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Date : 20191023


Dossier : IMM‑4892‑18

Référence : 2019 CF 1325

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2019

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

YONAS BOKRETSION KIDANE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Yonas Bokretsion Kidane, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) effectué par une agente principale (l’agente) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. L’agente a conclu que le témoignage de M. Kidane concernant ses antécédents personnels n’était pas crédible et que ce dernier n’avait pas établi de façon satisfaisante son identité en tant que ressortissant érythréen. La demande de contrôle judiciaire est déposée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  M. Kidane soutient que la conduite de l’agente donne lieu à une crainte raisonnable de partialité qui remet en question sa capacité à évaluer la demande d’ERAR avec un esprit ouvert. Il concentre son argumentation sur une présumée hostilité de l’agente envers son avocat. J’ai examiné le témoignage de M. Kidane à l’appui de sa prétention en fonction du critère accepté et du seuil de preuve permettant d’établir une crainte raisonnable de partialité. J’ai conclu que la preuve n’appuie pas la prétention de M. Kidane. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

[3]  Avec le consentement des parties, l’intitulé de l’affaire est modifié afin de désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration comme défendeur. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration est le défendeur approprié en l’espèce puisqu’il est chargé de l’application de la LIPR à l’égard de la décision visée par la demande de contrôle judiciaire (voir le paragraphe 4(1) de la LIPR et l’alinéa 5(2)b) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22).

I.  Contexte

[4]  M. Kidane affirme qu’il est citoyen de l’Érythrée et qu’il a servi dans l’armée de 2011 à 2015. Il a fui l’Érythrée et s’est rendu au Soudan en mars 2015 après s’être évadé alors qu’il était en détention militaire. M. Kidane craint de retourner en Érythrée en raison de son évasion et de sa sortie illégale du pays.

[5]  M. Kidane a quitté le Soudan en février 2017. Il a transité par un certain nombre de pays avant d’atteindre finalement les États‑Unis, où il a demandé, mais s’est vu refuser, l’asile.

[6]  M. Kidane est arrivé au Canada pour la première fois le 9 octobre 2017 et a présenté une demande d’asile. Sa demande a été déclarée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e) de la LIPR puisqu’il est arrivé au Canada directement des États‑Unis. M. Kidane est retourné aux États‑Unis, mais il est revenu au Canada le 18 décembre 2017. Sa demande d’asile a de nouveau été déclarée irrecevable, mais il était admissible à un ERAR. M. Kidane a présenté sa demande d’ERAR le 23 janvier 2018.

[7]  L’agente a tenu une audience par téléconférence le 13 août 2018. M. Kidane était accompagné à l’audience par son avocat et aidant social. Un interprète était également présent et a assisté M. Kidane au cours de l’audience.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  La décision est datée du 22 août 2018. L’agente a conclu que M. Kidane manquait de crédibilité, affirmant que son témoignage comportait [traduction] « plusieurs contradictions, omissions et invraisemblances importantes concernant des événements importants dans ses antécédents personnels ». L’agente a également conclu, après avoir examiné les documents d’identité et le témoignage de vive voix de M. Kidane, que celui‑ci n’avait pas établi de façon satisfaisante son identité en tant que ressortissant de l’Érythrée. Par conséquent, l’agente n’a pas été en mesure de déterminer si la situation en Érythrée l’exposait à un risque au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

[9]  L’agente a tiré neuf conclusions défavorables distinctes quant à la crédibilité fondées sur le témoignage de M. Kidane à l’audience du 13 août. Les conclusions défavorables étaient centrées sur le manque de connaissances de M. Kidane au sujet de l’Érythrée, de sa ville natale, Keren, et de l’armée érythréenne, sur les incohérences dans sa preuve orale et écrite concernant la façon dont l’armée l’avait traité lors de son arrestation et pendant sa détention, sur son évasion ainsi que sur sa fuite subséquente vers le Soudan et sa résidence au Soudan.

[10]  L’agente a ensuite brièvement examiné la crainte subjective de M. Kidane. Elle a conclu que le fait qu’il soit demeuré au Soudan pendant deux ans et qu’il ait voyagé dans de nombreux pays avant d’arriver aux États‑Unis, sans demander l’asile, minait sa crainte subjective pour sa vie en Érythrée.

