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Date : 20030819

Dossier : T-272-99

Référence : 2003 CF 990

ENTRE :

                                                           CARTER-WALLACE INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                                                          WAMPOLE CANADA INC.

                                                                                                                                               défenderesse

                                                 TAXATION DES DÉPENS - MOTIFS

Charles E. Stinson

Officier taxateur

[1]                 Il s'agit de l'appel d'une décision par laquelle le registraire des marques de commerce a rejeté, avec dépens, la demande de radiation de la marque de commerce WAMPOLE de la défenderesse. L'avocat de la défenderesse a informé la Cour que la demanderesse a été fractionnée et acquise par des tierces parties et que, malgré ce fait, la défenderesse souhaitait procéder à la taxation sur dossier de son mémoire de frais. Au départ, la défenderesse a soutenu que je devais ordonner que les dépens taxés soient payables par une ou plus d'une tierce partie, ou subsidiairement par l'avocat de la demanderesse. La défenderesse a par la suite reconsidéré sa position et a demandé que les dépens soient uniquement taxés contre de la demanderesse.


La position de la demanderesse

[2]                 L'avocat de la demanderesse prétend que le retard inexpliqué de la défenderesse à faire valoir son droit aux dépens équivaut à une renonciation aux dépens et qu'elle n'a donc plus droit aux dépens contre qui que ce soit. Subsidiairement, l'avocat de la demanderesse fait valoir que, suivant la règle 409 et les alinéas 400(3)i), k) et o), on devrait accorder des dépens minimums ou refuser tous dépens selon la colonne III en raison de la conduite de la défenderesse, à savoir la prolongation inutile de la procédure de taxation et l'ajout de demandes d'adjudication des dépens inappropriées à l'encontre de tierces parties et de l'avocat de la demanderesse. De la même façon, les facteurs identifiés justifient l'utilisation de la valeur unitaire de 100 $, valeur en vigueur le 29 juin 2000, soit à la date de l'adjudication des dépens. L'avocat de la demanderesse avance qu'il n'y a pas de preuve que des débours ont été engagés ou même qu'ils étaient nécessaires. L'omission de préciser le nombre de pages photocopiées ou télécopiées fait en sorte qu'il est impossible d'apprécier le caractère raisonnable de la somme réclamée par page. L'avocat de la demanderesse allègue que toutes les demandes devraient donc être refusées considérant particulièrement le retard de la défenderesse à procéder.


[3]                 L'avocat de la demanderesse fait valoir qu'en demandant des dépens à son encontre, la défenderesse a eu une conduite frivole et trompeuse constituant un abus de procédure. Il prétend que suivant la décision Canada (P.-G.) c. Kahn, (1998) 160 F.T.R. 83 (C.F. 1re inst.), il a droit à des dépens sur une base avocat-client de 8 225 $ (7 225 $ revu à la hausse) payable immédiatement en compensation du temps consacré à sa défense. L'avocat de la demanderesse prétend que, vu l'absence de preuve susceptible de confirmer le statut juridique de la demanderesse aux fins de la perception des dépens, la proposition de la défenderesse visant à percevoir les dépens de tierces parties ou de l'avocat de la demanderesse était prématurée et constituait en fait une tentative d'échapper à l'application des Règles.

[4]                 L'avocat de la demanderesse soutient que la règle 402, directement ou par analogie, donne droit immédiatement aux dépens de la taxation du fait du désistement de la défenderesse de sa demande de taxation contre l'avocat de la demanderesse ou de toute autre tierce partie. L'avocat de la demanderesse devrait recouvrer les frais inutiles engagés étant donné la conduite de la défenderesse, à savoir a) le dépôt d'une demande de dépens sans fondement à l'encontre de l'avocat de la demanderesse; b) le refus de retirer la demande en question après avoir été invitée à le faire; c) conséquemment, l'avocat de la demanderesse a dû se défendre; d) le désistement par la suite de la demande de dépens. Le paragraphe 408(3) des Règles confère expressément à l'officier taxateur le pouvoir d'accorder les dépens de la taxation. L'avocat de la demanderesse a droit aux dépens calculés sur la base avocat-client ou sur la base d'une compensation pour temps perdu à agir pour son propre compte. Dans le cas d'un avocat agissant pour son propre compte, les deux barèmes sont en fait équivalents étant donné qu'ils prennent tous deux en compte le temps écoulé et le taux horaire régulier de l'avocat.

