Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191022


Dossier : IMM-277-19

Référence : 2019 CF 1317

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

ASHA KIPENGELE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 5 septembre 2018 [la décision] par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui a rejeté l’appel interjeté à l’encontre de la décision par laquelle un agent des visas de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a rejeté la demande de visa de résident permanent présentée par la fille de la demanderesse.

[2]  La demanderesse a présenté une demande en vue de parrainer sa fille à titre de membre de la catégorie du regroupement familial suivant l’alinéa 117(1)h) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]. Au sens large, l’alinéa 117(1)h), la disposition relative aux « autres proches parents », permet à un répondant de parrainer tout autre membre de sa parenté à titre de membre de la catégorie du regroupement familial s’il n’a aucun autre proche visé par une liste donnée de relations qui a) est un citoyen canadien ou un résident permanent ou b) est une personne susceptible de voir sa demande par ailleurs parrainée par le répondant.

[3]  Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, parce que je juge que la SAI a raisonnablement appliqué l’alinéa 117(1)h) du RIPR aux éléments de preuve présentés et a conclu que la fille de la demanderesse n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial.

II.  Le contexte

[4]  La demanderesse, Mme Asha Kipengele, est citoyenne de Tanzanie et résidente permanente du Canada. Elle a épousé Ahmada Mohamed Mkamua sous le régime législatif tanzanien en 2011, mais elle affirme que M. Mkamua et elle se sont séparés en janvier 2014 et qu’ils ont divorcé en avril 2017.

[5]  La fille de la demanderesse, Miriamu Abdallah Kilindo, est aussi citoyenne de Tanzanie. Elle est âgée de 37 ans et elle habite en Tanzanie avec ses trois enfants mineurs. En mai 2014, la demanderesse a présenté une demande en vue de parrainer la demande de visa de résident permanent de sa fille, au motif que celle-ci appartenait à la catégorie du regroupement familial suivant l’alinéa 117(1)h).

[6]  Dans une lettre datée du 21 août 2014, CIC a souligné qu’une déclaration contenue dans la demande de parrainage indiquait que la demanderesse était mariée, et a demandé des précisions au sujet de son état matrimonial. Le 8 décembre 2014, le représentant de la demanderesse a confirmé que cette dernière et son mari étaient séparés. En outre, la demanderesse a présenté une déclaration faite sous serment le 6 décembre 2014, dans laquelle elle affirmait que son mari et elle étaient séparés.

[7]  Le 29 janvier 2015, CIC a écrit à la demanderesse pour l’informer qu’elle ne pouvait pas agir en qualité de répondante pour sa fille, parce que cette dernière n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial. CIC a expliqué à la demanderesse que sa fille ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 117(1)h), parce qu’il y avait une autre personne que la demanderesse pouvant par ailleurs parrainer (c’est-à-dire son époux).

[8]  Par la suite, la demanderesse a présenté un document rédigé à la main par son ex-époux et daté du 28 avril 2017, ainsi qu’une traduction de ce document. Dans celui-ci, son ex-époux déclarait qu’à cette date, sa femme et lui étaient divorcés. En octobre 2017, CIC a écrit à la demanderesse et à sa fille pour les informer que la demande de visa était rejetée, expliquant que les éléments de preuve présentés ne suffisaient pas à convaincre CIC que la demanderesse était bel et bien divorcée. De ce fait, sa fille n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial au sens de l’alinéa 117(1)h).

[9]  La demanderesse a interjeté appel de la décision de CIC auprès de la SAI.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[10]  Le 5 septembre 2018, la SAI a rejeté l’appel. La question déterminante dans la décision était de savoir si l’application de l’alinéa 117(1)h) avait pour effet d’exclure la fille de la demanderesse de la catégorie du regroupement familial. Comme il est indiqué dans la décision, l’alinéa 117(1)h) est ainsi libellé :

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection  Regulations, SOR/2002-227

Regroupement familial

Member

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

[…]

[…]

h) tout autre membre de sa parenté, sans égard à son âge, à défaut d’époux, de conjoint de fait, de partenaire conjugal, d’enfant, de parents, de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de membre de sa famille qui est l’enfant d’un enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de parents de l’un ou l’autre de ses parents ou de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre des parents de l’un ou l’autre de ses parents, qui est :

(h) a relative of the sponsor, regardless of age, if the sponsor does not have a spouse, a common-law partner, a conjugal partner, a child, a mother or father, a relative who is a child of that mother or father, a relative who is a child of a child of that mother or father, a mother or father of that mother or father or a relative who is a child of the mother or father of that mother or father

(i) soit un citoyen canadien, un Indien ou un résident permanent,

(i) who is a Canadian citizen, Indian or permanent resident, or

(ii) soit une personne susceptible de voir sa demande d’entrée et de séjour au Canada à titre de résident permanent par ailleurs parrainée par le répondant.

