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Date : 20000315


Dossier : T-2127-99

            

ENTRE :

     CANADIAN ARCTIC RESOURCES COMMITTEE INC.,

     demanderesse,

     - et -

     DIAVIK DIAMOND MINES INC. et

     ABER DIAMOND MINES LTD.,

     défenderesses,

     - et -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intervenant.


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

M. JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]          La présente demande de contrôle judiciaire d"autorisations relatives à des travaux préparatoires découle des opérations à ciel ouvert de la mine de diamants Diavik qui doivent être entreprises par les défenderesses au Lac de Gras, à 300 kilomètres au nord-est de Yellowknife. Ces opérations visent à endiguer et à drainer une partie du lac pour permettre l"accès à des pipes kimberlitiques situées sous le lac qui renferment des diamants. Les motifs concernent la requête par laquelle la demanderesse sollicite la prorogation du délai prévu par la règle 309 pour le dépôt de son dossier, jusqu"à l"audition de la requête qu"on envisage de présenter en vue d"obtenir la production de présumés documents ou éléments matériels non communiqués qui auraient étayé la décision d"accorder les autorisations réglementaires. Les documents produits par la demanderesse ne permettent pas de savoir à quel moment son dossier devrait, ou aurait dû, être signifié et déposé. Par conséquent, j"accepte les dates établies par l"avocat de Diavik Diamond Mines Inc., soit notamment que le dossier aurait dû, en application des Règles de la Cour fédérale (1998), être signifié et déposé le 6 mars 2000. J"aborderai certains autres faits pertinents au cours de l"analyse, mais il importe en premier lieu de mentionner certaines règles de droit fondamentales.

CERTAINES RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

[2]      Les règles de droit applicables en matière de prorogation de délai sont bien connues. La partie qui demande une prorogation doit justifier le retard, faire état des préjudices que risquent de subir les deux parties, et montrer que la cause est défendable : voir par exemple les arrêts Grewal c. Canada, [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.), et Nelson c. Canada (1997), 206 N.R. 180 (C.A.F.). La partie qui sollicite la prorogation a en outre l"obligation de présenter sa demande à cet effet aussitôt que possible.

[3]      Le principe sous-jacent à ce qui précède est le suivant : il faut que justice soit faite entre les parties (voir par exemple, les affaires Grewal (précitée), aux pages 272 et 282, et Alcorn c. Canada (1998), 149 F.T.R. 314, à la page 316.

ANALYSE

[4]      La plus grande difficulté que soulève la requête de la demanderesse est le manque de preuve à l"appui. La requête et les observations ont été déposées sans être étayées d"une preuve par affidavit. Même si j"acceptais en preuve les motifs énoncés dans la requête et les allégations formulées dans les observations écrites, ces éléments ne satisfont pas aux critères essentiels applicables en matière de prorogation de délai.

[5]      Plus précisément, les observations de la demanderesse renvoient à de la correspondance et à des documents, mais uniquement dans l"abstrait. Selon le paragraphe 3 des observations écrites, la demanderesse [TRADUCTION] " [...] est en voie de terminer une requête visant à obliger le gouvernement à produire des documents ou éléments matériels supplémentaires. "Dans ce même paragraphe, on formule ce qui paraît être un argument à l"appui de la production de documents. Le paragraphe 4 des observations écrites énonce, sans aucun affidavit à l"appui comme je l"ai déjà précisé, que la demanderesse [TRADUCTION] " [...] a déposé son affidavit et ses pièces sous réserve du fait qu"elle puisse demander à la Cour l"autorisation de déposer un affidavit et des pièces supplémentaires si cette mesure se révèle nécessaire une fois que le gouvernement aura produit ses documents supplémentaires en application des règles 317 et 318. "

[6]      Au paragraphe 5, la demanderesse expose ses projets futurs, soit d"ajourner son contre-interrogatoire sur affidavit de la défenderesse Diavik Diamond Mines Inc. (" Diavik ") dans l"attente que la question de la production des documents soit résolue.

[7]      Au paragraphe 6 des observations écrites, la demanderesse signale que le gouvernement [TRADUCTION] " pourrait bien avoir produit de nombreux documents supplémentaires "et que ces derniers [TRADUCTION] "seraient à leur tour susceptibles de justifier le dépôt " par la demanderesse de même que par les défenderesses et l"intervenant " d"affidavits et de pièces à l"appui supplémentaires [...] ". Il est vrai que cette partie des observations évoque certaines raisons expliquant le retard, mais il ne s"agit que de conjectures; on affirme seulement qu"il " pourrait bien "y avoir des documents additionnels " susceptibles "de justifier le dépôt d"affidavits et de pièces supplémentaires.

