître la signification de MP.

[14]            De plus, Mme Rahim a allégué que sa participation politique concernait les élections municipales d'octobre 2000. Cependant, la preuve documentaire révèle que ce sont les élections du parlement qui ont eu lieu en octobre 2000. Mme Rahim a répliqué qu'elle était confuse au sujet de la politique et qu'elle était très occupée par son travail dans un hôtel. Elle a également déclaré ne plus se rappeler du résultat de l'élection d'octobre 2000.

[15]            Également, Mme Rahim a été incapable de nommer les deux partis politiques sri lankais musulmans parce que, selon elle, il est difficile de s'en rappeler. La Commission n'a donc pas cru que Mme Rahim était engagée sur le plan politique.

[16]            Une autre raison ayant porté la Commission à tirer cette conclusion est liée au père de Mme Rahim. Cette dernière a déclaré que son père n'a eu aucun problème malgré son engagement politique et ce, parce qu'il est un homme. La Commission a informé Mme Rahim que, selon ses connaissances spécialisées, plusieurs hommes sri lankais sont victimes de violence et que, selon la preuve documentaire, l'élection d'octobre 2000 a été marquée par la violence et l'intimidation. Mme Rahim a répondu qu'elle n'était pas au courant de la situation concernant son père et qu'elle n'a pas connu l'ambiance qu'a entouré son père lors des élections.

[17]            Mme Rahim soutient que la Commission lui a demandé trop de détails et s'est attendue à des réponses que posséderaient un membre du comité exécutif du parti et non un simple membre participant à temps partiel à certaines activités du parti. La Cour ne peut souscrire à cet argument. Il est normal que la Commission ait tenté de vérifier si Mme Rahim était effectivement engagée en politique comme elle le prétend en testant certaines de ses connaissances sur le parti. Les questions posées par la Commission étaient assez simples et l'on se serait attendu qu'une membre d'un parti participant à certaines activités du parti soit en mesure d'y répondre.


[18]            Mme Rahim soutient également que, la Commission n'ayant pas traité dans ses motifs de l'attestation psycho-médicale présentée en preuve; selon elle, ce fait porte à croire que la Commission n'a pas évalué la valeur probante de cette pièce. Avec égards, la Cour ne peut être d'accord avec cette proposition. D'une part, il est tenu pour acquis, sauf indication tendant à démontrer le contraire, que la Commission prend en compte tous les éléments qui lui sont présentés en preuve. D'autre part, la Commission n'est pas tenue, dans ses motifs, de décrire son évaluation de tous ces éléments de preuve. En l'espèce, comme en témoigne la longue liste d'incohérences et de contradictions énumérées par la Commission, la crédibilité de Mme Rahim était déjà grandement minée et la Commission n'était donc pas obligée de donner ses observations quant au rapport. D'ailleurs, le rapport, qui est un rapport médical - et non psychologique - fondé sur un examen médical de Mme Rahim par le docteur Caroline Bélanger, ne donne aucun renseignement pertinent si ce n'est de déclarer que l'examen physique de Mme Rahim n'a rien révélé d'anormal. L'auteur du rapport souligne clairement au moyen de termes tels que « au questionnaire, madame Rahim me raconte... » , « elle aurait souffert... » et « elle raconte... » que les renseignements portant sur l'état psychologique antérieur et actuel de Mme Rahim sont strictement fondés sur le récit de cette dernière. Mme Rahim cite l'affaire Sawadogo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6] pour appuyer son dire que c'est à tort que la Commission a passé sous silence le rapport médical. Dans Sawadogo, la Commission avait omis de tenir compte de plus d'un élément de preuve; et les raisons retenues par la Commission pour mettre en doute la crédibilité de la demanderesse n'ont pas été jugées convaincantes en contrôle judiciaire. En l'espèce, les manquements à la crédibilité de Mme Rahim sont nombreux et bien expliqués. De plus, tel que souligné ci-dessus, le rapport ne donne aucun renseignement additionnel sur la situation de la demanderesse.

2. La conclusion selon laquelle la demanderesse n'était pas crédible sous le régime de l'article 96 permet-elle de rejeter, à elle seule, une demande de protection sous le régime de l'article 97 ?

[19]            Selon Mme Rahim, ce n'est pas parce que la Commission rejette la demande de protection pour manque de crédibilité, en vertu de l'article 96, qu'elle peut automatiquement rejeter la demande de protection en vertu de l'article 97. Ces articles prévoient ce qui suit :



96.         A qualité de réfugié au sens de la Convention -- le réfugié -- la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

97.         (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes -- sauf celles infligées au mépris des normes internationales -- et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.    

           (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

96.         A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,     

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97.         (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

           (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.



[20]            Le fait que la Commission ait conclu à l'absence de crédibilité de la demanderesse était suffisant, à lui seul, pour conclure à l'absence de motifs sérieux de croire que Mme Rahim risquerait d'être personnellement soumise à la torture ou d'être personnellement exposée à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités selon le paragraphe 97(1) de la Loi [Gonulcan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7], Atwal c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, IMM-4518-02, 2 septembre 2003, juge Martineau]. La preuve documentaire du pays en question ne peut, sans autre élément lié directement à la situation de Mme Rahim, permettre de démontrer qu'il s'agit d'une « personne à protéger » sous le régime de l'article 97.

[21]            La Cour conclut que la Commission n'a commis aucune erreur nécessitant une intervention.

CONCLUSION

[22]            Pour ces motifs, la Cour répond par la négative à la première question et par l'affirmative à la seconde question. Par conséquent, la Cour rejettera la demande de contrôle judiciaire.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

            _ Michel M.J. Shore _

                                                                                                                                                     Juge                          


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2729-04

INTITULÉ :                                                    ZIANY RAHIM

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 10 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE    

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DE L'ORDONNANCE         

ET ORDONNANCE :                                    LE 18 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Me Jean-François Fiset                                     POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Steve Bell                                                   POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Jean-François Fiset                                     POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS                                                POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada



[1]L.C. 2001, c. 27.

[2](1993) 160 N.R. 315, _1993_A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL).

[3] (2001) 11 Imm. L.R. (3e) 233, _2000_A.C.F. no 2001 (1ère inst.) (QL).

[4](2000) 173 F.T.R. 280, _1999_A.C.F. no 1283 (1ère inst.) (QL).

[5](1993) 157 N.R. 225, [1993] A.C.F. no 271 (C.A.F.) (QL).

[6](2001) 18 Imm.L.R. (3e) 253, [2001] A.C.F. no 792 (C.F. 1ère inst.) (QL).

[7][2004] A.C.F. no 486 (C.F. 1ère inst.) (QL).


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