[5]                 L'avocat de la demanderesse a prétendu que la décision Canada (P.-G.) c. Kahn, précitée, n'a pas pour effet de limiter les dépenses remboursables engagées pour retenir les services d'un avocat et englobait expressément la compensation pour perte de temps à se défendre dans une instance qui, ultimement, s'est révèlée inutile. La position de la défenderesse a précisément placé l'avocat de la demanderesse dans cette situation, à savoir devoir s'opposer soi-même aux dépens; en conséquence, l'avocat a droit à des dépens. Par ailleurs, les décisions John Doe c. Canada (Procureur général), infra, et Turner c. Canada, infra, ne sont pas pertinentes vu que les dépens de l'instance, lesquels relèvent de l'entière discrétion de la Cour en vertu de la règle 400, doivent être distingués des dépens accordés pour la défense de l'intérêt d'une personne dans le cadre d'une taxation relative à l'instance, laquelle relève expressément de l'officier taxateur suivant le paragraphe 408(3) des Règles.

La position de la défenderesse


[6]                 La défenderesse affirme que les circonstances particulières à l'espèce justifient une taxation qui correspond à la limite supérieure de la colonne III du tableau des dépens. La défenderesse se reporte à la lettre qu'elle a adressée à la Cour, en date du 4 septembre 2002, dans laquelle elle a avisé celle-ci de l'insuccès des négociations pour régler la question des dépens et l'a informée des difficultés que l'acquisition de la demanderesse par des tierces parties pouvait engendrer quant au recouvrement des dépens adjugés, et avance que le renvoi par la Cour de la lettre en question à l'officier taxateur n'équivaut pas à une conduite inappropriée, vexatoire ou inutile. La défenderesse a dû engager la procédure de taxation des dépens. Elle expose que, comme la règle 400 confère à la Cour l'entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, il n'était pas inapproprié ou vexatoire d'avoir demandé la taxation contre les tierces parties. De plus, la règle 404 autorisant la Cour à adjuger des dépens contre un avocat responsable d'un retard injustifié ou de quelque autre forme d'inconduite, il n'était pas inapproprié ou vexatoire d'avoir demandé la taxation contre de l'avocat de la demanderesse. La défenderesse soutient que le retard de la demanderesse ou de son avocat à donner des détails concernant l'acquisition de la demanderesse par des tierces parties a occasionné des frais inutiles relativement à la négociation d'une entente sur les dépens, et elle affirme avoir tenté d'accélérer les choses en réduisant ses demandes sans totalement connaître les complications pouvant survenir quant au recouvrement de ces dépens.

[7]                 La défenderesse fait valoir que tous les délais dans la taxation (entre le 23 octobre 2000 et le 16 janvier 2001 et entre le 8 avril et le 19 juin 2002) ont été causés par la demanderesse ou son avocat. La défenderesse prétend que la détermination du montant des dépens ne connaît pas de limite temporelle et qu'à tout le moins un certain délai avant la taxation était nécessaire afin de permettre la négociation d'un règlement entre les parties. Si un quelconque délai s'avère imputable à la défenderesse, l'officier taxateur peut en tenir compte en refusant d'accorder des intérêts pour cette période de temps.


