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Date : 20191008


Dossier : IMM-1948-18

Référence : 2019 CF 1270

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2019

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

ANUPAM GUPTA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Monsieur Gupta fait valoir que le refus de sa demande de visa de résident temporaire (VRT) était injuste et déraisonnable. Il affirme qu’on ne lui a pas donné la possibilité raisonnable de dissiper la préoccupation ayant été soulevée dans une lettre d’équité relativement à de fausses déclarations, et que, de ce fait, des conclusions défavorables et inappropriées quant à sa crédibilité ont été tirées. Il soutient aussi, en invoquant ses liens familiaux en Inde, sa situation financière et ses antécédents de voyage, que le refus était déraisonnable et se fondait sur des stéréotypes, du scepticisme et le rejet d’éléments de preuve favorables.

[2]  Même si, j’en conviens, M. Gupta n’a pas bénéficié d’une possibilité raisonnable de dissiper la préoccupation relative aux fausses déclarations, cette préoccupation n’était pas à l’origine du refus. Elle n’a pas été invoquée par l’agente des visas, et rien n’indique que cette dernière ait tiré des conclusions en matière de crédibilité, ni en fonction de cette préoccupation, ni autrement. Le refus était plutôt basé sur une évaluation de la preuve limitée contenue dans la demande pour ce qui est des conditions économiques, des antécédents de voyage, de la situation financière, des liens familiaux et des antécédents de voyage du demandeur. Il incombait à M. Gupta de fournir tous les renseignements pertinents afin de convaincre l’agente des visas qu’il quitterait le Canada à la fin de son séjour. L’agente n’en a pas été convaincue, et elle a tiré une conclusion qui relevait directement de son mandat. Cette conclusion était raisonnable.

[3]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Malgré le long délai de traitement de la demande de M. Gupta, aucuns dépens spéciaux ne seront accordés.

II.  La demande de visa et la décision en cause

A.  Demande de visa de M. Gupta

[4]  Le 21 octobre 2016, M. Gupta a présenté en ligne une demande de VRT dans laquelle il a indiqué que l’objet de sa visite était lié au « tourisme » et qu’il avait l’intention de rendre visite à un ami à Edmonton entre le 7 décembre 2016 et le 15 janvier 2017. Toujours d’après la demande, il disposait d’une somme de 7 000 $ pour son séjour, et il était à la retraite depuis au moins dix ans.

[5]  Tel que requis, la demande de M. Gupta comprenait un formulaire « Informations sur la famille ». Lorsqu’il l’a rempli, M. Gupta a fourni des renseignements sur lui-même, sans mentionner son père ou sa mère, ce qui était un oubli, comme il l’a reconnu à l’audience. Sa demande comprenait aussi une copie de la page d’information de son passeport, laquelle indiquait bien le nom de son père et de sa mère, mais sans préciser leurs dates et leurs lieux de naissance, leurs professions, leur adresse actuelle, s’ils étaient décédés ou s’ils l’accompagnaient au Canada; autant de renseignements qui étaient requis dans le formulaire Informations sur la famille. Dans un affidavit supplémentaire déposé dans le cadre de la présente demande, M. Gupta a indiqué que ses parents étaient en vie, et que son adresse figurant sur la page de son passeport était également la leur. Cependant, ces renseignements ne figuraient pas sur la demande et l’agente n’en disposait pas.

[6]  S’agissant de ses antécédents de voyage au Canada, la demande précisait que M. Gupta avait reçu, après en avoir fait la demande, un visa de visiteur au Canada, que son [TRADUCTION] « dernier visa avait été délivré le 02/05/05, et [qu’]il avait expiré un an plus tard ». La demande de M. Gupta fournissait également des renseignements sur ses antécédents de voyage, y compris des renseignements qu’il avait obtenus de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en réponse à une demande présentée au titre de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), c A‑1, et qui attestaient des voyages à Vancouver en mai 2005 et mai 2006. Monsieur Gupta a inclus la copie d’une carte d’embarquement montrant qu’il avait voyagé en avion de Vancouver à Londres le 30 octobre, sans que l’année du voyage ne soit toutefois précisée. Monsieur Gupta a indiqué dans ses observations que cette carte d’embarquement datait de son départ de Vancouver en octobre 2006, au terme d’un séjour de six mois, et il a montré à la Cour un tampon dans son passeport attestant un retour en Inde le 2 novembre 2006. Cette explication se tient peut-être, mais l’agente des visas ayant examiné sa demande n’en disposait pas, et on ne peut considérer que la demande établissait la présence de M. Gupta au Canada jusqu’à la fin octobre 2006.