[8]      Il n"est fait aucune mention dans les observations écrites de la possibilité qu"un préjudice soit causé aux défenderesses. On y aborde les conséquences du délai applicable au dépôt du dossier ainsi que l"éventuelle production de documents supplémentaires susceptibles de justifier le dépôt d"autres affidavits et la tenue de contre-interrogatoires. Or, même si ces éléments de preuve étaient réels, ils auraient seulement pour effet d"établir que la demanderesse a subi un inconvénient et rien ne permettrait de conclure à l"existence d"un préjudice. Les observations écrites de la demanderesse ne renferment aucun élément prouvant que le contrôle judiciaire constitue, en soi, un moyen défendable.

[9]      Outre le fait que la demanderesse n"a pu montrer le bien-fondé d"une prorogation de délai, les défenderesses et l"intervenant ont soulevé un certain nombre de questions dont certaines touchent au préjudice et au retard. Dans ses observations écrites, Aber Diamond Mines Ltd. (" Aber "), s"appuyant sur un affidavit antérieur, établit qu"elle est partie, dans une proportion de 40 p. 100, à une coentreprise dans un projet de 1,3 milliard de dollars. La part d"Aber s"élève à 520 millions de dollars, dont 210 millions de dollars en capitaux propres, mais 400 millions de dollars additionnels sont nécessaires. Il s"agit donc pour le moment de la plus importante somme financée par un explorateur et promoteur canadien indépendant. Aber soutient, par le truchement de l"affidavit d"un de ses administrateurs, qu"elle doit faire aux investisseurs des présentations définitives qui devraient donner de bons résultats si elles ont lieu au printemps et à l"été 2000, mais qui seraient infructueuses en cas de retard. La réponse d"Aber à la requête de la demanderesse est succincte et se termine par l"adoption de la thèse avancée par Diavik.

[10]      Dans ses documents et éléments matériels qu"étaye une preuve par affidavit, Diavik fait remarquer qu"à la suite de la requête du 7 janvier 2000 en vue d"obtenir l"instruction accélérée du litige, les parties ont convenu de procéder par voie d"une demande d"audience préliminaire et du processus de gestion de l"instance. Diavik insinue que les actes de la demanderesse sont incompatibles avec l"entente écrite susmentionnée visant à accélérer l"instruction de l"affaire. Ce pourrait bien être le cas et, même s"il ne s"agit pas d"un facteur essentiel dont je doive tenir compte pour trancher la requête, il montre néanmoins que toutes les parties reconnaissent l"urgence de mettre fin au litige. Diavik souligne également que la demanderesse n"a pas respecté les délais prévus par les Règles, ce qui est manifeste. En l"occurrence, il importe de rappeler la notion suivant laquelle une partie ne peut dépasser les délais énoncés dans les Règles, sauf dans les cas où elle subirait un préjudice plus grand que celui éventuellement causé à la partie adverse : voir à titre d"exemple la décision rendue par le protonotaire adjoint Giles dans Valyenegro c. Canada (1995), 88 F.T.R. 196, à la page 201.

[11]      Diavik soulève une autre évidence : le fait que la demanderesse obtienne ou non gain de cause en ce qui touche son éventuelle requête relative à la production de documents " requête qui est à l"origine de la demande de prorogation de délai " repose sur des possibilités et des hypothèses. Diavik affirme en outre que les documents qui, dans les faits, s"ils existent, n"ont pas été examinés par le Ministre au moment de prendre sa décision consisteraient en plus de 42 volumes de documents du registre public concernant le projet Diavik. Mais ceci nous éloigne un peu du sujet.

[12]      Diavik soulève toutefois un autre point révélateur. Le 10 janvier 2000, le ministère de la Justice a informé l"avocat de la demanderesse que, de l"avis de la Couronne, seuls les documents et éléments matériels dont le Ministre était saisi au moment de prendre sa décision, suivant la Loi canadienne sur l"évaluation environnementale, étaient pertinents et susceptibles de production. Il importe de préciser en l"espèce qu"il n"y a pas lieu d"accorder une prorogation de délai lorsque celle-ci découle de l"inaction ou du retard de la partie qui la demande : voir par exemple l"affaire Chin c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1994), 69 F.T.R. 77, dans laquelle le juge Reed, saisie d"une demande de prorogation de délai, mentionne qu"elle vérifie s"il existe une raison indépendante de la volonté de l"avocat ou du client (page 80), et l"affaire Moreno c. Canada (1996) 110 F.T.R. 57, dans laquelle le protonotaire Morneau a estimé que le défaut de déposer des documents dans le délai prévu par les Règles était attribuable à la conduite de l"avocat.

[13]      En l"espèce, la demanderesse a retardé le déroulement de l"instance. Elle n"a pas présenté la requête en prorogation de délai aussitôt que possible; je renvoie à cet égard au fait que la Couronne, le 10 janvier 2000, a informé la demanderesse qu"elle ne produirait plus d"autres documents. Or, la demanderesse a attendu environ cinq semaines avant de signifier et déposer la présente requête. De plus, la demanderesse n"offre aucune raison pour expliquer ce retard.

