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                                                                                                                                            Date : 20030828

                                                                                                                                Dossier : IMM-3715-02

                                                                                                                            Référence : 2003 CF 1002

ENTRE :

                                                                 DELU NOOR RENA

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                              - et -

                                                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                             ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 3 juillet 2002, qui a rejeté en partie l'appel de la demanderesse à l'encontre d'une décision de l'agent des visas Mick Chong (l'agent), en date du 23 novembre 2000, dans laquelle il a rejeté la demande d'établissement parrainée du mari et du fils de la demanderesse. L'agent a conclu que le mari de la demanderesse appartenait à la catégorie des personnes inadmissibles, étant une personne décrite au sous-alinéa 19(1)c.1)(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (la Loi).


[2]         La demanderesse est citoyenne canadienne depuis avril 2001. Elle est arrivée au Canada en provenance du Bangladesh en 1996 après avoir fui les mauvais traitements de son mari. Elle a été admise à titre de réfugiée en décembre 1997, parce qu'elle avait été victime de violence conjugale et qu'il était considéré risqué pour elle de retourner au Bangladesh. La demanderesse a amené sa fille, Shezuti, avec elle et a donné naissance à un fils, Rakibul Karim, peu de temps après son arrivée au Canada. Elle avait laissé derrière elle son fils aîné, Zunaet, parce qu'au moment où elle s'était enfuie, il dormait avec son mari duquel elle avait très peur.

[3]         En 1998, la demanderesse a fait une demande de parrainage de son mari et de son fils et elle est retournée au Bangladesh de janvier à mai 1999. Elle affirme qu'à ce moment-là, elle a constaté un changement important dans le comportement de son mari, ce qui l'a convaincue de reprendre sa relation avec lui. Le fils cadet de la demanderesse est handicapé visuel, et la demanderesse allègue que la présence du père de l'enfant est essentielle à son bien-être.

[4]         Le sous-alinéa 19(1)c.1)(ii) de la Loi prévoit :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[...]

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

[...]

c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger :

[...]

(ii) soit commis un fait - acte ou omission - qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s'il était commis au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis la commission du fait;

c.1) persons who there are reasonable grounds to believe

[...]

(ii) have committed outside Canada an act or omission that constitutes an offence under the laws of the place where the act or omission occurred and that, if committed in Canada, would constitute an offence that may be punishable under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of ten years or more,

except persons who have satisfied the Minister that they have rehabilitated themselves and that at least five years have elapsed since the expiration of any sentence imposed for the offence or since the commission of the act or omission, as the case may be;

[5]         La Commission a accueilli l'appel de la demanderesse uniquement dans la mesure où elle a accepté la demande de parrainage pour son fils en tant que membre de la catégorie des parents.


[6]         À l'audience devant moi, l'avocat de la demanderesse a dit qu'il ne voulait pas présenter son argumentation écrite concernant la question de functus officio.

[7]         L'avocat de la demanderesse a prétendu que la Commission avait commis une erreur dans la façon dont elle avait appliqué le sous-alinéa 19(1)c.1)(ii) de la Loi. Dans sa décision, la Commission a dit ce qui suit:

En effet, la preuve révèle que le requérant aurait commis des voies de fait à l'encontre de son épouse. Cet acte décrit à l'article 350 du Code criminel pénal du Bangladesh, s'il était commis au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable en vertu de l'alinéa 267(b) du Code criminel du Canada. Le texte [de l'article] 350 du Code criminel pénal du Bangladesh se lit comme suit :

« Whoever intentionally uses force to any person, without that person's consent, in order to the committing of any offence, or intending by the use of such force to cause, or knowing it to be likely that by the use of such force he will cause injury, fear or annoyance to the person to whom the force is used, is said to use criminal force to that order. »

Quant à l'alinéa 267(1)(b) du Code criminel du Canada, il se lit comme suit :

« 267(1) Est coupable soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans, soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximal de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :

b) inflige des lésions corporelles au plaignant. »

[8]         La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a décidé que, lorsqu'il s'agit d'étabir l'équivalence entre les infractions criminelles canadiennes et bangladaises, seuls les actes criminels commis et non les accusations devraient être comparés. Le sous-alinéa 19(1)c.1)(ii) exige que l'acte commis constitue une infraction en vertu des lois bangladaises, et que cet acte constitue également une infraction au Canada. Pour en arriver à une conclusion sur la question de l'équivalence, il faut comparer les deux textes de loi (voir Bransson c. Canada (M.E.I.), [1981] 2 C.F. 141 (C.A.), et Hill c. Canada (M.E.I.) (1987), 1 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.)). Sur cette question, un examen attentif de l'explication de la Commission s'impose :

[...] Le requérant n'a pas été condamné au Bangladesh. Ainsi, les seuls éléments que l'on peut comparer sont les actes criminels commis et non les accusations. Il faut se référer aux prescriptions de l'article 19(1)c.1)(ii). [...]


