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Date : 20000529


Dossier : IMM-1941-99

OTTAWA (Ontario), le 29 mai 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY



ENTRE :

     ELENA KOMPANETS

     demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur

     VU la demande de contrôle judiciaire et d'annulation d'une décision par laquelle un agent des visas de l'ambassade du Canada à Varsovie a rejeté, dans une lettre en date du 2 mars 1999, la demande de résidence permanente au Canada de la demanderesse;

     APRÈS avoir entendu les avocats des parties à Toronto, le 3 mai 2000, l'affaire ayant alors été mise en délibéré; et après avoir examiné les arguments présentés à l'audience;




ORDONNANCE

     LA COUR statue que :

     1.      La demande est rejetée.
     2.      La question qui suit est certifiée à titre de question grave de portée générale en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée :
Un agent des visas commet-il un manquement à l'équité procédurale lorsque, sans obtenir au préalable le consentement de la personne qui demande la résidence permanente, il a recours aux services d'un collègue qui est un employé d'une mission canadienne à l'étranger en qualité d'interprète lors de l'entrevue du demandeur, alors que l'employé en cause ne possède pas les titres et qualités professionnels d'un interprète?






(Signature) W. Andrew MacKay

JUGE

Traduction certifiée conforme



Martine Brunet, LL.B.





Date : 20000529


Dossier : IMM-1941-99



ENTRE :

     ELENA KOMPANETS

     demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE MacKAY


[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision défavorable d'un agent des visas en poste à l'ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne. La demanderesse et son époux ont demandé la résidence permanente au Canada et leur entrevue s'est déroulée à l'ambassade canadienne à Varsovie le 5 janvier 1999. Dans une lettre en date du 2 mars 1999, la demanderesse a été informée qu'elle n'avait pas obtenu suffisamment de points pour recevoir un visa d'immigrant. La demanderesse principale, Mme Elena Kompanets, a obtenu 69 points, alors qu'il lui en fallait 70.



[2]          En plus d'une ordonnance annulant cette décision et un bref de mandamus ordonnant la tenue d'une deuxième [Traduction] « audition (entrevue) interprétée par un interprète indépendant agréé/dont la compétence professionnelle est reconnue, qui n'est pas un employé de l'ambassade canadienne » , la demanderesse demande en outre à la Cour de certifier deux questions à soumettre à la Cour d'appel, en vertu de l'article 83 de la Loi sur l'immigration, concernant le recours aux services d'un interprète lors de l'entrevue d'une personne qui demande un visa d'immigrant.



[3]          La demanderesse, qui est âgée de 34 ans, est une citoyenne de la Fédération de Russie. Elle a demandé un visa de résident permanent pour elle, son mari et sa fille, le 8 mai 1998. L'ambassade canadienne à Varsovie, en Pologne, l'a convoquée à une entrevue qui devait avoir lieu le 5 janvier 1999. La convocation contenait le paragraphe suivant :

[Traduction]      Veuillez noter que, si nous concluons que vous n'êtes pas en mesure de bien communiquer en anglais lorsque vous vous présenterez à l'entrevue et si le recours à un interprète n'a pas été prévu, une nouvelle date devra être fixée pour une deuxième entrevue de sélection environ huit mois après la date de la première entrevue. Par conséquent, si nous devons prévoir les services d'un interprète, veuillez nous en aviser. C'est vous qui devez payer entièrement les frais d'interprétation (120 $ US pour les services d'un interprète pendant au plus deux heures - payables comptant après l'entrevue).



[4]          Le 31 décembre 1998, une fois l'ambassade fermée pour le long week-end, l'ambassade à Varsovie a reçu un message par télécopieur qui lui demandait de prévoir les services d'un interprète pour l'entrevue. Étant donné que l'ambassade était fermée le 1er janvier et que le 2 et 3 janvier tombaient un week-end, ce message n'a été lu que le 4 janvier 1999, la veille de l'entrevue. Selon l'affidavit de l'agent des visas, les services d'un interprète ont été retenus, mais celui-ci ne s'est pas présenté au moment de l'entrevue.