[11]  Enfin, l’agente a examiné en détail la preuve documentaire relative à l’identité de M. Kidane, à savoir son certificat de baptême, trois lettres personnelles et une lettre d’appui de Hidmona – Eritrean‑Canadian Human Rights Group. L’agente a conclu que le certificat de baptême n’était probablement pas authentique et que l’explication de M. Kidane concernant l’absence d’autres pièces d’identité de base n’était pas convaincante. Elle a également accordé peu de poids aux quatre lettres à des fins d’établissement d’identité, en raison, de façon générale, de l’insuffisance du contenu des lettres elles‑mêmes et du manque de renseignements concernant les relations entre l’auteur de chacune des lettres et M. Kidane.

III.  Question préliminaire – Admissibilité de certaines parties de l’affidavit de M. Kidane

[12]  Le défendeur soutient que M. Kidane a tenté de présenter, dans le cadre de la présente demande, de nouveaux éléments de preuve dans son affidavit souscrit en novembre 2018, dont des parties importantes renferment de nombreuses explications et informations, qu’il présente après coup, concernant son témoignage oral à l’audience.

[13]  Il est bien établi que, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, le dossier de preuve se limite au dossier dont disposait le décideur. Il existe des exceptions reconnues à la règle générale, notamment l’admission d’affidavits qui fournissent des renseignements généraux, traitent de questions d’équité procédurale ou font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par. 19 et 20).

[14]  Lors de l’audition de la présente demande, le 15 octobre 2019, l’avocat de M. Kidane a convenu que les parties de l’affidavit qui contiennent de nouveaux éléments de preuve n’ont pas été dûment présentées à la Cour. J’ai examiné l’affidavit de M. Kidane et les objections formulées par le défendeur. Je suis en grande partie d’accord avec le défendeur et je n’ai pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve présentés par M. Kidane, plus précisément des paragraphes 24, 25, 29, 31 à 33, 35 à 38, 40, 41, 45 à 52, 54, 55 et 57. De plus, je n’ai pas tenu compte des parties des autres paragraphes de l’affidavit qui contiennent de nouveaux renseignements ou des déclarations donnant des précisions sur les réponses de M. Kidane aux questions de l’agente. J’ai pris connaissance des autres parties de l’affidavit, qui renferment des renseignements généraux.

IV.  Questions en litige

[15]  M. Kidane soulève les questions suivantes en l’espèce :

  1. La conduite de l’agente suscite‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité à l’égard de M. Kidane?

  2. L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Kidane n’était pas crédible?

[16]  Dans sa plaidoirie devant moi, l’avocat de M. Kidane a souligné que la principale question en litige dans la présente demande est l’allégation de crainte raisonnable de partialité.

V.  Norme de contrôle

[17]  La crainte raisonnable de partialité de la part de l’agente invoquée soulève une question d’équité procédurale et appelle l’application de la norme de contrôle de la décision correcte (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1061, par. 12; Alcina Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 995, par. 31 (Alcina Rodriguez).

[18]  La deuxième question soulevée par M. Kidane porte sur le fond de la décision et fera l’objet d’un examen selon la norme de la décision raisonnable (Yang c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 496, par. 14; Korkmaz c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1124, par. 9; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1385, par. 10; Aladenika c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 528, par. 11). Il convient de faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions de fait et des évaluations de la crédibilité faites par les agents d’ERAR. La Cour n’interviendra que si la décision n’est pas justifiée, transparente ou intelligible, et qu’elle ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47).

VI.  Analyse

1.  La conduite de l’agente suscite‑t‑elle une crainte raisonnable de partialité à l’égard de M. Kidane?

[19]  La demande que M. Kidane a présentée à la Cour repose sur son allégation de crainte raisonnable de partialité. Le demandeur soutient que la conduite de l’agente avant l’audience du 13 août et l’animosité de celle‑ci envers son avocat ont influé sur l’appréciation de la preuve au cours de l’audience et fini par entraîner le refus de sa demande d’ERAR.