[9]         La demanderesse a plaidé devant la Commission que les dispositions législatives des deux pays n'étaient pas équivalentes parce qu'une accusation pour l'infraction bangladaise procède par poursuite sommaire, alors qu'au Canada, la même infraction est poursuivable soit par mise en accusation soit par conviction sommaire. Quand la Commission dit que seuls les actes criminels commis peuvent être comparés et non les accusations, elle ne refuse pas de comparer les éléments des infractions. Elle dit simplement que la peine rattachée à la perpétration de l'une ou l'autre des infractions est sans importance sauf pour ce qui est de la description contenue à l'alinéa 19(1)c.1)(ii), c'est-à-dire que l'infraction canadienne peut être punissable par une peine d'emprisonnement maximale de dix ans ou plus. En rendant une telle décision, la Commission n'a pas commis d'erreur. En tirant pareille conclusion, j'ai en tête les commentaires suivants faits par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Li c. Canada (M.C.I.), [1997] 1 C.F. 235, aux pages 251 et 252 :

Je ne pense pas non plus qu'une interprétation correcte du sous-alinéa 19(2)a.1)(i) de la Loi sur l'immigration nécessite une dissection aussi méticuleuse de l'infraction punissable au Canada et de celle punissable dans le pays étranger en « éléments constitutifs » et en « moyens de défense » . Il faut tenir compte du contexte institutionnel. La décision sur lquivalence est le fait d'un arbitre dans une procédure quasi judiciaire. On ne peut guère s'attendre que cet arbitre fasse des distinctions aussi subtiles dans le droit pénal canadien, et encore moins dans le droit pénal étranger. Cette disposition a de toute évidence pour objet d'exclure du Canada des personnes qui ont commis à ltranger des infractions pour lesquelles elles ont été condamnées et que la loi canadienne considère comme des transgressions graves. Ce serait faire échec à ce but que de poser pour règle que deux infractions ne sont pas équivalentes parce qu'un facteur est considéré comme un élément constitutif dans la loi étrangère, mais comme un moyen de défense dans la loi canadienne.

Je pense qu'il serait tout à fait conforme à l'objectif de la loi, et à la jurisprudence de notre Cour, de conclure que ce que signifie lquivalence, c'est essentiellement la similitude de définition des deux infractions. Une définition est similaire si elle prévoit les mêmes critères à observer pour prouver que l'infraction a été commise, que ces critères se traduisent par des « éléments constitutifs » (au sens restrictif) ou par des « moyens de défense » dans l'une ou l'autre loi. À mon avis, la définition d'une infraction embrasse les éléments constitutifs et les moyens de défense propres à cette infraction, voire à cette catégorie d'infractions. [Voir par exemple le paragraphe 429(2) du Code criminel qui prévoit certains moyens de défense à lgard de diverses infractions contre les biens.] Dans l'application du sous-alinéa 19(2)a.1)(i) de la Loi sur l'immigration, il n'est pas nécessaire de comparer tous les principes généraux de responsabilité pénale dans les deux systèmes : ce qu'il faut examiner, c'est la comparabilité des infractions, et non la comparabilité des possibilités de condamnation dans les deux pays.


et dans l'arrêt Hill, précité, à la page 9 :            

[...] Il me semble que, étant donné la présence des termes « qui constitue [....] une infraction [...] au Canada » , l'équivalence peut être établie de trois manières : tout d'abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s'il s'en trouve de disponible, par le témoignage d'un expert ou d'experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l'examen de la preuve présentée devant l'arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d'établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l'infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d'instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d'une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.

[10]       Ayant examiné la preuve, je ne suis pas convaincu que les équivalences dégagées par la Commission entre les infractions contenues auCode criminel du Canada et au Code pénal du Bangladesh soient erronées.

[11]       La demanderesse prétend de plus que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que son mari avait écrit dans sa demande qu'il ne parlait pas l'anglais alors qu'en fait, il avait dit qu'il ne parlait pas couramment l'anglais. La demande du mari est reproduite aux pages 36 à 40 de la copie certifiée du dossier de la Cour. À la question 12a) du formulaire de demande, on demande si le demandeur parle couramment l'anglais, et le choix de réponse offert est « oui » ou « non » . Le formulaire ne permet pas de préciser la capacité linguistique. Le mari de la demanderesse a coché la case « non » . Vu la formulation de la question, si la Commission avait eu des doutes sérieux concernant l'étendue des capacités du mari de la demanderesse à


parler l'anglais, elle aurait dû demander des précisions à la demanderesse. Toutefois, je ne suis pas convaincu que cette erreur suffise pour écarter la conclusion de la Commission que la présence du mari de la demanderesse ne serait pas bénéfique pour leur fils. Il ne s'agissait là que d'un facteur parmi plusieurs dont la Commission a tenu compte en rendant sa décision, y compris ses conclusions quant à la crédibilité entachée de la demanderesse et de son mari. De plus, la Commission n'était pas tenue d'attirer l'attention de la demanderesse sur les éléments de preuve qu'elle trouvait plus ou moins compatibles (Danquah c. Secrétaire d'État du Canada (le 17 novembre 1994), IMM-105-94 (C.F. 1re inst.), et Innocent c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 23 juillet 1997), IMM-3697-96 (C.F. 1re inst.)).

[12]       Enfin, la demanderesse prétend que la Commission a ignoré des éléments de preuve en ce qui a trait à plusieurs facteurs. On doit présumer qu'un tribunal a tenu compte de l'ensemble de la preuve dont il était saisi, et il n'a pas l'obligation de mentionner dans ses motifs tous les éléments de preuve dont il a tenu compte avant de rendre sa décision (Taher c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le 7 septembre 2000), IMM-5255-99 (C.F. 1re inst.)). De plus, je suis d'accord avec le défendeur que les plaintes de la demanderesse ont trait au poids que la Commission a accordé à la preuve, ce qui, en soi, n'est pas un motif de contrôle judiciaire (voir Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351, aux pages 358 à 361, et Dickason c. Université de l'Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103, aux pages 1148 à 1152), plutôt qu'à une quelconque lacune dans l'appréciation de cette preuve.

[13]       Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                             _ Yvon Pinard _                 

                                                                                                                                                                 Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 28 août 2003

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-3715-02

INTITULÉ :                                                        DELU NOOR RENA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 8 JUILLET 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :                                             LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                     LE 28 AOÛT 2003

COMPARUTIONS:

Paul Duchow                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Marie Nicole Moreau                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Paul Duchow                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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