[7]  Ces dates de voyage sont pertinentes, étant donné que M. Gupta souhaitait que sa demande soit traitée suivant les modalités du programme « CAN+ », lequel permet le traitement rapide des demandes de visa des ressortissants de certains pays qui ont voyagé au Canada ou aux États-Unis au cours des dix années précédentes. Les renseignements dont dispose la Cour laissent penser que le programme CAN+ prévoit — ou prévoyait — des exigences différentes selon les pays, mais la Cour accepte de considérer que la période de voyage de dix ans était applicable aux ressortissants de l’Inde. Les demandeurs admissibles au titre du programme CAN+ peuvent s’attendre à des délais de traitement plus courts et n’ont pas à fournir autant de renseignements sur leur situation financière.

B.  Traitement et refus de la demande de M. Gupta

[8]  Le traitement de la demande de M. Gupta, qui a pris un certain temps, a été effectué par des agents de la Section des visas du haut-commissariat du Canada à New Delhi (Inde). Le 9 novembre 2016, un agent a sollicité des renseignements additionnels des autorités américaines, à l’insu de M. Gupta. Cette demande, qui découlait apparemment d’une note se rapportant à une mesure de renvoi, indiquait : [TRADUCTION] « Veuillez fournir des motifs détaillés de refus au titre de l’article 92A du Code; "VISÉ PAR UNE MESURE DE RENVOI OU PARTI PENDANT QUE LA MESURE ÉTAIT EN VIGUEUR". Veuillez également fournir le numéro de passeport et une photographie s’ils sont disponibles ». La source de la note sous-jacente n’est pas clairement indiquée au dossier, quoique les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) précisent que des renseignements [TRADUCTION] « concernant le renvoi du demandeur des É.‑U. » ont été sollicités.

[9]  Aucune réponse à la demande d’information n’a été reçue des États-Unis pendant plusieurs mois. La demande a donc, semble-t-il, été annulée le 10 mars 2017, et une « lettre d’équité » a alors été envoyée à M. Gupta. Cette lettre l’informait que l’agente d’immigration craignait qu’il n’ait fourni une fausse déclaration en réponse à la question : « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, ou encore l’entrée au Canada ou dans un autre pays […], ou avez‑vous déjà reçu l’ordre de quitter le Canada ou tout autre pays […]? » et lui donnait la possibilité de fournir une réponse.

[10]  Le 19 mars 2017, M. Gupta a fait remarquer, en réponse à la lettre d’équité, que l’agente n’avait pas divulgué le fondement de sa préoccupation liée aux éventuelles fausses déclarations. Il a donc demandé à celle-ci de divulguer tout [TRADUCTION] « renseignement extrinsèque » à l’origine de ses préoccupations, en citant à cet égard la décision rendue par la Cour dans Guerrero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1048 [Guerrero].

[11]  Monsieur Gupta n’a plus reçu de nouvelles; il a donc effectué un suivi auprès du haut‑commissariat en septembre 2017. S’en est suivi un échange dans le cadre duquel le haut‑commissariat lui a renvoyé la lettre qu’il lui avait fait parvenir le 10 mars 2017, lettre à laquelle M. Gupta a répondu en renvoyant également la sienne datée du 19 mars 2017. Il n’a fourni aucun autre renseignement, et le haut-commissariat n’a envoyé aucune autre réponse à la lettre du 19 mars 2017.

[12]  Le 26 février 2018, la demande de VRT de M. Gupta a été refusée. Comme le veut la norme, le refus consistait en trois éléments : i) une lettre de présentation précisant que la demande était refusée et énumérant une liste générale de facteurs pris en compte pour statuer sur la demande; ii) un formulaire (IMM 5621) dont certaines cases de la liste des motifs de rejet étaient cochées; et iii) une copie des notes du SMGC comportant des motifs additionnels succincts de l’agente des visas.

