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Date : 20030602

Dossier : T-369-02

Référence : 2003 CFPI 691

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2003

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                    CARMELLA KHALIL HENOUD

                                                                                                                                  Partie demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                   

                                                                                                                                     Partie défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Carmella Khalil Henoud, une citoyenne libanaise, ayant le statut de résidente permanente depuis le 24 décembre 1994, en appelle de la décision du juge de la citoyenneté rejetant sa demande de citoyenneté.

[2]                 Dans sa lettre de refus datée du 31 janvier 2002, le juge Springate indique que Mme Henoud ne répond pas à deux des conditions fixées au paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, c. C-29 (la « Loi » ), soit :


(i)         elle n'a pas fourni de preuve satisfaisante établissant qu'elle a résidé au moins trois ans au Canada dans les quatre ans qui précèdent immédiatement la date de sa demande (alinéa 5(1)c) et la Loi) et

(ii)        elle n'a répondu correctement qu'à 11 des 19 questions posées pour déterminer si elle possédait une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et privilèges rattachés à la citoyenneté et elle n'a pas répondu correctement à une des questions obligatoires à ce sujet (alinéa 5(1)e)).

[3]                 Le juge Springate indique aussi dans sa lettre qu'il a considéré, conformément au paragraphe 15(1) de la Loi, s'il devait recommander au ministre d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 5(3) de la Loi. Toutefois, il dit :

Lors de l'entrevue, j'ai tenté de savoir s'il existait des circonstances spéciales pouvant justifier une telle recommandation. Puisque vous ne m'avez soumis aucun élément de preuve à cet égard, je ne vois aucune raison d'adresser une telle recommandation au Ministre.

[4]                 Finalement, il est important de noter que pour des raisons similaires que les demandes de citoyenneté des deux filles de Mme Henoud, Dona Ziad Haddad (T-368-02)et Nidad Ziad Haddad (T-370-02), ont été rejetées par le juge Springate et que les trois appels dans ces dossiers ont été entendus en même temps par la Cour.


Questions en litige

[5]                 Mme Henoud soumet que :

(i)          Le juge de la citoyenneté a erré en rejetant sa demande sur la base de l'alinéa 5(1)e) de la Loi sans considérer si les pertes de mémoire décrites dans un certificat médical daté du 7 mai 1997 justifiaient une recommandation de dispense (paragraphes 15(1) et 5(3) de la Loi) et

(ii)        Le juge de la citoyenneté a erré ou était biaisé lorsqu'il a conclu qu'elle ne répondait pas aux exigences de résidence de l'alinéa 5(1)c) alors qu'un arbitre avait confirmé le 6 janvier 2000 qu'elle n'avait pas l'intention d'abandonner le Canada comme lieu de résidence permanente (voir paragraphe 24(2) de la Loi de l'immigration, L.R.R. 1985, c. I-2, tel que modifié).

Question préliminaire

[6]                 Lors de l'audition, Mme Henoud s'est objectée à ce que la Cour prenne en considération certains documents dans le dossier du juge de la citoyenneté qui fut déposé par la défenderesse par le biais d'un affidavit daté du 25 février 2003.

[7]                 Le seul argument soulevé par Mme Henoud est que le dépôt est tardif et que ce retard lui cause un préjudice puisqu'elle n'a jamais eu l'occasion de prendre connaissance de ces documents avant la signification de cet affidavit.


[8]                 La défenderesse soumet que Mme Henoud aurait pu obtenir copie du dossier du juge Springate en tout temps, soit par le biais d'une demande en vertu de l'article 29 du Règlement sur la citoyenneté DORS/93-246, ou d'une demande de transmission en vertu de la règle 317 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106. Elle soumet aussi que Mme Henoud n'a pas été prise par surprise puisque le mémoire de la défenderesse signifié et déposé le 10 juillet 2002 réfère abondamment au dossier du juge de la citoyenneté y inclus aux notes et motifs auxquels Mme Henoud s'objecte maintenant..

[9]                 La Cour considère qu'il est dans l'intérêt de la justice que tout le dossier du juge de la citoyenneté soit déposé. La Cour note qu'elle aurait pu elle-même exiger le dépôt de cette preuve en vertu de la règle 313 des Règles de la Cour fédérale (1998). La Cour permet donc le dépôt tardif de l'affidavit de Mme Dominique Toillon.

Analyse

[10]            La Cour se doit de noter qu'il y a un débat à savoir si l'exercice du pouvoir prévu au paragraphe 15(1) de la Loi est une décision au sens du paragraphe 14(2) appelable en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi ou si l'on doit contester la décision de recommander une dispense ou pas par le biais d'un contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7, (voir Abdule c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no. 1524 (QL) et Zhang c. Canada (M.C.I.) [2000] A.C.F. no. 1943 (QL).)


