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Date : 20030203

Dossier : IMM-2936-02

Référence neutre : 2003 CFPI 116

OTTAWA (ONTARIO), LE 3 FÉVRIER 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                         RAJWANT KAUR LUBANA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR ou la Commission) a refusé, le 12 juin 2002, de reconnaître à la demanderesse le statut de réfugié au sens de la Convention, expression définie au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

[2]                 La demanderesse vient d'une région rurale de l'Inde. Elle a fréquenté l'école pendant dix ans et elle n'a jamais travaillé. Elle prétend craindre avec raison d'être persécutée par les autorités policières au Panjab, d'où elle est originaire, du fait de ses prétendues opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, les femmes sikhes.

[3]                 Les allégations de la demanderesse concernant la persécution dont elle a été victime dans le passé peuvent être brièvement résumées comme suit. Les membres de la famille de la demanderesse, en particulier son frère, ont été surveillés par la police au Panjab pendant quelques années en raison de leurs liens avec de prétendus militants sikhs. Le frère de la demanderesse a été arrêté à deux reprises, a été traité avec cruauté et a été forcé de se présenter à la police. Lorsqu'il s'est caché, la police a effectué de nombreuses descentes chez la demanderesse afin de le retrouver. La police est devenue de plus en plus brutale au fil des visites. Elle a finalement arrêté la demanderesse et son père en décembre 1999. La demanderesse a été battue et violée et son père a été torturé pendant leur détention.

[4]                 Après avoir été libérés, la demanderesse et son père ont demandé à un agent à Bombay de les aider à quitter le pays. L'agent a remis de faux documents de voyage à la demanderesse et l'a envoyée au Canada, où elle a revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée. Le père de la demanderesse aurait été envoyé à Moscou, mais on ne sait pas où il se trouve actuellement.

[5]                 La Commission a décidé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. Selon elle, la question déterminante en l'espèce était la crédibilité. La Commission n'a tout simplement pas ajouté foi au récit de la demanderesse, faisant remarquer qu' « [à] certaines questions, la revendicatrice n'a pas donné de réponses franches » . Elle a relevé les problèmes suivants au regard du témoignage de la demanderesse :

1.         La demanderesse a indiqué lors de son témoignage qu'elle ne se rappelait pas grand-chose au sujet des faits entourant sa revendication du statut de réfugié. Elle n'a pas expliqué de manière claire ou cohérente si l'agent lui avait dit de revendiquer le statut de réfugié à son arrivée.

2.         La demanderesse a déclaré au point d'entrée qu'elle avait voyagé avec son propre passeport authentique. Or, dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), elle a indiqué qu'elle avait utilisé un faux passeport. Elle a confirmé cette version à l'audience, expliquant que le faux passeport lui avait été remis par son agent et que la déclaration qu'elle avait faite au point d'entrée lui avait été dictée par lui.

3.         La demanderesse a indiqué dans son témoignage qu'elle était partie de Bombay et qu'elle était passée par la Corée et les États-Unis avant d'arriver au Canada. Elle a dit aussi que l'agent l'avait accompagnée pendant tout le voyage, à l'exception du dernier vol, qu'il avait gardé ses documents en sa possession et qu'il s'était occupé des formalités aux contrôles frontaliers. Elle ne se rappelait pas dans quelle ville elle avait transité aux États-Unis et elle ne pouvait pas expliquer comment l'agent avait pu l'escorter jusqu'à l'avion qui se dirigeait vers Vancouver sans monter à bord.

4.         Le témoignage de la demanderesse au sujet de sa carte d'électeur, l'une des pièces d'identité qu'elle a produites, semblait incohérent. La demanderesse n'a pas indiqué clairement à quel moment la carte avait été délivrée en Inde et comment elle en était venue à l'avoir entre les mains au Canada.


