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Date : 20030220

Dossier : IMM-2513-01

Référence neutre : 2003 CFPI 207

Toronto (Ontario), le jeudi 20 février 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                             JOSEPH LOTFE AKLADUOS SHENODA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé, en date du 1er mai 2001, de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Le demandeur est un citoyen de l'Égypte. Il prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de sa religion, parce qu'il est Copte (christianisme).

[3]                 Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage, le demandeur a fait état de nombreux incidents où il a été persécuté par des fondamentalistes islamiques, plus particulièrement par les membres de la Gamaat Islami. Il a prétendu qu'il était étroitement associé à son église et qu'il participait à ses activités. Il a en particulier fait allusion à un incident touchant un ami, Adel, lequel a fait l'objet d'une conversion forcée à l'islamisme par son employeur, un membre de la secte Gamaat Islami. Lorsque le demandeur a tenté de protéger son ami, en faisant en sorte qu'une certaine somme d'argent soit payée en son nom, il a été accusé d'être responsable du reniement d'Adel et menacé d'être puni. Le demandeur a été battu par les membres de la secte Gamaat Islami et il s'est par la suite caché. Après être resté caché pendant six mois pour se protéger de cette secte qui le recherchait, le demandeur s'est enfui au Canada en juillet 1999. Il a revendiqué le statut de réfugié dix jours après son arrivée.

[4]                 Je suis d'avis que la décision de la SSR relativement à la crainte de persécution du demandeur est fondée sur une interprétation erronée de la preuve qu'il a présentée et, par conséquent, que cette décision est manifestement déraisonnable.

[5]                 Après une lecture attentive de la transcription de la preuve présentée devant la SSR, l'essentiel de la revendication du demandeur devient évident :


1.                    Le demandeur a été entraîné dans ce qui constitue essentiellement une tentative d'extorsion par un homme du nom de Khalaf, un intégriste musulman, qui était également l'employeur d'Adel.

2.                    L'extorsion consistait à faire en sorte qu'on croie qu'Adel avait été converti à l'islamisme alors qu'en fait, il ne l'avait pas été selon les traditions de la foi islamique.

3.                    Si Adel refusait de se plier aux demandes de Khalaf dans cette tentative d'extorsion, il serait considéré au vu de tous comme un apostat et, par conséquent, il serait puni sévèrement.

[6]                 La SSR n'a pas cru la preuve du demandeur relativement à ce qui s'est passé entre Adel et Khalaf, étant donné les conclusions distinctes de manque de vraisemblance qu'elle a tirées. À cet égard, elle a conclu ce qui suit :

     Le tribunal ne trouve pas logique qu'Adel, un chrétien, ait choisi de travailler pour une entreprise appartenant à un homme ouvertement et manifestement musulman fondamentaliste, portant même la barbe et habillé d'amples vêtements blancs, compte tenu du fait que les tactiques extrémistes des fondamentalistes sont bien connues et bien médiatisées en Égypte. Il est également peu vraisemblable que le revendicateur, qui était l'ami d'Adel, déciderait de se rendre d'abord au lieu de travail d'Adel, un lieu de travail manifestement musulman, pour s'enquérir de ses activités religieuses, plutôt que de se rendre directement chez Adel, où ils auraient été moins visibles.


Ce qui n'est tout simplement pas vraisemblable non plus, c'est que Khalaf accuse Adel d' « abandonner l'islamisme » et de devenir un apostat, alors qu'Adel ne s'était même jamais converti à l'islamisme. Le tribunal ne peut également pas croire que le revendicateur, qui était encore plus éloigné de la situation, serait également considéré comme un apostat parce qu'il avait supposément aidé Adel à abandonner une religion qu'Adel n'avais jamais acceptée.

(Décision, p. 3)

[7]                 Le droit est clair en ce qui a trait aux conclusions de manque de vraisemblance en général, comme l'a expliqué le juge Muldoon aux paragraphes 6 à 9 de la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 1131 :

Présomption de véracité et vraisemblance

    Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l'arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu'un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s'il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n'a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l'arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu'il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d'éléments de preuve pour justifier ses conclusions.

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à -dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

Dans le jugement Leung c. M.E.I., (1994), 81 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.), voici ce que le juge en chef adjoint Jerome déclare à la page 307 :

[¼] Néanmoins, la Commission est clairement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilité en faisant expressément et clairement état des éléments de preuve.