[20]  La thèse de M. Kidane comporte deux volets. Premièrement, il affirme que sa préoccupation principale concerne la conduite de l’agente avant l’audience. M. Kidane allègue que l’agente a fait preuve de partialité dans sa correspondance avec M. Segal, son ancien avocat, lorsqu’elle a tenté de fixer la date de l’audience. Deuxièmement, M. Kidane soutient que l’observation formulée par l’agente dans la décision, selon laquelle il a modifié son témoignage après une pause au cours de laquelle il a eu l’occasion de consulter M. Segal, démontre une partialité réelle ou justifie une crainte raisonnable de partialité.

[21]  Le droit d’être entendu par un décideur impartial est un élément essentiel du droit plus large d’une personne à l’équité procédurale. Le critère applicable en matière de crainte raisonnable de partialité reflète l’importance de l’exigence que le décideur soit non seulement impartial, mais aussi perçu comme tel (Committee for Justice and Liberty c l’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, p. 394; cité dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, par. 46) :

[...] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[22]  Le seuil à atteindre pour établir la partialité ou une crainte raisonnable de partialité est élevé, car les décideurs sont présumés impartiaux (Première nation Sagkeeng c Canada (Procureur général), 2015 CF 1113, par. 105). Le fardeau de la preuve a été décrit comme suit (Alcina Rodriguez, par. 35 :

[35]  Une allégation de partialité doit être appuyée par une preuve convaincante et ne peut être faite à la légère. [Le demandeur] a le fardeau de faire cette preuve et le seuil à atteindre est élevé (Fouda c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1176, au par. 23). Essentiellement, il doit démontrer que le décideur avait l’esprit fermé et n’était pas disposé à la persuasion.

[23]  Dans ce contexte, j’ai examiné attentivement les observations de M. Kidane, les pièces et l’affidavit produits par M. Segal, ainsi que la décision elle‑même. Je conclus que M. Kidane ne s’est pas acquitté de son lourd fardeau de preuve. La preuve n’établit pas que l’agente a fait preuve d’étroitesse d’esprit dans son examen de la demande d’ERAR. Une personne raisonnable et bien informée, qui examinerait la conduite de l’agente et la décision, ne conclurait pas que l’agente a rendu une décision injuste à l’égard de la demande de M. Kidane.

[24]  Commençons par la conduite de l’agente avant l’audience. Les observations de M. Kidane à cet égard sont fondées sur les renseignements contenus dans l’affidavit de M. Segal et sur la correspondance de l’agente avec ce dernier. Voici un résumé des dates pertinentes et de la correspondance échangée :

  1. L’agente a fixé la date de l’audience initiale au 9 juillet 2018. Un avis d’audience a été donné, le 25 juin 2018, au premier avocat de M. Kidane.

  2. Le 26 juin 2018, M. Segal, le nouvel avocat de M. Kidane, a présenté à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) un formulaire intitulé « Recours aux services d’un représentant » signé et une lettre d’accompagnement. M. Segal a demandé des précisions au sujet d’une audience prévue pour le 9 ou le 10 juillet. L’agente n’a pas reçu la lettre de M. Segal.

  3. Comme M. Kidane ne s’est pas présenté à l’audience du 9 juillet, l’agente a fixé une deuxième audience au 25 juillet 2018. Un deuxième avis d’audience a été envoyé à M. Kidane le 9 juillet 2018.

  4. Le 13 juillet 2018, M. Segal a répondu par lettre au deuxième avis d’audience. Il a indiqué qu’il n’était pas disponible le 25 juillet 2018 et a demandé de nouvelles dates dans les meilleurs délais.

  5. N’ayant reçu aucune réponse, Mme Law, l’adjointe de M. Segal, a téléphoné à l’agente le 23 juillet 2018. Elle a présenté à l’agente le même jour, au nom de M. Segal, une lettre à laquelle était joint le formulaire « Recours aux services d’un représentant », indiquant que M. Segal n’était pas disponible le 25 juillet 2018, et demandant encore une fois de nouvelles dates d’audience.