5.         La demanderesse n'a rien dit de son arrestation survenue en décembre 1999 dans la déclaration écrite qu'elle a faite au point d'entrée. Or, il s'agissait d' « un événement important qui, soi-disant, [avait] incité la revendicatrice à quitter l'Inde. Quelques mots auraient été suffisants pour raconter qu'elle avait été détenue à ce moment-là. »

[6]                 La demanderesse prétend que la Commission a tiré des conclusions défavorables sur la crédibilité de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Pour savoir si c'est le cas, la Cour doit examiner la décision de la Commission à la lumière de l'abondante jurisprudence portant sur l'évaluation de la crédibilité par la SSR.

LE DROIT : LES CONCLUSIONS DE LA SSR SUR LA CRÉDIBILITÉ

[7]                 L'évaluation de la crédibilité d'un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur : voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1800, au paragr. 38 (QL) (1re inst.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragr. 14.


[8]                 En outre, il a été reconnu et confirmé qu'en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait : voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Akinlolu); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, au paragr. 9 (QL) (1re inst.) (Kanyai); le motif de contrôle prévu à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

[9]                 Normalement, la Commission peut à bon droit conclure que le demandeur n'est pas crédible à cause d'invraisemblances contenues dans la preuve qu'il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés « en termes clairs et explicites » : voir Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.) (Aguebor); Zhou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (QL) (C.A.); Kanyai, précitée, au paragr. 10.

[10]            La Commission peut aussi à bon droit tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison : voir Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415, au paragr. 2 (QL) (C.A.); Aguebor, précitée, au paragr. 4. La Commission peut rejeter des preuves non réfutées si celles-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve : voir Akinlolu, précitée, au paragr. 13; Kanyai, précitée, au paragr. 11.

[11]            Ce ne sont cependant pas tous les types d'incohérence ou d'invraisemblance contenue dans la preuve présentée par le demandeur qui justifieront raisonnablement que la Commission tire des conclusions défavorables sur la crédibilité en général. Il ne conviendrait pas que la Commission tire ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur : voir Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168, au paragr. 9 (C.A.F.) (Attakora); Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 442 (QL) (C.A.) (Owusu-Ansah). La Cour a statué en particulier que le fait qu'un revendicateur voyage avec de faux documents, détruit ses documents de voyage ou ment à leur sujet à son arrivée sur les instructions d'un agent est accessoire et a une valeur très limitée aux fins de l'évaluation de la crédibilité en général : voir Attakora, précitée; Takhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 240, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Takhar).


[12]            En outre, la Commission ne devrait pas s'empresser d'appliquer une logique et un raisonnement nord-américains à la conduite du revendicateur. Il faut tenir compte de l'âge, des antécédents culturels et des expériences sociales du revendicateur : voir Rahnema c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. no 1431, au paragr. 20 (QL) (1re inst.); El-Naem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 185 (QL) (1re inst.). De plus, un manque de cohérence dans le témoignage du revendicateur devrait être considéré à la lumière de l'état psychologique de ce dernier, en particulier lorsque cet état est étayé par des documents médicaux : voir Reyes c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 282 (QL) (C.A.); Sanghera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 73 F.T.R. 155; Luttra Nievas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 34 (QL) (1re inst.).

[13]            Le premier récit que fait une personne est généralement le plus fidèle et, de ce fait, celui auquel il faut ajouter le plus de foi. Cela étant dit, l'omission d'un fait, bien qu'elle puisse être préoccupante, ne devrait pas toujours l'être. Tout dépend encore une fois des circonstances : voir Fajardo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 915, au paragr. 5 (QL) (C.A.); Owusu-Ansah, précité; Sheikh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 568 (QL) (1re inst.). Lorsqu'elle évalue les premiers rapports du demandeur avec les autorités canadiennes de l'Immigration ou qu'elle fait référence aux déclarations faites par le demandeur au point d'entrée, la Commission devrait être attentive également au fait que [traduction] « la plupart des réfugiés ont vécu dans leur pays d'origine des expériences qui leur donnent de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux personnes en autorité » : voir le professeur James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, Toronto, Butterworth, 1991, aux p. 84 et 85; Attakora, précitée; Takhar, précitée.