Cette obligation devient particulièrement importante dans des cas tels que l'espèce où la Commission a fondé sa conclusion de non-crédibilité sur des « invraisemblances » présumées dans les histoires des demanderesses plutôt que sur des inconsistances [sic] et des contradictions internes dans leur récit ou dans leur comportement lors de leur témoignage. Les conclusions d'invraisemblance sont en soi des évaluations subjectives qui dépendent largement de l'idée que les membres individuels de la Commission se font de ce qui constitue un comportement sensé. En conséquence, on peut évaluer l'à-propos d'une décision particulière seulement si la décision de la Commission relève clairement tous les faits qui sous-tendent ses conclusions [...] La Commission aura donc tort de ne pas faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient éventuellement réfuter ses conclusions d'invraisemblance.

    Dans le jugement Bains c. M.E.I., (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.) à la page 314, le juge Cullen a annulé la décision du tribunal après avoir conclu que celui-ci avait commis une erreur parce que les conclusions qu'il avait tirées au sujet de la vraisemblance ne reposaient pas sur la preuve documentaire et parce qu'elles étaient fondées sur des critères canadiens :

[¼] Or, en se prononçant sur la vraisemblance ou l'invraisemblance de la situation décrite, la Section du statut n'a fait aucune mention des preuves documentaires déposées à l'appui du requérant, et notamment des rapports d'Amnistie internationale. D'après ces rapports, les événements racontés par le requérant n'étaient pas particulièrement rares et le harcèlement constant des membres ou des anciens membres de l'Akali Dal était la règle et non pas l'exception. J'estime donc que le fait de ne pas avoir évoqué ces éléments du dossier, soit pour les admettre, soit pour les réfuter, ébranle singulièrement la décision et les conclusions de la Section du statut. J'ajoute que les dires du requérant sont parfaitement conformes aux preuves documentaires figurant au dossier, qui sont sans doute les seules informations susceptibles d'appuyer l'argument du requérant et qui constituent le seul élément permettant de juger de la vraisemblance de ses déclarations. Cette preuve documentaire est le seul indice de la manière dont les autorités indiennes se comportaient vis-à-vis des Sikhs et, selon ces mêmes rapports, ce genre d'incident était « chose commune » .

Il est possible que les événements décrits par le requérant aient pu paraître invraisemblables à la Section du statut, et que le témoignage du requérant ait pu donc sembler peu digne de foi mais, ainsi que l'a fait remarquer l'avocat du requérant [TRADUCTION] « Les critères canadiens cadrent mal avec la réalité indienne » . Malheureusement, la torture existe, ainsi qu'existent aussi l'exploitation et la vengeance qui, souvent, mènent au meurtre.

[8] Après avoir lu attentivement la transcription, je suis d'avis que le demandeur dans son témoignage a entièrement répondu aux préoccupations qui ont donné lieu aux conclusions de manque de vraisemblance dans le premier paragraphe de l'extrait de la décision précitée de la SSR. Par conséquent, puisque la SSR ne s'est pas appuyée sur d'autres éléments de preuve pour étayer les conclusions de manque de vraisemblance qu'elle a tirées, j'estime que ces conclusions ne sont pas fondées et, par conséquent, qu'elles sont erronées.

[9] À propos de la tentative d'extorsion par Khalaf, il ne fait aucun doute qu'Adel n'avait pas été converti à la religion musulmane suivant les traditions de cette foi. Tout ce que Khalaf avait à faire pour mettre à exécution cette tentative d'extorsion était de faire croire que cette conversion avait eu lieu. À mon avis, la SSR était préoccupée par le fait qu'Adel n'avait pas en réalité été converti à la foi musulmane selon les traditions, ce qui a contribué grandement à miner la crédibilité du demandeur. J'estime que l'importance accordée à cette considération non pertinente constitue une erreur donnant matière à révision.

[10]            À mon avis, en tirant les conclusions de manque de vraisemblance dont il a été question précédemment, la SSR a commis des erreurs qui, prises conjointement, rendent la décision manifestement déraisonnable.

                              ORDONNANCE

Par conséquent, la décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.

                                                 « Douglas R. Campbell »       

                                                                                   Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-2513-01

                                            

INTITULÉ :                                           JOSEPH LOTFE AKLADUOS SHENODA     

                                                                                         

et         

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

                                                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MERCREDI 19 FÉVRIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                        LE JEUDI 20 FÉVRIER 2003

COMPARUTIONS :             

M. Harvey Savage                                                Pour le demandeur

Mme Neeta Logsetty                                           Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Harvey Savage                                        Pour le demandeur                     

Avocat

393, avenue University, bureau 2000

Toronto (Ontario)

M5G 1E6         

Morris Rosenberg                                                Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

          Date : 20030220

     Dossier : IMM-2513-01

ENTRE :

JOSEPH LOTFE AKLADUOS SHENODA

                                 demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                   défendeur

                                                                                       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                       

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