[11]            Mme Henoud a déposé sa demande en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi. Toutefois, comme le juge Kelen dans Hassan v. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no. 1049 (QL), je ne crois pas devoir rejeter la demande de Mme Henoud sur cette base. Depuis 1998, l'appel en vertu de 14(5) de la Loi n'est plus un appel de novo et le dossier de la Cour est constitué des mêmes éléments de preuve qu'il s'agisse d'un appel ou d'un contrôle judiciaire. Les autres différences entre les deux recours ne sont pas pertinentes en l'espèce puisque je crois que le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur revisable. J'adopte donc la solution pratique proposée par le juge Kelen dans l'affaire mentionnée ci-haut afin d'éviter qu'un vice de forme ne retarde inutilement une décision sur cette demande.

[12]            La norme de contrôle applicable à la décision de recommander ou non une dispense n'est pas la même que celle applicable à l'évaluation des conditions fixés au paragraphe 5(1) de la Loi. L'exercice d'un pouvoir discrétionnaire comme celui prévu au paragraphe 15(1) de la Loi mérite plus de déférence. (Voir Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S.. 817; Maple Lodge Farms c. Government of Canada, [1982] 2 R.C.S. 2.)

[13]            Mme Henoud argue que le juge Springate a clairement ignoré une preuve au dossier en omettant de considérer son certificat médical daté du 7 mai 1997.


[14]            Disons d'abord que la Cour ne partage pas l'interprétation de Mme Henoud qui soumet que la lettre de refus indique clairement qu'il n'a considéré aucune preuve dans l'exercice de son pouvoir en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi. Vue dans son contexte, je crois plutôt que la mention « aucun élément de preuve » réfère à un élément de preuve qui aurait pu inciter le juge Springate à formuler une recommandation en vertu du paragraphe 15(1) (Goudimenko c. Canada (M.C.I.) [2002] A.C.F. no. 581, para. 22 (QL) (C.F.P.I.)).

[15]            Dans son affidavit du 16 avril 2002, Mme Henoud nous dit qu'elle était sous un énorme stress lors de l'entrevue avec le juge Springate et qu'elle souffre de pertes de mémoire. C'est pour cette raison qu'elle n'a pu répondre correctement aux questions posées lors de l'entrevue du 9 novembre 2001. Elle réfère à la note manuscrite du Dr. Asswad qui se lit comme suit :

Ceci est pour certifié [sic] que Mme Carmilla Henoud souffre de pertes de mémoire à cause d'un syndrome ménopausique aigu et surtout à cause qu'elle a arrêté son traitement hormonal de peur d'avoir un cancer.

7/5/97

Antoine F. Asswad M.D.

3550 ch. Côte des Neiges Rd., #680

Montréal, QC H3H 1V4

Mme Henoud ne nous dit pas dans cet affidavit dans quel contexte elle a déposé le certificat du 7 mai 1997; elle ne nous dit pas non plus, si elle avait mentionné au juge Springate qu'elle souffrait toujours de ses pertes de mémoire plus de quatre ans après l'émission de cette note.

[16]            Les notes d'entrevue du juge Springate mentionnent :

Dawson College - /                 May 7 - 97 was sick but stopped

to learn English -                    /                 treatment was afraid of cancer =

but stopped                           /                 menopause ... Stopped Dawson


[17]            Il n'y a aucune indication que le juge Springate a été avisé que ce problème de santé apparemment soulevé pour expliquer sa décision de cesser de prendre ses cours d'anglais au collège Dawson, perdurait et pouvait affecter sa performance lors du test de ces connaissances du Canada.

[18]            La copie du certificat médical au dossier du juge Springate contient une note manuscrite « ménopause » et une étoile à coté de la date. Ces notes n'apparaissent pas sur la copie jointe à l'affidavit de Mme Henoud.

[19]            Il appert donc du dossier que le juge Springate était tout à fait conscient que Mme Henoud avait souffert de pertes de mémoire en 1997.

[20]            Toutefois, en l'absence d'une preuve indiquant que cette condition l'affectait toujours, la Cour ne peut conclure que la décision du juge Springate de ne pas considérer cette preuve comme une preuve qui pouvait l'inciter à formuler une recommandation de dispense, est déraisonnable.

[21]            Dans les circonstances, il n'y a aucune erreur révisable dans la décision du juge Springate d'ultimement rejeter la demande de Mme Henoud sur la base de l'alinéa 5(1)e) de la Loi.

[22]            Il n'est pas utile de déterminer si le juge Springate a autrement erré dans son analyse de la demande de Mme Henoud.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :       

1.         La demande est rejetée.

                                                                                                                                      « Johanne Gauthier »         

                                                                                                                                                                  juge                          


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                                                                                                                                       

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           T-369-02

INTITULÉ :                                        Carmella Khalil Henoud c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 10 mars 2003

MOTIFS[de l'ordonnance ou du jugement] : L'honorable Johanne Gauthier

DATE DES MOTIFS :                      le 2 juin 2003

COMPARUTIONS :

Me Annie Kenane                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Me Diane Lemery                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Annie Kenane                                                                          POUR LE DEMANDEUR

1640 - 630, Boul. René-Lévesque ouest

Montréal (Québec) H3B 1S6

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Député ministre de la Justice

Montréal (Québec) H2Z 1X4

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