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Date : 20181214


Dossier : IMM-326-18

Référence : 2018 CF 1268

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2018

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

MOUSSA DIAKITÉ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Moussa Diakité, est citoyen de la Guinée. Il est entré au Canada muni d’un permis d’études valide jusqu’au 31 mars 2017.

[2]  Le 5 janvier 2018, le demandeur quitte le Canada pour les États-Unis, accompagné d’une amie. Le même jour, il se présente à la frontière canadienne sans passeport ni visa valide. Il a en sa possession un permis de conduire de la Guinée et une carte étudiante d’une université au Québec.

[3]  Après des vérifications dans le Système mondial de gestion des cas et une entrevue avec le demandeur portant sur son admissibilité au Canada, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] rédige un rapport conformément au paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Il estime que le demandeur est interdit de territoire selon l’article 41 de la LIPR parce qu’il cherche à entrer au Canada sans détenir un visa ou autres documents aux termes de l’alinéa 20(1)b) de la LIPR.

[4]  Jugeant le rapport bien fondé, le délégué du ministre, qui était présent lors de l’entrevue, émet une mesure d’exclusion à l’endroit du demandeur aux termes du sous-alinéa 228(1)c)(iii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]. Une copie du rapport a été remise au demandeur de même que la mesure d’exclusion qu’il a signés.

[5]  Le demandeur conteste la mesure d’exclusion prise à son endroit. Il soutient que la décision du délégué du ministre est déraisonnable au motif qu’elle a été rendue en violation de ses droits fondamentaux et de son droit à l’équité procédurale. Il reproche notamment à l’agent de l’ASFC : (1) d’avoir omis de l’informer que l’entrevue pourrait mener à une mesure d’exclusion; (2) de ne lui avoir posé qu’une seule question sur les risques de retour dans son pays d’origine alors qu’il craint y retourner en raison de son orientation sexuelle; et (3) de ne pas lui avoir expliqué qu’il avait le droit aux services d’un avocat gratuitement. Il allègue également que la décision du délégué du ministre a été prise de façon précipitée puisque c’est par erreur qu’il est allé aux États-Unis et qu’elle ne respecte pas les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte] ainsi que d’autres instruments internationaux.

II.  Analyse

[6]  La norme de contrôle applicable à la décision du délégué du ministre d’émettre une mesure d’exclusion est celle de la décision raisonnable (Mbaye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1037 au para 12 [Mbaye]; Sibomana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 853 au para 18).

[7]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[8]  Quant à l’allégation de manquement à l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a récemment précisé que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à une norme de contrôle. Le rôle de cette Cour est plutôt de déterminer si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Dunsmuir au para 79).

[9]  La Cour estime qu’il n’y a pas matière à intervention en l’instance.

[10]  Selon l’article 41 de la LIPR, un étranger peut être interdit de territoire pour manquement à la LIPR. Le manquement en l’instance est celui prévu à l’alinéa 20(1)b) de la LIPR qui prévoit qu’un étranger qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner doit prouver, pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[11]  Or, il appert du dossier que lorsque le demandeur s’est présenté à la frontière le 5 janvier 2018, il ne détenait aucun visa valide. Son permis d’études était expiré depuis le 31 mars 2017. Sa demande subséquente avait été refusée et il n’avait pas demandé le rétablissement de son statut.

[12]  Le demandeur était donc sans statut au Canada.

[13]  Dans ces circonstances, le délégué du ministre pouvait raisonnablement prendre la mesure d’exclusion contre le demandeur selon le sous-alinéa 228(1)c)(iii) du RIPR. Il est reconnu que la marge discrétionnaire du délégué du ministre est limitée, sinon inexistante (Mbaye au para 12; Laissi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 393 aux para 18-20; Rosenberry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 882 au para 36) et le demandeur n’a pas démontré qu’elle ne fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit tel qu’énoncé dans l’arrêt Dunsmuir.

[14]  Quant aux arguments d’équité procédurale soulevés par le demandeur, la Cour les considère mal fondés en fait et en droit.

[15]  D’abord, le dossier démontre que la nouvelle demande de permis d’études avait déjà été refusée lorsque le demandeur s’est présenté au poste frontalier le 5 janvier 2018. De plus, le fait que le demandeur se soit présenté « par erreur » au poste frontalier n’est pas pertinent pour les fins de déterminer la validité de la mesure d’exclusion. Du moment que le demandeur se présentait au point d’entrée sans visa valide, il s’exposait à une mesure d’exclusion. Également, il appert des notes de l’ASFC au dossier et de l’affidavit de l’agent produit au soutien de la réponse du défendeur que la nature de l’entrevue a été expliquée au demandeur et qu’il a été informé des problèmes relatifs à son admissibilité. L’agent de l’ASFC lui a spécifiquement demandé si sa vie ou sécurité pourrait être menacée en Guinée pour des motifs religieux, politiques ou d’orientation sexuelle, ce à quoi il a répondu non.

[16]  Par ailleurs, concernant l’allégation que son droit à l’avocat a été violé, il est bien établi qu’il n’existe pas un droit à l’assistance d’un avocat lors d’une entrevue menée par un agent d’immigration. Un tel droit naît au moment où la personne est mise en détention ou en état d’arrestation (Dehghani c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 RCS 1053 [Dehghani]; Sulaiman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 832 au para 13; Heredia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1215 aux para 14-15; Rodriguez Chevez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 709 au para 11). En l’instance, il s’agissait d’une entrevue de routine visant à vérifier si le demandeur remplissait les conditions pour entrer au Canada (Dehghani à la p 1074). Les notes de l’agent au dossier démontrent que le demandeur a été informé de son droit de consulter un avocat dès qu’il a été mis en détention en raison de son défaut de confirmer qu’il se présenterait à un rendez-vous pour fixer les modalités de son départ du Canada. De plus, selon le texte qui a été lu au demandeur et qui est reproduit dans l’affidavit de l’agent, le demandeur a été informé de son droit de faire appel à un avocat de son choix et de son droit d’avoir accès gratuitement et immédiatement aux conseils juridiques de l’avocat de service. Les numéros de téléphone où l’on peut joindre l’avocat en service ou l’aide juridique lui ont été fournis. Également, les notes de l’agent démontrent que le demandeur a confirmé qu’il avait compris qu’il avait droit à un avocat et qu’il n’a pas fourni de réponse lorsqu’on lui a demandé s’il voulait en consulter un. À la lumière de cette preuve, la Cour ne peut donc souscrire à l’argument du demandeur selon lequel son droit à l’avocat a été violé.

[17]  Finalement, quant à l’argument du demandeur selon lequel son renvoi vers la Guinée violerait les articles 7 et 12 de la Charte et les obligations internationales du Canada en raison des risques de torture et à sa vie s’il est déporté vers la Guinée, la Cour estime que cet argument est prématuré à ce stade. L’objet du présent recours est limité à la validité de la mesure d’exclusion. L’exécution éventuelle de la mesure de renvoi n’est pas une question en litige en l’espèce. D’ailleurs, la Cour note que le demandeur a effectivement déposé une demande d’évaluation des risques avant renvoi.

[18]  Le demandeur n’a démontré aucune erreur susceptible de révision. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-326-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-326-18

INTITULÉ :

MOUSSA DIAKITÉ c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 DÉCEMBRE 2018

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 14 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Moriba Alain Koné

Pour LE demandeur

Guillaume Bigaouette

Pour LE DÉFENDeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Moriba Alain Kone

Avocat

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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