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Date : 20030123

Dossier : IMM-1788-01

Référence neutre : 2003 CFPI 66

ENTRE :

                                                      ILANGO CHIDAMBARAM

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention suivant la définition de cette expression contenue au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1]. La décision faisant l'objet du contrôle est datée du 2 mars 2001.


LES FAITS

[2]                Le demandeur est un Tamoul du Sri Lanka qui prétend être né à Kayts dans le nord du Sri Lanka et avoir vécu dans le nord du Sri Lanka pendant la majeure partie de sa vie jusqu'à ce qu'il quitte le pays au début du mois d'août 1999. Il est entré au Canada quelques jours après son départ du Sri Lanka. Très peu de temps après son arrivée au Canada, le demandeur a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en alléguant être une personne qui craignait, dans l'éventualité où il était forcé de retourner au Sri Lanka, d'être persécutée du fait de sa nationalité et des opinions politiques qui lui étaient imputées.

[3]                Le récit que le demandeur fait des difficultés, du harcèlement et de la prétendue persécution qu'il a subis dans le nord du Sri Lanka entre le mois de mai 1991 et le moment où il a soi-disant quitté le nord en juin 1999 pour se rendre à Colombo, en laissant dans le nord son épouse et sa petite fille, est bien trop connu et n'a pas à être raconté en l'espèce. À l'égard de ses voyages à Colombo, le demandeur a allégué, une fois de plus de façon bien trop connue, qu'il avait été détenu par l'armée sri-lankaise à Vavuniya pendant un peu plus d'un mois. Il s'est finalement rendu à Colombo où il s'est inscrit auprès de la police et il a logé dans une pension. Une fois de plus de façon bien trop connue, il raconte que les policiers l'ont accosté à la pension où il logeait. Il a été interrogé, battu et accusé d'être un Tigre de l'Eelam tamoul. Il a été libéré après qu'un pot-de-vin eut été payé et conditionnellement à ce qu'il quitte Colombo sur-le-champ. Dans les jours qui ont suivi, il a quitté Colombo pour venir au Canada.


LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[4]                La décision par laquelle la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur a été rejetée repose essentiellement sur la conclusion tirée par la SSR selon laquelle le demandeur n'avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, « ce qui était au coeur de sa revendication du statut de réfugié » , c'est-à-dire qu'il vient du nord du Sri Lanka. Les principaux paragraphes de la décision de la SSR sont les suivants :

Dans le but d'établir son identité, le revendicateur a présenté un certificat de naissance et une carte d'identité nationale. Il a obtenu ces deux documents après avoir quitté le Sri Lanka. Il a allégué qu'il avait laissé un formulaire signé, son certificat de naissance et 20 000 roupies au propriétaire de la conciergerie à Colombo, afin d'obtenir une nouvelle carte d'identité. Son propriétaire lui aurait ensuite envoyé cette carte par l'intermédiaire d'un tiers. Le revendicateur a prétendu qu'il avait laissé son certificat de naissance au propriétaire de la conciergerie le 3 août 1999 et qu'il avait quitté le Sri Lanka le lendemain. Lorsqu'on l'a confronté avec le fait que le certificat de naissance déposé dans son dossier datait du 24 août 1999, il a répondu qu'il était possible qu'il l'ait obtenu plus tard et que le propriétaire de la conciergerie le lui avait posté.

Le revendicateur ignorait complètement pourquoi et comment son certificat de naissance avait été obtenu. Il ne savait pas ce qui était advenu du document original et il a présumé qu'il était possible que le propriétaire ait préféré ne pas le garder dans la conciergerie, au cas où la police serait venue; il a dit que le propriétaire lui avait dit qu'il l'avait perdu. Il a reconnu que la date de la demande figure habituellement dans le coin supérieur gauche des certificats de naissance et que la date de la demande figurait effectivement dans le coin supérieur gauche, ce qui n'était pas le cas. De plus, selon la preuve documentaire, même si n'importe qui peut présenter une demande pour obtenir un certificat de naissance, cette demande doit être faite dans le secteur où la naissance a eu lieu, ce qui ne semble pas être le cas.