[13]  Le formulaire IMM 5621 comprenait la déclaration suivante : [TRADUCTION] « Veuillez noter que seuls les motifs cochés s’appliquent au refus de votre demande ». Dans le cas de M. Gupta, les cases cochées renvoyaient à deux motifs. Le premier indique :

[traduction]

Vous ne m’avez pas convaincu(e) que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour à titre de résident temporaire. Pour parvenir à cette décision, j’ai examiné plusieurs facteurs, notamment :

Sous cette description, figurait une sous-liste de dix facteurs, notamment les [TRADUCTION] « antécédents de voyage », [TRADUCTION] le « but de la visite », et [TRADUCTION] « toute violation des conditions d’admission lors d’un précédent séjour au Canada ». Cependant, la seule case de la sous-liste des facteurs cochée par l’agente correspondait aux [TRADUCTION] « [l]iens familiaux au Canada et dans le pays de résidence ».

[14]  Le second motif coché par l’agente sur le formulaire IMM 5621 indiquait :

[traduction]

Je ne suis pas convaincu(e) que vous disposez des fonds suffisants, y compris un revenu ou des actifs, pour mener les activités prévues au Canada ou pour subvenir à vos besoins pendant votre séjour, ainsi que pour quitter le Canada.

[15]  Fait à noter, l’agente n’a coché sur le formulaire ni la case servant à indiquer qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur avait répondu sincèrement à toutes les questions, ni celles se rapportant à une interdiction de territoire pour fausses déclarations ou dissimulation de faits importants.

[16]  En plus du formulaire comportant les cases cochées, les notes consignées par l’agente dans le SMGC à la date du refus présentaient les motifs additionnels suivants :

[traduction]

Une lettre d’équité procédurale a été envoyée au client en mars 2017, puis renvoyée en septembre 2017 après réception d’adresses électronique et postale à jour. Le demandeur n’a pas dissipé les préoccupations soulevées dans la lettre d’équité procédurale. J’ai tenu compte de tous les renseignements dont je dispose, et je ne suis pas convaincue que le demandeur soit de bonne foi quant à son intention de devenir résident temporaire et de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Compte tenu des conditions économiques et des perspectives d’emploi dans le pays d’origine, ainsi que des facteurs tels que les antécédents de voyage, l’établissement économique et les liens familiaux, je ne suis pas convaincue que le demandeur soit un visiteur authentique qui respectera les conditions d’admission en tant que résident temporaire au Canada. Demande refusée.

III.  Cadre législatif et norme de contrôle

[17]  Aux termes du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, obtenir un visa, qui sera délivré si l’agent est convaincu qu’il n’est pas interdit de territoire et qu’il se conforme aux exigences de la Loi :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[18]  Pour quelqu’un qui souhaite devenir résident temporaire, le fait de « se conforme[r] à la présente loi » suppose notamment de détenir le visa nécessaire et de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée :

Obligation à l’entrée au Canada

Obligation on entry

20 (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

20 (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

[…]

[…]

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

[19]  L’article 179 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (Règlement), précise que l’agent doit délivrer un VRT au demandeur si différents critères sont remplis; notamment, pour les fins de la présente demande, l’intéressé doit quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée et ne pas être interdit de territoire :

Délivrance

Issuance

179 L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

179 An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

[…]

[…]

e) il n’est pas interdit de territoire;

(e) is not inadmissible;

[…]

[…]

[20]  Comme l’a fait remarquer le juge Rennie, qui siégeait alors à la Cour, dans Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872, au par. 9, ces dispositions ont pour effet de soumettre l’étranger à l’obligation d’établir qu’il quittera le territoire à la fin de la période de validité du visa :

Le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) et la section 3 de la partie 11 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002‑227) (le Règlement) ont pour effet combiné d’exiger que les agents des visas soient convaincus que les intéressés ne sont pas interdits de territoire et qu’ils quitteront le Canada au moment où leur visa expirera. On oublie souvent qu’il doit être « établi » que l’étranger quittera le pays à la fin de son visa. L’effet combiné de la LIPR et du Règlement ne donne pas grand latitude aux agents pour accorder le bénéfice du doute aux demandeurs; il existe plutôt une obligation positive selon laquelle il doit être établi, avant la délivrance du visa, que l’étranger quittera le pays. [Non souligné dans l’original.]

