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Date : 20191030


Dossier : IMM-2173-19

Référence : 2019 CF 1363

Montréal (Québec), le 30 octobre 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

Sarbjit SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  M. Sarbjit Singh demande le contrôle judiciaire d’une décision du 15 février 2019 de la Section d’appel des réfugiés [SAR], rejetant son appel et confirmant qu’il n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle d’une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 [la Loi].

II.  CONTEXTE

[2]  M. Singh est citoyen de l’Inde. Le 9 septembre 2016, il reçoit un visa de résident temporaire canadien, le 23 octobre 2016, il est admis au Canada et le 21 décembre 2016, il y demande l’asile. Dans son formulaire de Fondement de demande d’asile [Formulaire], il indique déposer sa demande d’asile puisque sa vie et sa dignité seraient en danger advenant un retour en Inde.

[3]  En bref, M. Singh allègue avoir été abusé sexuellement par le gérant de son équipe de cricket, le «Mishra Sports Club in Delhi», en Inde et au Canada, et être à risque d’être tué par ce gérant et d’être arrêté par la police en Inde qui l’accuse d’être gai. Au soutien de sa demande d’asile, en plus du Formulaire, M. Singh dépose au dossier de la SPR des photos de lui-même et de ses coéquipiers, sa carte d’embarquement pour l’avion de Toronto à Calgary le 28 octobre et une procuration et un affidavit de sa mère. Lors de l’audience devant la SPR, M. Singh dépose des photos supplémentaires, notamment une photo d’une veste arborant le symbole du Mishra Sports Club.

[4]  La SPR conclut que M. Singh n’est pas un réfugié ni une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi. La SPR conclut d’une part que M. Singh n’a pas établi de manière crédible qu’il était inscrit dans l’équipe de cricket Mishra Sports Club et d’autre part, que la preuve concernant sa victimisation sexuelle n’est pas plausible.

[5]  La SAR n’examine que la première conclusion de la SPR, en rapport avec l’inscription de M. Singh dans l’équipe Mishra Sports Club et note à cet égard: (1) des doutes en raison d’incohérences et de contradictions entre les informations contenues dans la demande de visa canadien de M. Singh, dans son Formulaire et lors de son témoignage; (2) l’absence de documents acceptables démontrant qu’il est membre de l’équipe Mishra Sports Club; (3) les incohérences ou contradictions soulevées par les photos que M. Singh a soumises; et (4) le témoignage confus de M. Singh au sujet des horaires d’entrainement de l’équipe Mishra Sports Club.

III.   LA DÉCISION DE LA SAR

[6]  La SAR fait une revue détaillée des faits et des conclusions de la SPR et conclut que M. Singh n’a tout simplement pas établi de manière crédible son appartenance au club de cricket Mishra Sports Club, un fait crucial au cœur de sa demande d’asile.

[7]  En lien avec le premier point, la SAR confirme les doutes de la SPR concernant la véracité des informations fournies puisque M. Singh a témoigné que neuf joueurs et deux membres du personnel de l’équipe sont venus au Canada, alors que le dossier de demande de visa ne fait état que de cinq joueurs. La SAR note également que la demande de visa ne mentionne pas le fait que M. Singh a un frère, contient une date de naissance différente pour sa sœur, mentionne un niveau d’éducation différent pour M. Singh et indique que le père travaille en agriculture alors que M. Singh témoigne que son père vit principalement à Delhi pour son entreprise. La SAR est d’accord avec la SPR en ce que ces éléments ne sont pas déterminants concernant la crédibilité de M. Singh, mais que, conjugué à d’autres incohérences et contradictions, M. Singh ne réussit pas à établir de manière crédible qu’il est membre de l’équipe Mishra Sports Club.

[8]  En lien avec le deuxième point, la SAR confirme aussi l’inférence négative de crédibilité tirée par la SPR puisque M. Singh ne présente aucune preuve documentaire de son appartenance au Mishra Sports Club et il n’explique pas cette absence de preuve.

[9]  En lien avec le troisième point, la SAR trouve incohérent le fait que des photos soient soumises pour démontrer l’appartenance de M. Singh à l’équipe Mishra Sports Club, mais que ses coéquipiers et lui y apparaissent vêtus de l’uniforme d’une autre équipe.

[10]  Finalement, la SAR relève l’incohérence ou l’invraisemblance découlant du fait que M. Singh a témoigné avoir voyagé au Canada avec deux uniformes du Mishra Sports Club, mais n’a pas produit en preuve de photos de ces uniformes. En somme, la SAR confirme que la SPR n’a pas erré en concluant que les photos n’établissent pas de manière crédible que M. Singh est membre de l’équipe Mishra Sports Club.

[11]  En lien avec le quatrième point, la SAR note que la SPR a contribué à la confusion dans le témoignage de M. Singh quant à l’horaire d’entrainement de l’équipe Mishra Sports Club. Toutefois, la SAR note une incohérence ou invraisemblance supplémentaire entre le témoignage de M. Singh, selon lequel il ne s’entraine pas à Delhi mais à Jalandhar, et les informations consignées dans son Formulaire, dans lequel il ne mentionne pas s’entraîner à Jalandhar et confirme plutôt être heureux de jouer dans une grande ville.