  6. Dans un courriel daté du 25 juillet 2018, l’agente a accusé réception de la demande de report et a noté qu’elle avait tenté de communiquer avec M. Segal le 24 juillet 2018. L’agente a ensuite déclaré ce qui suit :

[traduction]

Dans le message que je vous ai envoyé, je vous ai informé que l’audience prévue aujourd’hui était en fait la deuxième audience pour le demandeur. Je vous ai également informé que vous ne seriez pas tenu de présenter des arguments juridiques au nom de votre client au cours de ce processus. Par conséquent, j’ai demandé s’il serait possible d’envoyer un associé, un assistant ou un stagiaire pour prendre des notes pendant l’audience. Malheureusement, je n’ai pas eu de nouvelles de vous et, par conséquent, l’audience a dû être annulée. Hélas, bien que vous ayez présenté une demande d’annulation de l’audience en raison de votre indisponibilité, il semble que vous ayez omis d’aviser votre client. Par conséquent, M. Kidane s’est présenté aujourd’hui au bureau d’IRCC de Winnipeg, mais il a appris que son audience avait été annulée à votre demande.

Je voudrais aller de l’avant et fixer une autre date d’audience le plus tôt possible. Il s’agit de la troisième et dernière occasion pour le demandeur de se présenter à l’audition de sa demande. J’envoie une copie conforme du présent courriel au demandeur, à sa demande. J’envisage de tenir une audience le 13 ou le 14 août 2018. Veuillez indiquer dans les meilleurs délais quelle date convient le mieux à votre client. […]

[Soulignement et caractères gras dans l’original.]

  1. Une audience a eu lieu par vidéoconférence le 13 août 2018. L’avocat et aidant social de M. Kidane ainsi qu’un interprète étaient présents.

[25]  À mon avis, la conduite de l’agente avant l’audience ne soulève aucune crainte raisonnable de partialité à l’égard de M. Kidane. Le courriel du 25 juillet 2018 de l’agente constitue une réponse mesurée à la situation. Il n’y a aucune indication d’hostilité dans le courriel. Malgré les retards dans le processus, l’agente a proposé deux autres dates pour la nouvelle audience et a demandé à M. Segal quelle date conviendrait le mieux à M. Kidane. Le courriel reflète une certaine frustration à l’égard du processus, mais il s’agit d’une réaction normale aux difficultés que l’agente et M. Segal ont éprouvées à fixer la date de l’audience de M. Kidane.

[26]  M. Segal soutient que l’agente a fait preuve de mépris à l’égard du processus d’audience en tentant de communiquer avec lui alors qu’elle savait qu’il serait absent et en demandant si un associé, un assistant ou un stagiaire pouvait prendre sa place le 25 juillet 2018. M. Segal conteste également la présomption de l’agente selon laquelle il n’a pas informé M. Kidane de l’annulation de l’audience du 25 juillet.

[27]  Je ne trouve pas ces arguments convaincants. Premièrement, dans sa correspondance avec l’agente, M. Segal mentionnait seulement qu’il ne serait pas disponible le 25 juillet, mais non qu’il serait en vacances. De plus, le fait que l’agente a tenté de communiquer avec M. Segal le 24 juillet 2018, malgré le fait que Mme Law l’avait informée la veille que M. Segal était absent plutôt que non disponible, n’a rien de singulier. Les avocats vérifient régulièrement leur messagerie vocale et leur boîte de courrier électronique lorsqu’ils sont en vacances. Deuxièmement, la question de l’agente concernant la disponibilité d’un remplaçant pour M. Segal doit être interprétée dans son contexte. L’agente a informé M. Segal qu’il n’aurait pas la possibilité de présenter des arguments juridiques à l’audience. Cette audience avait pour objet d’obtenir des renseignements de M. Kidane. Je comprends que M. Segal voulait s’assurer que M. Kidane bénéficie de ses services à l’audience mais, compte tenu de l’objet de l’audience, la question de l’agente ne fait preuve ni de mépris à l’égard de son rôle ni de partialité. Il n’est pas rare que les avocats prennent des dispositions pour que leurs collègues prennent la relève pendant leurs absences du bureau. Enfin, l’observation de l’agente selon laquelle M. Kidane n’avait pas été informé de la demande d’annulation de l’audience présentée par M. Segal était une inférence raisonnable découlant de la présence de M. Kidane au bureau d’IRCC le 25 juillet 2018.