[14]            Finalement, la Commission devrait évaluer la crédibilité du demandeur et la vraisemblance de son témoignage en tenant compte des conditions existant dans le pays de celui-ci et des autres éléments de preuve documentaire dont elle dispose. Les incohérences mineures ou secondaires contenues dans la preuve du demandeur ne devraient pas inciter la Commission à conclure à une absence générale de crédibilité si la preuve documentaire confirme la vraisemblance du récit de celui-ci : voir Attakora, précitée; Frimpong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 441 (QL) (C.A.).

APPLICATION EN L'ESPÈCE

[15]            J'examinerai maintenant les faits particuliers de l'affaire dont je suis saisi. Je connais bien la vaste expertise et le pouvoir discrétionnaire étendu de la Commission en ce qui concerne l'évaluation de la crédibilité. Aucun décideur ne peut cependant agir de manière arbitraire. Compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, de la preuve au dossier et de la décision contestée dans l'ensemble, je suis d'avis que la conclusion générale de la Commission est manifestement déraisonnable.


[16]            Premièrement, je constate que la Commission ne relève aucune contradiction précise. Elle décrit toujours ses problèmes en termes ambivalents. Elle dit que « la revendicatrice n'a pas donné de réponses franches » (page 3, 3e paragraphe), qu' « elle ne pouvait se rappeler » (page 3, 3e paragraphe), qu' « [a]près plusieurs tentatives de lui faire dire la date à laquelle elle avait présenté sa revendication, on a dû le lui dire » (page 3, 3e paragraphe), qu' « [e]lle a expliqué que c'est l'agent qui lui avait recommandé de mentir » (page 3, 4e paragraphe), qu' « [e]lle ne savait pas dans quelle ville elle avait transité aux États-Unis » (page 3, 5e paragraphe), que « c'est l'agent qui s'était occupé des formalités » (page 4, 1er paragraphe) - « [e]n l'absence d'une explication raisonnable, le tribunal s'interroge[ait] sur la vraisemblance de ces allégations » (ibid) -, que « la revendicatrice a pris de longues pauses avant de répondre à certaines questions et malgré tout, ses réponses sont demeurées vagues » (page 4, 2e paragraphe) et, finalement, qu' « [o]n lui a demandé pourquoi, dans cette déclaration [faite au point d'entrée], elle ne mentionne pas ses arrestations, comme celle, par exemple, survenue en décembre 1999 » - la Commission poursuit alors : « Le tribunal n'accepte pas son explication voulant que l'interprète lui aurait dit de ne pas donner trop de détails au sujet de ce qui lui était arrivé en Inde » (page 4, dernier paragraphe).


[17]            Deuxièmement, il faut prendre en compte le passé de la demanderesse - une femme venant d'une région rurale de l'Inde - et son état psychologique. La demanderesse a subi une évaluation psychologique au Canada. Cette évaluation a permis de constater qu'elle souffrait du syndrome de stress post-traumatique (SSPT), et elle s'est soumise à une thérapie. Selon le rapport psychologique qui a été déposé en preuve et qui n'a pas été contesté, le fait de parler de ses expériences causait un stress énorme à la demanderesse. Dans son rapport, la psychothérapeute E. Kornacki, M.Ed., recommandait expressément que l'on interroge la demanderesse avec prudence et ajoutait qu'un [traduction] « interrogatoire formel pourrait raviver des souvenirs d'événements traumatiques survenus dans le passé auxquels la police avait participé » . Pourtant, dans la décision contestée, la Commission « n'a remarqué chez la revendicatrice aucun problème à témoigner, la jugeant alerte et réfléchie » , omettant de mentionner - et c'est important - que la demanderesse a fondu en larmes pendant son témoignage et qu'elle a dû être transportée à l'hôpital. En fait, la Commission a décidé de reprendre l'audience du 6 septembre 2001 et de la remettre pour des raisons médicales, le président de l'audience faisant remarquer que la demanderesse [traduction] « avait dû consulter un médecin [...] il lui est conseillé de ne pas continuer vu son état. Elle pleure et sanglote et ne peut respirer correctement » (transcription, dossier certifié, à la p. 519).