(ii) whose application to enter and remain in Canada as a permanent resident the sponsor may otherwise sponsor.

[11]  La SAI a fait mention des documents suivants présentés par la demanderesse :

  1. la déclaration solennelle de la demanderesse, datée du 6 décembre 2014, dans laquelle elle affirme que son mari et elle sont séparés;

  2. la déclaration relative au divorce rédigée à la main, datée du 28 avril 2017, dans laquelle l’ex-époux de la demanderesse déclare qu’ils ont été mariés de janvier 2011 au 28 avril 2017;

  3. un certificat de premier divorce islamique daté du 20 novembre 2017, lequel indique que la demanderesse et son époux ont divorcé le 28 avril 2017.

[12]  La SAI a fait remarquer que la date déterminante de la demande de visa était le 2 mai 2014, soit la date à laquelle la demande a été déposée. Aux termes de l’article 121 du RIPR, une personne qui présente une demande de visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie du regroupement familial doit être un membre de la famille du répondant au moment où est faite la demande (c’est-à-dire à la date déterminante de la demande) et au moment où il est statué sur celle-ci. Par conséquent, pour que la demande soit accueillie, la fille de la demanderesse devait appartenir à la catégorie du regroupement familial le 2 mai 2014. Cependant, la SAI a jugé qu’elle n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial à la date déterminante de la demande, parce que la demanderesse était légalement mariée à cette date et qu’elle aurait donc pu par ailleurs parrainer une demande de visa pour son époux.

IV.  Les questions en litige

[13]  Les arguments de la demanderesse soulèvent les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La SAI a-t-elle commis une erreur dans son application de l’alinéa 117(1)h) du RIPR?

V.  Analyse

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[14]  Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle à appliquer. L’argument de la demanderesse, à savoir que la SAI a commis une erreur dans son application de l’alinéa 117(1)h) du RIPR, s’appuie sur la position selon laquelle la SAI devait se demander si le mariage était authentique à la date déterminante de la demande, soit le 2 mai 2014, malgré le fait que le divorce n’a été prononcé qu’en 2017. La demanderesse se fonde sur le paragraphe 4(1) du RIPR, qui est ainsi libellé :

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection  Regulations, SOR/2002-227

Regroupement familial

Family Relationships

Mauvaise foi

Bad faith

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

[15]  La demanderesse soutient qu’elle était séparée de son mari le 2 mai 2014, que son mariage n’était par conséquent pas authentique à cette date et que l’effet du paragraphe 4(1) était que, pour l’application de l’alinéa 117(1)h) du RIPR, M. Mkamua n’était plus son mari à cette date. Elle fait donc valoir qu’elle n’aurait pas pu le parrainer et que sa relation avec lui ne devrait pas avoir pour effet d’exclure sa fille de la catégorie du regroupement familial suivant l’alinéa 117(1)h).

[16]  En ce qui a trait à la norme de contrôle applicable, la demanderesse soutient que l’argument ci‑dessus en est un d’interprétation législative et que la norme applicable est donc la décision correcte. Le défendeur, quant à lui, soutient que la norme applicable est celle de la décision raisonnable, selon l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Bousaleh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 143 [Bousaleh], au paragraphe 40 :

40  Bien que notre Cour n’ait pas encore décidé quelle norme de contrôle s’applique à l’interprétation et à l’application de cette disposition particulière du Règlement par la SAI, la jurisprudence de la Cour fédérale enseignant que la norme de la décision raisonnable s’applique est tout à fait satisfaisante. Elle est compatible avec la présomption de déférence applicable lorsque la SAI interprète sa loi constitutive et, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44 (arrêt Kanthasamy), une question certifiée en vertu de l’alinéa 117(1)h) de la LIPR n’appartient à aucune catégorie de questions pouvant donner lieu à l’application de la norme de la décision correcte la plus stricte.

[17]  Étant donné que ce passage et l’analyse faite dans l’arrêt Bousaleh portent sur l’interprétation de l’alinéa 117(1)h), je suis convaincu que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est la décision raisonnable. Comme le démontrera l’analyse qui suit, la question soulevée par la demanderesse est une question mixte de fait et de droit.

B.  La SAI a-t-elle commis une erreur dans son application de l’alinéa 117(1)h) du RIPR?

[18]  L’argument de la demanderesse selon lequel la SAI a commis une erreur est exposé ci‑dessus.

