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Date : 20030402

Dossier : IMM-1434-02

Référence neutre : 2003 CFPI 393

Toronto (Ontario), le mercredi 2 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

CESAR EMILIO CAMPOS UMANA

                                                                                                                                                      demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 M. Cesar Emilio Campos Umana (le demandeur) est un citoyen du Costa Rica. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté en raison de son appartenance à un certain groupe social, soit celui des anciens conjoints de fait de Costariciennes victimes de violence conjugale et sexuelle. L'agent de persécution du demandeur est Mario David Cerdas Ramirez (Mario), un ancien collègue de travail de son ancienne conjointe de fait, Vera Violeta Rojas Quiel (Vera). Milagros Eustaquio, de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), a conclu dans une décision datée du 28 février 2002 que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Contexte

[2]                 Depuis 1994, Mario poursuivait Vera de ses avances, qui les a toujours rejetées. Le 28 avril 1995, Mario a violé Vera, par suite de quoi est né son fils Esteban le 23 janvier 1996.

[3]                 Vera a rencontré le demandeur en août 1996; une relation s'en est suivie et ces derniers ont commencé à cohabiter en février 1998. De juillet 1998 à février 2000, Vera et le demandeur ont fait l'objet de violence verbale et physique ainsi que de menaces de la part de Mario. La police a refusé d'aider Vera. Le demandeur n'a pas signalé ces incidents à la police, de crainte de provoquer Mario encore davantage.

[4]                 En avril 2000, le demandeur et Vera se sont enfuis du Costa Rica à destination du Canada. Ils ont revendiqué le statut de réfugié à leur arrivée au Canada le 19 avril 2000. Le poids des problèmes vécus au Costa Rica a toutefois nui à leurs relations et, en avril 2001, le demandeur est parti de la maison qu'il partageait avec Vera. Il y a eu séparation des revendications du statut de réfugié de Vera et du demandeur. Vera s'est fait octroyer le statut de réfugié le 30 juillet 2001.


[5]                 La Commission a reconnu que le demandeur avait été persécuté par Mario en raison de sa relation avec Vera. Puisque cette relation n'existait plus, toutefois, la Commission a conclu qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse de persécution par Mario du demandeur si ce dernier devait maintenant retourner au Costa Rica. Par suite, la revendication du statut de réfugié du demandeur a été rejetée.

Questions en litige

[6]                 On peut énoncer comme suit les questions en litige dans le cadre de la présente demande.

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne craignait pas avec raison d'être persécuté?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant le motif de la vengeance comme constituant une nouvelle variante du récit du demandeur?

Analyse

Pour les motifs qui vont suivre, j'estime que la présente demande devrait être rejetée.


Question préliminaire ! Norme de contrôle judiciaire

[7]                 Les questions concernant la crédibilité et le poids à accorder à la preuve relèvent incontestablement de la compétence de la Commission. Par suite, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable; cela veut dire que les conclusions de fait et en matière de crédibilité doivent être étayées par la preuve et ne pas être tirées de façon arbitraire ou sur le fondement de conclusions de fait erronées (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. n ° 732, au paragraphe 4 (C.A.); Bennasir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 513 (1re inst.) (QL); Ndombele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1211, [2001] A.C.F. n ° 1690 (QL)). Même dans le cas où la Cour en serait arrivée à une conclusion différente sur le fondement de la preuve, la décision de la Commission ne doit pas être renversée à moins d'avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont celle-ci disposait (Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] A.C.F. n ° 129 (C.A.) (QL); Ankrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 385 (1re inst.) (QL); Boye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 1329 (1re inst.) (QL)).


1re question en litige -- La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur ne craignait pas avec raison d'être persécuté?

[8]                 Le litige a trait au passage suivant des motifs de la Commission, qui se trouve aux pages 5 et 6 du dossier authentique du tribunal :

Bien que Mario ne croie pas que le revendicateur et Vera sont maintenant séparés, le tribunal conclut que si le revendicateur retournait au Costa Rica sans Vera, Mario, qui a de nombreuses accointances dans le monde de la police, serait sans doute en mesure d'obtenir la confirmation que Vera ne vit effectivement plus avec lui. Étant donné que, par le passé, Mario a fait preuve d'une grande débrouillardise pour réussir à savoir où se trouvait Vera, je ne suis aucunement convaincue par les arguments du conseil selon lesquels Mario continue à croire que le revendicateur cache simplement Vera. J'arrive à la conclusion que tôt ou tard, Mario découvrirait la vérité.

