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Date : 20191107


Dossier : IMM‑913‑19

Référence : 2019 CF 1392

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 7 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

RUSLAN HUSEYNOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 6 novembre 2019. La syntaxe et la grammaire ont été corrigées, et des renvois à la jurisprudence ont été incorporés.)

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés, ou la SAR, a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés, ou la SPR, selon laquelle le demandeur n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande.

[2]  Le demandeur est un citoyen de l’Azerbaïdjan. En résumé, il affirme que son père – qui avait refusé de témoigner contre son ancien supérieur dans la Marine azerbaïdjanaise – a été arrêté à la fin de 2013 sur la base de fausses accusations selon lesquelles il aurait accepté un pot‑de‑vin de 2 000 $. Après son arrestation, les policiers ont fouillé sa maison et ont menacé sa famille. Un an plus tard, son père a finalement été condamné à la détention à domicile. Le demandeur soutient que par la suite, en octobre 2015, des inconnus l’ont enlevé pendant deux jours et l’ont battu parce que son père avait refusé de témoigner. Il a signalé l’enlèvement au procureur général et à l’ombudsman de son pays, mais aucune mesure n’a été prise.

[3]  Le demandeur prétend qu’il a été enlevé et battu de nouveau pendant deux jours en mars 2016. Cette fois, ses ravisseurs lui auraient dit qu’il se plaignait trop et ils lui auraient ordonné de verser une somme de 20 000 $ et de quitter le pays. Un agent aurait perçu son paiement et aurait organisé son départ de l’Azerbaïdjan en lui procurant un visa pour les États‑Unis.

[4]  La SPR a conclu que le récit du demandeur manquait de crédibilité. Elle a accordé un poids favorable à plusieurs des documents qu’il avait présentés à l’appui de sa demande, dont un rapport médical et une lettre de son père, mais elle a conclu que des questions de crédibilité l’emportaient sur ces documents, notamment (i) les contradictions et les omissions relevées dans la preuve, (ii) le fait que le demandeur avait tardé à quitter l’Azerbaïdjan et (iii) l’absence d’éléments de preuve corroborants.

[5]  Le demandeur a interjeté appel, mais la SAR a confirmé la décision de la SPR. Premièrement, la SAR a rejeté de nouveaux éléments de preuve en précisant que la plupart de ces éléments étaient antérieurs au rejet de la demande par la SPR et que le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi ces documents n’étaient pas normalement accessibles au moment de sa première audience. L’un des documents était postérieur à la décision de la SPR, mais la SAR a conclu qu’il constituait une répétition d’autres éléments de preuve. Étant donné qu’aucun [traduction] « nouvel élément de preuve » n’a été admis en vertu du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la SAR a rejeté la demande d’audience.

[6]  Deuxièmement, la SAR n’a rien trouvé dans le dossier pour réfuter la présomption voulant que la SPR ait examiné la preuve qui lui avait été présentée. Compte tenu des conclusions défavorables quant à la crédibilité, la SPR a eu raison d’accorder très peu de poids aux documents soumis par le demandeur.

[7]  Troisièmement, la SPR a tiré des inférences défavorables raisonnables quant à la crédibilité en s’appuyant sur (i) les contradictions et les omissions relevées dans le témoignage du demandeur, (ii) le fait que le demandeur avait tardé à quitter l’Azerbaïdjan et (iii) l’absence d’éléments de preuve corroborants. Enfin, il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse fondée sur l’article 97 compte tenu du manque de crédibilité du demandeur.

II.  Questions en litige et analyse

[8]  Le demandeur a résumé ses arguments devant la Cour en affirmant que la SPR a commis des erreurs lorsqu’elle a tiré chacune de ses conclusions principales, notamment en omettant (a) d’admettre de nouveaux éléments de preuve, (b) d’apprécier correctement la preuve, et (c) de procéder à une analyse fondée sur l’article 97. Je dois examiner les conclusions tirées par la SPR sur les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit selon la norme de la décision raisonnable, de même que ses conclusions relatives aux nouveaux éléments de preuve et à la crédibilité (Tejuoso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 903, au par. 25, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au par. 35). J’examinerai chacun des trois arguments invoqués par le demandeur.

