Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030801

Dossier : IMM-3612-03

Référence : 2003 CF 947

Ottawa (Ontario), le 1er août 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY     

ENTRE :

                                                    EZZEDDIN AHMED SHUGHAGHA

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit des motifs d'une ordonnance de sursis au renvoi du demandeur Ezzeddin Ahmed Shughagha, renvoi ordonné en application d'une mesure d'interdiction de séjour prise le 9 mai 2003. Le sursis a été prononcé le 22 mai 2003.


[2]                 Le demandeur est un citoyen de la Libye qui vit au Canada depuis novembre 1996. Lorsqu'il vivait en Libye, le demandeur a pris part aux activités du Al-Sawha de l'Islam, un groupe actif sur les plans politique et religieux. Le demandeur prétend avoir été arrêté, blessé par balle et détenu un certain nombre de fois par la police libyenne en raison de sa participation aux activités du groupe Al-Sawha.

[3]                 En 1997, le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention, mais un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa revendication en 1998. La Section de première instance de la Cour fédérale a rejeté une demande d'autorisation de contrôle judiciaire de cette décision.

[4]                 Le 22 février 1999, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a pris une mesure d'interdiction de séjour contre le demandeur. Le demandeur a par la suite demandé à être apprécié en tant que membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. Aucune décision n'a été rendue avant que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, n'entre en vigueur le 28 juin 2002. Cette loi permet au demandeur de présenter une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR). Le demandeur a été informé de cette possibilité dans une lettre datée du 20 septembre 2002.


[5]                 Le 9 mai 2003, le demandeur a reçu en personne au bureau de Calgary de Citoyenneté et Immigration Canada la décision défavorable rendue sur sa demande d'ERAR. Son passeport a alors été saisi et le demandeur été placé en détention parce que l'agent d'immigration a conclu qu'il ne se présenterait pas aux fins de son renvoi le 21 mai 2003 comme il en avait reçu l'ordre. Il a été libéré à la suite d'une audience de contrôle des motifs de la détention tenue le 12 mai 2003.

[6]                 Le critère que doit appliquer la Cour lorsqu'elle examine une requête en sursis est le critère à trois volets de l'arrêt Toth c. Canada (M.E.I.) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.). Cela exige que la Cour établisse que la demande initiale soulève une question sérieuse à trancher, que l'auteur de la demande de sursis subira un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé et qu'il finit par avoir gain de cause dans la demande initiale, et que la prépondérance des inconvénients pour les parties penche en faveur de l'octroi du sursis. Ces trois éléments doivent être présents pour que le sursis puisse être accordé.

Question sérieuse

[7]                 Le demandeur prétend que la question sérieuse en cause en l'espèce se rapporte à son ERAR, que, selon lui, l'agent n'a pas fait correctement. De plus, il soutient que le retard du défendeur dans l'appréciation de sa demande dans la CDNRSRC, ce qui a exigé la poursuite de l'appréciation en tant qu'ERAR en vertu de la LIPR, constitue un déni de droits qui donne lieu à une question sérieuse à trancher par les tribunaux dans le cadre d'un contrôle judiciaire.


[8]                 La Cour est actuellement saisie de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire que le demandeur a présentée à l'égard de la décision rendue sur la demande d'ERAR, décision qui prévoit des critères plus restrictifs pour l'examen des risques avant renvoi. À mon avis, cette demande soulève une question sérieuse qui justifie l'octroi du sursis.

Préjudice irréparable

[9]                 Dans la décision Melo c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 403 (C.F. 1re inst.), le juge Pelletier a décrit le « préjudice irréparable » comme suit :

[...] un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d'expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L'expulsion s'accompagne de séparations forcées et de coeurs brisés. [L'interruption des études ne constitue pas en soi un préjudice irréparable.]

Le demandeur a exposé le préjudice qu'il craint subir s'il est renvoyé en Libye lorsqu'il a affirmé qu'en raison de ses activités politiques en Libye avant 1996, il ferait encore une fois l'objet de torture et de persécution par le gouvernement libyen, et que sa vie serait encore une fois menacée par ce gouvernement.


[10]            Pour que la Cour conclue à l'existence d'un préjudice irréparable, le demandeur doit établir qu'il y a plus qu'une simple possibilité de préjudice. Le demandeur n'a pas établi qu'en dépit de son long séjour au Canada, à la lumière de sa non-participation au groupe Al-Sawha de l'Islam pendant cette période, le gouvernement libyen s'intéresserait à lui à son retour en Libye. À mon avis, la crainte alléguée de persécution du demandeur ne soulève qu'une simple possibilité de persécution en cas de retour du demandeur en Libye.

[11]            Toutefois, compte tenu de la question sérieuse soulevée, qui n'a pas encore été tranchée, suivant laquelle le demandeur a subi un préjudice en raison du retard administratif dans le traitement de sa demande dans la CDNRSRC, et de l'appréciation finale (ERAR) en vertu de la LIPR, si ces circonstances ont nui aux chances du demandeur d'obtenir gain de cause, ce retard et le manque d'équité qui en est résulté donneront lieu, à mon avis, à un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé et si la question sérieuse que soulève la demande de contrôle judiciaire est tranchée en faveur du demandeur.

Prépondérance des inconvénients

[12]            Les deux parties s'entendent pour dire que l'intérêt du public doit être pris en compte lorsqu'il s'agit d'évaluer la prépondérance des inconvénients avant d'accorder un sursis. Le défendeur fait valoir qu'en l'espèce, cela signifie que les mesures de renvoi doivent être exécutées rapidement. Cependant, vu la question sérieuse à trancher dans le cadre de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qu'a présentée le demandeur à l'égard de l'ERAR et la probabilité que le demandeur subisse un préjudice irréparable si le sursis n'est pas accordé, j'estime que la prépondérance des inconvénients penche en faveur du demandeur.


Conclusion

[13]            Pour ces motifs, la présente requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi est accueillie.

                                                                                                                                                                       

« W. Andrew MacKay »

Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 1er août 2003

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-3612-03

INTITULÉ :                                           EZZEDDIN AHMED SHUGHAGHA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 20 MAI 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE MacKAY

DATE DES MOTIFS :                       LE 1ER AOÛT 2003

COMPARUTIONS :

Michael D. Loken                                    POUR LE DEMANDEUR

Carrie Sharpe                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael D. Loken                                    POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg, c.r.              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.