La Commission a reformulé cette conclusion, à la page 7 du dossier authentique du tribunal :

[...] si le revendicateur devait maintenant rentrer au Costa Rica sans Vera (ce qui est hautement probable étant donné que Vera a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention), il semble, du point de vue de Mario, que le revendicateur se soit plié à ses exigences. Il m'est donc impossible de conclure qu'il existe une possibilité sérieuse que Mario persécute le revendicateur s'il retourne aujourd'hui au Costa Rica. Comme je n'arrive pas à la conclusion que les craintes du revendicateur sont fondées, sa revendication est rejetée.


[9]                 Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en se fondant sur sa conclusion selon laquelle Mario finirait « sans doute » par conclure que le demandeur et Vera ne vivaient plus ensemble. Le demandeur soutient, en particulier, que la Commission a fait erreur en se fondant sur de la preuve qui révélait simplement qu'il y avait une plus forte possibilité que Mario ne persécuterait pas le demandeur (Chaudary c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. n ° 741 (1re inst.) (QL)). Le recours même par la Commission à l'expression « tôt ou tard » , le demandeur soutient-il, constitue une admission du fait que sa crainte actuelle d'être persécuté est toujours fondée. Le demandeur prétend que la Commission n'a pas tenu compte de la période cruciale entre le moment de son retour au Costa Rica et celui de la découverte, « tôt ou tard » , par Mario du fait qu'il ne vit plus avec Vera.

[10]            Écrivant au nom de la Cour d'appel fédérale dans Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. n ° 35 (C.A.) (QL), autorisation d'appel à la CSC rejetée, [1995] S.C.C.A. n ° 102, le juge Hugessen a élaboré, au paragraphe 2, sur la façon dont il faudrait traiter la question du changement de situation :

Nous ajouterions que la question du « changement de situation » risque, semble-t-il, d'être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer s'il y a, au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun « critère » juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation.


[11]            Il y avait des éléments de preuve, à mon avis, permettant d'étayer la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur ne craignait pas maintenant avec raison d'être persécuté (Yusuf, précité; Cerri c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 1283 (1re inst.) (QL)). Mario persécutait le demandeur en raison de sa relation avec Vera. Le changement de situation, soit la séparation du demandeur d'avec Vera, était suffisamment important et significatif pour que la crainte véritable du demandeur devienne déraisonnable et sans fondement (Cuadra c. Canada (Solliciteur général), [1993] A.C.F. n ° 736 (C.A.) (QL); Ahmed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 718 (C.A.) (QL); Rahman c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 487 (C.A.) (QL)). En termes simples, le motif pour lequel Mario voulait causer du tort au demandeur n'existe plus. Par conséquent, quoique la crainte subjective du demandeur puisse être bien réelle, celle-ci n'a pas de fondement objectif valide.

[12]            L'on peut distinguer la présente affaire, en outre, de Chaudary, précitée. Dans cette dernière affaire, le juge Reed a statué que la Commission avait commis une erreur en rejetant la revendication du statut de réfugié du demandeur en raison d'un changement de situation important dans le pays d'origine, puisque la preuve documentaire se contentait « d'exprimer l'espoir que la situation politique se stabilise » (Chaudary, précitée, à la page 5). En l'espèce, la preuve révélait clairement que la relation entre Vera et le demandeur était la raison pour laquelle Mario désirait causer du tort à ce dernier. Mis à part l'explication de dernière minute du demandeur comme quoi Mario désirait également se venger, que la Commission a rejetée à bon droit (se reporter ci-après), rien n'indique que Mario avait la moindre intention de nuire au demandeur s'il quittait Vera comme il le lui demandait. Ce changement de circonstances, par conséquent et par contraste avec Chaudary, était important et significatif (Rahman, précitée).