On a confronté le revendicateur avec la preuve documentaire selon laquelle le demandeur doit se présenter en personne pour obtenir une carte d'identité nationale. Il a répondu qu'il ignorait cela, qu'il avait payé 20 000 roupies et qu'on lui avait dit qu'il obtiendrait son certificat. Il existe des exceptions à l'exigence d'aller chercher sa carte d'identité en personne, mais le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la carte présentée par le revendicateur n'a pas été obtenue en respectant le processus décrit dans la preuve documentaire. De plus, même si plusieurs caractéristiques de la carte d'identité nationale respectaient la description figurant dans la preuve documentaire, il en manquait cependant une : sous l'emblème du Sri Lanka et sous la date de délivrance au recto et sous toutes les inscriptions au verso, il n'y a aucune ligne continue avec la mention « Sri Lanka » écrite en petits caractères, comme cela devrait être le cas pour une carte délivrée à l'automne 1986, mais simplement une ligne pointillée. Le revendicateur a maintenu que la carte était authentique, mais il ne pouvait pas dire pourquoi il l'affirmait.   

Le tribunal conclut que le revendicateur n'a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, ce qui était au coeur de sa revendication du statut de réfugié, à savoir qu'il vient du nord du Sri Lanka.                                                                                                                                                         [Les références sont omises.]

[5]                À la suite de l'audience devant la SSR, le demandeur a soumis son acte de mariage et un acte de naissance pour son enfant. La SSR a conclu qu'aucun de ces actes n'était certifié et, par conséquent, elle n'a pas accordé d'importance à ces documents. Lors de l'audience devant la Cour, la SSR a admis que ces documents étaient en fait certifiés.

[6]                Finalement, la SSR a conclu que le demandeur, lors de son témoignage à l'égard des dispositions prises pour qu'il quitte le Sri Lanka était « très déconcerté » et que ce fait avait jeté un doute quant à sa crédibilité. Néanmoins, la SSR a conclu que le fait que le demandeur ait été déconcerté à l'égard des dispositions prises pour son départ du Sri Lanka n'était pas « au centre de la revendication » .

LA QUESTION EN LITIGE

[7]                L'avocat du demandeur a fait valoir qu'une seule question est soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire, soit la question de savoir si la SSR a commis une erreur de droit lorsqu'elle a tiré des conclusions à l'égard des pièces d'identité du demandeur, son acte de naissance et sa carte d'identité nationale, sans avoir pris en compte la preuve dont elle disposait.


ANALYSE

[8]                Je suis d'avis que la SSR a effectivement commis une erreur de droit lorsqu'elle a tiré des conclusions à l'égard de l'acte de naissance et de la carte d'identité nationale du demandeur sans avoir pris en compte la preuve dont elle disposait.

[9]                L'avocat du demandeur a admis que l'acte de naissance soumis à la SSR ne comportait pas la date de la demande dans le coin supérieur gauche comme l'a fait remarquer la SSR. Cependant, l'avocat a fait remarquer que la SSR n'avait pas cité de preuve permettant d'établir l'importance de l'omission de cette date. L'avocat a fait valoir que l'acte de naissance mentionnait effectivement qu'il avait été délivré à Jaffna, dans le secteur de Kayts, et que ce n'est que la certification de la copie de l'acte qui a été faite à Colombo.

[10]            Dans la décision Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2], M. le juge Dubé a écrit aux paragraphes [5] et [6] de ses motifs :

[...] De plus, les pièces d'identité délivrées par un gouvernement étranger sont présumées valides à moins d'une preuve contraire : voir Gur, Jorge P. (1971), 1 I.A.C. 384 (C.A.I.). Dans cette décision de la Commission d'appel de l'immigration, le président a posé la question suivante, à la page 391 :

[traduction] « La question en l'espèce est la suivante : qui peut contester la validité d'un document émanant d'un État, à qui alors incombe la preuve de sa validité et quelle preuve est requise? »

Il y a répondu correctement à la page 392 :


[traduction] « Bien qu'il n'existe presque pas de jurisprudence qui porte directement sur ce point, il faut considérer qu'un document émanant d'un État - un passeport ou un certificat d'identité - est présumévalide. La reconnaissance de la souveraineté d'un État étranger sur ses citoyens ou ses ressortissants et la courtoisie internationale rendent toute autre conclusion insoutenable. La maxime « omnia praesumuntur rite et solemniter esse acta » (toute chose est présumée être faite conformément à la règle) s'applique tout particulièrement en l'espèce en établissant une présomption réfutable de validité. »

En l'espèce, la Commission a contesté la validitédu certificat de naissance sans produire d'autre élément de preuve à l'appui de sa prétention et, manifestement, la question des documents étrangers n'est pas un domaine que la Commission peut prétendre connaître tout particulièrement. À mon avis, cela constitue une erreur susceptible de révision de la part de la Commission.[3]

L'analyse du juge Dubé m'apparaît convaincante.