A.  Nouveaux éléments de preuve

[9]  Le demandeur conteste la décision de la SAR de rejeter un document qui confirmait les démêlés avec la justice de son père et la peine qui lui avait été infligée par le tribunal, laquelle avait été purgée en partie en prison et en partie à domicile conformément à une ordonnance de détention à domicile. Or, ces faits n’étaient pas contestés. En effet, ils avaient déjà été présentés en preuve devant la SPR. J’estime donc qu’il était loisible à la SAR de conclure que ce document ne pouvait être considéré comme un nouvel élément de preuve selon le critère énoncé à l’article 110 de la Loi et la jurisprudence pertinente (par exemple Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96).

[10]  Le demandeur soutient que ce document laissait entendre que l’enquête sur son père était toujours en cours lorsque le document a été produit en décembre 2017 et lorsque la SAR a statué sur son appel. J’ai deux observations à formuler à cet égard.

[11]  Premièrement, l’interprétation de la SAR était valide et il lui était loisible de tirer les conclusions qu’elle a tirées. Deuxièmement, même si l’enquête était toujours en cours lorsque la SAR a rendu sa décision, et même si le document avait été admis, j’estime que cela n’aurait pas influencé la conclusion générale de la SAR, selon laquelle le demandeur (lui‑même) n’était pas recherché par les autorités de l’État. Autrement dit, ce document ne permet pas d’établir que le demandeur est personnellement exposé à un risque; il permettrait plutôt de corroborer (de façon peu convaincante) les éléments de preuve concernant la peine infligée à son père, lesquels éléments avaient déjà été acceptés. Ce document ne permettrait toutefois pas de remettre en cause les autres conclusions qui ont été tirées quant à la crédibilité en raison des contradictions et des omissions relevées et du fait que le demandeur lui‑même avait tardé à quitter son pays.

[12]  Enfin, la SAR peut raisonnablement conclure que des documents ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve même s’ils sont postérieurs à la décision de la SPR (voir par exemple Ilias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 661, au par. 30 au par. 35).

B.  Appréciation de la preuve

[13]  Le demandeur a d’abord soutenu que la SAR a commis une erreur en n’appréciant pas la preuve de façon indépendante. Selon lui, la SAR a plutôt tout simplement adopté les conclusions défavorables de la SPR quant à sa crédibilité sans procéder à une appréciation indépendante de la preuve. Je ne suis pas d’accord. Même si la SAR a adopté en grande partie les conclusions tirées par la SPR, cela ne signifie pas nécessairement qu’elle n’a pas effectué sa propre analyse. Lorsqu’elle a appuyé les conclusions de la SPR, la SAR a expliqué son raisonnement, et lorsqu’elle a tiré ses propres conclusions de fait, elle l’a également bien souligné.

[14]  Le demandeur soutient également dans son mémoire qu’en omettant d’effectuer une analyse indépendante, la SAR a répété plusieurs erreurs commises par la SPR. Il soutient notamment que la SAR a commis une erreur en le soumettant à une norme élevée parce qu’il est instruit et qu’il a des antécédents professionnels et qu’elle n’a pas tenu compte d’autres facteurs tels que ses lésions cérébrales et le fait qu’il est difficile de répondre à des questions par l’intermédiaire d’un interprète.

[15]  Encore une fois, je ne peux souscrire à cet argument. La SAR a toutes les raisons de tenir compte des antécédents du demandeur, dont son âge, sa culture, son origine et ses antécédents sociaux (Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118, au par. 4). Il était donc raisonnable que la SAR tienne compte des antécédents du demandeur, y compris son statut professionnel. Je constate que la SAR a aussi expressément tenu compte des arguments du demandeur concernant la [traduction] « nature stressante des audiences relatives aux demandes d’asile » et le « recours à des traducteurs », mais qu’elle les a rejetés parce que le demandeur a eu de nombreuses occasions pendant l’audience de préciser les inquiétudes qu’il aurait pu avoir à l’égard de l’audience, qui a eu lieu en trois séances tenues devant la SPR sur une période de trois mois.