[5]          L'interprète professionnel ne s'étant pas présenté, l'agent des visas s'en est remis à un de ses collègues, un agent d'immigration embauché à l'étranger, pour qu'il agisse comme interprète. Selon l'agent des visas qui a mené l'entrevue, deux des membres du personnel de l'ambassade parlaient couramment russe et agissaient en qualité d'interprètes au besoin. La demanderesse affirme dans son affidavit que l'interprétation et la traduction fournies par les membres du personnel local étaient inadéquates en l'espèce :

[Traduction]
17.      Un traducteur a assisté à l'entrevue. Au cours de l'entrevue, j'ai toutefois constaté que le traducteur avait une compréhension médiocre du russe. Mes réponses aux questions de l'agent, ainsi que les réponses de mon mari, étaient souvent longues et détaillées, durant parfois environ cinq minutes. Les questions de l'agent, qui étaient parfois longues, se résumaient à un brève question, une fois traduites. Les traductions du traducteur étaient toutefois brèves et médiocres, manifestement inexactes et incomplètes. Le traducteur a fréquemment traduit nos réponses de cinq minutes en une ou deux courtes phrases.
18.      À la fin de l'entrevue, j'ai tenté de payer le traducteur pour ses services comme je le devais. Il a refusé d'accepter quelque argent que ce soit en baragouinant, en russe, qu'il n'était pas un véritable traducteur et que je n'étais donc pas tenue de le payer.


[6]          L'employé de l'ambassade auquel on a eu recours pour traduire l'entrevue n'est pas un interprète agréé et il n'existe aucune preuve qu'il ait une formation ou des antécédents équivalents. D'après la preuve par affidavit de l'agent des visas, l'interprète est né et a grandi en Pologne. Jusqu'en 1989, tous les étudiants polonais devaient apprendre le russe à l'école. Il a donc étudié le russe pendant huit ans à l'école. Il traduit des documents pour l'ambassade, a déjà agi comme interprète dans des dossiers d'immigration et a servi d'interprète à l'agent des visas lors d'un voyage en Biélorussie. L'agent des visas jure ne pas douter que l'interprète [Traduction] « a interprété intégralement et avec exactitude tous mes propos. » Cependant, la demanderesse souligne que l'agent des visas n'est pas en mesure de parler ou de comprendre le russe et ne peut donc pas vérifier la connaissance que l'interprète a du russe. Je constate que la demanderesse n'a pas contesté la traduction au moment de l'entrevue et n'a soulevé cette question qu'après le rejet de sa demande de visa. La demanderesse soutient que l'interprétation déficiente au moment de l'entrevue a entraîné un manquement à la justice naturelle et à l'équité procédurale qui justifie l'intervention de la Cour. À cette fin, la demanderesse cite la décision Porras c. Canada (M.C.I)1, dans laquelle monsieur le juge Pinard a conclu que les demandeurs n'étaient pas en mesure de présenter pleinement leur cause à la Section du statut de réfugié en raison de problèmes de traduction. Il a alors jugé que les demandeurs avaient été privés de leur droit à une audition équitable, ce qui justifiait l'intervention de la Cour. Le défendeur établit une distinction avec l'affaire Porras, du fait que, dans cette affaire, les problèmes touchant la traduction ressortaient clairement du dossier, alors qu'en l'espèce il n'existe pas d'enregistrement de l'entrevue proprement dite, hormis les notes CAIPS prises par l'agent à l'époque, et que rien n'indique que les demandeurs ont alors soulevé la question des services de traduction. La demanderesse n'a pas non plus soulevé cette question avant le prononcé de la décision.



[7]          Le défendeur soutient qu'il n'existe aucune preuve crédible de l'existence d'un problème important lié à la traduction fournie par l'employé de l'ambassade. Il fait valoir que l'omission de soulever quelque question que ce soit relativement à la traduction au moment de l'entrevue est fatale quant à la plainte2 et que la Cour a déjà approuvé tacitement le recours à des employés de l'ambassade en qualité d'interprètes lors d'entrevues relatives à l'obtention d'un visa3.



