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                                                                                                                                           Date : 20030609

Dossier : IMM-3239-02

Référence : 2003 CFPI 720

AUDIENCE TENUE À OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 9 JUIN 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                                      ZI CHANG YU

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 M. Zi Chang Yu (le demandeur), un citoyen chinois, est arrivé au Canada en août 2001 et revendique le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques. Dans une décision rendue le 1er mai 2002, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.


Questions en litige

[2]                 Le demandeur soumet à la Cour les questions suivantes :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant aux circonstances entourant l'arrivée du demandeur au Canada?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant au fait que le demandeur a eu recours à un passeport authentique pour quitter la Chine?

3.          La Commission a-t-elle tiré d'autres conclusions erronées sur la question de la crédibilité?

Analyse

[3]                 Pour les motifs indiqués ci-dessous, je suis d'avis que la présente demande doit être rejetée.

Question préliminaire : norme de contrôle


[4]                 La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable, ce qui signifie que les conclusions portant sur la crédibilité et les faits doivent être étayées par la preuve et ne doivent pas être tirées arbitrairement, en se fondant sur des conclusions de faits erronées ou sans tenir compte des éléments de preuve présentés (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL); Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 551 (C.A.) (QL)).

[5]                 Lorsque la Commission conclut en l'absence de crédibilité de la part du plaignant en raison des conclusions invraisemblables que lui offre la preuve présentée, la Cour ne devrait pas modifier cette décision même s'il est possible de concevoir que la preuve aurait pu entraîner une conclusion différente, à moins qu'une erreur manifeste n'ait été commise par la Commission (Oduro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 560 (C.F. 1re inst.) (QL); Tao c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 622 (C.F. 1re inst.) (QL)).

Question no 1 : La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant aux circonstances entourant l'arrivée du demandeur au Canada?

[6]                 Dans sa décision, la Commission a déclaré qu'elle ne croyait pas le témoignage du demandeur concernant son arrivée au Canada et sa revendication du statut de réfugié en raison du manque de cohérence et des contradictions existant entre ses déclarations orales et écrites et les notes prises au point d'entrée (NPE). La Commission a ensuite relevé les incohérences et contradictions, en faisant remarquer que certaines de ces incohérences n'avait pas été portées à l'attention du demandeur.


[7]                 Le demandeur soutient qu'en omettant de lui signaler ces incohérences et de lui donner l'occasion de s'expliquer à ce sujet, la Commission avait commis une erreur susceptible de révision (Gracielome c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. no 463 (C.A.) (QL); Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 1271 (C.A.) (QL); Deng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 682.

[8]                 Je suis d'avis que deux des incohérences et contradictions relevées par la Commission ne ressortent pas clairement à la lecture des transcriptions et des NPE. Par exemple, le témoignage du demandeur selon lequel M. Xie l'avait accompagné au Canada semble cohérent. Sa déclaration concernant l'endroit où M. Xie se trouvait au moment où lui-même passait une entrevue au point d'entrée semble également cohérente. Par conséquent, la Commission a commis une erreur en concluant à l'existence d'une incohérence entre les témoignages du demandeur portant sur la question de savoir si M. Xie était venu avec lui au Canada et sur l'endroit où se trouvait ce dernier alors que lui-même passait une entrevue au point d'entrée. Toutefois, puisque les conclusions défavorables tirées par la Commission quant à la question de la crédibilité s'appuient sur un certain nombre d'autres incohérences et contradictions présentes dans le témoignage du demandeur, et puisque l'itinéraire suivi par le demandeur pour se rendre au Canada et les faits concernant son compagnon de voyage ne se situent pas au coeur de la décision de la Commission de rejeter sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, je suis d'avis qu'il ne s'agissait pas d'une erreur susceptible de révision.


[9]                 En outre, la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en omettant de signaler au demandeur la présence d'incohérences dans son témoignage concernant son arrivée au Canada. Le devoir d'agir équitablement n'oblige pas la Commission à exposer au demandeur toutes les réserves qu'elle entretient à l'égard de sa crédibilité (Tekin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 FCT 357, [2003] A.C.F. no 506 (QL)). Le demandeur était représenté à l'audience par un avocat et les parties avaient été avisées que la crédibilité du demandeur était en cause.