[21]  S’appuyant sur les décisions rendues par la Cour dans Obeng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 754 [Obeng], au par. 20, et Rahman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 793 [Rahman], au par. 16 (citant Obeng), le ministre fait valoir qu’il existe également une « présomption légale selon laquelle l’étranger qui cherche à entrer au Canada est présumé être un immigrant ». Cette tournure découle du paragraphe 9(1.2) de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑2, qui prévoyait que « [l]a personne qui demande un visa de visiteur doit convaincre l’agent des visas qu’elle n’est pas un immigrant » : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 FCT 791, aux par. 9 et 35.

[22]  Le libellé de l’ancien paragraphe 9(1.2) ne se retrouve pas dans la LIPR dans sa version en vigueur, laquelle exige que le demandeur établisse qu’il quittera le territoire à la fin de la période autorisée. Dans Abdulateef c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 400, au par. 10, la description par le juge Rennie du fardeau de la preuve confirme que ce sont là simplement les deux faces de la même médaille : « [Il incombe à] la demanderesse [de] prouver qu’elle n’est pas une immigrante, mais plutôt une résidente temporaire authentique qui quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée ». Au vu de la modification législative apportée, il paraît préférable de se concentrer sur la question de savoir si le demandeur quittera le territoire à la fin du séjour, comme l’a fait l’agente en l’espèce, plutôt que de déterminer simplement s’il est un « immigrant ».

[23]  Quoi qu’il en soit, la nature de l’analyse qu’un agent saisi d’une demande de VRT est appelé à entreprendre a été récemment décrite par le juge Mosley dans Bunsathitkul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 376, au par. 19 :

L’agent saisi d’une demande de VRT au titre de l’alinéa 179b) du [Règlement] évalue différents facteurs, y compris le but de la visite, les liens familiaux au Canada et dans le pays de résidence, la situation économique et professionnelle à l’étranger, les tentatives passées d’émigrer au Canada (ou ailleurs), l’absence d’antécédents de voyage et la capacité de même que la volonté de quitter le Canada à la fin du séjour. [Renvoi omis.]

[24]  Au terme de cette évaluation, l’agent des visas n’est nullement tenu de réclamer des renseignements supplémentaires si le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau; ce dernier doit « présenter ses meilleurs arguments » : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 969, au par. 23.

[25]  La norme de contrôle applicable au refus de la demande de VRT de M. Gupta par l’agente des visas est celle du caractère raisonnable : Obeng, au par. 21. Le législateur a conféré à l’agente des visas le pouvoir d’effectuer l’évaluation, et la Cour n’interviendra pas si la décision est raisonnable, c’est‑à‑dire, si elle est justifiée, transparente, intelligible et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47.

[26]  Par contre, l’équité du processus ayant abouti à la décision est susceptible de révision selon une norme semblable à celle de « la décision correcte », c’est‑à‑dire que la Cour doit déterminer si le processus était équitable dans les circonstances : Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, aux par. 53 et 54; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54.

IV.  Motifs de contestation du refus

[27]  Monsieur Gupta soulève un certain nombre de motifs de contestation du refus, qui peuvent être résumés par les arguments suivants :

  • a) la décision était injuste, puisque le fondement de la préoccupation soulevée dans la lettre d’équité, notamment tout renseignement extrinsèque à l’origine de cette préoccupation, ne lui a pas été divulgué, ce qui l’a privé d’une possibilité suffisante de répondre;

  • b) à cause de la préoccupation soulevée dans la lettre d’équité, l’agente a implicitement tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité, ce qui l’a rendue généralement sceptique à l’égard de la demande;

[28]  le refus par l’agente de la demande de VRT était déraisonnable, car elle : a mentionné des facteurs liés à l’économie indienne (qui s’est améliorée depuis le dernier séjour de M. Gupta); n’a pas accordé suffisamment de poids à ses [TRADUCTION] « antécédents parfaits » de respect des exigences en matière d’immigration lors de ses précédents séjours au Canada; s’est appuyée sur des généralisations et des stéréotypes concernant ses liens familiaux; n’a pas appliqué la dispense prévue par le programme CAN+ à l’égard de la preuve financière.