[28]  La deuxième observation de M. Kidane concernant la présumée partialité de l’agente est fondée sur une affirmation de cette dernière dans son appréciation de la crédibilité. En décrivant le témoignage contradictoire de M. Kidane sur la question de savoir s’il avait été victime de violence physique par l’armée érythréenne pendant sa détention, l’agente a déclaré ce qui suit :

[traduction] Après la pause, au cours de laquelle le demandeur a eu l’occasion de parler avec son avocat, le demandeur a modifié son témoignage.

[29]   M. Kidane affirme que rien ne prouve qu’il a parlé à M. Segal à ce sujet pendant la pause. Il affirme également que l’agente aurait dû lui faire part à l’audience de toute préoccupation qu’elle avait à cet égard. M. Kidane soutient que l’insinuation de l’agente voulant que M. Segal lui ait dit quelles déclarations faire démontre l’hostilité constante de celle‑ci.

[30]  Le dossier ne révèle pas si l’agente a fait part à M. Kidane de ses préoccupations concernant l’encadrement offert par M. Segal. Ce qui ressort du dossier, c’est que l’agente a directement mis en doute le témoignage contradictoire de M. Kidane et qu’elle lui a donné l’occasion de rectifier les contradictions.

[31]  Le défendeur souligne que M. Kidane n’a pas réfuté les contradictions évidentes de son témoignage concernant ses allégations de violence physique de la part des militaires pendant sa détention. Le défendeur soutient que toute conclusion de crainte raisonnable de partialité doit tenir compte de la preuve dont disposait le décideur et des conclusions qu’il a tirées de cette preuve. La question est donc de savoir si les conclusions de l’agente concernant le témoignage de M. Kidane conduiraient une personne raisonnable à conclure qu’elle n’a pas évalué le témoignage avec un esprit ouvert.

[32]  La description par l’agente du témoignage de M. Kidane dans la décision est utile. On a demandé à M. Kidane de fournir des détails au sujet de sa détention. On lui a également demandé directement s’il avait été agressé physiquement et il a répondu comme suit :

[traduction] Moi, non, il n’y a pas eu de contact physique ni d’agression en raison de mon état de santé. Mais il y a eu de la torture psychologique. Il y avait deux cadavres, ils nous les ont amenés, ils nous ont dit que ces personnes avaient essayé de s’enfuir et ils nous ont torturés psychologiquement. D’autres personnes ont été battues, mais moi non. Mais il y a eu de la torture psychologique.

[33]  Après la pause, lorsqu’on lui a posé des questions au sujet de la première fois qu’il avait été agressé par les militaires, M. Kidane a déclaré ce qui suit :

[traduction] À partir du moment où j’ai été détenu, c’était tous les jours. Je ne peux pas dire précisément quand cela a commencé. Dès le jour où ils m’ont mis en détention. La première fois qu’ils m’ont battu, c’était le jour même où ils m’ont amené de l’endroit où je travaillais.

[34]  L’agente a fait remarquer à M. Kidane qu’avant la pause, il avait expressément déclaré qu’il n’avait pas été agressé physiquement pendant sa détention. M. Kidane a alors répondu qu’il n’avait pas compris la question et a déclaré qu’une interprétation inadéquate avait créé de la confusion entre l’agression physique et les lésions corporelles. L’agente a conclu que le problème d’interprétation invoqué par M. Kidane ne permettait pas d’expliquer les graves contradictions relevées dans son témoignage. Je suis d’accord. Dans son témoignage, M. Kidane a été en mesure de faire la distinction entre la torture psychologique et la torture physique. Ses réponses étaient catégoriques et l’interprétation imparfaite invoquée ne justifie pas les contradictions.

[35]  L’évaluation que l’agente a faite du témoignage incohérent de M. Kidane était détaillée et les conclusions tirées étaient raisonnables. Elles ne reflètent ni un esprit fermé ni un refus d’examiner la preuve. Il en va de même pour les autres conclusions de l’agente quant à la crédibilité et son examen de la preuve documentaire de M. Kidane.