[8]                 La défenderesse allègue que les facteurs militant en sa faveur relativement au montant des dépens sont : i) par application de l'alinéa 400(3)a) des Règles, le résultat de l'instance a été défavorable à la demanderesse; ii) par application de l'alinéa 400(3)i) des Règles, la demanderesse a retardé les procédures du 23 octobre 2000 au 16 janvier 2001 en formulant une réponse au projet de mémoire de frais; iii) par application du sous-alinéa 400(3)k)(i), aucune mesure prise au cours de l'instance était inappropriée, vexatoire ou inutile. La défenderesse allègue que les débours réclamés, par exemple, pour les photocopies, les télécopies, les recherches juridiques, les frais d'imprimerie, d'interurbains et de poste sont des frais courants dans un litige.

[9]                 La défenderesse fait valoir que la Cour lui ayant adjugé les dépens, elle ne devrait pas être pénalisée dans la taxation des dépens du fait qu'elle a cherché à les quantifier, notamment en clarifiant les questions relatives à la responsabilité de payer les dépens en cause. La défenderesse allègue que la décision Canada (Procureur général) c. Kahn, précitée, ne s'applique pas du fait qu'elle s'intéresse au remboursement d'un plaideur non juriste pour les frais engagés pour des conseils juridiques concernant un litige inutile, commencé et abandonné par la partie adverse. En l'espèce, la procédure a donné lieu à un jugement défavorable à la demanderesse.


[10]            La défenderesse s'appuie sur les décisions John Doe c. Canada (Procureur général) [2002] A.C.F. no 1042 (C.F. 1re inst.) et Turner c. Canada [2001] A.C.F. no 250 (officier taxateur) pour plaider que l'officier taxateur, lequel n'est pas un juge, n'a pas compétence pour adjuger des dépens. La Cour n'a pas tenu la défenderesse responsable des dépens de la taxation. La défenderesse prétend que les 8 225 $ demandés par la demanderesse pour la taxation des dépens représente environ trois fois les dépens demandés par la défenderesse pour avoir défendu avec succès le fond de l'appel. Les dépens entre avocat et client ne sont accordés que s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties : voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 S.C.R. 817. La défenderesse affirme que sa conduite était tout à fait raisonnable eu égard à la taxation des dépens adjugés par la Cour, laquelle a renvoyé l'affaire à l'officier taxateur pour qu'il se charge de l'exécution de la décision. La défenderesse a réclamé des intérêts sur les dépens pour la période comprise entre le 29 juin 2000 (date de l'adjudication des dépens) et la date de paiement en s'appuyant sur les artcles 127 à 130 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43.

TAXATION DES DÉPENS


[11]            Les articles 4 et 5.1 de la Loi sur les Cours fédérales définissent la Cour, et la règle 2 des Règles de la Cour fédérale (1998) définit l'officier taxateur; ces dispositions ne me permettent pas de m'arroger le pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour en vertu de la règle 400(1) d'adjuger des dépens. Toutefois, sous le régime de la règle 400(1), l'officier taxateur est investi du pouvoir de décider quels sont les dépens admissibles de même que leur quantum. La règle 408(3), laquelle dispose que « [l']officier taxateur peut taxer et accorder ou refuser d'accorder les dépens de la taxation à l'une ou l'autre des parties » , est une exception en ce qu'elle m'autorise à accorder des dépens en l'espèce à la demanderesse qui ne peut percevoir des dépens en vertu de la règle 400(1). Le libellé de la règle 408(3) parle de « partie » , ce qui ne comprend pas l'avocat d'une partie. La règle 408(3) me permet de nier à la défenderesse le droit de la taxation aux dépens sans égard au fait qu'on lui a adjugé des dépens en vertu de la règle 400(1).

[12]            Au départ, la défenderesse a cherché à obtenir une directive de la Cour en ce qui a trait aux conséquences, sur la taxation des dépens, de l'acquisition de la demanderesse par des tierces parties. La Cour a ordonné que la demande soit renvoyée à un officier taxateur. J'ai par la suite déposé le calendrier relatif aux argumentations écrites. Le tout a pris plusieurs semaines. L'avocat de la demanderesse aurait été informé que la défenderesse entendait réclamer des dépens. Même s'il était légitime pour la défenderesse de m'avoir fait part de sa préoccupation en ce qui concerne l'acquisition de la demanderesse par des tierces parties, je crois que cette préoccupation n'était pas pertinente quant à la taxation des dépens et qu'elle relève plutôt du débat judiciaire relatif à l'exécution et à la perception des dépens adjugés et non de la présente étape, à savoir la détermination du montant des dépens.


