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Date: 20191104


Dossier : IMM-1957-19

Référence: 2019 CF 1375

Montréal (Québec), le 4 novembre 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

JASWINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  M. Jaswinder Singh (M. Singh) demande le contrôle judiciaire de la décision du 25 février 2019 de la Section d’appel des réfugiés [SAR], rejetant son appel, confirmant la décision du 24 mars 2017 de la Section de la protection des réfugiés [SPR] et concluant qu’il n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle d’une personne à protéger.

[2]  Pour les raisons énoncées ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.  CONTEXTE

[3]  M. Singh est citoyen de l’Inde. Selon les documents contenus au Dossier Certifié du Tribunal [DCT], le 8 mai 2016, sa demande de visa de résident temporaire (VRT) est enregistrée par le service des visas, le 1er juin 2016, son VRT est émis, le 7 juillet 2016, il entre au Canada et le 8 décembre 2016, il y demande l’asile. M. Singh est un musicien de grande réputation et, toujours selon les documents contenus dans le DCT, il demande un VRT pour participer à des spectacles au Canada, à titre de musicien dans un groupe. Les notes au système indiquent en particulier que le 7 mai 2015, les autorités américaines refusent la demande de visa que M. Singh leur a présentée.

[4]  Ainsi, en décembre 2016, M. Singh demande l’asile au Canada, invoquant craindre d’être ciblé par la police indienne advenant son retour en Inde, puisqu’il n’a pas respecté ses conditions de libération. Au soutien de sa demande d’asile, M. Singh dépose notamment des documents établissant son statut reconnu de musicien auxquels il ajoute, pour soutenir son allégation de crainte, un affidavit d’un conseiller municipal en Inde, une lettre du commis du poste de police en Inde et un document confirmant l’achat d’une voiture en septembre 2010.

[5]  Essentiellement, selon les informations consignées dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [Formulaire] M. Singh indique avoir acheté une voiture en septembre 2010 aux fins d’opérer un taxi. De 2010 à janvier 2015, le taxi est conduit par un individu et à partir de janvier 2015, il est conduit par M. Ranjeet Singh. Le 6 juillet 2015, ce dernier est intercepté par la police qui trouve des armes dans la voiture. La police retrace et arrête ensuite M. Singh, propriétaire du véhicule, le place en détention et le torture. Le 9 juillet 2015, M. Singh est libéré, mais il doit notamment se rapporter mensuellement au poste de police, ne pas quitter le village sans permission et remettre son passeport. M. Singh se rapporte au poste de police tel que requis mensuellement, mais le 5 mai 2016, il est de nouveau arrêté et libéré trois jours plus tard. Dans son récit, M. Singh indique qu’un conseiller municipal et un commis du poste de police l’ont aidé, le premier en exerçant de l’influence pour le faire libérer et le second en remettant à M. Singh son passeport confisqué en dépit des risques auxquels cela l’exposait.

[6]  La SPR conclut que M. Singh n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La SPR met en doute la crédibilité de M. Singh et souligne des incohérences et contradictions entre différents éléments de son récit ainsi que l’insuffisance de preuve à certains égards. Au surplus, la SPR conclut que M. Singh a une possibilité de refuge interne.

III.  DÉCISION DE LA SAR

[7]  La SAR n’aborde que la question de la crédibilité, jugeant inutile de se prononcer sur la possibilité du refuge interne, et elle confirme la décision de la SPR.

[8]  La SAR examine les allégations de M. Singh et conclut que les conclusions suivantes de la SPR sont correctes: (1) M. Singh n’a pas établi qu’il était propriétaire d’un taxi, puisqu’il n’a soumis qu’un document confirmant l’achat d’un véhicule, il est invraisemblable que l’Inde n’exige pas l’enregistrement d’un taxi et l’affidavit du conseiller municipal contient une affirmation contredite; (2) les contradictions entre les informations contenues à son Formulaire et celles livrées lors de son témoignage , de même que le témoignage changeant de M. Singh entachent la crédibilité de l’allégation de M. Singh selon laquelle la police le soupçonne d’être complice; (3) il est invraisemblable que la police ait relâché M. Singh plusieurs fois s’il elle le soupçonnait véritablement d’être impliqué avec les autres militants; et (4) il est invraisemblable que le commis ait risqué son emploi et sa sécurité pour remettre à M. Singh son passeport à deux reprises.

IV.  POSITION DES PARTIES

A.  Position de M. Singh

[9]  M. Singh soumet que les questions de crédibilité et d’interprétation de la loi constitutive sont soumises à la norme de contrôle de la décision raisonnable et que la décision est déraisonnable.

[10]  Quant aux motifs de fonds, M. Singh soumet premièrement que la SAR a interprété de manière déraisonnable les articles 110 et 111 de la Loi en ce que la SAR n’aurait pas dû déférer aux conclusions de faits de la SPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica), 2016 CAF 93 au para 58 [Huruglica]). Il reconnaît que la norme de la décision correcte s’applique et qu’exceptionnellement une déférence est nécessaire si la SPR jouit d’un véritable avantage (Huruglica au para 70). Par contre, il ajoute que quand la SPR n’a aucun avantage, comme dans ce cas quand elle juge que le récit n’est pas plausible selon le simple bon sens, la SAR ne doit faire preuve d’aucune déférence.