[36]  En l’absence de toute preuve qui indique que M. Kidane a été conseillé ou encouragé par M. Segal à modifier son témoignage, l’agente aurait dû limiter son analyse au témoignage incohérent. Toutefois, l’affirmation de l’agente à cet égard, formulée dans le cadre d’une décision mesurée et exhaustive, ne permet pas d’établir une crainte raisonnable de partialité.

[37]  J’ai également examiné l’ensemble des arguments de M. Kidane pour déterminer s’ils conduiraient une personne bien renseignée, qui examinerait la conduite de l’agente et la décision dans son ensemble, à conclure que l’agente ne rendrait pas une décision juste. Comme je l’ai mentionné précédemment, je conclus que la correspondance de l’agente avec M. Segal ne contient aucune indication de partialité. Il n’y rien qui appuie l’argument de M. Kidane selon lequel la conduite de l’agente avant l’audience a donné le ton à son évaluation du témoignage de M. Kidane et à son insinuation défavorable concernant la conduite de M. Segal. La preuve présentée par M. Kidane ne permet pas objectivement de conclure à une partialité réelle ou à une crainte raisonnable de partialité.

2.  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Kidane n’était pas crédible?

[38]  M. Kidane n’a présenté aucune observation orale concernant le caractère raisonnable des conclusions défavorables de l’agente quant à la crédibilité. J’examinerai brièvement ses observations écrites afin de trancher toutes les questions soulevées dans le cadre de la demande.

[39]  Je note d’abord que l’un des éléments des observations de M. Kidane invoqué pour contester les conclusions de l’agente quant à la crédibilité consiste en les problèmes rencontrés avec l’interprète à l’audience, à savoir que l’interprète n’a pas mis ses déclarations en contexte et qu’il a mal traduit certains mots et phrases.

[40]  M. Kidane était tenu de soulever à la première occasion toute préoccupation concernant le caractère adéquat de l’interprétation qui lui a été fournie. L’omission de le faire emporte renonciation au droit de faire valoir que les lacunes dans l’interprétation constituent un manquement à l’équité procédurale (Jovinda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1297, par. 28). Dans son affidavit, M. Kidane indique qu’il a eu des difficultés avec l’interprète dès le début de l’audience, mais qu’il n’a soulevé aucun problème auprès de l’agente, hormis sa confusion concernant le sens précis de la question de l’agente concernant la violence physique subie pendant sa détention en Érythrée (dont il a été question précédemment). Par conséquent, je ne considérerai pas les observations de M. Kidane concernant l’interprétation comme une question d’équité procédurale dans la présente demande. De plus, les plaintes relatives à l’interprétation que M. Kidane formule maintenant n’ont aucune incidence sur le fond ou le caractère raisonnable des conclusions de l’agente.

[41]  L’évaluation que l’agente a faite de la crédibilité de M. Kidane était détaillée. Comme il a été mentionné précédemment, l’agente a tiré neuf conclusions défavorables distinctes quant à la crédibilité. Elle a décrit le fondement factuel de chacune de ses conclusions et a tiré des conclusions précises à partir de la preuve. Elle a abordé tous les aspects importants de l’exposé circonstancié de M. Kidane. L’agente a également tiré une conclusion d’invraisemblance étayée par la preuve documentaire sur laquelle elle s’est fondée.

[42]  Je conclus que l’agente n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son appréciation de la crédibilité de M. Kidane. Ses motifs étaient transparents et pleinement justifiés compte tenu de la preuve dont elle disposait, y compris le témoignage oral de M. Kidane. La conclusion de l’agente selon laquelle M. Kidane n’était pas crédible était raisonnable et le rejet final de sa demande d’ERAR constituait une issue raisonnable et possible pour sa cause.

VII.  Conclusion

[43]  La demande est rejetée.

[44]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et la demande n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4892‑18

LA COUR STATUE comme suit :

  1. La demande de contrôle est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est modifié afin que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de novembre 2019

 

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4892‑18

 

INTITULÉ :

YONAS BOKRETSION KIDANE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 OCTOBRE 2019

 

juGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Amado Claros

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alexander Menticoglou

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Amado Claros Law Office

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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