[29]  Monsieur Gupta sollicite également des dépens au titre de l’article 22 des Règles des Cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 (Règles), au motif que le délai excessivement long de traitement de sa demande (16 mois, par opposition aux six jours ouvrables qu’il s’attendait à ce que prenne le traitement d’une demande de VRT au titre du programme CAN+), de même que la perte d’admissibilité à ce programme qui en a résulté, constituent des [TRADUCTION] « circonstances spéciales » au sens de l’article 22.

V.  Analyse

A.  Équité

[30]  Comme le fait remarquer M. Gupta, la Cour a déjà confirmé que, lorsqu’il est préoccupé par la crédibilité d’un demandeur, l’agent des visas doit, suivant les principes de l’équité, lui donner la possibilité de dissiper ces préoccupations : voir p. ex., Punia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 184 [Punia], au par. 27. Cela se fait habituellement, comme en l’espèce, par l’envoi d’une « lettre d’équité ». Comme le faisait observer le juge Russell dans Punia, pour qu’une telle lettre soit équitable, elle doit permettre au demandeur de savoir quelles sont les préoccupations de l’agent : Punia, au par. 62. Lorsque les préoccupations reposent sur des renseignements extrinsèques dont le demandeur n’a pas connaissance, des détails suffisants concernant ces renseignements doivent lui être divulgués pour qu’il ait une possibilité de répondre : Guerrero, aux par. 28 à 40.

[31]  En l’espèce, la lettre d’équité indiquait seulement que l’agente avait [TRADUCTION] « des motifs raisonnables de croire » que M. Gupta n’avait pas répondu sincèrement aux questions figurant dans la demande et, en particulier, qu’elle craignait qu’il ait fait une fausse déclaration en répondant à la question suivante : [TRADUCTION] « Vous a‑t‑on déjà refusé un visa ou un permis, ou encore l’entrée au Canada ou dans un autre pays […], ou avez-vous déjà reçu l’ordre de quitter le Canada ou tout autre pays […]? » Il est clair que cette préoccupation découlait de la note indiquant : [TRADUCTION] « VISÉ PAR UNE MESURE DE RENVOI OU PARTI PENDANT QUE LA MESURE ÉTAIT EN VIGUEUR », en raison de laquelle des renseignements avaient été demandés aux États‑Unis.

[32]  Monsieur Gupta a indiqué par écrit au haut-commissariat qu’il ne savait pas sur quel renseignement extrinsèque l’agente s’était appuyée; il a demandé des renseignements supplémentaires, mais n’a reçu aucune réponse. Le dossier ne précise pas pourquoi aucune réponse ne lui a été communiquée, bien que certains problèmes de communication semblent être survenus, la même correspondance ayant simplement été renvoyée après que M. Gupta eut fait des demandes de suivi.

[33]  Il aurait été injuste que l’agente des visas s’appuie sur la note en question, ou qu’elle conclue que M. Gupta avait fait une fausse déclaration sur le formulaire ou était interdit de territoire pour cette raison. La lettre d’équité ne remplissait pas adéquatement les exigences relatives à l’équité décrites dans Guerrero et Punia. Monsieur Gupta n’a pas eu la possibilité suffisante de dissiper les préoccupations soulevées, puisque leurs fondements ne lui ont pas été divulgués malgré sa demande en ce sens.

[34]  Cela dit, la préoccupation soulevée au cours du traitement de la demande de M. Gupta n’a finalement joué aucun rôle dans la décision de l’agente des visas. Sur le formulaire IMM 5621, cette dernière n’a signalé aucune préoccupation qui aurait trait à la sincérité du demandeur ou à une éventuelle fausse déclaration. Les notes du SMGC mentionnent la lettre d’équité mais, je conviens avec le ministre que dans le contexte, selon l’interprétation la plus raisonnable, il s’agissait d’une description de l’historique procédural et non d’une conclusion défavorable à M. Gupta. Les facteurs que l’agente a désignés, tant dans le formulaire que dans les notes, comme constituant le fondement la décision, renvoient plutôt à des questions dénuées de lien avec la préoccupation concernant une éventuelle fausse déclaration.

[35]  L’équité exige que le demandeur ait la possibilité de fournir une réponse « si un agent a l’intention de fonder une décision sur des renseignements extrinsèques » : Guerrero, au par. 28. Lorsque le décideur n’a pas tenu compte d’une préoccupation, et que celle-ci n’a pas eu d’influence sur l’issue, l’absence d’une occasion de la dissiper ne justifie pas d’infirmer la décision.