[18]            Troisièmement, l'un des problèmes majeurs de la décision contestée vient du fait que, sauf en ce qui concerne la question de la carte d'électeur de la demanderesse - au sujet de laquelle la Commission considère que « [les] réponses [de la demanderesse] sont demeurées vagues » - la conclusion défavorable que la Commission a tirée relativement à la crédibilité est fondée principalement sur des éléments concernant l'agent qui a amené la demanderesse au Canada. Vu la preuve contenue dans le dossier, je ne puis souscrire à l'opinion de l'avocate du défendeur selon laquelle l'une ou l'autre de ces conclusions, ou l'ensemble de celles-ci, peut raisonnablement étayer la conclusion générale à laquelle la Commission est arrivée. Plus particulièrement :


(a)        compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, je suis disposé à reconnaître qu'à cause des mauvais traitements qu'elle a subis aux mains de la police en Inde la demanderesse serait devenue méfiante et craintive à l'égard des fonctionnaires et ses communications avec les autorités canadiennes de l'Immigration seraient devenues éprouvantes en soi. Par conséquent, il est naturel que la demanderesse ne se rappelle pas très clairement les faits entourant sa revendication du statut de réfugié;

(b)        à mon avis, le récit fait par la demanderesse de son voyage au Canada ne soulève aucun problème grave. La demanderesse vient d'une région rurale de l'Inde et elle n'était jamais allée dans un pays occidental auparavant. Il arrive souvent que des agents qui obtiennent des passeports pour des revendicateurs du statut de réfugié accompagnent ces derniers, gardent leurs documents en leur possession et se chargent des contrôles frontaliers pour eux. Il n'est pas du tout invraisemblable, compte tenu de son état psychologique, que la demanderesse ne puisse se souvenir de la ville où elle a transité ou expliquer comment l'agent a fait pour l'accompagner à son siège sans être lui-même un passager de l'avion. De toutes façons, je ne vois pas comment le fait que la demanderesse est incapable de raconter son voyage d'une façon ordonnée et cohérente peut constituer un motif raisonnable pour ne pas ajouter foi à ses allégations de persécution en Inde;


(c)        de plus, le fait que la demanderesse a voyagé avec un faux passeport et a déclaré, au point d'entrée, que celui-ci était authentique ne peut guère justifier une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité. Comme M. le juge Evans le dit dans Takhar, précitée, au paragraphe 14, « la question de savoir si la personne a dit la vérité à propos de ses documents de voyage a peu d'influence directe sur celle de savoir si cette personne est effectivement une réfugiée » . Il ne s'agit pas non plus d'un cas où l'identité du revendicateur a été mise en doute par la Commission ou d'un cas où l'absence d'un passeport valide a créé des problèmes, comme, par exemple, dans Elazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 191 F.T.R. 205, au paragraphe 17;

(d)        en ce qui concerne la carte d'électeur, j'incline à accepter l'explication de l'avocat selon laquelle la contradiction dans le témoignage était illusoire et était attribuable à la confusion commise par la Commission quant aux notions de [traduction] « délivrance » et de [traduction] « possession » . Fait plus important, je comprends difficilement pourquoi la Commission s'est tant attardée à l'historique de ce document particulier. La carte d'électeur n'était pas le seul document attestant l'identité de la demanderesse. La Commission n'a en fait jamais mise en doute la véritable identité de celle-ci. Comme la Cour d'appel fédérale l'a dit dans Attakora, précitée (au paragr. 8), la Commission semble avoir examiné à la loupe un document qui « n'aurait pu d'aucune manière être conçu comme pertinent à quelque question devant être tranchée par la Commission » .


[19]            Comme on peut le voir, le seul problème qui concerne directement l'essentiel de la revendication de la demanderesse est le fait que celle-ci n'aurait rien dit, au point d'entrée, de la persécution dont elle aurait été victime. L'avocate du défendeur prétend que ce seul motif pourrait justifier la conclusion défavorable générale que la Commission a tirée relativement à la crédibilité.