[11]  M. Singh conteste trois conclusions liées à sa crédibilité. D’abord, M. Singh soumet que la conclusion selon laquelle il n’a pas établi être propriétaire de taxi est déraisonnable puisqu’il a expliqué qu’un permis n’est pas nécessaire lorsque le taxi ne dessert que le Punjab. Il ajoute qu’il est aussi déraisonnable pour la SAR d’exiger qu’il fournisse une photo de lui-même en train de conduire un taxi ou d’autres documents liés à l’opération du taxi puisque ce n’est pas lui qui le conduisait et puisque les principes développés par la jurisprudence pour exiger de la preuve corroborative ne sont pas rencontrés. Enfin, il souligne que l’affidavit du conseiller municipal constitue une preuve corroborant son allégation puisque le conseiller municipal indique que les problèmes de M. Singh découlent de son lien avec son chauffeur de taxi.

[12]  Deuxièmement, M. Singh soumet que la SAR a tiré une conclusion déraisonnable en lien avec son témoignage évolutif devant la SPR en lien avec ses visites mensuelles au poste de police en concluant que ses réponses ne démontrent pas que la police le lie aux militants. À cet égard, M. Singh soumet que la SAR a manqué de souplesse et qu’elle a ignoré que ces évènements se sont déroulés en Inde et que les autorités policières sont corrompues. Au surplus. M. Singh soumet qu’il est normal qu’il puisse avoir quelques divergences, notamment sur la question des corvées au poste de police entre son Formulaire et son témoignage, car les évènements se sont déroulés il y a un certain temps. Au surplus il soumet qu’il est déraisonnable pour la SAR de conclure que la police indienne ne l’aurait pas libéré si elle l’avait vraiment cru complice de militants considérant le contexte et le fait que les autorités policières sont corrompues. Enfin, M. Singh soutient que la SAR a erré en concluant que son témoignage à l’égard des actions du greffier n’est pas crédible puisqu’il est au contraire compréhensible que M. Singh n’ait pas donné beaucoup de détails vu les inquiétudes du greffier.

[13]  Dernièrement, M. Singh soumet que la SAR a erré en concluant que la SPR n’a pas accordé de valeur probante à l’affidavit du conseiller municipal puisque ce n’est pas, textuellement, ce que la SPR a écrit au sujet de cet affidavit.

[14]  M. Singh plaide donc que la SAR a erré de manière déraisonnable dans son analyse de la crédibilité des demandeurs.

B.  Position du Ministre

[15]  Le Ministre répond que la décision de la SAR est raisonnable. Il soumet qu’il n’y a aucun fondement à l’argument que la SAR a fait preuve de déférence à la SPR, que la SAR a au contraire clairement appliqué la norme de contrôle de la décision correcte et a effectué un examen indépendant des conclusions de la SPR.

[16]  Le Ministre répond aussi que la SAR pouvait considérer l’absence de preuve de l’opération d’un taxi et l’absence de preuve corroborative vu les problèmes de crédibilité du demandeur. De même, le Ministre soutient que la SAR pouvait exiger de la corroboration puisqu’elle a rejeté les explications de M Singh.

[17]  Essentiellement, le Ministre soutient que la SAR n’a pas erré en considérant les aspects incohérents et invraisemblables du récit de M. Singh, les contradictions entre son témoignage et ses autres déclarations, l’absence de preuve pour soutenir ses allégations et la valeur de certains documents.    

[18]  Le Ministre soumet que l’absence de corroboration constatée par la SAR peut être considérée en raison des problèmes de crédibilité de M. Singh (Imaniraguha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 349 au para 31).

[19]  Le Ministre soumet que M. Singh est en fait en désaccord avec les conclusions de la SAR, ce qui ne justifie pas l’intervention de la Cour.

V.  DISCUSSION

[20]  La norme de la décision raisonnable s’applique en l’instance (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa]). Lorsque cette norme s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des «issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit» (Dunsmuir, par.47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Khosa). De plus, lorsque la question en contrôle judiciaire concerne l’appréciation de la crédibilité, la Cour doit exercer une retenue considérable (Ortez Villalta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1126).

[21]  D’abord, je suis convaincue que la SAR a procédé à sa propre analyse et qu’elle a appliqué la norme d’appel appropriée (Huruglica). La SAR s’est d’ailleurs déclarée en désaccord avec la SPR à deux occasions. La première, alors qu’elle a jugé incorrecte la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y a pas de preuve que M. Singh était propriétaire d’un taxi, jugeant plutôt la preuve insuffisante. La deuxième, alors qu’elle se déclare moins préoccupée que la SPR quant à l’omission d’un fait dans la lettre du commis et qu’elle n’en tire conséquemment pas d’inférence négative.

[22]  Ensuite, je suis convaincue de façon générale que les contradictions, incohérences et invraisemblances soulevées par la SAR sont soutenues par la preuve au dossier et, de façon particulière, qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure à l’insuffisance de preuve quant au fait que M. Singh était propriétaire d’un taxi, élément central à sa demande. Tel que l’a souligné le juge Gascon, «[…] un tribunal administratif peut fonder ses conclusions sur la rationalité et le sens commun et tirer des inférences négatives du fait qu’il n’existe aucune preuve documentaire au support d’une allégation, alors qu’on serait en droit de s’y attendre (Shahamati au para 2; Saliaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1247 au para 53)» (Kifungo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 599 au para 26). Dans le cas en l’espèce, et central à l’examen de la demande, il était raisonnable pour la SAR de s’attendre à ce que des documents en lien avec l’opération d’un taxi soit présentés et de tirer une inférence négative.

[23]  La décision de la SAR fait partie des issues possibles acceptables eu égard aux faits et au droit, compte tenu du dossier, elle est raisonnable.


JUGEMENT au dossierIMM-1957-19

LA COUR STATUE que:

  • 1) La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  • 2) Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1957-19

INTITULÉ :

JASWINDER SINGH c CANADA (MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION)

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 octobre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 4 NOVEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Meryam Haddad

Pour le demandeur

Sherry Rafai Far

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Meryam Haddad

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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