B.  Crédibilité et scepticisme

[36]  L’agente des visas n’a tiré aucune conclusion explicite en matière de crédibilité. Cependant, M. Gupta soutient qu’elle a implicitement conclu qu’il n’était pas crédible, une conclusion attestée selon lui par le fait qu’elle n’avait pas répondu à sa demande de divulgation; qu’elle s’était appuyée sur des généralisations concernant les liens familiaux; qu’elle avait des réserves au sujet de sa situation financière et qu’elle n’avait accordé aucun poids positif à ses antécédents de voyage, de demandes approuvées et de conformité. Il affirme que ces [TRADUCTION] « conclusions voilées en matière de crédibilité » imprégnaient toute la décision, que le scepticisme de l’agente était manifeste et qu’elle était tenue de demander des éclaircissements ou de lui faire part de ses préoccupations et de lui permettre d’y répondre.

[37]  Je ne suis pas d’accord. Que ce soit dans le formulaire IMM 5621 ou dans les notes du SMGC, de manière explicite ou tacite, rien, dans la décision de l’agente, ne laisse entendre qu’elle doutait de la crédibilité de M. Gupta. La situation est très différente de celle décrite par le juge Mosley dans Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 680, au par. 8, citée par M. Gupta, dans laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi n’avait clairement pas cru les déclarations du demandeur concernant une détention illégale et avait écarté les lettres d’un centre médical et d’un inspecteur de police. Contrairement à cette affaire, aucun scepticisme à l’égard de la demande de visa de M. Gupta ne ressort de la décision de l’agente.

C.  Refus de la demande

[38]  Monsieur Gupta soulève un certain nombre de préoccupations quant au caractère raisonnable du refus de sa demande de VRT par l’agente. Je ne suis pas convaincu que ces préoccupations établissent, individuellement ou cumulativement, que la décision est déraisonnable.

[39]  Monsieur Gupta critique la prise en compte par l’agente des [TRADUCTION] « conditions économiques et des perspectives d’emploi dans le pays d’origine », et fait remarquer qu’il a déjà obtenu un visa et quitté le Canada pour retourner en Inde à une époque où le produit intérieur brut de ce pays était plus faible, et le taux de chômage, plus élevé qu’aujourd’hui. Cependant, l’évaluation des facteurs aux fins de l’octroi d’un VRT ne consiste pas à effectuer une comparaison avec l’issue d’une demande antérieure. L’agent doit entreprendre cette évaluation en s’appuyant sur la preuve contenue dans la demande dont il dispose. Aucun facteur ne doit être considéré isolément par rapport à l’ensemble de la demande. Il est vrai que l’agente n’a pas fourni d’analyse détaillée sur le sujet, mais rien ne l’obligeait à le faire dans le contexte d’une demande de VRT. Je ne puis considérer qu’il était déraisonnable de sa part de tenir compte des conditions économiques et du marché de l’emploi en Inde en tant que facteur dans le cadre de l’évaluation de la demande de M. Gupta.

[40]  Monsieur Gupta affirme que l’agente n’a pas clairement expliqué en quoi ses antécédents de voyage [TRADUCTION] « décourageraient son retour dans le pays ». Or, rien n’indique que l’agente ait le moindrement tiré cette conclusion. Elle a mentionné les antécédents de voyage de M. Gupta, mais n’a pas précisé sur le formulaire qu’il s’agirait là d’une préoccupation. Elle a laissé entendre au contraire qu’il s’agissait d’un facteur positif. Mentionnons que les éléments de preuve relatifs aux antécédents de voyage déposés avec la demande étaient limités, et n’appelaient certainement pas une analyse approfondie. Le traitement succinct qu’a réservé l’agente à ce facteur n’était pas déraisonnable.