[20]            Il n'y a pas de doute que le défaut de mentionner, dans une déclaration écrite aux autorités de l'Immigration, des événements importants sur lesquels une revendication du statut de réfugié est fondée, ou une contradiction entre cette déclaration et un témoignage subséquent sont des facteurs très graves qui peuvent justifier une conclusion défavorable concernant la crédibilité. L'omission ou la contradiction doit cependant être bien réelle : voir Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 1271 (QL) (C.A.). De plus, les explications données par un demandeur qui ne sont pas manifestement invraisemblables doivent être prises en compte : voir Owusu-Ansah, précitée.

[21]            La déclaration faite par la demanderesse au point d'entrée a été rédigée en panjabi et traduite ensuite en anglais :

[traduction] Un jour, les terroristes ont mangé chez nous et sont partis. C'est pour cette raison que la police a commencé à me harceler. Des policiers m'ont insultée parce que mon frère avait quitté la maison et avait disparu.


[22]            Quoique la demanderesse ait décrit ses problèmes de façon plutôt générale, j'estime que sa description est raisonnablement précise. Dans sa déclaration, elle a clairement identifié l'agent de persécution : la police. Elle a aussi expliqué les raisons pour lesquelles la police s'en était prise à elle. Elle n'a pas mentionné qu'elle avait été arrêtée ou détenue, mais elle a signalé un fait qui, dans son esprit, était sans aucun doute plus important : elle a été [traduction] « insultée » par des policiers. Lorsqu'on lit attentivement la décision contestée, on se rend compte que la Commission a implicitement compris que la demanderesse voulait dire par là que les policiers avaient employé un langage grossier à son égard. Or, ce n'est certainement pas ce qu'elle a voulu dire. Compte tenu de la preuve versée au dossier et de l'expertise de la Commission, celle-ci a commis une erreur susceptible de contrôle en tirant sans raison cette conclusion.

[23]            Apparemment, la demanderesse ne peut discuter librement de viol et emploie plutôt des euphémismes pour désigner cet acte à cause de sa culture. C'est d'ailleurs ce que confirme la preuve documentaire présentée à la Commission. Celle-ci semble cependant n'en avoir tenu aucun compte dans sa décision. La demanderesse a écrit au point d'entrée qu'elle avait été [traduction] « insultée » . Dans l'exposé circonstancié contenu dans son FRP, elle a écrit qu'un inspecteur de la police l'avait [traduction] « utilisée à des fins sexuelles » alors qu'il était ivre. Dans son témoignage, elle a déclaré qu'elle avait été [traduction] « humiliée » par des policiers. À mon avis, l'emploi de ces différentes expressions tend à démontrer l'authenticité du récit de la demanderesse et non à miner sa crédibilité. Il ne faut pas oublier que [traduction] « des policiers violent des personnes en détention » et qu'[traduction] « un silence entoure la violence sexuelle dans une société qui accorde une grande importance à la vertu et à la chasteté des femmes [...] La peine, la confusion, la colère et le traumatisme de la victime sont évidemment exacerbés par un sentiment de honte et de mépris de soi, qui pourrait même mener à des tentatives de suicide et d'autodestruction » : voir Shame, Arndhika Sekhon, The Tribune, 13 mars 1999, dossier certifié, à la p. 291.


[24]            Lorsqu'elle a été interrogée à l'audience au sujet du fait qu'elle avait omis de mentionner son arrestation dans sa déclaration au point d'entrée, la demanderesse a répondu qu'elle n'avait donné qu'une brève réponse à cette question à cause de l'espace alloué sur le formulaire et des instructions de l'interprète. J'estime que cette explication est tout à fait raisonnable dans les circonstances. Le passage suivant est tiré de Lives Under Threat: A Study of Sikhs Coming to the UK from the Punjab (dossier certifié, à la p. 213) :