[10]            Par surcroît, la Commission n'a pas conclu en la présence de ces incohérences et contradictions « après coup, et suite à un examen minutieux des transcriptions de la preuve » , comme c'était le cas dans Gracielome, précité. Ces incohérences et contradictions, exception faite de celles mentionnées ci-dessus, étaient au contraire nettement apparentes à la lecture des NPE, du Formulaire de renseignements personnels (FRP) rempli par le demandeur et des déclarations incompatibles faites par ce dernier à l'audience.

[11]            Bien que le demandeur ait été représenté par un interprète, sa situation ne semble pas être analogue à celle qui prévalait dans Rajaratnam, précité : dans cette affaire, les différences entre le témoignage de la requérante à l'audience et le FRP pouvait s'expliquer « par des malentendus entre personnes de bonne foi compte tenu du fait que c'est par l'intermédiaire d'interprètes différents qu'elle s'est exprimée à chacune de ces occasions distinctes » .


[12]            Des contradictions ou des incohérences dans le témoignage du revendicateur du statut de réfugié constituent un fondement reconnu pour conclure en l'absence de crédibilité (Rajaratnam, précité) et c'est à bon droit que la Commission s'est appuyée sur ces contradictions et incohérences pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur en ce qui avait trait au compte rendu qu'il avait livré de son arrivée au Canada. La Commission a exposé les motifs de ses conclusions défavorables de manière claire et non équivoque et a relevé des exemples précis d'incohérences et de contradictions (Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (C.A.) (QL). Par conséquent, la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en tirant une conclusion défavorable au sujet de la description que le demandeur a donnée de son arrivée au Canada.

Question no 2: La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions défavorables quant au fait que le demandeur a eu recours à un passeport authentique pour quitter la Chine?

[13]            Le demandeur soutient en outre que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en omettant de fournir une explication ou des éléments à l'appui de sa conclusion selon laquelle il était peu plausible que le demandeur ait pu quitter la Chine à l'aide d'un passeport authentique s'il était recherché par le bureau des services publics (BSP).


[14]            À mon sens, le fait que le demandeur ait réussi à traverser les postes de contrôle du pays alors qu'il était apparemment recherché par la police étaye la conclusion que sa crainte d'être persécuté n'était pas fondée. Dans Orelien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 592 (C.A.), Monsieur le juge Mahoney, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, a déclaré que le fait que les demandeurs dans cette affaire avaient présenté une demande de visas d'immigrants avant de quitter Haïti pouvait servir à déterminer si leur crainte d'être persécutés était fondée. Bien qu'elle ne soit pas directement pertinente, cette affaire étaye la conclusion voulant que la capacité du demandeur de quitter la Chine en toute légalité est pertinente pour trancher la question du bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Quoiqu'il en soit, il est clair que cette conclusion de faits, qui tient dans une phrase, ne se situait pas au coeur de la décision de la Commission en l'espèce.

[15]            Puisque le demandeur savait que la question de la crédibilité était en cause et que les réserves exprimées relativement au caractère plausible des faits étaient le fruit de son propre témoignage, la Commission n'a pas commis d'erreur en omettant d'attirer l'attention du demandeur sur la question en vue d'obtenir ses commentaires ni en omettant de mentionner les explications de ce dernier, quelles que soient celles qu'il ait pu offrir (Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 2002 (1re inst.) (QL); Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 987 (1re inst.) (QL)).

[16]            De plus, le demandeur n'a fourni aucune explication satisfaisante dont la Commission aurait pu faire mention dans ses motifs. Lorsque son avocat lui a demandé s'il savait pourquoi il n'avait eu aucun mal à quitter la Chine, il a répondu : [traduction] « Snakehead m'a dit que le passeport était authentique, mais je ne sais pas si c'est vrai » .


[17]            Enfin, la Commission pouvait à bon droit fonder ses conclusions défavorables quant à la crédibilité sur sa conclusion d'invraisemblance (Ratnasingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1434 (1re inst.) (QL)). De ce fait, la Commission n'a pas commis d'erreur en tirant une conclusion défavorable en raison du fait que le demandeur avait eu recours à un passeport authentique pour quitter la Chine.

Question no 3 : La Commission a-t-elle tiré d'autres conclusions erronées sur la question de la crédibilité?