[41]  De même, l’évaluation par l’agente des liens familiaux de M. Gupta était raisonnable dans les circonstances. Comme je l’ai déjà fait remarquer, M. Gupta n’a pas fourni dans sa demande de renseignements concernant ses parents en Inde, ce qui ne peut être reproché à l’agente. Il incombait à M. Gupta de présenter des renseignements complets susceptibles de convaincre l’agente qu’il quitterait le Canada. Il n’a pas veillé à ce que sa demande soit complète et exacte, ce qui ne rend pas la décision déraisonnable. Et le fait que ses liens familiaux ne l’aient pas empêché de quitter le Canada par le passé est d’une importance limitée. Je ne relève pas non plus d’élément de preuve établissant que l’agente a eu recours aux [TRADUCTION] « stéréotypes » allégués par M. Gupta à l’égard de sa situation familiale, notamment le fait qu’il n’ait pas d’enfant. L’agente a plutôt tenu compte comme il se devait de ses liens familiaux à titre de facteur pour déterminer si elle était convaincue qu’il quitterait le Canada.

[42]  Monsieur Gupta conteste aussi les préoccupations de l’agente au sujet des fonds disponibles, notamment en ce qui touche son revenu et ses actifs. Il estime que les 7 000 $ dont il disposait pour son séjour auraient dû être jugés amplement suffisants, et que l’agente a rendu une mauvaise décision sur son dossier en n’appliquant pas la dispense prévue par le programme CAN+ au regard d’une preuve d’autonomie financière et d’établissement économique. Cependant, faute de documents et de renseignements concernant le voyage de 2006 au Canada, la demande de M. Gupta ne contenait pas de renseignements suffisants sur la foi desquels un agent aurait pu conclure à son admissibilité au programme CAN+. Il ne peut donc invoquer les caractéristiques de ce programme pour faire valoir que l’évaluation de sa demande était déraisonnable. L’agente a examiné à la lumière des autres faits et facteurs le caractère suffisant de la simple déclaration de la demande de M. Gupta portant qu’il disposait de 7 000 $ pour son séjour. La conclusion de l’agente selon laquelle elle n’était pas convaincue que les fonds étaient suffisants était raisonnable.

[43]  Enfin, M. Gupta soutient que l’agente a écarté une preuve contradictoire en ce qui concerne des facteurs positifs comme ses antécédents de conformité aux lois de l’immigration. Cependant, en plus d’être présumée avoir tenu compte de toute la preuve dont elle disposait (Rahman, au par. 17), l’agente a indiqué expressément sur le formulaire IMM 5621 qu’elle avait pris en considération les antécédents de voyage de M. Gupta, et qu’il ne s’agissait pas d’un facteur ayant suscité des préoccupations ni justifié le refus. L’argument de M. Gupta voulant que l’agente ait écarté des éléments de preuve qui appuyaient sa demande n’est pas convaincant.

[44]  Dans l’ensemble, les motifs de contestation soulevés par M. Gupta reviennent concrètement à demander à la Cour de procéder à une nouvelle pondération des facteurs et à une nouvelle évaluation des faits pour conclure qu’un visa aurait dû être accordé. Ce n’est pas le rôle que la Cour est appelée à jouer en contrôle judiciaire. L’évaluation de la demande réalisée par l’agente en fonction des renseignements qui y figuraient était raisonnable.

D.  Dépens spéciaux

[45]  Suivant la règle normale énoncée à l’article 22 des Règles, aucuns dépens ne sont adjugés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, à moins que le juge ne rende une ordonnance à l’effet contraire « pour des raisons spéciales » :

Dépens

Costs

22 Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens.

22 No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

[46]  Monsieur Gupta, qui sollicite une ordonnance de dépens, invoque le délai de traitement de sa demande de VRT et cite Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 757 [Singh], au par. 56. Monsieur Gupta n’a pas eu gain de cause sur sa demande, et je ne crois pas non plus que des dépens spéciaux soient indiqués en l’espèce. Même si le traitement de sa demande a pris un certain temps, il ne s’agit certainement pas de la période de 14 ans dont il était question dans Singh. Les autres motifs avancés par M. Gupta pour réclamer une telle ordonnance, y compris le fait qu’il aurait été privé d’occasions de résidence temporaire et que la situation aurait nui à ses perspectives d’obtenir des visas d’autres pays, ne sont pas étayés par la preuve et découlent de toute façon du refus de sa demande. Je ne suis pas convaincu que des raisons spéciales justifient en l’espèce d’adjuger des dépens.

[47]  Par conséquent, la présente demande sera rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1948‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de novembre 2019.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1948‑18

 

INTITULÉ :

ANUPAM GUPTA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Anupam Gupta

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Camille Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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