[16]  Le demandeur soutient en outre que la SAR a reproduit l’erreur qu’avait commise la SPR d’effectuer une analyse microscopique de la preuve, ce qui l’a amenée à ne pas tenir compte d’éléments de preuve pertinents ou à mal interpréter ceux‑ci, et à analyser des questions non occidentales d’un point de vue occidental. Je conviens que les conclusions quant à la crédibilité ne peuvent pas être fondées sur des contradictions mineures qui sont secondaires ou accessoires à la demande d’asile (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, au par. 23). Cela n’a toutefois pas été le cas en l’espèce. Les omissions, y compris celles qui ont été constatées dans le formulaire Fondement de la demande d’asile qui avait initialement été déposé, et les contradictions qui ont été relevées par la SAR au cours de l’audience étaient importantes et pertinentes.

[17]  Le demandeur a également fait valoir que la SAR a mal interprété les éléments de preuve concernant son départ du pays, ce qui l’a amenée à douter de la légitimité de sa crainte de persécution (et comme je l’ai mentionné précédemment, la SPR en est aussi venue à la même conclusion). Premièrement, je tiens à souligner que le demandeur a soulevé des arguments similaires devant la SAR et qu’elle les a rejetés. L’avocate du demandeur soutient qu’il a déployé des efforts pour obtenir de l’aide et la protection de l’État et, encore une fois, il a quitté le pays en raison de l’accumulation d’autres événements. Bien que je convienne qu’il s’agit de l’un des arguments possibles, la conclusion que la SAR (et la SPR) a tirée en ce qui concerne l’inaction du demandeur en 2014 et en 2015 était possible et donc raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

C.  Article 97

[18]  Le demandeur fait valoir que la SAR était tenue d’effectuer une analyse des risques fondée sur l’article 97 étant donné que la SPR avait jugé crédible l’affirmation selon laquelle son père avait été emprisonné sur la base de fausses accusations.

[19]  Il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse distincte fondée sur l’article 97 dans tous les cas. La Cour d’appel fédérale a clairement établi que « [l]orsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, au par. 3).

[20]  Je sais qu’il peut y avoir des cas où, lors de l’examen du risque objectif de préjudice que le demandeur pourrait subir, la preuve documentaire objective est telle que les circonstances particulières du demandeur font de lui une personne à protéger, malgré que la Commission ait conclu qu’il n’est pas crédible (voir par exemple Maimba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 226, au par. 22). Au cours de l’audience, j’ai donné un exemple de ce type de cas où il aurait tout de même fallu évaluer le profil de risque objectif d’une personne appartenant à une minorité persécutée et ayant un profil particulier dont le récit particulier avait été jugé non crédible.

[21]  Or une telle preuve n’a pas été produite en l’espèce. La SAR a conclu à juste titre que le demandeur n’a produit aucune preuve documentaire objective pour étayer sa demande d’asile. Même si certains des documents concernant le père du demandeur ont été jugés crédibles, il ne fait aucun doute qu’ils ne constituaient pas un fondement objectif sur lequel la SAR aurait pu s’appuyer pour effectuer une analyse de la crainte qui subsistait sur le fondement de l’article 97. Étant donné qu’il incombe clairement au demandeur de fonder sa demande d’asile sur l’article 97 (de même que sur l’article 96), la SAR n’était pas tenue de procéder à une analyse des risques (voir Dag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 375, aux par. 8‑18).

III.  Conclusion

[22]  Après une appréciation indépendante de la preuve, la SAR a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas démontré de manière crédible qu’il serait exposé à la persécution s’il retournait en Azerbaïdjan. Compte tenu des omissions et des contradictions importantes qu’a relevées la SAR dans le témoignage du demandeur, ainsi que du fait que ce dernier n’a pas produit de nouveaux éléments de preuve ou des éléments de preuve documentaires objectifs lors de son appel pour étayer la crainte qu’il allègue, la SAR a à juste titre confirmé la décision de la SPR de rejeter sa demande. Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire. Je félicite les deux avocats pour les observations fort judicieuses qui ont été présentées.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑913‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question à certifier n’a été proposée, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de novembre 2019

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑913‑19

 

INTITULÉ :

RUSLAN HUSEYNOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 7 novembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Cemone Morlese

 

pour le demandeur

 

Kevin Doyle

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grice and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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