[18]            À la page 8 du dossier certifié du tribunal, la Commission a déclaré que [traduction] « les préoccupations les plus flagrantes concernant la crédibilité, cependant, et qui touchent l'essence même de la revendication, sont les incohérences et les contradictions qui existent entre les déclarations faites par le revendicateur au point d'entrée et ses dépositions sous forme orale et écrite » . Puis la Commission a enchaîné en dressant la liste de ces incohérences et contradictions.

        Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en faisant défaut d'étayer ses conclusions au sujet de la crédibilité en évoquant la preuve qui lui a été présentée. Plus précisément, la Commission aurait omis de mentionner les explications fournies par le demandeur pour justifier les incohérences existant entre son FRP et son témoignage quant aux endroits où le BSP s'était rendu pour tenter de le retrouver. La Commission aurait également omis d'indiquer que ces incohérences avaient été portées à l'attention du demandeur en vue d'obtenir ses explications. Enfin, elle aurait commis une erreur en faisant défaut d'analyser pourquoi les réponses du demandeur visant à expliquer son oubli de mentionner certaines portions de ses antécédents de travail et de son éducation sur son FRP étaient illogiques.


        Je ne partage pas l'avis du demandeur pour un certain nombre de raisons.

        Premièrement, les nombreuses incohérences relevées par la Commission ressortent clairement de l'examen de la preuve qui lui a été présentée. De plus, les transcriptions indiquent que ces incohérences ont été signalées au demandeur.

        Deuxièmement, les motifs qu'a rédigés la Commission à ce sujet renvoient à la majorité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, y compris aux faits exposés par le demandeur sur le FRP, aux NPE, à son témoignage à l'audience et aux explications qu'il a données pour justifier ces incohérences. Étant donné les réserves qu'elle entretenait relativement à la crédibilité du demandeur et la nature insatisfaisante des explications, la Commission était autorisée à rejeter ces explications et à se fonder sur les incohérences pour conclure en l'absence de crédibilité (Rajaratnam, précité; Tekin, précité; Alizadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (C.A.) (QL)). En outre, la Commission a motivé sa conclusion défavorable d'une manière claire et non équivoque (Hilo,précité).

        Troisièmement, l' « explication » fournie par le demandeur pour justifier le manque de cohérence entre le contenu de sa FRP et de son témoignage concernant les endroits où le BSP avait tenté de le retrouver équivaut à une dénégation pure et simple de sa déclaration antérieure selon laquelle le BSP se serait rendu à son bureau. À la page 405 du dossier certifié du tribunal, le demandeur a livré le témoignage suivant :

[traduction]


Mon ami m'a dit que les gens du BSP étaient venus à mon bureau ainsi qu'à la résidence de mon père, et qu'ils voulaient m'arrêter.

En raison de ce témoignage, le fait que la Commission n'ait pas mentionné l'explication fournie par le demandeur pour justifier cette incohérence ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

        Quatrièmement, je suis d'avis que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en faisant défaut d'analyser pourquoi, selon l'explication du demandeur, ses antécédents de travail et son éducation ne figuraient pas dans son FRP. Le demandeur a expliqué qu'il avait fourni les renseignements à l'assistant de son avocat, mais que celui-ci avait oublié d'inclure ces détails dans son FRP du fait qu'il utilisait un ordinateur. La Commission a rejeté cette explication qui, selon elle, était illogique. À mon sens, cette conclusion n'était pas manifestement déraisonnable.

        Finalement, je remarque que la majorité des conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité n'ont pas été contestées par le demandeur, pas même celles qui se situent au coeur de sa revendication.

        Aucune des parties n'a proposé de question pour certification. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

   « Judith A. Snider »

_______________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                        COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

                      Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                               IMM-3239-02

INTITULÉ :                                              ZI CHANG YU

                                                                                                                                                      demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE VENDREDI 6 JUIN 2003

MOTIFS ET ORDONNANCE :          MADAME LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                          LE LUNDI 9 JUIN 2003

COMPARUTIONS :                               Vania Campania

Pour le demandeur

Leena Kaakkimainen

Pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                        

Vania Campania

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

M5A 2G4

Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimé


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

           Date : 20030609

         Dossier : IMM-3239-02

ENTRE :

ZI CHANG YU

                                                                                         

                                                                       demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                  défendeur

                                                   

MOTIFS

DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                   

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