[12]  En conséquence, la SAR confirme la conclusion de la SPR en ce que M. Singh n’a pas réussi à établir de manière crédible qu’il est un membre de l’équipe Mishra Sports Club. Elle juge donc que M. Singh n’a pas la qualité d’un réfugié au sens de la Convention, ni celle d’une personne à protéger.

IV.  POSITION DES PARTIES

A.  Position de M. Singh

[13]  M. Singh soumet ses arguments en fonction de la norme de contrôle de la décision raisonnable et ajoute que la SAR a commis plusieurs erreurs justifiant l’intervention de cette Cour.

[14]  M. Singh plaide qu’il est déraisonnable pour la SAR de conclure qu’il n’était pas membre de l’équipe Mishra Sports Club puisque (1) il est déraisonnable de lui reprocher de bien connaître ses coéquipiers à cause du fait qu’il était dans l’équipe depuis peu; (2) selon lui, les contradictions entre sa demande de visa et son formulaire de Fondement de la demande d’asile sont justifiées par le fait que c’est l’équipe qui a rempli sa demande de visa; (3) la décision de l’agent de visa constitue une preuve de son appartenance à l’équipe Mishra Sports Club; (4) ses explications concernant le fait que ses coéquipiers et lui portaient l’uniforme du Dreams Sports Club lors de l’entraînement au Canada sont raisonnables, et le Dreams Sports Club a aussi fourni un uniforme dans le passé; et (5) la SAR n’a pas exprimé en quoi les explications du demandeur concernant le fait qu’il s’entraînait à Jalandhar et le fait qu’il rencontrait le gérant de l’équipe chaque fin de semaine sont invraisemblables.

[15]  M. Singh ajoute finalement que les faits qu’il allègue doivent être tenus pour avérés, puisque la SAR n’a relevé aucune contradiction, incohérence ou invraisemblance valides.

B.  Position du Ministre

[16]  Le Ministre soumet également ses arguments en fonction de la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[17]  Le Ministre répond à M. Singh que la SAR a rendu une décision raisonnable en confirmant la décision de la SPR et en rejetant l’appel du demandeur. Le Ministre affirme qu’il était loisible à la SPR de considérer les informations dans la demande de visa. Quoique le Ministre reconnaît qu’un demandeur de visa mineur ne devrait pas être blâmé pour des informations inexactes soumises par une personne majeure qui signe ses documents, le Ministre soumet qu’il s’agit néanmoins d’éléments de preuve contenant plusieurs lacunes qui ont été présentées au soutien de ses allégations et dont la SPR pouvait tenir compte. Le Ministre soumet également que la SAR a bien conclu qu’il y a un manque de cohérence du récit relativement au programme d’entraînement avec le Mishra Sports Club, qu’il y a une absence non justifiée de preuve corroborant le lien du demandeur avec l’équipe de cricket Mishra Sports Club alors que cela devait exister et que les photos soumises en preuve ne font pas foi de l’inscription du demandeur avec l’équipe Mishra Sports Club parce qu’elles soulèvent plutôt des contradictions et invraisemblances dans le récit.

V.  ANALYSE

[18]  La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer pour revoir la décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa]). La tâche de la Cour est donc de vérifier la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de s’assurer de «l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit» (Dunsmuir au para 47).

[19]  Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des «issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit» (Dunsmuir, par.47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable et il ne rentre pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Khosa).

[20]  Ainsi, en l’instance, la SAR a soupesé les éléments de preuve, a noté les incohérences entre les informations contenues dans la demande de visa, le formulaire de fondement et le témoignage de M. Singh, le fait que les photos ne montrent aucun joueur arborant un chandail de leur équipe Mishra Sports Club alors qu’il aurait été facile d’en fournir, le fait qu’aucun document n’ait été présenté pour confirmer l’inscription ou la participation de M. Singh dans l’équipe Mishra Sports Club et les incohérences entre le témoignage de M. Singh et les informations de son Formulaire quant à ses entrainements en Inde.

[21]  Dans le cas présent, il est raisonnable pour la SAR de conclure que les incohérences et contradictions dans le récit de M. Singh entachent sa crédibilité et vont au cœur de sa demande puisque la nature de ses allégations exige minimalement qu’il démontre sa participation dans l’équipe Mishra Sports Club. Au surplus, la décision de la SAR est bien détaillée et justifiée. M Singh n’est pas d’accord avec les conclusions de la SAR mais cela ne justifie pas l’intervention de la Cour en contrôle judiciaire.  


JUGEMENT au dossier IMM-2173-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2173-19

 

INTITULÉ :

SARBJIT SINGH c. LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Claude Whalen

Pour le demandeur

Annie Flamand

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Claude Whalen

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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