[14]      Comme je l"ai déjà signalé après avoir résumé la thèse de la demanderesse, cette dernière n"a pas satisfait au critère énoncé dans l"arrêt Grewal. Surtout à la lumière du fait que les défenderesses et l"intervenant ont eux-mêmes présenté des éléments de preuve établissant leur préjudice ainsi que le retard inexpliqué de la demanderesse. Cependant, du point de vue de la demanderesse, les choses vont plus loin.

[15]      La demanderesse a signifié et déposé une réponse " document beaucoup plus volumineux que le dossier initial de la requête " accompagnée d"un affidavit substantiel. Cet acte de procédure a donné lieu à une importante correspondance adressée à la Cour, avec copies aux parties, selon laquelle il ne s"agissait pas d"une réponse, mais que la demanderesse avait plutôt scindé sa cause. La demanderesse tente maintenant d"ajouter des éléments qui auraient dû être inclus dans la demande initiale.

[16]      J "ai examiné avec attention l"affidavit produit en réponse, les pièces de même que les arguments. Ces éléments sont en grande partie dénués de pertinence ou ils constituent une tentative en vue de palier les lacunes de la demande initiale avec des documents ou éléments matériels qui étaient disponibles au moment du dépôt de celle-ci. Des documents ont été présentés à l"appui de la réponse, mais ils n"aident pas beaucoup la demanderesse puisque les documents que cette dernière a initialement produits sont bien loin de lui permettre d"établir ce qui doit l"être pour satisfaire aux exigences fixées par la jurisprudence, et plus particulièrement l"arrêt Grewal (précité), en matière de prorogation de délai.

[17]      L "arrêt Grewal est néanmoins utile à la demanderesse. En effet, le juge en chef Thurlow y traite du principe sous-jacent voulant que justice soit faite entre les parties (page 272). Le juge Marceau y mentionne que, pour rendre une décision impartiale, il faut apprécier et mettre en parallèle divers facteurs (page 282 de l"arrêt Grewal). En l"occurrence, il serait équitable d"accorder une courte prorogation de délai à la demanderesse. En effet, écarter du litige une partie de bonne foi au motif qu"elle a commis une erreur entraînerait en l"espèce un résultat injuste. De plus, le fait d"accorder cette courte prorogation à la demanderesse pour lui permettre de signifier et déposer le dossier renfermant les documents qui s"y trouvent actuellement ne causerait aucune injustice aux défenderesses. En outre, il n"est pas inéquitable d"obliger la demanderesse à procéder maintenant puisque, si l"intervenant est dans l"erreur et qu"il existe des documents ou éléments matériels pertinents susceptibles de production, la demanderesse pourrait non seulement obtenir réparation lors de l"adjudication des dépens, mais également présenter une demande d"autorisation en vue de déposer une preuve par affidavit supplémentaire, comme ce fut le cas dans l"affaire Fogal c. Canada (1999), 161 F.T.R. 121. Dans cette décision, on a justifié le dépôt d"un affidavit supplémentaire par le fait qu"il avait été impossible d"obtenir ce document plus tôt.

[18]      En résumé, malgré une grande partie des documents produits à la suite du dépôt de la requête de la demanderesse, cette dernière n"a pas réussi, en se fondant sur les éléments qu"elle a elle-même présentés au soutien de son acte introductif d"instance, à satisfaire au critère énoncé dans l"arrêt Grewal en ce qui touche la prorogation de délai. La requête en prorogation de délai est donc rejetée. La demanderesse a dix jours pour signifier et déposer son dossier de demande.




                             (Signature) " John A. Hargrave "

                                 Protonotaire

Le 15 mars 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)






Traduction certifiée conforme



Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER :                  T-2127-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CANADIAN ARCTIC RESOURCES COMMITTEE INC.
                     c.
                     DIAVIK DIAMOND MINES INC., ABER DIAMOND MINES LTD.
                     et
                     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


REQUÊTE TRANCHÉE PAR ÉCRIT CONFORMÉMENT À LA RÈGLE 369 DES RÈGLES DE LA COUR FÉDÉRALE (1998)



MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR M. JOHN A. HARGRAVE, PROTONOTAIRE, EN DATE DU 15 MARS 2000.




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Michael

M.Wenig

Calgary (Alberta)                  pour lademanderesse

Lawson Lundell Lawson

& McIntosh

Vancouver (Colombie-Britannique)          pour ladéfenderesse Diavik Diamond
                         Mines Inc.

MacLeod Dixon

Calgary (Alberta)                  pour ladéfenderesse Aber Diamond
                         Mines Inc.

Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada                      pour l"intervenant
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