[11]            La SSR avait raison de faire remarquer à l'égard de la carte d'identité nationale déposée au nom du demandeur devant la SSR qu'il existait des exceptions à la règle générale selon laquelle « le demandeur doit se présenter en personne pour obtenir une carte d'identité nationale » . Ces exceptions sont mentionnées à la page 130 du dossier du tribunal. La SSR n'a fourni aucune explication, de quelque nature que ce soit, relativement à la question de savoir de quelle façon ou pour quelle raison elle avait conclu qu'une exception, ou plus d'une, n'avait pas pu s'appliquer à l'égard de la carte en question.


[12]            En outre, bien que la SSR ait manifestement eu raison lorsqu'elle a identifié un élément d'authenticité manquant à l'égard de la carte d'identité nationale[4], elle a totalement omis de mentionner l'[TRADUCTION] « Avis général » qui apparaît sur la même page et sur la page suivante du dossier du tribunal. Cet « Avis général » est rédigé comme suit :

[TRADUCTION]

Il est recommandé de procéder avec attention lors de l'analyse des cartes d'identité sri-lankaises parce qu'il en existe différentes sortes. Le fait qu'il manque l'un des éléments d'authenticité identifiés ne signifie pas nécessairement que la carte d'identité a été falsifiée. De même, la présence de l'un des éléments de falsification identifiés n'est pas une preuve concluante que le document a été falsifié. Il faut aussi mentionner qu'on retrouve plusieurs éléments de falsification sur un document falsifié, comme une règle...

[13]            Par conséquent, étant donné que l'acte de mariage du demandeur et que l'acte de naissance de son enfant, soumis par le demandeur après l'audience devant la SSR, étaient effectivement des documents certifiés et étant donné les faiblesses contenues dans l'analyse de la SSR et dans sa conclusion principale, je suis d'avis que la SSR a commis une erreur lorsqu'elle n'a pas accordé d'importance à l'acte de mariage et à l'acte de naissance.

CONCLUSION


[14]            Bien que la SSR aurait pu, après une analyse plus approfondie de l'ensemble de la preuve dont elle disposait, tirer la conclusion qu'elle a tirée dans la présente affaire, je suis d'avis que les faiblesses précédemment mentionnées contenues dans les motifs de la décision, prises séparément, et de façon certaine dans leur ensemble, entraînent que la décision de la SSR est une décision erronée susceptible de contrôle et ne peut pas être retenue. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SSR qui fait l'objet du contrôle sera annulée et la demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention sera renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin qu'un tribunal différemment constitué procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur la demande.

[15]            Aucun des avocats n'a proposé de question aux fins de la certification. Je suis d'avis qu'aucune question grave de portée générale n'est soulevée dans la présente demande. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 23 janvier 2003

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                        COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                            Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                         IMM-1788-01

INTITULÉ :                                        ILANGO CHIDAMBARAM

demandeur

                                                  - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE JEUDI 16 JANVIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :           LE JEUDI 23 JANVIER 2003

COMPARUTIONS :             

Michael F. Battista            Pour le demandeur

John Loncar                     Pour le défendeur

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                  

Michael F. Battista            Pour le demandeur

Avocat

Wiseman, Battista

Toronto (Ontario).

M5S 3A5 - (416)964-2285

Morris Rosenberg             Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Représenté par John Loncar, avocat

Ministère de la Justice

Tour Exchange

130, rue King Ouest

Toronto (Ontario) (416) 973-0933


Date : 20030123

Dossier : IMM-1788-01

Ottawa (Ontario), le jeudi 23 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

ILANGO CHIDAMBARAM

demandeur

                                                     et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                           défendeur

                                        ORDONNANCE

                    La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision, rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, faisant l'objet du présent contrôle judiciaire est annulée et la demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin qu'elle procède à une nouvelle audition et qu'elle statue à nouveau sur la demande en tenant compte des présents motifs.

                    Aucune question n'est certifiée.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.




[1]         L.R.C. 1985, ch. I-2.

[2]         [1998] A.C.F. no 10 (en ligne : QL)(1re inst.).

[3]       Voir également la décision Nika c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 977 (en ligne : QL)(1re inst.), aux paragraphes 12 et 13, et la décision Ratheeskumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] A.C.F. no 1697 (en ligne : QL)(1re inst.), au paragraphe 29, dans lesquelles l'analyse et la conclusion du juge Dubé dans la décision Ramalingam ont été appliquées.

[4]         Dossier du tribunal, à la page 135, au paragraphe 1.h).


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