[13]            L'avocat de la demanderesse déclare expressément que ses prétentions sont présentées pour son propre compte uniquement, [traduction] « soit à titre de partie intéressée ou (par analogie à la procédure prévue à la règle 404 et par application de la règle 4 dite des " lacunes ") à titre de d'avocat à l'encontre de qui des dépens sont demandés » . La tentative de la défenderesse visant à faire payer les dépens par l'avocat de la demanderesse constituait une solution de rechange à sa proposition voulant que les tierces parties soient tenues de payer les dépens dus par la demanderesse étant donné l'acquisition des dettes de celle-ci, allant de pair avec l'acquisition de cette dernière. Cette position de rechange s'appuie sur la prétention que la défenderesse aurait subi un préjudice pendant les négociations visant à régler la question des dépens du fait de l'omission de divulguer l'acquisition de la demanderesse par des tierces parties. Dans les circonstances, je refuse d'accorder les dépens de la taxation à la demanderesse. Même si je conclus qu'il ne s'agit pas d'une affaire pour laquelle les dépens de la taxation devraient être refusés à la défenderesse, je considère que certaines difficultés sont survenues relativement à la position de rechange de celle-ci. Je n'accorde qu'un minimum de 2 unités en vertu de l'article 26 (taxation des frais).

[14]            Dans la décision Starlight c. Canada [2001] A.C.F. 1376, j'ai conclu au paragraphe [7] qu'il n'était pas nécessaire d'utiliser le même nombre d'unités étant donné que chaque service rendu par l'avocat doit être évalué selon les circonstances de l'espèce. J'ai également conclu qu'il fallait, dans une certaine mesure, établir des distinctions générales relativement au choix du nombre d'unités pour une fourchette donnée. Le présent litige n'était pas l'affaire la plus complexe ni la plus simple. J'accorde respectivement 5 unités, 4 unités et 2 unités de l'heure pour l'article 2 (préparation des documents de la défenderesse), les articles 13a) (préparation de l'audience) et 14a) (comparution à l'audience). Le tarif applicable aux unités accordées est de 110 $/heure.


[15]            Appliquant ce point de vue au seuil de taxation des dépens à la suite des décisions Re Eastwood (deceased), (1974) 3 All E.R. 603, à la p. 608, Carlile c. Canada (ministre du Revenu national-M.R.N.) 97 D.T.C. 5284, à la p. 5287 (officier taxateur), Ferguson c. Arctic Transportation Ltd., dossier T-1941-93, en date du 29 juillet 1999 (officier taxateur), et Syndicat canadien de la Fonction publique, Local 4004 c. Air Canada, [1999] A.C.F. no 464, je conclus que tous les débours réclamés sont taxables, mais que leur preuve est loin d'être absolue. En l'espèce, ils s'élèvent à 708,59 $, mais je les réduis à 640 $.

[16]            Le mémoire de frais de la défenderesse, présenté au montant de 3 018,59 $, est taxé et accordé au montant de 2 070 $, avec des intérêts conformément aux articles 127 à 130 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, et ce, du 29 juin 2000 jusqu'à la date de paiement.

« Charles E. Stinson »   

Officier taxateur

Vancouver (Colombie-Britannique)

19 août 2003

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté


                                                                                        COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-272-99

INTITULÉ :                                        CARTER-WALLACE INC.

- et -

WAMPOLE CANADA INC.

TAXATION DES DÉPENS SUR DOSSIER, SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS RENDUS PAR :              CHARLES E. STINSON

DATE DES MOTIFS :                      19 août 2003

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacBeth and Johnson

Toronto (Ontario)                                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Ridout & Maybee LLP

Ottawa (Ontario)                                                                            POUR LA DÉFENDERESSE


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