[8]          La demanderesse plaide que le recours à un employé de l'ambassade qui est un agent du programme d'immigration a engendré une crainte raisonnable de partialité. Pour paraphraser le juge Cory dans l'arrêt R. c. R.D.S.4, le critère à appliquer consiste à se demander si une personne raisonnable et objective, qui étudierait la question en profondeur et froidement, conclurait qu'il existe un fondement raisonnable à l'hypothèse selon laquelle le traducteur ferait preuve de partialité au détriment de la demanderesse.



[9]          Ni la demanderesse, ni l'agent des visas ne connaissent suffisamment l'anglais ou le russe, respectivement, pour être en mesure de déterminer si la traduction était convenable ou non. Aucune preuve émanant du traducteur n'a été produite devant la Cour. Le principal argument de la demanderesse porte que la traduction effectuée par le membre du personnel se caractérisait par un écart entre, d'une part, la longueur des questions posées à la demanderesse et à son mari et de leurs réponses et, d'autre part, la brièveté de leur traduction. Bien qu'il soit possible que le traducteur ait condensé les questions et les réponses, aucune preuve ne démontre qu'ils ont subi un préjudice de ce fait. Certes, une personne n'est pas tenue d'établir qu'il y a effectivement eu partialité ni l'effet de cette partialité sur la décision rendue en définitive, mais il doit exister une preuve quelconque pouvant fonder une conclusion de crainte raisonnable de partialité. Dans les cas où une partie ne critique l'interprétation qu'après le rejet de la demande et où elle ne fournit aucun fondement ni preuve solide pour en étayer les lacunes, et plus particulièrement lorsque ce service a été utilisé auparavant sans susciter de plaintes, la Cour n'a aucun fondement sur lequel appuyer son intervention au motif que les services d'interprétation étaient déficients.



[10]          La demanderesse fait aussi valoir que l'agent des visas a commis une erreur dans son appréciation pour ce qui est de l'élément « qualités personnelles » . Selon la demanderesse, il n'aurait pas accordé suffisamment de poids à plusieurs facteurs. Premièrement, la demanderesse affirme avoir démontré sa grande capacité d'adaptation en obtenant un diplôme en sciences économiques pour s'adapter à l'économie changeante en Russie. De plus, elle soutient que l'agent des visas a commis une erreur en n'accordant pas suffisamment de poids à la capacité de la demanderesse de subvenir elle-même à ses besoins à son arrivée au Canada5. Un séjour d'un an au Canada laisse fortement croire qu'elle se situe bien au-dessus de la moyenne, à laquelle correspondent les points qui lui ont été attribués, en ce qui concerne la capacité d'adaptation, les ressources dont elle dispose, son esprit d'initiative et sa motivation. Elle ajoute que l'agent des visas aurait dû lui faire part de ses doutes sur sa capacité d'adaptation afin qu'elle puisse les dissiper avant le prononcé de la décision. Dans son affidavit, l'agent des visas affirme qu'à la fin de l'entrevue, il a indiqué à la demanderesse que sa connaissance de l'anglais le préoccupait et qu'il l'avait classée dans la moyenne pour ce qui était de ses qualités personnelles. La demanderesse a eu l'occasion de fournir de plus amples renseignements mais ne s'en est pas prévalue avant la préparation et l'envoi de la lettre de rejet deux mois après l'entrevue.