[19]  Le défendeur soutient qu’il incombait à la demanderesse d’établir sa capacité d’agir à titre de répondante pour sa fille et qu’elle devait donc prouver qu’il n’y avait aucune autre personne appartenant à la catégorie du regroupement familial qui pouvait être parrainée. Le défendeur est d’avis que la preuve présentée par la demanderesse à la SAI ne démontrait pas qu’elle n’aurait pas pu parrainer son époux. En outre, l’argument fondé sur le paragraphe 4(1) du RIPR, que la demanderesse invoque devant la Cour, n’a pas été présenté à la SAI.

[20]  En réponse à ces arguments, la demanderesse affirme qu’elle a présenté des éléments de preuve démontrant que son mariage était rompu et que la SAI était donc tenue d’appliquer la loi en tenant compte des faits, et ce, même si l’argument juridique invoqué devant la Cour n’avait pas été expressément énoncé. La demanderesse mentionne plus précisément avoir fourni des précisions quant à sa séparation et à l’état de son mariage : son mari et elle n’entretenaient pas une relation, ils n’habitaient pas ensemble et ils vivaient dans des pays différents.

[21]  Je ne peux pas souscrire à l’argument de la demanderesse selon lequel les observations présentées à la SAI auraient dû amener celle-ci à se demander si l’état du mariage au 2 mai 2014 était tel que M. Mkamua ne pouvait alors pas être considéré comme l’époux de la demanderesse. Dans ses observations à la SAI, le défendeur a souligné que, bien que la demanderesse ait présenté une déclaration datée du 6 décembre 2014 qui indiquait que son mari et elle étaient séparés, la déclaration ne contenait aucun détail quant au moment où la séparation alléguée s’était produite. La demanderesse a produit un affidavit dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, affidavit dans lequel elle déclare que son mari et elle se sont séparés en janvier 2014, mais ce document n’avait pas été présenté à la SAI. Au moment de l’instruction de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a fait référence à un document intitulé [traduction] « Verdict », daté du 23 janvier 2014 et produit par un organisme décrit comme étant le [traduction] « tribunal d’une communauté musulmane » à Dar es Salaam, en Tanzanie. Le document en question traite de la dissolution d’un mariage. Cependant, il est clair, à première vue, que le document concerne le mariage de la fille de la demanderesse, et non celui de la demanderesse même.

[22]  Lors de l’audience, j’ai demandé des observations sur la signification de l’arrêt Bousaleh par rapport à l’argument de la demanderesse sur l’effet du paragraphe 4(1) du RIPR. Dans cet arrêt, au paragraphe 84, la Cour d’appel fédérale a répondu par la négative à la question à certifier qui suit :

84  […]

Pour déterminer si un demandeur appartient à la catégorie du regroupement familial, conformément à l’alinéa 117(1)h) du Règlement, le ministre doit-il tenir compte de la probabilité qu’une hypothétique demande de résidence permanente que pourrait présenter un membre de la parenté visé par cette disposition soit accueillie, compte tenu d’un état de santé allégué qui pourrait entraîner une interdiction de territoire de cette personne?

[23]  Pour en arriver à cette conclusion, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’il avait été raisonnable pour la SAI de conclure que le sous-alinéa 117(1)h)(ii) vise à établir un critère objectif pour déterminer si le parent sélectionné par le répondant appartient à la catégorie du regroupement familial. L’accent est mis sur la caractéristique des membres de la famille énumérés qui peuvent présenter une demande de résidence permanente, plutôt que sur le bien‑fondé d’une telle demande (Bousaleh, au paragraphe 73).

[24]  La demanderesse soutient que l’arrêt Bousaleh peut être distingué de la présente affaire, parce que l’effet du paragraphe 4(1) est que même si une personne est mariée à un répondant, ils ne sont pas considérés comme des époux si le mariage n’est pas authentique. Selon le paragraphe 4(1), l’effet s’applique pour les besoins du RIPR. Par conséquent, la demanderesse fait valoir que, dans le cas d’un mariage non authentique, le partenaire d’un répondant n’est pas considéré comme un époux pour l’application de l’alinéa 117(1)h).

[25]  Il n’est pas nécessaire pour la Cour de tirer une conclusion quant au mérite de cet argument. Le défendeur reconnaît qu’il pourrait être nécessaire de tenir compte d’un tel argument dans une situation différente où les faits permettraient d’établir clairement qu’un mariage était rompu à la date déterminante d’une demande. Cependant, je conviens avec le défendeur que les éléments de preuve présentés à la SAI en l’espèce ne donnaient pas lieu à une telle obligation.

[26]  Par conséquent, je conclus que la SAI a raisonnablement jugé que la fille de la demanderesse n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune question n’est énoncée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-277-19

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de novembre 2019

Christian Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-277-19

INTITULÉ :

ASHA KIPENGELE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 SEPTEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 22 OCTOBRE 2019

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Vasilaros

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.