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Date : 20031007

Dossier : T-1836-90

Référence : 2003 CF 1163

ENTRE :

                                              ELDERS GRAIN COMPANY LIMITED

                                                                                   et

                       LES BRASSERIES CARLING O'KEEFE DU CANADA LIMITÉE

                                                                                                                                            demanderesses

ET :

                    LE NAVIRE M/V « RALPH MISENER » ET LES PROPRIÉTAIRES

                                 DU NAVIRE M/V « RALPH MISENER » ET TOUTES

                        AUTRES PERSONNES INTÉRESSÉES DANS LEDIT NAVIRE

                                                                                   et

                                                   MISENER HOLDINGS LIMITED

                                                                                   et

                                                               MISENER SHIPPING

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON


[1]                 Les défendeurs, qui ont obtenu gain de cause dans l'action principale et dans leur demande reconventionnelle, voudraient que soit rendue une ordonnance enjoignant à l'officier taxateur de taxer leur mémoire de dépens selon les niveaux supérieurs de la colonne V de la partie II du tarif B. Ils voudraient également le double de leurs dépens à compter du 11 mars 2002, en raison d'une offre de compromis faite à cette date. Ils voudraient aussi obtenir l'autorisation de taxer, en application des articles 14b) et 24 du tarif B, les services d'un second avocat et les déplacements effectués par les avocats pour se rendre à l'instruction, aux audiences et aux requêtes.

[2]                 Dans l'affaire Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, le 28 octobre 2002, la Cour d'appel devait statuer sur une requête en majoration des dépens introduite en vertu de la règle 403. Arrivant à la conclusion que la requête devait être accueillie et que les dépens de l'appelante devaient être majorés en sus des dépens taxables selon la colonne III du tarif B, le juge Rothstein, s'exprimant pour la majorité, a énoncé plusieurs lignes directrices intéressant la taxation des dépens. Aux paragraphes 5 à 11, il explique ainsi les lignes directrices :

[5]           L'intimée a soutenu que 12 questions avaient été soulevées en appel et que chacune d'elles nécessitait une réponse complète. Il s'agissait de questions de fait complexes, dont le témoignage d'expert et les méthodes d'enquête. L'argumentation en appel a duré près d'une journée complète.

[6]           Je suis convaincu, dans les circonstances de l'affaire, que l'intimée devrait se voir adjuger des dépens supplémentaires. Il s'agit d'un cas de propriété intellectuelle concernant des clients avertis. Lorsque, comme en l'espèce, de nombreuses questions sont soulevées en appel et qu'elles comportent des faits complexes ainsi que des témoignages d'expert, la quantité de travail requis de la part des avocats de l'intimée justifie une augmentation des dépens. Pour ce qui est de l'argument selon lequel la complexité de l'affaire n'était pas supérieure à celle de la plupart des cas de propriété intellectuelle qui sont entendus par cette Cour, je dirai que ces affaires présentent souvent des faits complexes et qu'elles entraînent des questions difficiles.


[7]           Les dépens supplémentaires à être adjugés sont des dépens partie-partie. Ils ne dédommagent pas la partie qui a obtenu gain de cause de ses dépens avocat-client et ils ne visent pas à punir la partie déboutée pour son comportement non approprié.

[8]           Une adjudication de dépens partie-partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s'agit que d'une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat-client de la partie qui a obtenu gain de cause (ou, de façon inhabituelle, à ceux de la partie déboutée). En vertu de la règle 407, lorsque les parties ne cherchent pas à obtenir des dépens supplémentaires, les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Même lorsque l'on demande des dépens supplémentaires, la Cour, à son gré, peut conclure que les dépens adjugés selon la colonne III constituent un dédommagement suffisant quant aux dépens partie-partie.

[9]           Cependant, l'objectif consiste à contribuer d'une manière appropriée aux dépens avocat-client et non à observer strictement la colonne III du tableau du tarif B qui, en lui-même, est arbitraire. Le paragraphe 400(1) précise que, suivant le principe premier de l'adjudication des dépens, la Cour a « entière discrétion » quant au montant des dépens. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut fixer les dépens en se fondant sur le tarif B ou en s'en éloignant. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n'est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B.

[10]         Par conséquent, la Cour peut, à son gré, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu'elle est d'avis qu'une adjudication des dépens conformément au tarif n'est pas satisfaisante. En outre, le montant des dépens avocat-client, bien qu'il ne détermine pas la contribution appropriée des dépens partie-partie, peut être considéré par la Cour si elle le juge approprié. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec prudence. Toutefois, on doit garder à l'esprit que l'adjudication des dépens est une question de jugement en ce qui concerne les éléments appropriés, et non un exercice comptable.

[11]         Je crois que cette approche est conforme, dans un contexte contemporain, aux observations du juge Nadon (tel était alors son titre) dans l'arrêt Hamilton Marine & Engineering Ltd. c. CSL Group Inc. (1995), 99 F.T.R. 285 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 22 :

J'ai indiqué aux avocats pendant l'audience qu'il ne faisait aucun doute que, dans la plupart des cas, les frais prévus au tarif B ne sont pas suffisants pour dédommager entièrement la partie qui a gain de cause. Je leur ai également indiqué qu'à mon avis le tarif doit nécessairement demeurer la règle et qu'une augmentation des frais prévus au tarif doit être l'exception. Je voulais dire que le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour d'augmenter les sommes prévues au tarif, aux termes des paragraphes 344(1) et (6) des Règles de la Cour fédérale, ne doit pas être exercé à la légère. Autrement dit, le fait que les frais juridiques de la partie qui obtient gain de cause soient de beaucoup supérieurs aux sommes auxquelles cette partie a droit en vertu du tarif n'est pas en soi un facteur justifiant la majoration des frais prévus.