[11]          Le facteur des qualités personnelles et les points attribués à son égard relèvent du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas. L'agent des visas disposait d'éléments de preuve relatifs aux séjours de la demanderesse et de son mari au Canada. Il disposait également d'une preuve concernant les ressources sur lesquelles ils pouvaient compter. L'agent des visas en fait mention dans ses notes CAIPS. Aucun élément du dossier ni de l'argumentation présentée relativement à la présente demande ne mène à la conclusion qu'il n'existait aucun fondement raisonnable sur lequel l'agent des visas pouvait appuyer son appréciation de la demanderesse. Des personnes raisonnables pourraient ne pas être d'accord sur le nombre de points qui lui ont été attribués, mais il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions de fait tirées par l'agent des visas dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Aucune erreur de droit ou de compétence n'a été établie et il n'y a pas lieu de modifier la conclusion tirée quant aux qualités personnelles de la demanderesse.



[12]          En ce qui concerne la question de savoir si l'agent des visas aurait dû porter ses doutes à l'attention de la demanderesse pour qu'elle puisse les dissiper, je constate que l'agent des visas affirme, dans sa preuve par affidavit, avoir exprimé ses doutes quant à la connaissance que la demanderesse avait de l'anglais, lui avoir mentionné qu'il l'avait classée dans la moyenne quant à ses qualités personnelles et n'avoir obtenu alors aucun renseignement additionnel. Même s'il n'avait pas fourni cette possibilité à la demanderesse, je suis d'avis que l'agent des visas n'a pas commis de manquement à un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale. Il ressort du dossier que, lors de l'entrevue, l'agent des visas a abordé une vaste gamme de sujets, dont beaucoup étaient pertinents quant aux qualités personnelles. La demanderesse a eu la possibilité, au cours de l'entretien sur ces points, de porter tout renseignement favorable à son attention. La demanderesse a aussi été invitée à fournir tout document ou renseignement additionnel après l'entrevue. Elle n'a présenté aucun élément additionnel. Je suis d'avis qu'il n'y a eu manquement ni à l'équité procédurale ni à un principe de justice naturelle.



[13]          Dans ses prétentions écrites, la demanderesse fait valoir que l'agent des visas n'a pas non plus apprécié correctement la demande de résidence permanente de son mari, qui est à sa charge. Je ne suis pas convaincu que cette question est pertinente dans le cadre du contrôle de l'évaluation de la demande de Mme Kompanets.


Conclusion


[14]          Je suis d'avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Je conclus que l'agent des visas n'a pas commis d'erreur qui justifierait l'intervention de la Cour.



[15]          La demanderesse a demandé à la Cour de certifier deux questions, énoncées au paragraphe [2], à soumettre à la Cour d'appel conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration. Je suis d'avis que les questions proposées ne reflètent pas les faits tels que je les ai constatés, mais la question révisée suivante, qui les reflète, constitue une question grave de portée générale; l'ordonnance délivrée aujourd'hui la certifie donc en conformité avec le paragraphe 83(1) :

         Un agent des visas commet-il un manquement à l'équité procédurale lorsque, sans obtenir au préalable le consentement de la personne qui demande la résidence permanente, il a recours aux services d'un collègue qui est un employé d'une mission canadienne à l'étranger en qualité d'interprète lors de l'entrevue du demandeur, alors que l'employé en cause ne possède pas les titres et qualités professionnels d'un interprète?

     (signature) W. Andrew MacKay

     ___________________________

     JUGE

OTTAWA (Ontario)

29 mai 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-1941-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      ELENA KOMPANETS c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 3 MAI 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MacKAY

EN DATE DU :              29 MAI 2000


ONT COMPARU :

Me TIM FARRELL                          POUR LA DEMANDERESSE
Me ANN MARGARET OBEREST              POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BLANEY, MCMURTRY, STAPELLS, FRIEDMAN      POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

Me MORRIS ROSENBERG                  POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

1      [1999] A.C.F. no 194 (1re inst.).

2      Zhu c. Canada (M.C.I.), [1997] A.C.F. no 620 (1re inst.); Wai c. Canada (M.C.I.) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 173 (C.F. 1re inst.).

3      Wai c. Canada (M.C.I.), (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 173 (C.F. 1re inst.)

4      [1997] 3 R.C.S. 484.

5      La formule de demande indique que le couple a des avoirs nets d'une valeur de 180 000 $ US.

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