[traduction] Il y a plusieurs raisons pour lesquelles un demandeur qui arrive au Royaume-Uni peut ne pas présenter une demande d'asile le plus avantageusement possible. L'entrevue ou le questionnaire initial est le principal document qui est utilisé tout au long de la procédure d'asile, et tout ajout ou modification apporté à ce document suscite la méfiance. L'entrevue est souvent effectuée au point d'entrée, à l'arrivée du demandeur, alors que celui-ci souffre encore physiquement et psychologiquement à cause de ses récentes expériences de détention et de torture et de sa fuite en exil [...] Cela est particulièrement vrai des agressions sexuelles. Dans de nombreux pays, les victimes de ces actes n'en disent rien même à leur conjoint. L'agent qui lui a vendu de faux documents et qui veut brouiller les pistes peut avoir recommandé à son client de détruire tous les documents avant son arrivée et de ne pas parler de torture ou d'emprisonnement parce que les autorités du Royaume-Uni pourraient considérer que cela signifie qu'il est un criminel et, par conséquent, une personne indésirable. Il pourrait éprouver une grande méfiance à l'égard de l'agent chargé de l'entrevue ou de l'interprète, des expériences pénibles lui ayant appris qu'il est plus sûr d'en révéler le moins possible aux autorités. Compte tenu de tous ces facteurs inhibiteurs, est-il vraiment étonnant que bon nombre d'entrevues initiales soient sources d'erreurs, d'omissions et de contradictions apparentes?


[25]            En résumé, la plupart des problèmes que la Commission a relevés au regard du témoignage de la demanderesse sont le fruit de son imagination ou n'ont aucun lien avec la revendication. La seule contradiction qui concerne l'aspect fondamental de la revendication n'est pas une véritable contradiction. C'est le prétendu viol, et non la prétendue arrestation, qui est l'incident central sur lequel la revendication de la demanderesse est fondée. Quoi qu'il en soit, si la déclaration faite au point d'entrée peut être interprétée de différentes façons, la Commission aurait dû laisser le bénéfice du doute à la demanderesse compte tenu des autres éléments de preuve non contestés qui, tous, étayaient sa revendication. En outre, en agissant avec zèle dans sa recherche de contradictions, la Commission a accordé beaucoup trop d'importance à des éléments secondaires et ne s'est pas attardée aux véritables éléments dont elle disposait : la crainte subjective de persécution de la demanderesse et le fondement objectif de cette crainte. La Commission semble ne pas avoir tenu compte d'une grande quantité d'éléments de preuve très pertinents contenus dans le dossier. Le rapport psychologique, qui a été admis en preuve et qui n'a pas été contesté, indique que la demanderesse est crédible, et il étaie totalement le récit de cette dernière. De plus, l'exposé circonstancié de la demanderesse semble parfaitement plausible à la lumière de l'abondante preuve documentaire, notamment des rapports traitant des conditions dans le pays et des articles provenant de différentes sources indépendantes. La Commission n'avait évidemment pas l'obligation d'accepter ses éléments de preuve, mais sa décision n'indique pas que ceux-ci ont été examinés adéquatement. Pour ces motifs, je suis d'avis que la conclusion défavorable générale à laquelle la Commission est arrivée en ce qui concerne la crédibilité est manifestement déraisonnable et que la décision de la Commission était fondée sur des conclusions de fait tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.


[26]            En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision défavorable de la SSR sera annulée et l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour être réexaminée. Les avocats n'ont soulevé aucune question de portée générale, de sorte qu'aucune question semblable ne sera certifiée par la Cour.

  

                                           ORDONNANCE

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La décision rendue par la SSR en date du 12 juin 2002, portant que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention, est annulée.

3.         La revendication du statut de réfugié de la demanderesse est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SSR pour être réexaminée conformément à la loi.

             « Luc Martineau »                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               IMM-2936-02

INTITULÉ :                           RAJWANT KAUR LUBANA

                       et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE : Le 23 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           Monsieur le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :           Le 3 février 2003

COMPARUTIONS :

Jean-François Bertrand                                  POUR LA DEMANDERESSE

Christine Bernard                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean-François Bertrand                                  POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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