[C'est moi qui souligne]


[3]                 Dans l'arrêt Consorzio, précité, l'appelante voulait obtenir une somme forfaitaire et non l'application d'une autre colonne du tarif B, mais les propos du juge Rothstein demeurent néanmoins pertinents. Les lignes directrices susmentionnées à l'esprit, je passe au point principal, celui de savoir si l'officier taxateur devrait être prié de taxer le mémoire de dépens des défendeurs selon les niveaux supérieurs de la colonne V de la partie II du tarif B.

[4]                 Nonobstant les arguments énergiques de Me O'Connor, il ne m'a pas persuadé que les défendeurs devraient être autorisés à taxer leurs dépens selon les niveaux supérieurs de la colonne V. L'affaire n'était pas une affaire particulièrement simple au vu des points de fait et de droit qu'elle soulevait, mais, à mon avis, elle ne justifie pas malgré tout une taxation selon les niveaux supérieurs de la colonne V. Toutefois, je suis d'avis que les dépens des défendeurs devraient être supérieurs à ceux auxquels ils auraient droit selon la colonne III du tarif B. Je demanderai donc à l'officier taxateur de taxer les dépens des défendeurs selon les niveaux supérieurs de la colonne IV.

[5]                 Le deuxième point que je dois décider est celui de savoir si les défendeurs ont droit au double de leurs dépens à compter du 11 mars 2002, date à laquelle ils ont fait une offre de compromis aux demanderesses. Dans une lettre datée du 11 mars 2002, l'avocat des défendeurs écrivait ce qui suit à l'avocat des demanderesses :


[traduction] Finalement, vous vous rappellerez qu'en janvier, nous nous sommes offerts à régler cette affaire, pour en finir, chacune des parties se désistant de son action et supportant ses propres dépens. Vos clientes ont refusé notre offre, et c'est la raison pour laquelle nous nous préparons pour le procès. Maintenant que les avis de nos experts sont entre vos mains, nous voudrions simplement vous rappeler que nous n'avons pas reçu pour instruction de retirer l'offre que nous avions faite, et elle n'a d'ailleurs pas été révoquée par nos commettants, et peut-être devrait-elle maintenant être examinée de nouveau par vos clientes. L'offre est faite sous toutes réserves, mais nous nous réservons le droit de la porter à l'attention de la Cour sur la question des dépens, selon les règles 419 et suivantes des Règles de la Cour fédérale (1998).

[6]                 Le même jour, les demanderesses rejetaient catégoriquement l'offre de compromis présentée par les défendeurs.

[7]                 Par leur offre, les défendeurs étaient disposés à se désister de leur action si les demanderesses se désistaient de la leur. Je suis d'avis que cette offre est une offre qui entre dans les paramètres de la règle 420(2), qui prévoit ce qui suit :


420. (2) Sauf ordonnance contraire de la Cour, lorsque le défendeur présente par écrit une offre de règlement qui n'est pas révoquée et que le demandeur :

a) obtient un jugement moins avantageux que les conditions de l'offre, le demandeur a droit aux dépens partie-partie jusqu'à la date de signification de l'offre et le défendeur a droit au double de ces dépens, à l'exclusion des débours, à compter du lendemain de cette date jusqu'à la date de jugement;

b) n'obtient pas gain de cause lors du jugement, le défendeur a droit aux dépens partie-partie jusqu'à la date de signification de l'offre et au double de ces dépens, à l'exclusion des débours, à compter du lendemain de cette date jusqu'à la date de jugement.

420. (2) Unless otherwise ordered by the Court, where a defendant makes a written offer to settle that is not revoked,

(a) if the plaintiff obtains a judgment less favourable than the terms of the offer to settle, the plaintiff shall be entitled to party-and-party costs to the date of service of the offer and the defendant she be entitled to double such costs, excluding disbursements, from that date to the date of judgment; or

(b) if the plaintiff fails to obtain judgment, the defendant shall be entitled to party-and-party costs to the date of the service of the offer and to double such costs, excluding disbursements, from that date to the date of judgment.


[8]                 Puisque l'offre des défendeurs était en forme écrite et qu'elle n'a jamais été révoquée, je suis d'avis que les défendeurs ont droit au double de leurs dépens à compter du 11 mars 2002.


[9]                 S'agissant des deux derniers points, c'est-à-dire ceux qui relèvent des articles 14b) et 24 du tarif B, je ne vois pas pourquoi les défendeurs ne seraient pas fondés à faire taxer les honoraires d'un deuxième avocat, ainsi que les déplacements faits par les avocats pour assister à l'instruction, aux audiences et aux requêtes, et j'ordonnerai donc à l'officier taxateur d'agir en ce sens.

                                                                                           _ M. Nadon _                  

ligne

                                                                                                             Juge                         

O T T A W A (Ontario)

le 7 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                        T-1836-90

INTITULÉ :                       ELDERS GRAIN CO. LTD. et autre c. LE « RALPH MISENER » et autres

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 19 septembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge Nadon

DATE DES MOTIFS :     le 7 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Normand Laurendeau                         POUR LES DEMANDERESSES

John G. O'Connor                                      POUR LES DÉFENDEURS

Jean Grégoire

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robinson Sheppard Shapiro              POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

Langlois Gaudreau O'Connor                     POUR LES DÉFENDEURS

Québec (Québec)


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