[13]            Tel que le défendeur l'a admis, le choix des mots « tôt ou tard » n'était pas très heureux. Lorsqu'on lit l'ensemble des conclusions de la Commission sur ce point, toutefois, l'énoncé portant que « tôt ou tard, Mario découvrirait la vérité » n'est pas un élément central de ces conclusions.


[14]            Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle il n'y avait plus de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté au Costa Rica, parce que sa relation avec Vera avait pris fin, n'était pas irrationnelle (Rahman) et pouvait être tirée compte tenu des éléments dont elle disposait.

2e question en litige ! La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant le motif de la vengeance comme constituant une nouvelle variante du récit du demandeur?

[15]            Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en qualifiant le motif de la vengeance de « nouvelle variante » du récit initial du demandeur. Le désir de Mario de se venger du demandeur est une suite parfaitement logique de sa colère à son endroit pour ne pas avoir agi comme il le demandait. Mario croyait que le demandeur n'avait pas quitté Vera; il en veut donc toujours au demandeur pour lui avoir « volé » Vera. La Commission n'a pas tenu compte du fait non plus que, depuis les 18 mois où les notes au point d'entrée ont été prises et les 14 mois où l'exposé circonstancié dans le Formulaire de renseignements personnels a été rédigé, les motivations de Mario auraient pu changer. Cela étant, la Commission n'a examiné aucune nouvelle preuve postérieure à la rédaction de l'exposé circonstancié original et a ainsi commis une erreur en ne tenant pas compte de la totalité de la preuve dont elle disposait (Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. n ° 442 (C.A.) (QL); Frimpong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. n ° 441 (C.A.) (QL)). Le demandeur soutient en outre que la Commission a conclu erronément que les notes d'entrevue au point d'entrée ne faisaient pas état du motif de la vengeance.


[16]            À mon avis, la Commission n'a pas commis d'erreur en rejetant le motif de la vengeance en tant que nouvelle variante du récit du demandeur.

[17]            Il n'était pas manifestement déraisonnable pour la Commission, sur le fondement de la preuve dont elle était saisie, de conclure que le motif de la persécution de Mario c'était de forcer le demandeur à quitter Vera et non de se venger parce que celui-ci lui avait « volé sa femme » . La première fois que le demandeur a avancé cette dernière explication, c'était quand le président de l'audience l'a questionné. Sur le fondement du reste de la preuve, il n'était pas déraisonnable de conclure que la seule raison pour laquelle Mario désirait causer du tort au demandeur, c'était parce qu'il croyait toujours ce dernier avec Vera. Il était loisible à la Commission de rejeter l'argument de la vengeance parce qu'il n'était pas mentionné dans les notes de l'entrevue au point d'entrée ni dans les exposés circonstanciés (Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. n ° 444 (1re inst.) (QL); Barrera c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 1174 (1re inst.) (QL); Parnian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. n ° 777 (1re inst.) (QL); Karikari c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 586 (C.A.) (QL)).


[18]            Finalement, rien n'indique que la Commission n'a pas pris en compte l'ensemble de la preuve. Le fait qu'elle n'a pas mentionné spécifiquement dans ses motifs tous les éléments de preuve dont elle était saisie ne suffit pas pour conclure qu'elle a fait abstraction de cette preuve (Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102; Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 598 (C.A.) (QL); Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n ° 946 (C.A.) (QL)).

ORDONNANCE

La Cour ordonne le rejet de la présente demande. La certification d'aucune question n'a été demandée.

                                                                                   « Judith A. Snider »             

ligne

                                                                                                             Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-1434-02

INTITULÉ :                                           CESAR EMILIO CAMPOS UMANA

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 1er AVRIL 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS ET DE

L'ORDONNANCE :                          LE MERCREDI 2 AVRIL 2003

COMPARUTIONS :

M. J. Byron M. Thomas                                                                Pour le demandeur

Mme Mary Matthews                                                                     Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Byron M. Thomas                                                                      Pour le demandeur

Avocat

5468, rue Dundas Ouest

Bureau 402

Toronto (Ontario)

M9B 6E3

Morris Rosenberg                                                                          Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                    Date : 20030402

                        Dossier : IMM-1434-02

ENTRE :

CESAR EMILIO CAMPOS UMANA

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                             

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